Читать книгу Histoire Médicale de l'Armée d'Orient. Volume 2 - Desgenettes René - Страница 2
NOTICE
Sur l'ophtalmie régnante,Par le citoyen BRUANT, médecin ordinaire de l'armée
ОглавлениеAu quartier-général du Kaire, le 15 fructidor an VI.
Tous les voyageurs médecins qui ont écrit sur l'Égypte ont parlé de l'ophtalmie d'une manière vague et incomplète: cependant cette maladie, toujours incommode a souvent des suites fâcheuses, et la plupart des cécités si fréquentes en Égypte ne reconnaissent pas d'autre cause.
Dans l'ophtalmie qui afflige actuellement l'armée nous n'avons pu puiser dans aucune source des connaissances capables de régler notre conduite. L'état actuel du malade, les circonstances antécédentes, quelquefois même seulement les indications (a juvantibus et lœdentibus) ont jusqu'ici déterminé le traitement que nous avons employé.
La plupart des malades attaqués d'ophtalmie nous viennent des postes avancés et des camps; tous ont été plus ou moins exposés à l'action réunie de la chaleur et d'une trop grande clarté, qu'on peut regarder ici comme une des principales causes de cette maladie. À celle-ci viennent s'en joindre d'autres non moins puissantes, parmi lesquelles on doit principalement ranger, d'après Prosper Alpin, cette poussière brûlante, nitreuse, que le vent soulève sans cesse dans l'atmosphère. Toutes ces causes agissent en établissant vers le globe de l'œil un centre d'irritation, et par conséquent de fluxion. Comme leur action n'éprouve guère d'interruption, la maladie qui en est le résultat règne dans tous les temps de l'année, et principalement pendant les trois mois qui précèdent le débordement du Nil, époque où les travaux de la campagne occupent davantage le peuple, et l'exposent plus directement à l'influence des causes dont j'ai déjà parlé. Voilà pourquoi l'ophtalmie est maintenant assez rare parmi les habitants du pays, tandis qu'elle attaque un grand nombre de nos militaires qui soutiennent des marches pénibles, ou qui vivent dans des camps plus ou moins désavantageusement placés.
Le plus grand nombre des ophtalmies que nous avons à traiter tient à des causes locales de ce genre: il en est pourtant qui en reconnaissent de plus générales, et, par exemple, nous en avons observé qui dépendaient bien évidemment d'un amas de saburres bilieuses dans les premières voies. Cette espèce n'est pas toujours facile à reconnaître; souvent les signes qui indiquent la gastricité sont très obscurs, et ne se développent librement qu'après l'application du premier émétique: ce qui la distingue néanmoins d'une manière assez sûre, c'est un mal de tête plus ou moins vague, une soif plus ou moins prononcée, la teinte jaunâtre de la langue et de la partie enflammée.
Enfin, parmi les ophtalmies qui se sont présentées à nous, il en est une troisième espèce qui ne peut pas se ranger dans les deux premières classes: celle-ci attaque surtout les personnes délicates, celles qui sont affaiblies par de longues maladies, les convalescents, qu'elle retient souvent très longtemps dans nos hôpitaux; dans cette espèce les symptômes inflammatoires sont peu prononcés, l'engorgement est presque nul; mais on y remarque beaucoup de phénomènes nerveux; tel est un spasme violent de la paupière, du globe de l'œil, et de ses annexes, qui cause la sécrétion et l'excrétion d'une quantité considérable de larmes; l'œil est très impressionnable à la lumière, et les paupières sont fortement rapprochées l'une contre l'autre.
Ces différences, comme on le sent, modifient beaucoup le diagnostic de cette maladie; cependant, en général, elle survient tout-à-coup et dans l'état de la plus parfaite santé; elle commence par une douleur vive à l'œil, accompagnée de larmoiements; le malade supporte difficilement la lumière; bientôt après les vaisseaux qui tapissent la conjonctive s'engorgent, et rendent les mouvements de la paupière sur l'œil difficiles et douloureux: la maladie faisant des progrès, la conjonctive se boursoufle; elle s'élève au-dessus de la cornée transparente, qui paraît comme dans une espèce d'enfoncement: les deux paupières ne tardent pas à participer au gonflement et à l'inflammation, et leurs mouvements sont interrompus. Enfin les symptômes diminuent peu à peu d'intensité, le gonflement de la paupière se dissipe, et l'œil s'ouvre: il paraît alors recouvert d'une matière blanchâtre, parfaitement semblable au pus, qui se ramasse continuellement vers le grand angle, surtout pendant la nuit, ce qui fait que le matin les yeux ne s'ouvrent qu'avec difficulté; peu à peu l'œil prend une teinte pourprée, et revient à sa couleur naturelle.
Dans le fort de la maladie le malade éprouve souvent dans toute la tête des douleurs violentes qui quelquefois se bornent à l'arcade sourcilière. Le pouls est un peu élevé, l'œil est toujours d'une sensibilité plus ou moins grande; les rayons du soleil font sur lui une impression douloureuse, et la faculté de voir est augmentée, comme il arrive dans la plupart des états pathologiques de cet organe qui tiennent à une irritation vive: mais vers le déclin le malade ne voit les objets que d'une manière confuse et comme à travers un nuage; il éprouve en outre plusieurs des symptômes qui accompagnent l'amaurosis commençant.
La durée de l'ophtalmie varie depuis huit jusqu'à trente jours, et même plus; ce qui dépend des complications qu'elle subit, et des accidents qui peuvent en être la suite. Les plus ordinaires sont la faiblesse et le trouble de la vue, et quelquefois de petits ulcères sur toute l'étendue de la cornée opaque.
L'objet peut-être le plus important dans l'étude de cette maladie serait la recherche des moyens capables de la prévenir; mais il est presque impossible de soustraire le corps à l'action des causes extérieures sous l'influence desquelles il est obligé de vivre continuellement; on peut seulement en modérer l'impression d'une manière avantageuse. Quels que soient les moyens qu'on propose pour remplir cet objet, il importe que le soldat soit tenu de les mettre en usage d'après un ordre exprès; et pour cela il faut que ces moyens soient simples, faciles, et tellement liés avec son service, qu'il ne lui soit pas possible d'en négliger ou d'en oublier l'emploi. Parmi les remèdes prophylactiques utiles on peut ranger les lotions fréquentes faites avec l'eau froide: j'en ai obtenu les plus heureux effets dans l'ophtalmie commençante; et je ne doute pas qu'elles ne réussissent à plus forte raison pour prévenir cette maladie. La facilité dans l'exécution que ce moyen présente doit le faire préférer à la plupart des autres, à qui d'ailleurs il ne cède en rien par son efficacité.
La maladie dont nous parlons se guérit assez souvent par les seules forces de la nature et sans le secours de l'art; on peut même dire avec vérité que rien ne s'oppose plus à sa guérison que le trop grand nombre de remèdes, principalement d'applications externes. Quelques malades ont été soulagés par une éruption survenue vers les tempes; d'autres, et c'est le plus grand nombre, par un léger flux diarrhoïque: c'est pour me conformer à ces vues de la nature, que je tâche d'entretenir la liberté du ventre pendant tout le cours de la maladie, en administrant quelques tisanes laxatives, par exemple celle de tamarins, ou autre semblable.
Le traitement a varié suivant les différentes espèces d'ophtalmies que nous avons observées: je vais le tracer en peu de mots. Lorsque la maladie est locale et que l'inflammation n'est qu'imminente, nous employons avec succès les lotions froides dont j'ai parlé, et les révulsifs de toute espèce. La saignée générale devrait être sous ce rapport de la plus grande utilité; mais le caractère bilieux prononcé de la plupart des maladies qui se présentent à nous nous empêche de la mettre en usage: elle est d'ailleurs fortement contre-indiquée chez nos militaires affaiblis par les travaux d'une longue guerre.
Les saignées locales, que nous n'avons pu administrer jusqu'ici, pourraient l'être d'une manière plus sûre et non moins avantageuse; du moins avons-nous en notre faveur l'exemple des habitants du pays qui les pratiquent avec succès au grand angle de l'œil: dans cette maladie elles modéreraient du moins la violence des symptômes, lorsque l'inflammation est pleinement établie, et qu'elle doit nécessairement parcourir toutes ses périodes. Jusqu'ici nous nous sommes bornés à éloigner de l'œil toutes causes irritantes, et surtout la lumière. Lorsque les douleurs sont très vives, nous appliquons quelques substances émollientes, mais avec ménagement, parce que le relâchement qu'elles introduisent rend l'engorgement très opiniâtre, et retarde beaucoup la guérison. L'application d'un vésicatoire derrière la nuque est d'ailleurs plus avantageuse dans ce cas, surtout lorsque la douleur n'est pas bornée à l'œil, et qu'elle occupe la plus grande partie de la tête. Dès que l'inflammation commence à diminuer d'intensité, nous en venons à l'usage des collyres résolutifs que nous rendons de plus en plus forts, et avec lesquels nous achevons la cure.
Lorsqu'on a reconnu par les signes ordinaires que l'ophtalmie est gastrique, il faut en venir le plus tôt possible aux évacuants. J'ai déjà observé que le premier émétique n'avait souvent d'autre effet que de rendre la gastricité plus manifeste: il est donc nécessaire, pour obtenir le succès qu'on en attend, d'en administrer un second; souvent même on est obligé d'évacuer par le bas; et alors je fais ajouter avec avantage aux purgatifs que je prescris quelques grains de jalap. Cette observation se renouvelle chaque jour dans les maladies gastriques avec affection d'un organe particulier; elles exigent les évacuants les plus énergiques, à moins que la nature de l'organe ne les contre-indique. Dans l'ophtalmie dont il est ici question la gastricité n'est quelquefois qu'un symptôme qui complique la maladie principale, et celle-ci suit son cours ordinaire après la destruction de la première: on doit alors employer le traitement indiqué plus haut.
Dans la troisième espèce d'ophtalmie que j'ai décrite, à l'usage des fortifiants à l'intérieur je mêle celui des antispasmodiques externes: je n'en ai pas employé de plus puissants que les vésicatoires, qui doivent donc jouer dans ce cas le principal rôle, tandis que dans l'ophtalmie, essentiellement inflammatoire, leur utilité n'est qu'indirecte. Leur succès est plus complet lorsqu'on les applique derrière les deux oreilles: c'est aussi cet endroit que choisissent les Égyptiens lorsqu'ils ont recours au feu dans les ophtalmies anciennes et les autres maux d'yeux invétérés.