Читать книгу Le Sens Du Courage - Davide Piccolo, Davide Piccolo, Martyn Fogg - Страница 5
ОглавлениеChapitre II
Exode
Au bout de quelques secondes, Marco entendit la clé tourner dans la serrure et la porte s’ouvrit, laissant apparaître une jeune fille élancée et fine. Son visage au teint clair était encadré d’une cascade d’abondants cheveux châtains et lisses, ce qui offrait un contraste chromatique irrésistible avec ses yeux bleu clair : c’était Francesca.
À la vue de son compagnon, sa bouche charnue s’ouvrit instinctivement en un large sourire candide qui illumina son visage.
« Bonjour, trésor ! », s’écria-t-elle joyeusement, tout en ouvrant le portail de la maison.
Marco répondit par un sourire forcé, bien insuffisant pour dissimuler la préoccupation évidente qui le tourmentait.
« Comment cela s’est-il passé aujourd’hui au travail ? Quelque chose est allée de travers ? demanda la jeune fille, dont les yeux perçants avaient surpris le malaise de son fiancé, dès qu’il avait franchi le seuil.
- Tout s’est bien passé, journée tranquille », répondit le menteur, en évitant soigneusement le regard importun.
Francesca le scruta pendant quelques instants, mais ensuite elle haussa les épaules et servir le déjeuner.
Pendant le repas, Francesca essaya de lancer une conversation, mais Marco, distrait par la crainte de révéler à sa fiancée ce qui s’était passé ce matin-là, se limita à répondre par monosyllabes et à acquiescer en silence.
Cette attitude insolite ne put échapper aux yeux de Francesca, que la réponse reçue précédemment avait laissée perplexe.
« Quelque chose ne va pas ?
- N… Non, balbutia Marco.
- Tu en es sûr ?», insista-t-elle.
Silence.
« Regarde-moi droit dans les yeux », ordonna-t-elle sur un ton vaguement menaçant.
Marco, réticent, leva les yeux, jusqu’à ce que son regard croisât les yeux bleus de Francesca.
« Les yeux sont le miroir de l’âme », fit-elle avec un sourire amer.
Non, il n’y avait pas de voie d’issue. Un simple regard lui avait suffi pour comprendre que quelque chose n’allait pas. Comme toujours.
Marco soupira profondément et rassembla toute sa force de caractère pour murmurer faiblement : « J’ai accepté une mutation à la JW Corporation de New York.
- Quoi ? demanda Francesca, stupéfaite, se contenant avec peine.
-Oui, je pars pour New York pour le travail, confirma-t-il, se préparant à soutenir une réaction rageuse, qui, comme il était à prévoir, ne tarda pas à arriver.
- Et tu crois que c’est le moment de me le dire ? », demanda-t-elle, furieuse, tandis que ses yeux flamboyaient.
De nouveau, silence.
« Étant donné que nous vivons sous le même toit, il ne t’est pas venu à l’esprit qu’il serait bien d’évaluer la proposition à deux, avant de donner ta parole ? Ne te souviens-tu pas qu’avant de commencer à vivre ensemble nous nous étions promis de prendre toute décision d’un commun accord ? renchérit Francesca, sans paraître vouloir calmer son irritation.
- Mais tu ne veux vraiment pas comprendre mon désir d’une vie et d’un poste de travail meilleurs ? Tu ne veux pas déménager parce que cela ne t’intéresse pas !
- Je n’ai pas dit que je t’aurais obligée à refuser : pour toi, j’aurais accepté cela et bien autre chose encore ! Mais, toi, tu n’as pas eu le courage de m’en parler, par crainte que je ne m’oppose à ton projet. Apparemment, pour toi, il a la priorité sur notre projet de vie commune…
- Au contraire, passer le reste de mes jours avec toi a toujours été mon plus grand désir, mais évidemment tu ne le comprends pas, car autrement tu ne m’accuserais pas ainsi !
- Mais te rends-tu compte que tu es tout simplement en train de te décharger sur moi de tes fautes ? Tu n’es qu’un lâche, je ne trouve pas d’autres termes pour te définir…
- Eh bien, si pour toi je suis un lâche, alors adieu ! », répondit Marco, blessé dans son amour propre par cette définition inacceptable.
Sur ces mots, il lui tourna le dos pour s’engouffrer au pas de charge dans leur chambre à coucher à l’étage supérieur. Il arracha avec colère ses vêtements de l’armoire et les déposa rapidement dans une valise en cuir noir.
« Ne fais pas de bêtises ! le supplia sa fiancée, qui l’avait rejoint entre temps. Allons, remets les choses à leur place et reviens à toi.
- Eh bien, ce n’est pas ce que tu voulais ? la provoqua Marco, en descendant l’escalier.
-Ne sois pas ridicule, tu sais bien que je n’avais aucune intention de te renvoyer.
- Maintenant, il est trop tard », conclut-il, en envoyant un dernier regard courroucé à l’adresse de Francesca, qui, impuissante, regarda son fiancé enfiler son manteau avec rage et fermer la porte derrière lui, la laissant seule, en larmes pour cette rupture imprévue.
Et ainsi, songeant à la dispute avec son ex-partenaire sans oser y croire, Marco se dirigea en voiture à une vitesse soutenue vers l’habitation de sa mère qui, elle, était encore bien loin d’imaginer le départ imminent de son fils et la fin de son histoire avec Francesca.
Au bout de quelques minutes, il arriva à proximité d’un complexe de villas mitoyennes et il se gara en face de celle qui était identifiée par le numéro 16, où il avait vécu jusqu’à un an auparavant.
Il descendit ensuite de sa voiture et ouvrit le portail avec son double des clés; il frappa à la porte d’entrée.
« Qui est-ce ? demanda la mère.
- C’est Marco. Tu crois qu’un voleur aurait frappé avant d’entrer ? », répondit son fils, irrité par une prudence si invraisemblable.
Rassurée, elle ouvrit alors la porte à Marco, qui entra dans la maison.
Madame Lucia était une femme de cinquante-cinq ans, de taille moyenne et à l’aspect bien soigné.
Elle avait les cheveux teints en blond, toujours parfaitement en ordre, et un visage aux traits agréables, mais également marqué de rides manifestes, reflet des souffrances atroces qui l’avaient affligée pendant sa vie. Il s’agissait surtout de la mort prématurée de son mari, qu’un impitoyable cancer avait emporté il y avait déjà de nombreuses années de cela.
« Tu as l’air bouleversé. Il s’est passé quelque chose?».
Non, vraiment il n’était pas capable de dissimuler ses émotions.
« Oui. Mais maintenant laisse-moi t’expliquer, sans m’assaillir de questions, supplia-t-il, craignant que sa demande ne soit pas entendue. Je dois te parler d’une affaire très grave, et je te demande d’écouter ce que j’ai à te dire, sans m’interrompre. Quand j’aurai terminé, tu seras libre d’exprimer ton opinion.
- Comme tu veux, acquiesça-t-elle et elle s’assit sur le canapé, en attendant que son fils commence à parler.
- Il y a quelques mois, j’ai reçu une offre de travail impossible à refuser depuis les États-Unis et, aujourd’hui, j’ai annoncé mon départ imminent à Monsieur Russo », déclara Marco tout net, libérant son cœur du poids d’une telle révélation.
Lucia l’avait évidemment reçue comme un coup de couteau au cœur, mais elle parvint à maintenir l’équilibre qui la caractérisait et elle objecta : « Mais… qu’en sera-t-il de Francesca ? Lui as-tu déjà annoncé la nouvelle ?
-Elle ne fera plus partie de ma vie, voilà tout. Le problème ne se pose pas.
- Que s’est-il passé entre vous ? demanda sa mère.
» Si on peut savoir, bien sûr, ajouta-t-elle rapidement, ayant remarqué le murmure d’irritation de son fils.
- Quand je lui ai annoncé que j’avais accepté un poste de travail à New York et que j’aurais dû partir, elle l’a mal pris, parce que, selon elle, j’aurais dû attendre d’avoir vérifié sa disponibilité à me suivre. Elle m’a ensuite traité de lâche, et, pour cette raison, j’ai décidé de m’en aller, répondit sèchement Marco.
-Elle a certainement exagéré en utilisant une expression si forte, mais ne trouves-tu pas qu’elle a eu raison ? En effet, étant donné que vous viviez ensemble, elle avait de bonnes raisons pour prétendre d’être impliquée activement dans un choix si important. En effet, il est très difficile de se décider à quitter son pays et les personnes qu’on aime ; cela demande une étude attentive du pour et du contre… répondit sagement Lucia, mais le regard furieux et désapprobateur de Marco la persuada qu’il était temps de s’interrompre.
- Eh bien, moi, je crois que l’irréprochable Francesca, répliqua-t-il en serrant les dents, pouvait aussi bien comprendre qu’une occasion de ce genre arrive une fois dans la vie et une hésitation éventuelle m’aurait fait courir un gros risque de pousser l’entreprise en question à se tourner vers un autre candidat qui, lui, aurait jugé bon de prendre la place tant convoitée et que, moi, j’ai eu la présence d’esprit de ne pas laisser échapper. »
Voyant qu’aucune discussion n’était possible et connaissant bien la fermeté de son fils, Lucia choisit très justement de se rendre.
« Quand as-tu l’intention de partir ? demanda-t-elle sur un ton plus tolérant.
- Le plus tôt possible. Je partagerai cette expérience seulement avec mes collègues et mon directeur; je ne vois donc aucune raison de retarder mon départ ».
Sur ce, il mit fin à la conversation et se retira dans la chambre où il dormait lorsqu’il était adolescent, encore tapissée de posters de joueurs de foot de la Juventus, son équipe préférée.
Pendant quelques minutes, assis au bureau devant l’ordinateur, il s’occupa de trouver le billet d’avion qui allait bientôt le conduire à la JW Corporation, à des milliers de kilomètres de distance.
Enfin, il trouva un vol dont le départ était fixé au jour suivant à 11h30, depuis l’aéroport de Linate; il réserva une place coûteuse en première classe, en prévision de l’augmentation des ressources économiques qu’il aurait bientôt à sa disposition.
Puis il enregistra le numéro de téléphone d’un taxi milanais sur son smartphone et passa l’appel.
« Allo ?
-Bonsoir, je souhaite réserver un transport de Castrezzato à Linate.
- Je vous préviens que le service sera assez coûteux, le trajet est plutôt long… »
Marco laissa échapper un sourire de satisfaction. Évidemment, le chauffeur ne pouvait imaginer l’argent qu’il allait gagner à la JW Corporation.
« Il n’y a aucun problème. »
Après avoir établi un rendez-vous à 20h30, il redescendit au rez-de-chaussée, où sa mère préparait déjà le dernier repas qu’elle aurait partagé avec lui avant son départ pour les États-Unis.
Marco l’observa pendant un long moment, afin de graver dans sa mémoire chacun de ses gestes; il était bien conscient qu’il ne l’aurait pas revue avant longtemps et il partageait sa douleur pour la séparation imminente.
Le dîner se passa quasiment sans que l’un ou l’autre ne dise mot, tant ils étaient pris par la pensée du grand changement qui allait bientôt s’opérer dans leurs vies.
Soudain, un coup de klaxon les tira de leurs pensées.
Lucia regarda son fils d’un air interrogateur, désorientée par ce son inattendu.
« Qu’est-ce que c’était ?
- Le taxi est arrivé. Je passerai la nuit à l’aéroport.»
A ces mots, Lucia se jeta dans les bras de son fils, profondément émue. «Promets-moi de m’appeler tous les jours, car autrement, tu sais, je m’inquiète. Surtout te sachant loin…
- Tu peux y compter», la rassura-t-il, et il lui rendit son geste.
Après de longues secondes, Marco se dégagea de son étreinte et, après avoir récupéré les valises dans le salon, il prit congé de sa mère.
Avec une affectueuse mélancolie, il tapota le capot de sa Maserati, destinée à rester longtemps inutilisée, et il s’installa sur le siège arrière du taxi, qui partit à vitesse réduite sur la route devenue glissante à cause de la neige qui tombait toujours sur l’asphalte.
Sa mère resta quelques instants encore sur le pas de la porte pour observer la voiture qui s’éloignait, jusqu’à ce que le véhicule ait disparu dans un virage. Elle se résigna alors à l’idée de ne plus pouvoir suivre son fils du regard.
Pendant ce temps, le chauffeur traversait des lieux qui avaient servi de décor à la vie que Marco s’apprêtait à quitter et ce dernier se demandait bien quand est-ce qu’il les aurait revus.
Faisant appel à toute la force de sa volonté, il chassa ces pensées de son esprit, en entamant une conversation avec ce chauffeur introverti, professionnel autant que silencieux.
Lorsque finalement la voix robotique du GPS annonça l’arrivée à destination, mettant fin à ce voyage monotone, Marco paya la somme convenue et descendit avec calme du taxi, désireux de pouvoir se reposer en attendant le long vol du jour suivant.
Puis il rentra dans l’aéroport en trainant ses bagages. Épuisé par cette journée palpitante dont il avait été l’acteur principal, il prit place sur un banc, songeant de nouveau à tout ce qu’il allait quitter et qu’il avait toujours beaucoup aimé.
«Au moins, je ne devrai plus revoir mon cher ami Morgan», pensa-t-il, cherchant à se réconforter. Il fit alors une grimace qui renfermait toute son antipathie pour cette personne-là.
Au même moment, apparut dans sa tête l’image de celui qu’il haïssait le plus.
Haut environ un mètre quatre-vingts, il avait un visage pointu au teint clair, les cheveux couleur de paille et les yeux marrons avec des verres rectangulaires, qui ne parvenaient pas cependant à lui conférer un air d’intellectuel, totalement inconciliable avec son expression hébétée.
Sa large bouche émettait souvent des manifestations d’hilarité au son hystérique, une caractéristique de ceux qui essayent de masquer l’absence de l’hilarité générale qu’aurait dû provoquer leurs blagues par l’évidence auditive de la leur.
Et comme si ce mélange de caractéristiques odieuses ne suffisait pas, une attitude peu courtoise envers Marco venait couronner le tout.
En effet, il se souvenait encore avec une irritation extrême le soir où, avec son incomparable démarche déhanchée, il s’était approché de Francesca pour s’exhiber en une tentative ridicule de lui faire la cour, ignorant sa présence.
«Serait-ce un crime par hasard ? avait-il demandé avec suffisance, face aux revendications de Marco sur le cœur de la jeune fille et à ses exhortations intempestives de s’en aller.
» Moi, je n’en ai pas connaissance, et je voudrais te rappeler que nous sommes dans un pays libre, ou je me trompe ? De toute façon, je m’en vais ; garde-la pour toi », avait-il ajouté, en s’éloignant avec la même démarche.
Depuis cet instant, profondément irrité par son attitude, il s’était pris à le haïr, tout en espérant que les occasions de le rencontrer se seraient faites de plus en plus rares.
Mais cette espérance fut souvent déçue par la réalité.
En effet, Marco était régulièrement contraint de se mettre en contact avec lui pour son travail.
Il arrive parfois qu’en approfondissant la connaissance de certaines personnes un jugement instinctif soit démenti. Mais, en l’occurrence, l’adage «la première impression est celle qui compte» fut prophétique et leurs rapports se poursuivirent à l’enseigne d’une antipathie réciproque.
Légèrement rassuré par ces pensées, Marco fut vaincu par la fatigue et il tomba dans un profond sommeil.
Quelques heures plus tard, le bruit joyeux d’un groupe de personnes interrompit son court repos.
La vue encore embuée par le sommeil, Marco se frotta les yeux pour mieux distinguer les silhouettes qui l’entouraient: des dizaines de familles et de jeunes étaient occupés à acheter les derniers cadeaux en vue de la fête de Noël, désormais très proche, et tous s’apprêtaient à y participer avec une grande joie.
Le jeune manager observa longuement les enfants qui couraient insouciants à côté de leurs mères, attentives à ne pas les perdre de vue dans la masse des personnes qui marchaient en regardant les vitrines des magasins.
Toutefois, le climat de la fête imminente que l’on respirait dans l’air et que l’on lisait clairement sur les visages détendus de tous contrastait avec l’état d’âme de Marco, qui pensait à combien ce 25 décembre allait être différent de tous les autres.
En effet, au lieu de participer avec ses proches au repas traditionnel qui avait lieu chez sa mère, il allait devoir partager ce jour spécial avec des personnes qu’il ne connaissait pas encore, et qui allaient peut-être lui sembler peu agréables.
Mais Marco finit par sortir de ses réflexions. Il se leva du banc en s’étirant et se rendit au guichet préposé au check-in, où une jeune employée souriante lui fournit la carte d’embarquement.
Puis il vit un autre banc et il s’assit à côté d’un vieux monsieur.