Читать книгу L'Homme Qui Séduisit La Joconde - Dionigi Cristian Lentini - Страница 10
ОглавлениеVI
Le sac d’Otrante
Ahmed Pacha et la ligue contre les Turcs
Après quelques jours, comme prévu, ayant mis au point les derniers détails, l’infatigable fiduciaire du pape partit pour Naples.
Le valeureux Pietro l’accompagnait dans sa mission secrète, désormais complètement rétabli et impatient de voir la cité parthénopéenne dont son père lui avait tant parlé quand il était enfant.
Pour Tristano par contre, ce n’était pas une nouveauté, mais devant l’insistance insolente dont était coutumier son palefrenier, il commença à raconter les évènements survenus trois ans auparavant :
« J’étais au moins aussi curieux et excité que toi maintenant. Imagine, je ne connaissais Naples que par une vieille carte bénédictine décrite par feu mon grand-père pour me montrer où ma mère, en ses jeunes années, avait servi à la cour. Je rejoignis Frère Roberto, mon maître et guide, bien connu à l’époque sous le nom de Frère Roberto Caracciolo da Lecce, dans la merveilleuse chapelle royale de Naples, et nous nous précipitâmes pour avertir le roi Ferdinando d ‘Aragon du péril turc imminent sur les côtes orientales.
En effet, une lettre urgente du Grand Maître des Chevaliers Hospitaliers avait peu avant informé le pape d’une tentative de la république vénitienne d’encourager les Ottomans à entreprendre une expédition contre la péninsule italienne, et plus spécifiquement contre le royaume de Naples. Ce qui évidemment faisait naître d’immenses préoccupations, non seulement pour les Aragonais, mais pour la Chrétienté toute entière.
Toutefois Ferrante (le nom que ses sujets donnaient au roi Ferdinando), non seulement ignora les avertissements sur la menace turque, mais peu après, totalement irresponsable, ordonna le départ de deux cents soldats de la garnison d’Otrante pour les déployer contre Florence.
Ainsi, le grand vizir Gedik Ahmed Pacha, après une tentative échouée d’arracher Rhodes aux chevaliers de Saint-Jean, débarqua sans problème avec sa flotte sur les côtes de Brindisi, le regard porté sur la ville d’Otrante. Il envoya son chargé de mission vers ses blanches murailles, garantissant aux habitants d’Otrante la vie sauve en échange de leur capitulation immédiate. Mais ces derniers, non seulement refusèrent les conditions du messager turc, mais perfidement l’assassinèrent, déchaînant par force la colère du féroce Ahmed Pacha.
En été les Turcs attaquèrent la cité comme des fauves assoiffés de sang, et en quelques minutes renversèrent toute opposition.
La cathédrale fut l’ultime refuge pour les femmes, les enfants, les anciens, les invalides, les habitants terrorisés, le dernier bastion où se barricader alors que toutes les autres défenses étaient tombées, les hommes en ayant consolidé les portails. Les mères, leur petit dans les bras, en file indienne sur la mosaïque au sol représentant l’arbre de vie cosmogonique, demandaient aux religieux la dernière communion … et, comme les premiers chrétiens, élevaient vers Dieu un triste chant liturgique en attendant le martyre. La cavalerie défonça le portail, les démons fondirent sur la foule et s’acharnèrent sur les malheureux, ne faisant aucune distinction ; l’archevêque exhorta en vain les infidèles à s’arrêter, mais ignoré, fut frappé à mort et décapité avec ses semblables ; aucune femme, aucun enfant ne furent épargnés par leur aveugle furie homicide. De nobles femmes furent dépouillées et dévêtues, les plus jeunes violées à plusieurs reprises en présence de leur père ou mari maintenus par la force, tuées dans leur honneur avant que de l’être physiquement. De la cathédrale la violence la plus cruelle et épouvantable se répandit dans toute la ville. Huit cents hommes arrivèrent dans un premier temps à se réfugier sur une colline mais, eux aussi bloqués par des janissaires du chef barbare, furent un à un passés au fil du cimeterre. La population fut horriblement exterminée : de cinq mille habitants, à la tombée du jour il n’en restait plus que quelques dizaines, épargnés en échange de leur conversion au Coran et au prix de trois cents ducats d’or sonnants et trébuchants.
C’est seulement quand ces abominables nouvelles lui parvinrent à sa cour, que Ferrante comprit l’énorme faute de sous-estimation qu’il avait commise, et il décida alors de confier la reconquête de ces terres à son fils Alfonso.
Le pape écrivit paternellement à toutes les seigneuries d’Italie, leur demandant de mettre de côté leurs rivalités internes pour faire front commun contre la menace ottomane, et en échange accorda à tous ceux qui adhéreraient à la ligue chrétienne naissante l’indulgence plénière. Vu la gravité et l’urgence de la situation, la Curie alloua cent mille ducats à la construction d’une flotte de vingt-cinq galères et l’équipement de quatre mille fantassins.
A l’appel de Sisto IV répondirent, outre le roi de Naples, le roi de Hongrie, les duchés de Milan et Ferrare, les républiques de Gênes et de Florence. Comme c’était à prévoir, Venise n’envoya aucun support, vu que l’année précédente elle avait signé un traité de paix avec les Turcs et ne pouvait se permettre de bloquer à nouveau les voies commerciales vers l’Orient.
Malgré la tardive mais imposante mobilisation chrétienne, les Ottomans non seulement réussirent à maintenir solidement sous leur coupe la terre d’Otrante, mais aussi en partie les terres de Bari et de la Basilicate, et ils se préparaient à diriger leur armée vers le nord sur la Capitanate et vers l’occident sur Naples.
Ce ne fut que grâce à notre diplomatie que l’on arriva à intercepter un message de Mehmed II en Anatolie ; dûment modifié et préparé, nous le fîmes délivrer à Ahmed Pacha par notre Sinone. Le capitaine turc mordit à l’hameçon : avec les deux tiers de ses soldats il quitta temporairement Otrante pour s’embarquer pour Valona ; durant la traversée il put ainsi être encerclé par la flotte de la ligue chrétienne à l’affût, et finalement, après des mois de conquêtes et de victoires, il subit une défaite dévastatrice, si lourde qu’il fut obligé de fuir sur une petite embarcation en Albanie.
L’annonce de cette victoire navale et encore plus de la fuite honteuse du chef barbare remonta le moral des Napolitains et de leurs alliés … Le duc Alfonso réussit à réorganiser une honnête armée de mercenaires, enfin soutenues aussi opérationnellement par les autres seigneuries catholiques, lesquelles considérèrent alors la reconquête d’Otrante et des Pouilles comme possible. L’Espagne envoya vingt navires et la Hongrie cinq cents soldats d’élite.
Ce fut un des sièges navals les plus importants de l’histoire : le colossal siège d’Otrante. »
Entre temps les chevaux commençaient à donner des signes de fatigue et avaient besoin d’eau fraîche. Tristano regarda autour de lui et interrompit sa narration épique.
Pietro était comme toujours rendu muet, charmé et rêveur, comme les enfants qui entendent pour la première fois les poèmes d’Homère ou de Virgile.
« Et alors ? Qu’arriva-t-il ? Comment tout cela finit-il, Seigneur ? »
« Eh bien, le reste fait partie de l’histoire récente : après la mort de Mehmed II le nouveau sultan interdit à Ahmed Pacha de retourner en Italie. A la fin de l’été de l’année dernière, épuisés par la faim, la soif et la peste, les Ottomans durent se rendre et les Aragonais reprirent finalement le contrôle de la ville. D’après certaines rumeurs, le fameux condottiere turc serait en prison ou même aurait été exécuté à Edirne. « O quam cito transit gloria mundi », conclut Tristano.
« Comment, votre Excellence ? »
« Rien Pietro, rien. Dépêchons-nous maintenant. Les seins généreux et plantureux de la sirène Parthénope nous attendent … »
Et, excitant son destrier, il accéléra l’allure, laissant à sa suite un Pietro encore plus confondu.