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CHAPITRE CINQ
Оглавление16 Août
7h15
Barrage de Black Rock, Great Smoky Mountains, Caroline du Nord
En regardant par la fenêtre de l’hélico, Luke ne vit rien qui sorte de l’ordinaire en survolant le barrage. Ils arrivèrent par le lac de Black Rock, qui était une longue et pittoresque étendue d’eau, ondulant sous la brise et bordée de tous les côtés par une forêt dense et des collines escarpées. Une étroite route traversait le haut du barrage. De l’autre côté de cette route, le barrage tombait à pic sur une hauteur de deux cents mètres, jusqu’à la centrale et les écluses. Ces dernières avaient l’air de fonctionner normalement, laissant échapper un fin filet d’eau. Environ quatre cents mètres de transformateurs, un réseau de tours en acier et des fils à haute tension, partaient du barrage. Tout avait l’air intact.
« Il n’y a pas grand-chose à voir, » dit-il dans son casque.
Ed Newsam était assis à sa gauche et regardait par la fenêtre de l’autre côté. Il s’était rétabli de sa fracture à la hanche et il avait apparemment repris la musculation. Ses bras étaient plus impressionnants qu’avant, sa poitrine et ses épaules étaient plus larges, et ses jambes étaient devenus de solides troncs. Il portait un jean, des bottines et un simple t-shirt bleu.
Derrière eux, était assis Mark Swann. Il était grand et mince, et il avait étendu ses longues jambes jusque dans l’allée. Il portait un jean bleu et ses pieds croisés arrivaient juste devant ceux de Luke. Ses cheveux cendrés étaient plus longs qu’avant et il les attachait en queue. Il avait changé ses lunettes d’aviateur pour des lunettes rondes à la John Lennon. Il portait un t-shirt noir avec le logo du group punk The Ramones. Les bureaux de la NSA devaient être plutôt relax, apparemment.
« L’eau est sortie par les écluses comme elle est censée le faire, » dit le pilote de l’hélico. C’était un homme d’âge moyen, qui portait une veste noire en nylon avec les initiales FEMA dans le dos. « Le barrage et les installations n’ont subi aucun dégât et il n’y a aucune victime parmi le personnel. Seule la route d’accès a été balayée. Mais à cinq kilomètres d’ici, c’est là où les choses se corsent. »
Ils avaient pris un jet des services secrets depuis Washington jusqu’à un petit aéroport municipal qui se trouvait à l’entrée du Parc national. Ils étaient arrivés juste avant le lever du soleil et cet hélicoptère les attendait. Ils n’avaient pas beaucoup parlé pendant le trajet. Ils étaient d’humeur morose vu les circonstances. Et Trudy Wellington, en tant qu’officier des renseignements, aurait normalement fait la conversation en leur faisant un topo sur la situation durant le trajet. Susan avait proposé un autre officier des renseignements à Luke mais il avait refusé. Ils venaient de toute façon pour interroger un prisonnier. Ils allaient sûrement pouvoir lui soutirer tous les renseignements dont ils pourraient avoir besoin.
Luke savait qu’ils ressentaient tous l’absence de Trudy et qu’ils étaient tous un peu choqués par ce qui lui était arrivé. Il avait également l’impression que les deux hommes qui l’accompagnaient étaient maintenant passés à une autre étape dans leur vie. Ils avaient de nouvelles missions, une nouvelle formation, de nouveaux collègues, de nouveaux défis à relever. Beaucoup de choses pouvaient changer en deux mois.
L’Équipe d’intervention spéciale n’existait plus. Luke aurait pu faire en sorte qu’elle se maintienne sous une forme ou une autre – après la tentative de coup d’état et l’attaque à l’Ébola, il aurait pu monter sa propre équipe et continuer à travailler avec ses hommes – mais il avait choisi de ne pas le faire. Maintenant l’Équipe d’intervention spéciale, c’était de l’histoire ancienne, et Luke Stone aussi. Il avait pris sa retraite, c’est vrai. Mais il avait également totalement disparu des radars et il n’avait fait aucun effort pour essayer de garder le contact. La cohésion de l’équipe était très importante pour les opérations spéciales de renseignement. Et sans contact, il n’y avait pas de cohésion.
Ça voulait dire que pour l’instant, il n’y avait pas d’équipe.
L’hélico vira de bord et se dirigea vers le Sud. Ils purent tout de suite se rendre compte de l’ampleur des dégâts. Toute la région en aval du barrage était inondée. Il y avait de grands arbres arrachés un peu partout et éparpillés comme des allumettes. En quelques minutes, ils arrivèrent à l’endroit où se dressait l’hôtel Black Rock. Des parties de l’étage supérieur du bâtiment principal étaient toujours intactes et se dressaient au-dessus des flots. Des voitures étaient empilées contre l’hôtel en ruine, ainsi que des arbres dont certains avaient les branches qui sortaient de l’eau. On aurait dit des bras implorant le ciel pour un miracle.
L’accumulation de voitures, d’arbres et de débris avait créé un mini-barrage, derrière lequel un grand lac s’était formé. Une dizaine de Zodiacs s’y trouvaient, avec des équipes de plongeurs en combinaison qui se préparaient à plonger ou qui sortaient de l’eau, en fonction du bateau.
« Ils ont trouvé des survivants ? » demanda Luke.
Le pilote secoua la tête. « Pas un seul. En tout cas, c’était le cas ce matin. Mais ils ont retrouvé une centaine de corps dans la cafétéria. Ils les remontent un par un. Je ne pense pas qu’ils aient déjà commencé à fouiller chacune des chambres. Peut-être qu’ils attendront que le niveau d’eau baisse avant de le faire. Se déplacer dans des couloirs sous l’eau, c’est dangereux et ce n’est probablement pas nécessaire. Il n’y a aucun survivant là-dessous. »
Ed Newsam, qui était affalé comme à son habitude, se redressa sur son siège en entendant ces mots. « Comment est-ce que vous pouvez en être aussi sûr ? Il peut y avoir des poches d’air sous l’eau. Il pourrait y avoir des gens qui attendent d’être secourus. »
« Ces bateaux sont équipés d’appareils d’écoute sous-marine, » dit le pilote. « S’il y a des survivants sous l’eau, ils n’ont pas fait un seul bruit durant toute la journée d’hier et toute la nuit. »
« Il n’empêche que, si j’étais responsable des recherches, j’enverrais tout de suite mes meilleurs plongeurs fouiller chacune des chambres. Nous savons déjà que les gens de la cafétéria sont morts. Et les plongeurs, ils ont signé pour faire face à des situations dangereuses. Les civils, non. »
Le pilote haussa les épaules. « Eh bien, ils font aussi vite qu’ils peuvent. »
L’hélicoptère continua vers le Sud. L’inondation avait creusé une bande à travers la vallée, comme un chemin à travers la forêt. On aurait dit qu’un géant venait de traverser la région. Il y avait de l’eau partout. Le lit original de la rivière était invisible sous toute cette eau.
Ils survolèrent la ville de Sargent, qui se trouvait encore sous un mètre d’eau. La dévastation ici n’était pas aussi totale. Il y avait de nombreux terrains déserts où devaient probablement se dresser des maisons qui avaient été arrachées par les flots, mais certains édifices, bâtiments et panneaux de fast-food étaient encore visibles. L’hélico survola un bâtiment en parpaing, contre lequel étaient empilés un tas de voitures et de SUV. Sur une pancarte qui sortait à moitié de l’eau, ils purent lire l’inscription VOITURES D’OCCASION HONEST ABE.
« On pense qu’il y a combien de victimes ici ? » demanda Luke.
« Cinq cents, » dit le pilote. « Mais ça peut encore changer. Il y a plus d’une centaine de personnes portées disparues. Ils n’ont pas eu beaucoup de temps devant eux et c’était tôt le matin. Beaucoup de gens ont été balayés par les flots dans leur maison. Imaginez que vous dormez et que l’ancienne alarme datant de la Guerre froide se met à retentir, qu’est-ce que vous faites ? Apparemment, certaines personnes se sont réfugiées dans leur cave. Et c’est le pire endroit où se réfugier en cas d’inondation. »
« Personne ne s’attendait à ce que le barrage cède ? » demanda Swann. C’était la première chose qu’il disait depuis qu’ils avaient embarqué sur l’hélico.
Le pilote était occupé avec ses manettes. « Pourquoi ? Le barrage n’a pas cédé. Ce barrage a été construit pour durer des centaines d’années. »
« OK, » dit Luke. « J’en ai vu assez. Allons parler au prisonnier. »
*
8h30
Chattahoochee National Forest, Géorgie
Le camp apparut au milieu de la forêt, comme une sorte de mirage.
« Regardez-moi ça, » dit Ed Newsam.
Le campement était installé sur un terrain parfaitement découpé, de deux kilomètres sur deux kilomètres. C’était un carré parfait, brun et gris, en plein cœur d’une forêt dense de couleur vert foncé. Au moment où l’hélico s’approcha, Luke put apercevoir des dizaines de baraques, disposées en plusieurs rangées, et un grand réservoir d’eau au milieu du campement. Des dépendances entouraient le réservoir et une passerelle le traversait.
L’hélico commença à descendre en direction de l’héliport, qui se trouvait dans le coin le plus à l’Ouest du camp, à côté de quelques grands bâtiments administratifs, une piscine et quelques parkings. Luke pouvait maintenant voir plusieurs cours bétonnées, une route d’accès, les rues qui se trouvaient à l’intérieur du camp, et un mur surmonté de fil barbelé et des tours de guet le long du périmètre. L’endroit était comme une blessure ouverte au milieu de la forêt environnante.
« C’est quoi, cet endroit ? » demanda Luke, dans son casque.
Le pilote était occupé avec ses manœuvres d’approche mais pas trop occupé pour que ça l’empêche de parler. « Je l’ai déjà entendu appeler ‘campement de la Liberté’, » dit-il. « Mais les gens par ici ont tendance à l’appeler le camp de Nulle part. C’est l’un de nos campements – de la FEMA. Vous ne le trouverez sur aucune carte. Je ne pense pas qu’il ait un nom officiel. »
« Est-ce qu’il existe ? » demanda Luke.
L’hélico volait de plus en plus bas et les bâtiments gris du campement commencèrent à se dresser autour d’eux. Luke remarqua que les fenêtres étaient renforcées par des fils en acier.
Le pilote hocha la tête. « Quoi exactement ? Ici, on est en pleine contrée sauvage et inhabitée. Il n’y a rien d’autre ici, à ma connaissance. »
Un homme portant une veste jaune et tenant des tiges orangées se tenait sur le côté de l’héliport. Il donna des indications au pilote, qui posa l’hélicoptère exactement au milieu de la piste. Il arrêta le moteur et les rotors se mirent immédiatement à ralentir, dans un léger gémissement.
« Quand vous verrez ce Chinois, » dit le pilote, « donnez-lui quelques coups de ma part. »
« On n’est pas venu pour ça, » dit Luke.
Le pilote se retourna et sourit. « Bien sûr que si. Vous savez, c’est mon boulot de transporter des gens dans ce genre d’endroits. Je sais qui fait quoi… juste en les regardant, croyez-moi. Dès que je vous ai vus, j’ai tout de suite su qu’ils avaient décidé de monter la pression de quelques crans. »
Ils sortirent de l’hélicoptère, en baissant la tête. Un homme les attendait déjà sur l’héliport. Il portait un costume gris et une cravate bleue. Les hélices de l’hélicoptère tournaient encore et faisaient voler ses cheveux dans tous les sens. Le tissu de son costume en était tout chiffonné. Ses chaussures noires vernies brillaient. On aurait dit qu’il venait juste de descendre d’un train de navetteurs à Manhattan. Il avait vraiment l’air de ne pas être à sa place.
En s’approchant, Luke commença à discerner les traits de son visage. Il avait l’air intemporel – ni âgé, ni jeune, juste quelque part entre les deux. Il tendit une main que Luke serra.
« Agent Stone ? Je m’appelle Pete Winn. On m’a dit que c’était la Présidente qui vous envoyait. Merci d’être venu. »
« Merci à vous, Pete. Mais appelez-moi Luke. »
Luke, Ed et Swann suivirent Pete Winn. Ils s’éloignèrent de l’hélicoptère et se dirigèrent vers un abri en tôle ondulée qui se trouvait de l’autre côté de la piste. Même l’héliport était entouré de clôture en fil barbelé. La seule manière d’entrer ou de sortir de l’héliport, c’était à travers cet édifice. Les portes s’ouvrirent automatiquement quand les hommes s’en approchèrent.
« C’est quoi, cet endroit ? » demanda Luke.
« Ça ? » dit Winn. « Vous voulez dire, ce camp ? »
« Oui. »
« Bon, je vais vous faire un résumé rapide. En gros, il s’agit d’un camp de détention. Nous avons actuellement un peu plus de deux cent cinquante détenus, y compris plus de soixante-dix enfants. Pour la plupart, il s’agit d’étrangers illégaux venant du Mexique ou d’Amérique centrale, dont les vies courraient un danger aux mains des cartels de drogue et des gangs criminels, s’ils étaient renvoyés chez eux. On ne leur a pas accordé l’asile, alors ils restent ici avec leur famille jusqu’à ce que le service d’immigration ait décidé quoi en faire. Leur statut est officiellement indéterminé. Pendant ce temps, cet endroit est totalement invisible et les gangs n’ont aucune idée de l’endroit où ils se trouvent. »
Ils traversèrent rapidement le bâtiment en tôle. C’était l’endroit où pouvaient se reposer les contrôleurs aériens, les gens qui travaillaient à l’héliport et les pilotes. Il y avait quelques tables et quelques chaises, de l’équipement de surveillance radio et vidéo, un écran radar, une cafetière et un vieux carton de donuts rassis sur la table.
« Alors ils restent ici éternellement ? » demanda Swann.
« Éternellement, ça ferait quand même long, » dit Winn. « La famille qui a séjourné avec nous le plus longtemps est restée sept ans. »
Winn avait sûrement dû voir l’expression de surprise sur leurs visages.
« Ce n’est pas aussi mal que ça en a l’air. Je vous assure. Tous les enfants vont à l’école cinq jours par semaine. L’école se trouve ici, dans le camp. Il y a différentes activités proposées, y compris la projection de deux nouvelles productions tous les weekends, en anglais et en espagnol. Ils peuvent jouer au football et au basket, et les adultes peuvent prendre des cours de langue et suivre des formations professionnelles. »
« Ça a l’air génial, » dit Swann. « Ça vous dérange si je viens y passer mes prochaines vacances ? »
« Vous seriez étonnés, » dit Winn. « Les gens apprécient cet endroit. C’est bien mieux que rentrer chez eux et être assassinés. »
Une SUV noire les attendait devant l’abri en tôle. La voiture démarra et à un moment donné, ils passèrent une autre clôture surmontée de lames de rasoir. Une poignée d’hommes étaient assis sur des bancs de l’autre côté de la clôture. Quatre ou cinq d’entre eux étaient blancs, et les deux autres étaient noirs. Ils portaient tous des combinaisons jaune vif. Ils regardèrent la voiture passer, à travers la clôture.
« Ces types n’ont pas l’air d’être Mexicains, » dit Ed Newsam.
L’expression du visage de Pete Winn commença à changer. Il avait été accueillant, et même un peu nerveux, au moment de rencontrer Luke et son équipe. Mais maintenant, il commençait à prendre un air presque dédaigneux.
« Non, c’est vrai, » dit-il. « On a aussi des gens de chez nous. »
« Ils essayent aussi de se cacher des cartels ? » demanda Swann.
Winn regarda droit devant lui. « Messieurs, je suis certain qu’il y a certains aspects dans votre travail dont vous ne pouvez pas parler. C’est la même chose pour moi. »
Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent de l’autre côté du camp. La voiture s’arrêta. Il n’y avait personne – aucun prisonnier, aucun travailleur. Une petite cabane se dressait toute seule sur un petit lot de terre.
Les hommes sortirent du véhicule. Le sol était en terre battue et compacte, complètement desséchée. Il n’y avait aucun signe de vie ni d’activité à proximité de cet endroit.
Pete Winn tendit un porte-clés à Luke. Une seule clé y était accrochée. Le visage de Winn était devenu dur. Son regard était froid, presque glacial. Son attitude avait complètement changé. Il n’avait plus rien à voir avec le fonctionnaire hésitant qui les avait accueillis à l’héliport.
« L’existence de cette cabane est classée top secret. Officiellement, elle n’existe pas, ni le prisonnier d’ailleurs. Votre visite non plus n’a jamais eu lieu. Le gouvernement chinois n’a fait aucune demande officielle, ni officieuse d’ailleurs, concernant un homme du nom de Li Quiangguo. D’après ce que j’ai compris, les Chinois agissent comme s’ils n’avaient rien à cacher, ni à se reprocher. Ils ont même offert de l’aide pour découvrir comment le système de contrôle du barrage avait été piraté. »
Il fit un geste de la tête en direction de la cabane.
« Les murs de la cabane sont insonorisés. La clé ouvre une armoire qui se trouve au fond de la pièce. Si vous avez besoin de certains ustensiles pour votre interrogatoire, il se pourrait que vous trouviez ce dont vous avez besoin dans cette armoire. »
Luke hocha la tête, mais resta silencieux. Il n’aimait pas du tout que tout le monde ait l’air de sous-entendre qu’il avait été envoyé ici pour torturer le prisonnier.
Est-ce qu’il avait déjà torturé des gens ? Ça dépendait de la définition qu’on en faisait, mais probablement que ça lui était déjà arrivé. Mais il n’était jamais arrivé que quelqu’un fasse appel à lui dans le but qu’il torture un suspect. Si c’est ce qu’ils pensaient, ils se trompaient – et probablement que ces gens étaient bien plus enclins que lui à la torture. Si ça lui était arrivé dans le passé, ça avait toujours été dans le feu de l’action et complètement improvisé. Et c’était toujours parce que cette personne détenait des informations cruciales dont Luke avait besoin tout de suite.
Pete Winn continua à parler de détails logistiques, mais sur un ton beaucoup plus décontracté.
« Si vous avez besoin de quoi que ce soit… à manger, à boire, ou si vous voulez retourner à l’héliport, il vous suffit de décrocher le téléphone qui se trouve dans la cabane et de composer le zéro. Nous vous enverrons ce dont vous avez besoin. Vous pouvez également passer la nuit au campement, si vous voulez. On peut vous fournir des ustensiles de toilette, du savon, du shampoing, des rasoirs – nous avons tout ce qu’il faut. Nous avons même des vêtements de rechange. »
« Merci, » dit Luke.
« Je vais vous laisser maintenant, » dit Winn. « Bonne chance. »
Quand il fut parti, Luke prit un moment pour parler à ses hommes. Le camp était entouré de montagnes, comme s’il avait été construit dans une cuvette.
« Swann, combien d’années est-ce que tu as passées en Chine ? »
« Six ans. »
« Dans quelle région ? »
« Un peu partout. J’ai surtout vécu à Pékin, mais j’ai passé beaucoup de temps à Shanghai et à Chongqing, et également un peu dans le Sud, à Guangzhou et à Hong Kong. »
« OK, je veux que tu observes attentivement ce type et que tu en retires le plus d’informations possibles. N’importe quoi, même des détails. L’endroit d’où il pourrait venir. Quel âge il pourrait avoir. Son niveau d’éducation. Son niveau de connaissances informatiques. Est-ce qu’il vient même de Chine ? Les hommes de Susan Hopkins m’ont dit qu’il parlait parfaitement l’anglais. Peut-être qu’il est né ici, aux États-Unis ? Ou au Canada, ou à Hong Kong ? Ou n’importe où, d’ailleurs… Il y a des Chinois partout. »
Swann hocha la tête. « Si ce type travaille pour le gouvernement chinois, je ne vais pas pouvoir découvrir quoi que ce soit. Il sera spécialement entraîné pour ce genre de situations et pour dissimuler ses origines. »
« Alors, fais des suppositions, » dit Luke. « Ce n’est pas un calcul de math. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Je veux juste avoir ton avis. »
Swann hocha la tête. « C’est compris. »
Luke se mit soudain à le scruter du regard. « Est-ce que tu as l’âme sensible ? »
Il ne s’était jamais inquiété du caractère de Swann auparavant, mais il se rendit soudain compte qu’il se pourrait que Swann ne réagisse pas bien face à certaines situations.
« L’âme sensible ? Dans quel sens ? »
« Il se pourrait qu’Ed et moi, on doive monter la pression d’un cran. »
« Eh bien, prévenez-moi et j’irai faire un tour dehors. »
« Si tu fais ça, n’oublie pas de faire un petit signe amical aux snipers, » dit Ed Newsam.
À environ trois cents mètres de là, se dressait une tour de guet de douze mètres de haut. Luke et Swann regardèrent dans cette direction. Un homme se tenait debout dans la tour, un fusil en main. De là où ils se trouvaient, on aurait dit qu’il avait le fusil pointé sur eux.
« Est-ce qu’il peut faire mouche de là où il se trouve ? » demanda Swann.
« Les yeux fermés, » dit Luke.
« Mais il ne fait juste que s’entraîner, » dit Ed. « Il essaye de se distraire un peu, pour ne pas trop s’ennuyer. »
Sur ces mots, ils entrèrent dans la cabane.
*
L’homme portait une combinaison jaune vif. Il était assis sur une chaise pliante en métal au milieu de la pièce, qui était vide. Il était assez imposant. Il avait de larges épaules, des jambes et des bras épais, et un ventre proéminent.
Il avait une capuche noire sur la tête. Ses poignets étaient attachés derrière son dos. Ses jambes étaient menottées ensemble au niveau des chevilles. Il était penché en avant, comme s’il dormait. Avec la capuche qu’il avait sur la tête, c’était impossible à dire.
Luke lui retira la capuche. L’homme sursauta de surprise et se redressa sur sa chaise. Ses cheveux noirs de jais étaient ébouriffés – ils se dressaient sur sa tête à certains endroits et étaient aplatis à d’autres. Une fois qu’il eut retiré la capuche, Luke vit qu’il portait également un masque sur les yeux – le genre de masque que les gens mettaient pour dormir lors de vols long courrier.
Il bâilla comme s’il venait de se réveiller d’une longue sieste.
« Li Quiangguo, » dit Luke. « Ni hui shuo yingyu ma ? »
En mandarin, ça voulait dire Est-ce que vous parlez anglais ?
L’homme leur sourit. « Appelez-moi Johnny, » dit-il. « S’il vous plaît. C’est le nom que j’utilise ici, en Occident. Et parlons plutôt anglais. Ce sera plus facile pour tout le monde, et surtout pour moi. »
L’anglais qu’il parlait était la version américaine, sans aucun doute possible. Mais il n’y décela aucun accent, aucune intonation régionale. Si Luke avait vraiment dû faire une supposition, il aurait peut-être dit qu’il venait du Midwest… mais franchement, il n’y avait rien qui indique vraiment qu’il venait d’une région en particulier. Il aurait tout aussi bien pu descendre directement d’un vaisseau spatial.
« Pourquoi est-ce que c’est plus facile pour toi ? » lui demanda Luke.
« C’est plus agréable à mes oreilles. Ça m’empêche de devoir écouter des gens comme vous charcuter la magnifique langue chinoise. »
Luke sourit. « Dis-moi, Li. Pourquoi ne t’es-tu pas tué quand tu en as eu l’occasion ? »
Li eut une expression exagérée de surprise, et même de dégoût. « Pourquoi est-ce que je ferais ça ? J’aime l’Amérique. Et on m’a plutôt bien traité jusqu’à présent. »
C’était une chose plutôt surprenante à dire, venant d’un homme qui avait été attaché toute la nuit à une chaise en métal, avec une capuche noire et un masque sur la tête, dans un centre de détention qui n’existait pas, et sans aucun moyen d’entrer en contact avec le monde extérieur. Il n’était pas techniquement en état d’arrestation et il n’avait pas pu voir d’avocat. Il avait été retiré de la circulation et même s’il n’avait pas été torturé, pour la plupart des gens, ça n’avait rien à voir avec la définition d’un traitement ‘correct’.
Li eut l’air de lire dans les pensées de Luke. « J’ai entendu des oiseaux chanter ce matin. C’est comme ça que j’ai su qu’une nouvelle journée commençait. »
Luke tendit la main et enleva le masque des yeux de l’homme. « Des oiseaux qui chantent au lever du soleil. C’est agréable. Je suis content de savoir que tu as apprécié ton séjour jusqu’à présent. Mais malheureusement, c’est sur le point de changer. »
« Ah. » L’homme cligna des yeux sous l’effet de la clarté. Il regarda autour de lui et vit Swann et Ed Newsam. Mais ses yeux s’arrêtèrent tout spécialement sur Ed.
Ed était appuyé contre un mur. Il avait l’air très détendu, mais en même temps, très menaçant. Son corps bougeait à peine. On sentait tellement d’énergie accumulée à l’intérieur qu’il était comme une tornade sur le point de frapper. Ses yeux ne quittaient pas les yeux du Chinois.
« Je vois, » dit Li.
Luke hocha la tête. « Oui. J’imagine. »
Le visage de Li se durcit. « Je suis un touriste. Il y a erreur sur la personne. »
« Si tu es un touriste, » dit Ed, « peut-être que tu pourrais nous donner le nom et les coordonnées de ta famille, pour qu’on puisse leur dire où tu es. Et leur dire que tu vas bien. »
Li secoua la tête. « Je veux parler à l’ambassade de Chine. »
« Nos supérieurs l’ont déjà fait pour toi, » dit Luke. Ce n’était pas vrai, enfin… pas qu’il sache. Il allait délibérément lui mentir mais il savait aussi que son histoire allait tenir la route.
« C’était une conversation officieuse, comme tu peux l’imaginer, vu la gravité de la situation, » dit-il. « Le gouvernement chinois dit que ton identité n’est pas réelle. Il n’y a aucun cursus scolaire, ni aucun parcours professionnel à ce nom. Aucun contexte familial et aucune ville d’origine. Ils ont reçu un scan de ton passeport et ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un faux de très bonne qualité. »
Li regarda droit devant lui. Il resta silencieux.
Luke lui laissa un moment pour digérer l’information. Il avait déjà vu des suspects craquer au moment où ils se rendaient compte que leurs supérieurs les avaient lâchés. Mais craquer n’était pas vraiment le terme correct. Parfois, quand ils se retrouvaient sans pays, ils changeaient tout simplement de côté.
« Li, tu m’entends ? Ils ne vont pas te protéger. Tu ne vas pas t’en sortir. Tu n’as pas pris ta pilule quand tu devais le faire, et maintenant tu te retrouves ici. Il n’y a aucune porte de sortie. Pour ton pays, tu n’existes pas et tu n’as jamais existé. L’endroit où tu te trouves actuellement n’existe pas non plus. Tu pourrais finir dans un baril au fond de l’océan ou dans un ravin en pleine nature… Personne ne s’en souciera. Personne n’en saura même jamais rien. »
L’homme continua à rester silencieux. Il se contentait de regarder droit devant lui.
« Li, qu’est-ce que tu sais au sujet du barrage de Black Rock ? Et sur la manière dont s’ouvrent les écluses ? »
« Je ne sais rien. »
Luke attendit un instant, avant de continuer. « Eh bien, je vais te dire ce que je sais. Aux dernières nouvelles, plus de mille personnes sont mortes. Tu sais combien ça me met en colère ? Ça me donne envie de venger leur mort. J’ai envie de trouver un bouc émissaire et de le lui faire payer. Tu es le bouc émissaire idéal, non ? Un homme dont personne n’en a rien à foutre, dont personne se rappelle et qui ne manquera à personne. Et je vais te dire encore autre chose. Je sais que tu es entraîné pour résister aux interrogatoires. Et ça me rend encore plus heureux. Ça veut dire que je peux prendre mon temps. On peut rester ici pendant des jours, ou même pendant des semaines. Nos hommes travaillent sur le problème de ce barrage. Ils découvriront ce qui s’est passé. On n’a pas besoin des miettes d’informations que tu pourrais avoir. Je ne veux même pas savoir, pour être tout à fait franc. J’ai juste envie de te faire mal. Et plus tu restes là silencieux, plus j’ai envie de te frapper. »
Luke s’était agenouillé devant Li. Il n’était plus qu’à quelques centimètres de son visage et il le regardait droit dans les yeux. « On va apprendre à bien se connaître tous les deux, tu es d’accord, Li ? Je finirai par tout savoir à ton sujet. »
Luke regarda Swann, qui était debout dans un coin, près de la fenêtre à barreaux. Il n’avait pas dit un mot depuis qu’ils étaient entrés. Il regardait l’enceinte en béton et les collines luxuriantes des alentours. Swann était un analyste, un type qui gérait des données. Et il n’avait sûrement jamais pensé à la manière dont ces données étaient parfois obtenues. Les menaces de mort n’étaient que le début.
« Li, on te parle, » dit Ed.
Li parvint à sourire légèrement, mais sans y mettre une pointe d’humour. « S’il vous plaît, » dit-il. « Appelez-moi Johnny. »
* * *
Une heure s’écoula. Luke et Ed s’étaient relayés pour interroger Li, mais sans succès. Au contraire, Li commençait à être de plus en plus confiant. Il avait fini par croire que quelques baffes d’Ed seraient le pire qui pourrait lui arriver.
Luke regarda à nouveau Swann.
« OK, Swann, » dit-il. « Je pense que c’est un bon moment pour aller faire ta promenade. »
Quelques minutes plus tôt, Luke avait ouvert l’armoire avec la clé que Pete Winn lui avait donnée. L’armoire ressemblait plus à un débarras qu’à autre chose. À l’intérieur, il y avait une table pliante qui ressemblait un peu à une planche à repasser, mais en plus large, en plus bas et en beaucoup plus résistant. Elle mesurait deux mètres de long sur un mètre vingt de large.
Une fois dépliée, la table présentait une certaine inclinaison. À l’extrémité la plus haute, il y avait des menottes pour les chevilles. Au centre, il y avait des lanières en cuir pour attacher les poignets et pour entourer la taille. Et à l’autre extrémité, il y avait un anneau en métal pour maintenir la tête immobile.
C’était une plateforme pour infliger des tortures simulant la noyade.
Quand Ed et Luke sortirent la table, Li commença à être visiblement nerveux. Il sut tout de suite de quoi il s’agissait. Bien entendu… c’était un agent des renseignements, un agent sur le terrain et il devait avoir déjà vu cet ustensile au cours de sa formation. Qu’on soit Américain ou Chinois, c’était pareil. Luke avait une fois assisté à une démonstration de cette technique. Un agent de la CIA, qui avait rejoint l’agence après avoir fait partie des Navy SEAL et qui s’était retrouvé à de nombreuses reprises dans des pays en guerre, s’était porté volontaire pour faire le cobaye.
Luke n’a jamais su comment ils avaient pu le convaincre. Peut-être qu’il avait reçu un bonus. En tout cas, ça devait être un très gros bonus. Il avait eu l’air détendu avant la démonstration. Il rigolait et blaguait avec ses futurs tortionnaires. Une fois que la procédure a commencé, il a tout de suite changé. Il a tenu le coup vingt-quatre secondes avant d’utiliser le mot de passe pour mettre fin à la torture. Ils l’avaient chronométré.
« Vous savez sûrement que c’est contraire aux conventions de Genève, » dit Li, d’une voix légèrement tremblante. « Ça va à l’encontre… »
« La dernière fois que j’ai vérifié, on n’était pas à Genève, » dit Luke. « En fait, nous ne sommes nulle part. Comme je te l’ai dit, cette installation n’existe pas, ni aucun type du nom de Li Quiangguo. »
Luke prit les autres accessoires qu’il avait sortis de l’armoire. Il y avait deux grands arrosoirs, qui ressemblaient à ceux qu’utilisaient les femmes âgées pour arroser leur jardin. Il y avait également des cadenas pour les menottes et les lanières. Et pour terminer, il y avait quelques serviettes épaisses et un rouleau de cellophane. Si les serviettes ne fonctionnaient pas, ils pourraient toujours passer à la cellophane. Même si en général, la CIA ne prenait même pas la peine de passer par l’étape des serviettes.
« Eh bien, » dit Ed. « Je n’ai plus fait ça depuis l’Afghanistan. Ça fait au moins cinq ans. »
« Alors ça fait moins longtemps que moi, » dit Luke. « Je te laisse l’honneur de commencer. Comment ça s’est passé, la dernière fois ? »
Ed haussa les épaules. « C’était plutôt effrayant. Il y en a deux qui sont morts. Ça n’a rien à voir avec les autres méthodes d’interrogatoire. Tu peux électrocuter des gens toute la journée… Avec une intensité adéquate de courant, ça leur fait mal mais ça ne les tue pas. En revanche, avec ça, les gens y restent. Ils se noient. Ils finissent par avoir des lésions cérébrales ou un arrêt cardiaque. »
« Écoutez, » dit Li. Il tremblait maintenant de tout son corps. « Les interrogatoires accompagnés de sévices liés à la noyade vont à l’encontre de toutes les lois de la guerre. C’est reconnu comme une torture par toutes les organisations internationales. C’est une atteinte grave aux droits de l’homme. »
« Tiens, tout d’un coup, les lois et les règlements, ça t’intéresse, » dit Ed. « Moi, ce que j’en pense, c’est qu’un type qui a délibérément noyé des milliers de personnes a perdu tous ses droits. Je ne le traite plus comme un être humain. »
« Écoutez, » dit Swann. « Je ne suis pas à l’aise avec tout ça. »
Luke le regarda. « Swann, je t’ai dit d’aller faire un tour. Va te promener une vingtaine de minutes. Ça devrait être plus que suffisant. »
Le visage de Swann devint tout rouge. « Luke, tout ce que j’ai lu sur le sujet dit la même chose. Que tu n’obtiendras pas des renseignements fiables en utilisant ce genre de méthodes. Il dira n’importe quoi pour que ça s’arrête. »
Il n’était jamais arrivé à Luke que Swann mette en doute ses décisions. Et il se demandait si c’était le cas maintenant. Il se contenta néanmoins de secouer la tête.
« Swann, il ne faut pas croire tout ce que tu lis. Avec cette méthode, je suis déjà parvenu à obtenir des renseignements concrets et précis en quelques minutes. Et vu que monsieur Li est notre invité, c’est la manière la plus rapide de vérifier ses dires. Et de savoir s’il nous a menti. La seule raison pour laquelle cette méthode n’est pas recommandée, comme l’a si bien dit Li, c’est parce que ça s’apparente à de la torture. Mais ça fonctionne. Et dans le contexte approprié, ça fonctionne même très, très bien. »
Luke montra d’un geste la pièce où ils se trouvaient. « Et ça, ce sont les circonstances idéales. »
Swann le regarda droit dans les yeux. « Luke… »
Luke leva la main. « Swann. Sors, s’il te plait, » dit-il, en lui montrant la porte derrière lui.
Swann secoua la tête. Son visage était maintenant tout rouge. On aurait dit qu’il était sur le point de se mettre à trembler. « Pourquoi est-ce que tu m’as demandé de t’accompagner pour cette mission ? » dit-il. « Je ne travaille plus pour le FBI, et toi non plus. »
Luke faillit sourire. Il ne savait pas exactement ce que pensait Swann, mais ce qu’il lui disait était exactement ce dont il avait besoin. C’était le script idéal du bon flic, mauvais flic.
« J’ai besoin de tes compétences, » dit Luke. « Mais pas pour ça. Alors s’il te plaît, va faire un tour. Et tu remarqueras que je suis resté très poli jusqu’à présent. Mais je vais finir par perdre patience. »
« Je déposerai officiellement plainte, » dit Swann.
« Vas-y, je t’en prie. Tu sais pour qui je travaille. Ta plainte finira à la poubelle. Mais fais-toi plaisir, ne serait-ce que pour avoir la satisfaction d’avoir essayé. »
« J’ai bien l’intention de le faire, » dit Swann. Sur ces mots, il sortit de la pièce en refermant la porte derrière lui, mais sans la claquer.
Luke soupira. Il regarda Ed. « Ed, est-ce que tu pourrais remplir ces arrosoirs à l’évier de la cuisine ? On va en avoir besoin dans une minute. »
Ed lui sourit d’un air enchanté. « Avec plaisir. »
En prenant les arrosoirs, Ed regarda Li d’un air à moitié fou. C’était une expression qui donnait la chair de poule… même à Luke. On aurait dit qu’il était devenu taré, un sadique qui prenait du plaisir à torturer les gens. Luke ne savait pas d’où il tenait cette expression ou ce qu’elle signifiait. Et il n’avait pas vraiment envie de le savoir.
« Mon frère, » dit Ed à Li. « Ta journée est loin d’être terminée. »
Pendant qu’Ed se trouvait dans la petite cuisine de la cabane, Luke regarda attentivement Li. Il tremblait de tout son corps, comme s’il était traversé par un courant électrique. Il avait les yeux écarquillés et il avait l’air terrifié.
« Tu as déjà assisté à ce genre de séance, n’est-ce pas ? » dit Luke.
Li hocha la tête. « Oui. »
« Sur des prisonniers ? »
« Oui. »
« C’est horrible, » dit Luke. « Vraiment horrible. Personne ne tient le coup. »
« Je sais, » dit Li.
Luke regarda en direction de la cuisine. Ed prenait son temps. « Et Ed… il faut que tu saches qu’il prend vraiment du plaisir à faire ça. »
Li resta silencieux, mais son visage devint de plus en plus rouge. On aurait dit qu’il y avait une véritable explosion en lui et qu’il essayait de la contrôler. Il ferma les yeux et serra les dents. Son corps tout entier se mit à trembler.
« J’ai froid, » dit-il. « Vous ne pouvez pas me faire ça. »
Luke comprit soudain quelque chose.
« Ils t’ont fait passer par là, » dit-il. « Ton pays. » Ce n’était pas une question. Il en était sûr et certain. Li avait déjà été torturé auparavant et c’était certainement le gouvernement chinois qui l’avait fait.
La bouche de Li s’ouvrit comme s’il allait hurler. Mais aucun son ne sortit de sa bouche. On aurait dit un loup-garou qui hurle d’agonie au moment où son corps d’homme se transforme en loup. Mais aucun son ne sortait de sa bouche, à part un bruit étouffé au fond de sa gorge.
Tout son corps était raide et ses muscles étaient tendus, comme si le courant électrique qui le traversait avait augmenté d’intensité.
« Tu étais un traître, » dit Luke. « Un ennemi de l’état. Mais tu as été réhabilité en prison. Et la torture faisait partie du processus. Ils t’ont transformé en agent, mais pas en quelqu’un d’important. Tu es devenu l’un de ces agents remplaçables. C’est pour ça que tu étais sur le terrain et que tu avais des pilules de cyanure. Si tu te faisais avoir, tu étais supposé mettre fin à tes jours. Et c’était d’ailleurs impossible que tu ne te fasses pas attraper, n’est-ce pas ? Mais tu n’as pas eu le courage de te tuer et maintenant, nous sommes le seul espoir qui te reste. »
« S’il vous plaît ! » hurla Li. « S’il vous plaît, ne me torturez pas ! »
Son corps se mit à trembler de manière incontrôlable. Et une odeur commença à émaner de lui, l’odeur épaisse et humide d’excréments.
« Oh mon dieu, » dit-il. « Oh mon dieu. Aidez-moi. Aidez-moi. »
« Qu’est-ce qui se passe ici ? » dit Ed, en revenant avec les arrosoirs. Il fit la grimace en sentant l’odeur. « Oh, merde. »
Luke fronça les sourcils. Il ressentit presque de la pitié pour cet homme. Puis il repensa à tous ces morts et à toutes ces personnes qui avaient perdu leur maison. Il n’y avait rien, aucune expérience négative, qui pouvait justifier ça.
« Oui, Li n’a pas pu se retenir, » dit-il. « Il est traumatisé. Apparemment, ce n’est pas la première fois qu’on le torture en le noyant. »
Ed hocha la tête. « Tant mieux. Comme ça, tu sais déjà ce qui t’attend. » Il baissa les yeux vers Li. « Mais on ne va pas s’arrêter là, tu sais ? On n’en a rien à foutre de l’odeur, alors si c’était le but, c’est raté. » Ed regarda Luke. « J’ai déjà vu faire ça, ils se chient dessus en pensant que l’odeur sera tellement insoutenable qu’on s’arrêtera là. Ou peut-être qu’on aura pitié d’eux. Peu importe. » Il secoua la tête. « Ça pue mais ça ne marchera pas. On ne serait pas là si on était du genre sensible, Li. J’ai déjà senti l’odeur de tripes. Alors crois-moi, c’est pire que tout ce qui peut te sortir de l’intestin. »
« S’il vous plaît, » dit à nouveau Li. Il parlait à voix basse, presque en murmurant. Son corps tremblait. Il baissa la tête et regarda le sol. « S’il vous plaît, ne me torturez pas. Je ne le supporterais pas. »
« Donne-moi quelque chose, » dit Luke. « Donne-moi une info et on verra. Regarde-moi, Li. »
Li baissa encore plus la tête. Il la secoua. « Je ne peux pas vous regarder. » Il grimaça, sous l’effet de l’humiliation. Puis il se mit à pleurer.
« Aidez-moi. S’il vous plaît, aidez-moi. »
« Tu ferais mieux de nous dire quelque chose, » dit Luke. « Ou on va se mettre au travail. »
Luke recula de trois mètres et le regarda. Li était affaissé sur sa chaise, la tête penchée en avant, les bras attachés derrière le dos, le corps tremblant. On aurait dit que chaque partie de son corps réagissait de manière indépendante. Il n’y avait aucune coordination. Luke remarqua que l’entrejambe de Li était humide. Il s’était également pissé dessus.
Luke prit une profonde inspiration. Ils allaient devoir demander à quelqu’un de venir le nettoyer.
« Li ? » dit-il.
Li regardait toujours le sol. Il se mit à parler, mais sa voix semblait venir d’outre-tombe. « Il y a un entrepôt. Un petit entrepôt, avec un bureau. Un importateur d’objets chinois. Dans le bureau, tout est expliqué. »
« C’est le bureau de qui ? » demanda Luke.
« Le mien. »
« C’est une façade ? » demanda Ed.
Li essaya de hausser les épaules, mais son corps ne cessait de trembler. « Plus ou moins. Il fallait tout de même que ce soit opérationnel, sinon ça ne pouvait pas servir de couverture. »
« Où se trouve ce bureau ? »
Li murmura quelque chose.
« Quoi ? » demanda Luke. « Je ne t’ai pas entendu. Si tu me fais perdre mon temps, on va passer à la manière dure. Tu crois qu’Ed n’a plus envie de jouer avec toi ? Alors réfléchis bien. »
« Il se trouve à Atlanta, » dit Li, sur un ton qui trahissait le soulagement. « L’entrepôt est à Atlanta. C’est là que j’étais basé. »
Luke sourit.
« OK, donne-nous l’adresse. On reviendra dans quelques heures. » Il posa sa main sur l’épaule de Li. « Et que dieu te vienne en aide s’il s’avère que tu nous as menti. »
*
« C’était du bon boulot, Swann, » dit Luke. « Même si j’avais écrit le script moi-même, je n’aurais pas pu faire mieux. »
« Je ne vous ai jamais dit que je jouais au théâtre à l’école ? »
« Eh bien, tu as raté ta vocation, » dit Luke. « Tu aurais pu travailler à Hollywood, avec ce dont tu es capable. »
Ils traversèrent le trottoir en direction du SUV noir qui les attendait. Deux hommes en combinaison FEMA venaient juste d’en sortir et se dirigeaient vers la cabane. Luke regarda autour de lui. Il n’y avait que des clôtures et des fils barbelés. Derrière la tour de guet la plus proche, une colline escarpée se dressait vers les montagnes de Géorgie.
Swann sourit. « J’ai essayé d’y mettre une touche crédible d’indignation. »
« En tout cas, je t’ai cru, » dit Ed.
« Mais au fond, je n’ai pas vraiment eu besoin de jouer la comédie. Je ne suis pas du tout un fan de la torture. »
« Nous non plus, » dit Ed. « En tout cas, pas tout le temps. »
« Est-ce que vous avez fini par le faire ? » demanda Swann.
Luke sourit. « Qu’est-ce que tu penses ? »
Swann secoua la tête. « J’étais parti depuis seulement dix minutes quand vous êtes sortis de la cabane, alors je pense que vous ne l’avez pas fait. »
Ed lui donna une tape dans le dos. « Vas-y, continue à te poser la question, l’analyste. »
« Alors, vous l’avez fait ou pas ? » demanda Swann.
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient dans l’hélico qui s’élevait au-dessus de la forêt dense, en direction d’Atlanta.