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OBSERVATIONS
Sur les maladies, et en particulier la Dysenterie, qui ont régné en fructidor an 6 dans l'armée d'Orient, par le citoyen Bruant , médecin ordinaire de l'armée
ОглавлениеAu quartier-général du Kaire, le 9 vendémiaire an 7.
La température de fructidor a été très uniforme, chaude et sèche pendant le jour, humide et fraîche pendant la nuit, il s'élevait à midi un vent frais, qui modérait un peu la chaleur du jour; ce vent augmentait insensiblement aux approches de la nuit, diminuait vers le matin, et cessait entièrement sur les dix heures, époque de la journée la plus insupportable. La chaleur ne s'est guère élevée au-delà du vingt-huitième degré du thermomètre de Réaumur, et elle est descendue au-dessous du vingtième: des brouillards obscurcissaient quelquefois le soleil à son lever, mais ils se dissipaient bientôt après.
Les maladies du mois précédent étaient les ophtalmies, les diarrhées, et la dysenterie: cette dernière a paru plutôt qu'elle n'a coutume de le faire en Europe; elle a continué durant la plus grande partie de fructidor, et ce n'est que vers la fin de ce mois qu'elle a commencé à faire place aux fièvres rémittentes et intermittentes d'automne: ainsi les maladies de cette saison se sont en général montrées de très bonne heure.
La dysenterie étant la maladie qui a le plus fixé notre attention par la rapidité de ses progrès, c'est sur elle que doivent rouler principalement ces observations.
Cette maladie, sans produire de grands ravages, a pourtant régné dans la plupart des corps armés. La division qui nous a fourni le plus de malades est celle qui, sous les ordres du général Dugua, était aux environs de Manssourah, et qui a beaucoup souffert des intempéries du climat, et de la saison. Elle a poursuivi l'ennemi jusqu'à l'entrée du désert, et, dans les marches forcées qu'elle a faites sur un sol brûlant, elle a souvent manqué des choses nécessaires à la vie: obligée ensuite de revenir sur ses pas, et de traverser des lieux déjà inondés par le Nil, elle a été exposée fréquemment à l'action de la chaleur et de l'humidité, que l'on regarde avec raison comme l'une des principales causes éloignées de la dysenterie.
Les militaires qui ont été casernés de bonne heure se sont peu ressentis de la maladie régnante; elle n'a guère attaqué que ceux qui se sont exposés sans précaution à l'humidité de l'air pendant la nuit, ou à d'autres causes capables de supprimer la transpiration: les mêmes causes l'ont produite chez des convalescents de fièvres intermittentes. Ces deux maladies se succédaient néanmoins quelquefois chez le même individu sans cause apparente.
La dysenterie n'a pas été maligne et contagieuse dans l'hôpital no 1 du Kaire, établi dans la vaste et belle maison d'Ibrahim-bey, sur la place Berket-êl-Fyl, dont j'ai partagé le service avec mes collègues Garros, Barbès, et Claris, quoique cet établissement eût été longtemps encombré de malades privés de beaucoup de choses utiles dans leur situation.
La maladie dont nous parlons était ordinairement accompagnée d'une fièvre gastrique, bilieuse, qui reparaissait sous toutes les formes dans les diverses affections que l'on remarquait dans le même temps. La dysenterie, sur le rapport des malades, était ordinairement précédée d'une diarrhée légère; quelquefois elle s'annonçait par un frisson suivi de chaleur, et, à l'époque où la sueur doit paraître, cette excrétion était remplacée par des selles abondantes. Le malade ne tardait pas à éprouver des tranchées plus ou moins vives, et le jour suivant, lorsqu'il se présentait à la selle, il rendait avec douleur une petite quantité de matières, tantôt visqueuses, tantôt aqueuses; mais comme elles étaient rarement sanguinolentes dès le premier abord, il restait dans l'inaction, et ne cherchait du soulagement que lorsque le sang paraissait dans les excrétions alvines. Outre ce symptôme, pour l'ordinaire très opiniâtre, le malade se plaignait encore d'une douleur plus ou moins vive, selon que son siège était plus ou moins bas. Cette douleur, sans occuper la même place chez tous les individus, était néanmoins presque toujours fixée à une partie du colon. Les selles, toujours fréquentes et peu abondantes, ne soulageaient point; sujettes à présenter des variations infinies dans leur couleur et dans leur consistance, le plus souvent elles ne se moulaient qu'après la guérison parfaite. Lorsque le malade entrait dans l'hôpital, il était plus ou moins affaibli; la peau était aride, le pouls ordinairement petit et débile, la respiration quelquefois gênée, et la bouche constamment mauvaise: nul appétit; un sédiment jaunâtre couvrait la langue, et semblait en quelque sorte se séparer de cet organe lorsque la turgescence était prononcée. Tous ces symptômes diminuaient d'intensité après les premières évacuations; mais la faiblesse persistait le plus souvent, même après la disparition des phénomènes caractéristiques de la maladie, et rendait les rechutes très fréquentes par le désordre qu'elle apportait dans l'exercice des fonctions, et surtout de la digestion.
Tels sont à peu près les principaux symptômes qui se présentaient dans le cours de cette maladie, avec différents degrés d'intensité dans ses diverses périodes. Sa durée était très incertaine, et dépendait d'une infinité de circonstances inutiles à détailler. Lorsqu'elle était traitée à temps, elle guérissait beaucoup plus promptement; la négligence des moyens curatifs amenait un état de langueur, dans lequel il était peu permis de compter sur les mouvements critiques: aussi les crises qui en étaient le résultat ne produisaient presque jamais la solution complète de la maladie; il fallait des crises répétées à des intervalles plus ou moins éloignés, et dirigées, tantôt vers le même organe, tantôt vers un organe différent. L'ophtalmie apportait toujours un soulagement marqué, lorsqu'elle survenait dans les dysenteries de long cours: les douleurs des yeux, et celles du bas-ventre, se remplaçaient mutuellement; mais les dernières reparaissaient pour l'ordinaire après la cessation des premières, à moins que l'on ne parvînt à seconder avantageusement ces mouvements salutaires; et les moyens les plus efficaces pour cela étaient, comme dans toutes les maladies bilieuses, ceux qui favorisent l'excrétion cutanée. Au défaut des sueurs, les urines pouvaient devenir critiques; et je n'ai jamais vu leur évacuation augmenter sans qu'elle n'apportât un changement heureux dans l'état du malade: mais cette crise n'était ni plus sûre ni plus complète que les autres.
Les signes d'une terminaison heureuse et prompte étaient la disparition, ou au moins une diminution notable des principaux symptômes, après l'application des premiers remèdes. Les symptômes qui dépendent de la gastricité cédaient ordinairement les premiers; le malade reprenait peu à peu l'appétit et les forces; les selles devenaient rares, mais abondantes; et ce signe, joint à la cessation des douleurs du bas-ventre, annonçait une santé prochaine. En effet, le malade, n'étant plus fatigué par ces étreintes continuelles, par ces envies fréquentes et inutiles d'aller à la selle, passait les nuits dans le repos, et se réparait de jour en jour: l'action seule des intestins suffisait pour expulser les restes impurs qui altéraient encore la consistance et la couleur des matières rendues par les selles.
Lorsqu'après les premières évacuations on n'apercevait aucun changement dans l'état du malade, on devait augurer que la maladie serait longue: alors quelle série de chances on avait à courir! que d'obstacles à surmonter! que d'incommodités à éprouver pour parvenir à la guérison! D'ailleurs, cette maladie, sans être bien dangereuse par elle-même, pouvait le devenir à raison de cet affaiblissement général, qui augmentait quelquefois dans une progression rapide, et laissait le corps ouvert à toutes les impressions. Les intestins, après des efforts trop longtemps continués, perdaient enfin leur ton naturel; le mucus qui les revêt d'ordinaire n'existait plus, et la membrane veloutée, altérée en différents endroits, les exposait sans défense à l'action d'une cause irritante qui n'était pas encore détruite. Alors se manifestaient, quoiqu'heureusement les exemples en aient été fort rares, tous les signes d'une inflammation gangréneuse, et avec eux une série de phénomènes alarmants, dont la réunion faisait toujours désespérer du salut du malade. L'abattement et la maigreur devenaient extrêmes; la peau était sèche et rude, le pouls petit, quoiqu'un peu dur, la voix grêle et coupée; la langue était aride et raboteuse; de profonds sillons régnaient dans toute son étendue, et quelquefois elle adhérait aux parties voisines. À tous ces symptômes venaient se joindre une soif inextinguible, des ardeurs d'entrailles, un ténesme violent, des selles écumeuses et fluides; et l'on pouvait prédire une mort prochaine lorsque le malade était pris d'un léger délire, que le pouls devenait intermittent, qu'il survenait des aphtes dans l'intérieur de la bouche, et surtout lorsque le ventre s'affaissait, que les excrétions alvines sortaient involontairement, et rendaient une odeur cadavéreuse. J'ai vu tous ces symptômes se présenter pendant ce mois chez deux hommes, dont la maladie fut mortelle; l'un d'eux fut de plus attaqué, deux jours avant de mourir, d'un hoquet convulsif, et rendit par le vomissement un nombre assez considérable de vers.
Ce petit nombre de cas excepté, le pronostic de la dysenterie n'était pas pour l'ordinaire fâcheux; aussi elle a fait peu de ravages. On peut l'attribuer à plusieurs causes; une des principales est cette diarrhée salutaire qui, dans le principe, régnait en même temps que la dysenterie. Au premier coup d'œil on serait porté à croire que la diarrhée pouvait elle-même produire la dysenterie, parce qu'en effet on la voyait survenir souvent quelques jours avant son apparition; mais elle pouvait tout au plus en devenir la cause occasionnelle, et le plus souvent au contraire elle la prévenait. Parmi les circonstances heureuses qui ont contribué à diminuer le danger de la dysenterie, on ne doit pas oublier l'impuissance dans laquelle se trouvaient en général les malades d'abuser des spiritueux. Les auteurs sont remplis d'observations sur les funestes effets de ces boissons, et nous en avons nous-mêmes tous les jours des exemples. Mon collègue et ami Carrié me rapportait encore dernièrement que deux hommes robustes étaient morts sous ses yeux le troisième jour d'une dysenterie bénigne, pour s'être gorgés d'eau-de-vie.
Dans toutes les maladies, l'indication principale à remplir est de combattre la cause matérielle à laquelle elle doit son existence. La dysenterie dont je viens de parler était, ainsi qu'on l'a vu, entretenue par un état gastrique; et comme cet état se montrait constamment, quoiqu'avec des modifications, à différentes époques, on ne pouvait en aucun temps se dispenser d'employer les moyens propres à évacuer les premières voies: seulement on devait apporter quelque attention dans le choix de ces remèdes. Il n'était pas indifférent d'employer dans le commencement les vomitifs ou les purgatifs: ces derniers rendaient toujours la maladie longue, et difficile à guérir, lorsque l'on n'avait pas soin de faire précéder l'usage des premiers. L'ipécacuanha administré seul était alors suivi du plus heureux succès: vers le milieu de la maladie, il fallait lui joindre quelque substance capable de mener par le bas; et sur la fin les purgatifs suffisaient quelquefois pour compléter la guérison, surtout lorsque le malade était entré à l'hôpital peu de jours après l'invasion de la maladie. La nature nous a elle-même indiqué cette marche en dirigeant suivant ses fins des remèdes opposés, à tel point que j'ai vu nombre de fois les vomitifs ne produire que des selles, lorsque la saison était avancée.
Les variations étonnantes que l'on remarquait dans l'action des évacuants venaient en partie du lieu où la maladie avait son siège: comme dans le plus grand nombre de cas elle attaquait en même temps l'estomac et les intestins, je vais rappeler en peu de mots le traitement que j'employais alors.
Le jour de son arrivée à l'hôpital, le malade prenait un vomitif, pour peu que la turgescence fût marquée. Je ne m'inquiétais pas du temps qui s'était écoulé depuis l'invasion de la maladie, et j'ai donné des vomitifs avec avantage au dix-huitième ou vingtième jour après l'invasion: il suffisait que la faiblesse ne fût pas considérable; encore ai-je eu lieu de me convaincre que l'on ne devait pas se laisser arrêter par cette contre-indication, et que ce remède, loin d'abattre les forces, les relevait au contraire. Lorsque l'effet du premier vomitif n'était pas complet, j'en ai administré un second; et quoique je fusse convaincu que les remèdes héroïques ne doivent être administrés qu'avec la plus grande réserve, je ne craignais pas les suites de l'affaiblissement général qu'ils produisent. Le lendemain, je purgeais le malade, et je mesurais les effets de cette médecine sur le soulagement qu'elle procurait. Rarement mes espérances étaient trompées: non seulement tous les symptômes de gastricité disparaissaient, mais encore les douleurs du bas-ventre diminuaient notablement. Après un jour de repos, pendant lequel le malade était à l'usage d'une tisane délayante, je prescrivais un minoratif, composé avec la rhubarbe et le tartrite acidule de potasse, ou bien avec le sulfate de magnésie, qui, répété deux ou trois fois, terminait la maladie: pour l'accélérer encore, je faisais prendre quelque léger tonique; celui qui m'a le mieux réussi est l'ipécacuanha administré seul comme altérant, ou combiné avec la rhubarbe.
Lorsque, malgré ce traitement simple, que je variais de mille manières, et que je répétais quelquefois en entier, suivant l'exigence des cas, les principaux symptômes de la dysenterie persistaient, il fallait en venir à l'usage des opiates. Si je les ai souvent trouvés fort au-dessous de mes espérances, je dois avancer aussi qu'ils ont rendu des services dans les anciennes dysenteries, réduites à l'état nerveux. Je ne tardai pas cependant à m'apercevoir qu'aussitôt après leur usage le ventre se resserrait, et que le malade éprouvait des malaises, de la chaleur, et des anxiétés précordiales, qui duraient jusqu'à ce que la liberté du ventre fût rétablie. Pour éviter ces inconvénients qui retardaient la guérison, je joignis à l'emploi des narcotiques les délayants, et les légers eccoprotiques. Administrés de cette manière, les opiates apaisaient souvent les douleurs des intestins, sans s'opposer jamais à l'utile évacuation des matières fécales.
On voit que les évacuants jouaient le principal rôle dans le traitement de la dysenterie, et qu'ils trouvaient leur application dans tous les temps de la maladie. Aucun remède ne combattait plus efficacement les épiphénomènes qui se montraient quelquefois pendant sa durée, et ceux même qui paraissaient le plus les contre-indiquer. Les ardeurs d'urine, occasionnées par la constriction plus ou moins forte des intestins, cédaient pour l'ordinaire à l'usage des minoratifs.
Un malade entra à l'hôpital; il se plaignait, outre la dysenterie, d'une oppression considérable avec crachement de sang: la couleur de ce fluide et les circonstances qui accompagnaient son évacuation faisaient assez voir qu'il venait de l'estomac; plusieurs signes évidents, et la gastricité, indiquaient aussi que l'oppression avait la même origine. Le malade ne prit le premier jour qu'une légère tisane; le lendemain j'ordonnai un vomitif, et cette fois je crus utile de faire prendre un parégorique après l'action de ce remède: il éprouva des évacuations abondantes par haut et par bas, et fut très soulagé; l'oppression et le crachement de sang diminuèrent; une médecine les fit cesser entièrement, et la maladie guérit plutôt que je ne l'aurais pensé.
Il s'est pourtant présenté des cas où les évacuants donnés dans le principe auraient produit le plus grand mal: ces cas étaient ceux où la dysenterie était jointe à une fièvre bilieuse, générale, ou putride; ils ne se sont montrés que rarement. J'observai dans l'un d'eux des signes de malignité: le malade était dans un délire sourd et tranquille; l'abattement était extrême, la peau brûlante; un enduit noirâtre revêtait les dents, et la langue et les déjections étaient très fétides, et de couleur brune. Pour relever un peu les forces, et donner prise aux remèdes que je voulais mettre en usage, je fis appliquer les vésicatoires aux jambes; j'en vins ensuite au quinquina, que je donnai à petites doses souvent répétées, car c'est la meilleure manière de l'administrer dans les fièvres continues qui exigent son emploi; je lui joignis un peu de tartrite acidule de potasse, et le malade prit pour boisson ordinaire la limonade affaiblie. Le troisième jour le délire cessa, la langue commença à se nettoyer de son enduit noirâtre, et les signes de saburre à se montrer: je prescrivis alors un minoratif, et j'achevai la cure en mêlant l'usage des évacuants à celui des acides et du quinquina, que je ne discontinuai qu'après que la convalescence fut très avancée. Il ne fallait pas encore perdre de vue le malade, à cause du danger des rechutes; ainsi il fallait encore éviter les variations de température, les excès dans le régime, et les passions violentes de l'âme: on devait aussi avoir attention de ne faire reprendre aux convalescents leur service que lorsqu'ils étaient parfaitement en état de le supporter.