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LETTRE CIRCULAIRE du citoyen DESGENETTESAux médecins de l'armée d'Orient
ОглавлениеAu quartier général du Kaire, le 25 thermidor an VI.
L'armée, citoyens, après plusieurs batailles, plusieurs combats, et les marches les plus pénibles à travers les déserts, commence enfin à goûter quelques moments de repos depuis son arrivée en Égypte. Sa prodigieuse activité a comprimé jusqu'ici le germe des maladies qui vont se développer, et du traitement desquelles il faut nous occuper.
La saison où nous sommes a, comme toutes les autres, sa constitution propre et ses maladies; ce sont les diarrhées et la dysenterie que nous avons le plus à redouter; l'ophtalmie, endémique en Égypte, commence à s'y joindre avec une progression rapide.
Cette dernière maladie est quelquefois simple ou idiopathique; elle rentre alors dans la classe des inflammations ordinaires et locales, et elle se traite de même.
D'autres fois elle est concomitante ou symptomatique des diarrhées et des dysenteries, et elle survient surtout dans le cas de suppression de ces flux, qu'il faut alors rappeler par des minoratifs.
Peut-être aussi dans quelques circonstances l'ophtalmie deviendra-t-elle une crise des diarrhées et de la dysenterie.
Au reste l'æthiologie des diverses espèces d'ophthalmies est simple; elle s'explique par cet axiome de la théorie des fluxions: «partout où il existe un point d'irritation, là les humeurs affluent.»
En m'entretenant avec vous, citoyens sur nos devoirs, et les moyens de nous rendre le plus utiles possible à l'armée, je ne puis trop vous recommander la lecture de Prosper Alpin (De medicinâ AEgyptiorum).
Cet estimable ouvrage peut devenir pour chacun de nous le sujet d'un beau travail; il consisterait à en faire des extraits, où, en mettant de côté une diction trop verbeuse et des théories surannées, on conserverait seulement tout ce qui tient à l'observation et aux grands aperçus pratiques; ces extraits deviendraient en quelque sorte le texte d'un commentaire où nous consignerions les choses intéressantes que nous serons à même d'observer journellement.
Le même auteur a encore écrit un bel ouvrage (Rerum AEgyptiarum Libri IV), qui renferme une foule de détails intéressants sur l'histoire naturelle et civile, les mœurs, les arts, et qui pourrait devenir l'objet d'un travail semblable à celui que je vous ai conseillé de faire sur sa médecine.
Nos fonctions aux armées ne se bornent point à traiter les maladies; nous devons constamment surveiller tout ce qui peut assurer la santé des militaires; et nos devoirs sur ce point sont suffisamment détaillés par les lois et les règlements qui en sont explicatifs.
Mais, pour appliquer convenablement les principes de l'hygiène, et pour trouver des médicaments efficaces dans un pays nouveau pour nous, il est indispensable d'en rédiger soigneusement la topographie. C'est ce qui m'engage à vous offrir ici un plan uniforme qui vous sera utile pour classer vos observations: vous reconnaîtrez facilement qu'aux localités près, ce plan est emprunté de celui que des mains plus habiles tracèrent pour étudier la France physique et médicale.
1o. Indiquer la nature du sol du pays qu'on veut faire connaître.
2o. La longitude et la latitude, l'exposition en général.
3o. Quels sont les vents dominants.
4o. Quelles sont les principales qualités physiques des eaux du Nil, des puits, et des citernes; leur influence sur la végétation, et sur la santé des hommes et des animaux.
5o. Quels sont les arbres, les arbustes, et les autres plantes, particulièrement potagères, ou médicinales qui croissent dans les lieux décrits.
6o. Quels sont les grains que l'on cultive; comment les cultive-t-on; quelles sont leurs maladies.
7o. Examiner soigneusement et indiquer les nombreuses substances médicamenteuses que le commerce de l'Asie verse dans l'Afrique, et en particulier dans l'Égypte.
8o. Quels sont les animaux de toutes les classes qui sont particuliers à l'Égypte et étrangers à l'Europe; réunir le plus de notions possibles sur les maladies de ceux des animaux domestiques qui allègent et partagent les travaux de l'homme.
9o. Enfin faire connaître le tempérament général des habitants, leurs aliments, leurs boissons, leurs vêtements, la construction de leurs maisons, leurs occupations, leurs habitudes, et leurs mœurs; les maladies les plus ordinaires aux enfants, aux hommes, aux filles et aux femmes; leurs méthodes habituelles de traitement; à quelle époque finit et commence la menstruation; la fécondité est-elle considérable? quel est le terme ordinaire de la vie?
L'Égypte passe pour avoir été le berceau de la médecine comme celui du reste des connaissances humaines; mais, il faut l'avouer, l'histoire de l'origine de notre art est assez incertaine, et toujours obscure. Chez les Égyptiens elle est environnée d'une foule de superstitions ridicules, et la raison ne peut s'arrêter que sur l'établissement des corporations de médecins dont les règlements assez connus supposent un corps de doctrine qui avait dû être sanctionné par des succès. Mais l'époque à laquelle on a pu avoir en Égypte des connaissances étendues en médecine est celle où, après l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, les khalyfes rallumèrent à Antioche, à Hharrân, à Baghdâd, le flambeau des lettres, en leur accordant une protection signalée. Hhonaïn traduisit alors en arabe les versions syriaques des médecins grecs; et c'est en marchant depuis sur ses traces, que, dans des temps postérieurs et en d'autres lieux, Rhazès, Aboul-Kasis, Avicenne, A'ly-A'bbâs, Mesuéh, Aven-Zoar, et Averroès, tous médecins arabes, consacrèrent la même doctrine dans de nombreux écrits qui sont encore révérés de l'Orient. Une grande connaissance de leurs modèles, et le progrès des lumières ne permettent plus de placer ces écrivains parmi nos législateurs; mais nous leur avons l'obligation d'avoir conservé la médecine des Grecs: et c'est en cela que consiste leur vraie gloire, quoiqu'ils aient aussi celle d'avoir perfectionné la chirurgie, et créé en quelque sorte la pharmacie par l'application de la chimie qu'ils cultivèrent avec succès. On ne leur fera plus un mérite, à la fin du dix-huitième siècle, d'avoir introduit une foule de médicaments dont le luxe est encore plus dangereux qu'il n'est vain.
Il doit exister, et j'ai déjà entrevu en Égypte des traces de cette ancienne science. Étudiez donc soigneusement la pratique du pays, quelque peu estimable que cet empirisme puisse vous paraître d'abord: il faut le connaître pour avoir droit de le juger. Soyons aussi bien convaincus que, dans un climat nouveau, et même partout, les moins instruits peuvent nous apprendre des choses utiles.
Notre profession vous fournira d'ailleurs, citoyens, de fréquentes occasions d'observer qui ne se présentent point aux autres hommes. Les Orientaux, malgré leurs préjugés, ont toujours témoigné aux médecins de l'Europe une grande confiance; c'est ce qui a souvent engagé des voyageurs étrangers à notre art, mais dont l'esprit était cultivé par les sciences, à se servir près d'eux de ce titre comme d'une utile recommandation. Les services que vous leurs rendrez seront beaucoup plus marquants; ils vous procureront sûrement en échange les renseignements que nous sommes avides de recueillir: car il faut croire, pour l'honneur du cœur humain, que les bienfaits excitent quelquefois la reconnaissance.
Le médecin en chef de l'armée,
R. Desgenettes.