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1836

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Paris, le 2 janvier 1836.– M. de Talleyrand prône beaucoup M. Molé, pour le faire recevoir de l'Académie française; il est également appuyé par M. Royer-Collard et par les ministres; c'est ce qui faisait dire, hier au soir, à M. Villemain, que toutes les influences les plus diverses et les plus inverses se réunissaient pour porter ou exporter M. Molé à l'Académie, que lui, Villemain, l'y importait de toutes ses forces, puisque, d'ailleurs, le fauteuil académique n'empêchait pas d'autres sièges. Les jeux de mots et les pointes ne manquaient pas dans cette phrase, ni la malignité non plus!

On parlait beaucoup des différents discours tenus au Roi, à l'occasion de la nouvelle année, entre autres de celui de M. Pasquier, remarquable par le mot de sujet qu'il a eu la témérité de reproduire, et que M. Villemain appelait un mot progressif.

Le Roi est charmé du discours du comte Apponyi, et le Corps diplomatique, de la réponse du Roi. Du reste, Fieschi et Mascara1 ont été de vraies bonnes fortunes pour tous les faiseurs de discours: on a remarqué des émotions et des attendrissements infinis, et quant à M. Dupin, c'étaient des sanglots!

A propos de M. Pasquier, on s'est amusé à mettre dans un mauvais journal qu'il est tombé malade dernièrement pour avoir reconnu dans Fieschi un fils naturel! La vieille comtesse de la Briche, qui commence à radoter, a été, très sérieusement, et avec des «hélas!» incomparables, raconter cette bêtise dans le salon archi-carliste de Mme de Chastellux. Comprend-on quelque chose d'aussi stupide! Les rires ont été extrêmes!

Paris, 4 janvier 1836.– La seconde fille de Mme de Flahaut est au plus mal. Son état m'a fourni, hier, l'occasion d'appliquer la parabole si parfaitement vraie de la poutre et du brin de paille, en entendant Mme de Lieven parler de la mère et me dire: «Comprenez-vous Mme de Flahaut qui, dans un pareil moment, me parle politique et demande ses chevaux pour aller chez Madame Adélaïde; qui quitte la chambre de sa fille pour causer des affaires publiques avec les personnes qui sont dans son salon, et qui m'invite à dîner pour demain, afin, dit-elle, de se distraire et de ne pas rester seule avec son inquiétude?» Il est donc vrai que personne de nous ne se voit passer! Cela fait faire des retours effrayants sur soi-même.

Le fameux message du Président Jackson2, si impatiemment attendu, est arrivé par la voie d'Angleterre au duc de Broglie. Celui-ci, cinq heures après, est allé chez le Roi lui dire qu'il l'avait reçu; le Roi a demandé à le voir, M. de Broglie lui a dit qu'il était très insignifiant et qu'il l'avait déjà envoyé aux journaux!.. Il a dit la même chose à son collègue, M. Thiers, qui, sur la foi de ce propos, a répété pendant toute la soirée, à ceux qu'il rencontrait, que le message était de toute nullité. Le lendemain, le Roi et M. Thiers lisent ce message dans le journal et le trouvent très habilement fait, très rude pour M. de Broglie personnellement, mais satisfaisant pour le pays, et précisément ce qu'il fallait pour terminer le différend. Là-dessus, conseils sur conseils, discussions vives, enfin triomphe de la volonté royale, soutenue par M. Thiers, et par l'effet de laquelle on se tiendra pour suffisamment satisfait du message. On déclinera la médiation de l'Angleterre, en déclarant que la France est prête à payer les termes échus de la somme de 25 millions. M. de Broglie a fini par céder, mais avec toute la peine que son amour-propre personnel lui causait. Il s'était d'abord refusé à montrer la note par laquelle il remerciait l'Angleterre de ses offres de médiation, mais enfin elle a été soumise hier au Roi. On dit qu'elle est trop longue, diffuse, métaphysique. Les paroles ont été vives dans le Conseil des ministres, cependant tout a fini, parce que le Roi a tendu la main au duc de Broglie en lui disant une parole gracieuse. Cela n'empêche pas qu'au fond, l'humeur ne soit grande, d'un côté et de l'autre. Au reste, cette guerre avec les États-Unis déplaisait beaucoup au commerce français; ainsi ce résultat définitif fera, probablement, bon effet dans le public.

Paris, 11 janvier 1836.– J'ai eu, hier matin, la visite de M. Royer-Collard: il venait de voir M. Berryer, fort dégoûté et ennuyé, qui lui avait parlé de Prague. Il lui a raconté qu'on y pensait et y disait beaucoup de bien de lui, M. Royer; que Charles X avait répété plusieurs fois qu'il craignait de n'avoir pas fait assez attention à différentes choses qu'il lui avait dites dans un long entretien qu'ils eurent ensemble à l'époque de la fameuse adresse3 de 1830. Mais, ce qui est curieux, c'est que le vieux Roi, ayant voulu chercher à retrouver ces choses importantes dont il avait un vague souvenir, ne put y parvenir. N'est-ce pas là tout l'homme? Bon cœur et insuffisance!

Paris, 16 janvier 1836.– On a cru, hier, qu'après l'algarade de M. Humann, le ministre des Finances, à la Chambre des Députés, où il a abordé si imprudemment la question de la réduction des rentes, sans en avoir prévenu ses collègues, il y aurait dissolution du Ministère, mais cela s'est arrangé, et, pour le moment, tout reste au même point.

Le Roi a lui-même vu et calmé le comte de Pahlen, et on espère que le discours du duc de Broglie, à la Chambre des Députés, n'amènera pas d'orage4.

Paris, 24 janvier 1836.– La Chambre des Députés est restée émue et hargneuse, et cette session, si anodine dans son début, donne assez de tracas à ceux qui sont chargés de la gouverner. Son humeur est surtout contre le duc de Broglie, dont le ton lui déplaît. Le «Est-ce clair?» qu'il lui a dit l'autre jour, a bien de la peine à se faire pardonner5.

Paris, 28 janvier 1836.– Nous dînions hier chez le maréchal Maison; dîner curieux sous mille rapports, mais particulièrement sous celui des histoires que contait la Maréchale; en voici une qui m'a fait rire longtemps après que j'étais sortie. On parlait des bals nombreux et de la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes qui s'y rendaient effectivement; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et aigre voix: «J'ai un moyen parfait, que j'ai toujours employé avec succès dans tous les bals que j'ai donnés: je place ma femme de chambre derrière la porte, avec un sac de haricots près d'elle, et je lui dis: «Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule». Alors, le compte est exact, et c'est la bonne manière.» Le fou rire m'a si bien prise, que j'ai pensé étouffer. Il en est arrivé autant de Mmes de Lieven, de Werther, de Lœwenhielm, qui étaient là.

Paris, 1er février 1836.– Si j'étais dans mon cher Rochecotte, comme l'année dernière, je croirais, le 1er février, entrer dans le printemps, au lieu qu'ici il n'en est rien! Depuis quelque temps, je reprends mes déplaisances pour Paris, non pas que l'on y soit mal pour moi, au contraire, mais parce que la vie y est trop fatigante, l'air trop aigre, les intérêts trop divers et trop multipliés, sans être assez puissants; aucun loisir, des sollicitudes infinies, avec un vide sensible.

A Londres, j'étais dans un monde grand et simple; j'y avais du succès et du repos tout à la fois. M. de Talleyrand y jouissait d'une bonne santé, il y faisait de grandes affaires. Les agitations que j'y ai éprouvées valaient au moins leur enjeu; j'avais le temps de m'occuper, de lire, de travailler, d'écrire, de réfléchir; je n'étais pas bousculée par tous les désœuvrés. L'impôt des visites ne se prélève à Londres que sur une voiture vide et sur des cartes; enfin, je prenais plaisir à vivre… Voilà pourquoi il me prend de profonds et mélancoliques regrets, après ces années qui ne reviendront plus; ou bien pour ce doux et tranquille Rochecotte, cet horizon si vaste, ce ciel si pur, cette maison si propre, ces voisins simples et bienveillants, mes ouvriers, mes fleurs, mon gros chien, ma petite vache, la chevrette, le bon Abbé, le modeste Vestier, le petit bois où nous allions ramasser des pommes de pin; pour ce lieu où je vaux mieux qu'ailleurs, parce que j'ai le temps d'y faire d'utiles retours sur moi-même, d'y éclaircir ma pensée, d'y pratiquer le bien, d'éviter le mal, de me mêler, par la simplicité du cœur et de l'esprit, à cette belle, forte et gracieuse nature qui m'abrite, me rafraîchit et me repose… Mais trêve de gémissements sur moi-même, inutiles et maussades!

J'ai vu le docteur Ferrus, hier, à son retour de Ham. Voici ce qui s'y est passé. Les instructions des médecins étaient extrêmement bienveillantes, et leurs dispositions aussi; mais il aurait fallu trouver des motifs à faire valoir, et les deux ex-ministres vraiment souffrants, MM. de Chantelauze et de Peyronnet, ont refusé insolemment la visite des médecins, et les autres, MM. de Polignac et Guernon de Ranville, fort doux, soumis et désireux de profiter de la bonne disposition du gouvernement, n'ont, malheureusement, aucune infirmité à faire valoir. Il faut donc ajourner des adoucissements qu'on désirait leur accorder6.

Paris, 6 février 1836.– J'avais été, hier matin, avec la comtesse Bretzenheim qui m'en avait priée, à la séance de la Chambre des Députés, où j'ai entendu, pour la première fois, M. Thiers; il a admirablement parlé contre la fameuse réduction des rentes, si imprudemment mise en avant par M. Humann. J'avais cru remarquer, pendant que M. Thiers parlait, qu'il avait plusieurs fois craché le sang; je lui avais écrit pour lui demander comment il se portait; voici un passage extrait de la réponse que j'ai reçue de lui: «Je suis exténué; je n'ai pas craché le sang, mais j'ai dépensé, en quelques moments, bien des jours de ma vie; je n'ai jamais trouvé tant de résistance dans les esprits, et il faut une volonté de fer pour surmonter un entraînement aussi visible que celui de la Chambre. Je suis désolé que vous m'ayez entendu, ces chiffres doivent vous avoir ennuyée et vous avoir donné une triste idée de la tribune. Il ne faut nous entendre et nous juger que dans nos jours d'élan et non quand nous réglons nos comptes. Au surplus, je doute du résultat, et, sauf le Roi, je fais plutôt des vœux pour la retraite du Ministère. Lutter contre tant d'imprudence et de sottise est insupportable.»

Ce billet m'a bien un peu préparée aux événements du soir; cependant, M. Royer-Collard, qui est venu chez moi dans la matinée, croyait au triomphe du Ministère par l'embarras dans lequel serait la Chambre d'user du sien, si elle l'obtenait. Il était dans l'admiration du discours de M. Thiers, et le lui avait dit à la Chambre; ils se sont reparlés, à cette occasion, ce qui n'avait pas eu lieu depuis la discussion des lois de Septembre.

Mon fils, M. de Valençay, est venu dîner chez nous, en sortant de la séance de la Chambre des Députés. Il nous a raconté l'effarement de la Chambre aux singulières conclusions de M. Humann, et celui des ministres, au sujet de l'ajournement de la réduction des rentes, rejet qui n'a eu lieu qu'à une majorité de deux voix.

Le Journal de Paris nous a appris, plus tard, les démissions ministérielles; et le général Alava, qui venait de voir le duc de Broglie, nous a dit, à onze heures du soir, que le Roi avait accepté les démissions et fait chercher MM. Humann et Molé.

Je reçois, à l'instant, le billet que voici de M. Thiers: «Nous sommes sortis très franchement, très sérieusement. Le Roi savait d'avance, et d'accord avec tous, d'accord, en particulier, avec moi, que ce résultat découlait forcément de notre résolution de combattre la réduction. Nous serions déshonorés si nous ne persistions pas pour faire composer un nouveau Ministère: il sera chétif et misérable, peu importe; il faut que le tiers-parti fasse ses preuves. Le Roi ne peut faire autrement, ni nous non plus; le contraire serait une illusion à la Charles X.»

Paris, 7 février 1836.– Il n'y a rien de fait, pour le Ministère, si ce n'est la sortie des anciens Ministres, qui est positive. On croit que M. de Broglie ne rentrera jamais dans aucun Cabinet; c'est surtout contre lui qu'est l'humeur de la Chambre.

M. Thiers n'a fait aucune opposition à se retirer, plutôt par le désir de sortir honorablement et de se débarrasser décemment de collègues qu'il n'aimait pas, que par engouement pour la question, qu'il a cependant défendue avec un grand talent.

Le Roi a fait appeler M. Humann qui a refusé, M. Molé qui a décliné, M. Dupin qui a battu la campagne: les nuances méritent d'être observées. Enfin, il n'y a rien du tout de fait, ni, vraiment, rien de probable. Des amis de M. Molé disent qu'il ne veut plus se laisser ballotter, prier, refuser, trimballer, comme au mois de novembre, et qu'on se rangerait sous sa loi ou bien qu'il ne se mêlerait de rien.

Paris, 8 février 1836.– J'ai eu, hier, la visite de M. Royer-Collard. Voici comment il explique la conduite de la Chambre envers le dernier Ministère. Il dit que le Ministère, qui durait depuis trois ans, y était usé, surtout dans ses membres doctrinaires; que ce Cabinet avait fatigué la Chambre en lui mettant trop souvent le marché à la main, en faisant trop souvent de questions personnelles des questions de Cabinet; que la Chambre avait fait au delà de ses forces pour l'ordre du jour motivé lors des lois d'intimidation7; qu'on ne lui en avait pas su bien bon gré dans les provinces; qu'enfin, la fatuité dédaigneuse de M. de Broglie avait comblé la mesure, et que, du reste, le pays étant prospère au dedans, tranquille au dehors, la Chambre avait cru le moment opportun pour établir son droit et prouver au Ministère qu'il n'était pas indispensable, et que, profitant d'une question populaire dans les provinces, elle avait saisi l'occasion de prouver sa puissance, aidée, du reste, par son ignorance politique qui ne lui permet pas de calculer la durée de la crise. M. Royer-Collard a ajouté que les deux seuls Ministres qui eussent conservé du crédit dans la Chambre étaient MM. Thiers et Duchâtel, mais qu'encore, une petite quarantaine leur serait-elle nécessaire.

Nous avons dîné hier chez M. Thiers, d'après une ancienne invitation. Il ne touchait pas terre, battait des ailes, comme quelqu'un qui est sûr de rentrer en cage quand cela lui plaira. Il se propose de voyager; il veut aller à Vienne, à Berlin, à Rome, à Naples, et partira au mois d'avril. M. de Broglie, qui était aussi à ce dîner, avait l'air morne et abattu, et cela avec une absence de dissimulation qui m'a étonnée: il portait non pas le diable, mais la doctrine en terre!

J'ai été, le soir, chez Mme de Lieven, chez laquelle j'ai fait la connaissance de M. Berryer; le matin, M. Royer-Collard, qui le voit souvent, m'avait dit qu'il était fort désireux de faire la mienne: nous avons été fort polis, l'un et l'autre, et l'un pour l'autre. Il est simple et doux dans la conversation.

Paris, 9 février 1836.– Nous avons dîné, hier, chez l'ambassadeur de Sardaigne8. Rien n'était encore décidé pour le Ministère, disait-on; M. Molé, qui était près de moi à table, me l'a confirmé. Il n'a pas voulu entrer avec le tiers-parti, quoique tout le monde le demande, les uns comme les autres. Je crois qu'en désespoir de cause, ceci tournera momentanément au profit de M. Dupin; mais comme le petit groupe à la tête duquel il se trouve est très faible, il lui faudra, pour se soutenir, prendre son point d'appui sur la gauche, qui le lui vendra cher. Ce sera une position semblable à celle du Ministère whig anglais vis-à-vis d'O'Connell. Je veux espérer que cela sera court, mais il faut fort peu de temps pour faire faire bien des pas rétrogrades. On est triste au Château, inquiet dans le monde diplomatique, agité dans le public.

La jeune et belle Reine de Naples est morte le 31 janvier, peu de jours après ses couches. La nouvelle en est arrivée hier9.

Paris, 10 février 1836.– Les juges et les auditeurs du procès Fieschi prennent un intérêt singulier pour cet homme. C'est un caractère qui n'a jamais eu son semblable; il a beaucoup d'esprit, et dans l'art stratégique, du génie, une mémoire, un sang-froid, une précision que son horrible situation n'obscurcit jamais; ses passions, surtout celle pour les femmes, sont vives. Celle qu'il conserve pour cette Nina Lassave est remarquable: il lui écrit sans cesse, et ayant su qu'elle ne lui avait pas été fidèle, il lui a reproché de ne pas avoir attendu quelques jours pour lui épargner cette dernière douleur, quand son exécution allait la rendre libre, et tout cela a été écrit de la façon la plus touchante. Ce qui l'est beaucoup, aussi, c'est que M. Ladvocat, envoyant assez d'argent à Fieschi pour qu'il puisse se donner quelques douceurs dans la prison, il n'en dépense rien et le fait remettre à cette Nina. Celle-ci lui a écrit, pour le remercier, à peu près en ces termes: «Je te remercie de te priver de tout pour moi; avec ce que tu m'as envoyé, je me suis acheté des effets un peu propres pour te faire honneur devant Messieurs tes juges; mais comme bientôt tu ne pourras plus rien m'envoyer, je vais économiser, et me voilà à la tête de quarante francs

Cette phrase sur l'économie est abominable. Du reste, elle a écrit à Fieschi pour l'assurer qu'elle lui est restée fidèle, ce qui n'est pas vrai. Tout le monde semble être beaucoup plus occupé de ces incidents amoureux que du crime même de Fieschi. Quel singulier temps! La correspondance de Fieschi passant par les mains de M. Decazes, il en amuse la Chambre des Pairs; mais ce qui est vraiment étonnant, c'est la vogue que toute cette histoire a donnée à Mlle Nina, habitante naguère de la Salpêtrière. On assure qu'il lui a été fait des propositions d'argent par de beaux messieurs; ce qui est certain, c'est qu'on entend détailler ses beautés et ses imperfections d'une manière souvent étrange; mais ce qui est positif, c'est qu'elle est borgne.

Si Fieschi est amoureux, il se montre aussi religieux: l'aumônier de la Chambre des Pairs ayant demandé aux pensionnaires s'ils ne désiraient pas entendre la messe, Fieschi a dit, seul, que oui, qu'il le désirait beaucoup, qu'il n'était ni païen, ni athée; qu'à la vérité, il n'était pas fort en théologie, mais qu'il avait lu Plutarque et Cicéron, et qu'il croyait fermement à l'immortalité de l'âme; que l'âme, n'étant pas divisible, ne pouvait être matérielle; qu'enfin, il était tout spiritualiste: il a prié l'aumônier de venir le revoir et de ne pas le quitter quand une fois sa sentence serait prononcée. Et, après de tels contrastes, est-il encore permis de porter un jugement absolu sur les hommes!

Voici le bulletin de la crise ministérielle, je le crois fort exact: hier matin, le Roi a fait chercher Dupin, Sauzet et Passy et les a chargés du Ministère, à deux seules conditions: 1o de ne s'adjoindre personne ayant voté contre les lois de répression; 2o de ne prendre pour ministre des Affaires étrangères qu'un homme qui rassurerait l'Europe et lui conviendrait à lui-même. Ces trois messieurs ont répondu qu'ils comprenaient les désirs du Roi, mais qu'ils ne pouvaient prendre aucun engagement avant d'avoir consulté leurs amis, et, là-dessus, ils se sont retirés. A la Chambre, ils ont fait circuler une liste à peu près comme ceci: Dupin à la Justice avec la Présidence, Sauzet à l'Instruction publique, Passy aux Finances, Flahaut aux Affaires étrangères, Molitor à la Guerre, Montalivet à l'Intérieur. J'ai su, depuis, que Montalivet refusait malgré les désirs du Roi, et que le Roi se refusait, lui, à Flahaut. Le Roi désirait mettre, soit Rumigny, soit Baudrand, aux Affaires étrangères, et serait même fixé sur ce dernier, si on ne désirait le conserver pour suivre le Prince Royal dans ses voyages. Celui-ci est fort content de la chute du dernier Ministère; je crois qu'il a tort; les Flahaut sont ravis. Tous les amis des Ministres comptent porter M. Guizot à la Présidence de la Chambre des Députés; le parti opposé portera M. Martin du Nord.

J'ai été, avec M. de Talleyrand, dîner, le soir, chez M. de Montalivet: MM. de Pahlen et Apponyi étaient pâles de terreur d'avoir vu le nom de M. de Flahaut sur une liste ministérielle. Le maréchal Maison regrettait son ambassade de Pétersbourg avec des cris de rage qui n'avaient pas bien bonne grâce.

Nous avons été ensuite à la dernière réception ministérielle du duc de Broglie. M. de Broglie se croit l'expression exacte des besoins de l'époque; il ne se doute pas de ce qui est cependant l'exacte vérité, c'est-à-dire que tout le grabuge actuel, c'est lui qui en est cause, que c'est contre lui que tout s'est fait, que c'est lui que la Chambre repousse, et que s'il voulait dire à ses collègues: «Je vois que je suis seul la pierre d'achoppement: je me retire, mais je vous prie de rester,» M. Molé entrerait à sa place et tout serait arrangé à la satisfaction générale.

Paris, 11 février 1836.– Mme de Rumford est morte hier matin, après son déjeuner, ayant eu du monde à dîner la veille. Elle était fort changée depuis quelque temps, mais s'était toujours refusée à se constituer malade; elle est restée rude contre la mort, comme elle l'avait été pour les vivants. Son salon manquera; c'était un point de réunion, et il y en a si peu, au moins comme habitude. Chacun y retrouvait un souvenir qui lui était particulier, de telle ou telle époque de sa vie. Cette disparition m'a attristée. Il ne faut pas avoir quatre-vingts ans cette année! Mais que dis-je? M. de Rigny en avait cinquante, Clémentine de Flahaut seize, Yolande de Valençay deux! C'est la vie à toutes les marches de l'échelle qui est menacée, maintenant comme toujours! Il faut se tenir prêt!

Ce vieux chat de Sémonville, dont les griffes ne s'usent pas, est arrivé hier au Luxembourg, annonçant qu'enfin le Ministère était constitué. On l'entoure, on le questionne, et voici sa liste: «Président du Conseil, Madame Adélaïde; Justice et Cultes, duchesse de Broglie; Affaires étrangères, duchesse de Dino10; Intérieur, comtesse de Boigne; Guerre, comtesse de Flahaut; Marine, duchesse de Massa; Finances, duchesse de Montmorency; Commerce, marquise de Caraman…» Mme de Lieven, à qui j'ai mandé cette plaisanterie, en réponse à un billet de questions, m'a répliqué qu'au moins la condition du Roi était remplie, et que le Ministre des Affaires étrangères n'inquiéterait pas l'Europe.

Ce sont bien là des pauvretés, mais la pauvreté véritable, c'est l'impossibilité de former un Ministère, sérieux ou autre.

J'ai été, hier, aux Tuileries; les Ministres sortants y étaient tous réunis autour du Roi, mais, je crois, sans objet: c'est déplorable!

Paris, 12 février 1836.– Rien de nouveau, ministériellement. Voici tout ce que je sais d'hier: Dupin, Passy et Sauzet ont été à trois heures chez le Roi, lui dire qu'ils ne pouvaient se charger de la composition d'un Ministère que des intrigues diverses leur avaient rendu impossible; que, du reste, ils étaient prêts à entrer, individuellement, dans l'administration, si leurs services étaient agréables au Roi. Ils se sont retirés là-dessus, et le Roi, dans la soirée, a fait chercher M. Molé. J'ignore ce qui s'est passé dans cette entrevue.

Paris, 13 février 1836.– Voici ce que je sais d'hier sur la crise ministérielle. M. Molé déclare qu'il n'entrera pas sans M. Thiers, celui-ci sans M. Guizot, qui, à son tour, n'entrera pas sans M. de Broglie, à moins que M. de Broglie ne reconnaisse qu'étant le seul obstacle véritable, il exige de ses collègues de rentrer sans lui, et qu'il ne leur écrive, à cet effet, une lettre datée de Broglie. M. de Salvandy a cherché à l'éclairer là-dessus, mais il a été très mal reçu. On parle d'une scène vive entre MM. de Broglie et Guizot; ce qui est certain, c'est que M. de Broglie est dans une agitation tellement visible et de si mauvaise grâce, qu'il fait pitié à ses amis et hausser les épaules aux autres. Il y a des gens qui croient que le Roi fera venir Broglie et lui demandera, avec plus d'autorité que Salvandy, de faire cesser un si déplorable état de choses, que lui seul prolonge.

Dupin est entièrement démoli. Dans les deux jours où on croyait que Dupin serait ministre, Thiers et Guizot se sont, tous deux, mis sur les rangs pour la Présidence; cela leur a fourni l'occasion de compter les voix en leur faveur: M. Guizot en avait huit, M. Martin du Nord en avait quinze; tout le reste du parti ministériel aurait porté M. Thiers et le lui aurait fait offrir.

Paris, 16 février 1836.– Voilà Fieschi condamné ainsi que ses complices; M. de Mareuil est venu hier, à onze heures du soir, nous dire l'arrêt11.

Il paraît qu'il y a beaucoup de Pairs qui ont longuement motivé leurs votes. Une fraction peu nombreuse de la Chambre trouvait les preuves matérielles contre Pépin et Morey insuffisantes pour la peine capitale et penchait pour les travaux forcés à perpétuité. C'est M. Barthe qui a demandé qu'à la peine de mort unanimement votée contre Fieschi, on joignît les détails du supplice qui s'appliquent aux parricides.

Les journaux annoncent la mort de Mme Bonaparte mère; sa double petite-fille, c'est-à-dire la fille de Joseph qui a épousé le fils de Lucien, était seule de sa nombreuse progéniture près d'elle. Le cardinal Fesch l'a très bien soignée; elle lui laisse ses tableaux; on croit, du reste, que sa succession va causer de nouvelles divisions parmi ses enfants, qui ne sont déjà pas trop unis, car il paraît qu'elle a, de son vivant, donné à Lucien, à Jérôme, à Mme Murat, des sommes considérables, que ceux-ci ne veulent pas rapporter.

Paris, 17 février 1836.– Hier, le Roi a réuni ses anciens Ministres et leur a déclaré: 1o qu'il ne recevrait leur démission que quand un autre Cabinet serait formé; 2o que la majorité de la Chambre n'ayant été qu'accidentellement contre eux, et que leur système étant celui de la Chambre, quand bien même tous les individus qui composent le Cabinet ne plairaient pas à la Chambre, il serait, lui, charmé qu'ils restassent tous, mais que, s'ils croyaient qu'il y avait parmi eux quelques membres qui continueraient à tenir la Chambre en irritation, il les priait de se consulter et de lui dire ensuite sur quoi il pouvait compter. M. de Broglie a dit qu'il fallait que le Roi essayât du tiers-parti; à cela, le Roi a répondu: «Il peut vous amuser, Monsieur, de constater une fois de plus l'impuissance de ce tiers-parti, mais il ne m'amuse pas, moi, d'en faire le pitoyable essai; j'en ai assez des Ministères de trois jours: ce n'est ni dans le tiers-parti, ni dans la gauche qu'est la majorité, c'est avec vous, Messieurs; si ce n'est avec tous, du moins avec quelques-uns. Vos arrangements et engagements réciproques les uns avec les autres doivent se rompre devant l'importance et la gravité des circonstances, je l'attends de votre honnêteté, de votre désir du bien général; quant à moi, Messieurs, je reste les bras croisés et je vais me promener à Saint-Cloud.» MM. de Broglie et Guizot ont répliqué qu'aucun des membres du Cabinet n'avait précisément des engagements, mais que chacun avait des convenances personnelles auxquelles il était juste de tenir. Cette réponse était fort déplacée dans un semblable moment, surtout de la part du premier qui, par un mot, déliait le nœud gordien et simplifiait la position! Personne ne sait comment cela finira, à moins que ce ne soit comme M. Royer-Collard l'a prédit à M. Thiers, vendredi dernier: «Vous n'êtes pas possible aujourd'hui; mais dans huit jours, vous serez nécessaire, indispensable, absolu!»

M. de Talleyrand et moi avons été hier chez la Reine. Le deuil de la Reine de Naples, le procès Fieschi, la crise ministérielle avaient éloigné du Château tout plaisir du carnaval; on y était fort sérieux. Le Roi, absorbé par la perspective du supplice des condamnés de la veille, n'avait pas osé sortir, parce qu'il se savait guetté par Mme Pépin et ses enfants. Le Château était vraiment lugubre et faisait un pénible contraste avec la joie bruyante des rues. M. Pasquier est venu dire au Roi que Pépin avait demandé à le voir ce matin, ce qui ferait remettre l'exécution à demain.

Avant de rentrer, j'ai été passer une demi-heure chez Mme de Lieven, où il n'y avait que lady Charlotte Granville et M. Berryer, qui disait que, lorsqu'on ne savait rien, on était le maître de dire tout ce qu'on voulait, et qu'il ne craignait pas d'affirmer que Thiers était la seule combinaison possible et qui trouverait faveur dans la Chambre.

Paris, 19 février 1836.– J'ai eu, hier matin, la visite de M. Thiers, qui avait décidément accepté la mission de former un Ministère et de le présider. Il comptait employer le reste de la journée à compléter le Cabinet. Il a trop d'esprit pour ne pas sentir les difficultés de sa nouvelle position, et trop de courage, ou d'aveuglement, pour en être effrayé. M. Molé a manqué son élection académique; c'est une mauvaise semaine pour lui.

Paris, 20 février 1836.– Voici les paroles textuelles écrites par le Roi au-dessus de la signature qu'il a été obligé d'apposer à l'arrêt de mort de Fieschi, Pépin, Morey, etc.: «Ce n'est que le sentiment d'un grand devoir qui me détermine à donner une approbation qui est un des actes les plus pénibles de ma vie; cependant, j'entends qu'en considération de la franchise des aveux de Fieschi, et de sa conduite pendant le procès, il lui soit fait remise de la partie accessoire de la peine, et je regrette profondément que plus ne me soit pas permis par ma conscience.»

Paris, 21 février 1836.– M. Thiers éprouve des difficultés dans la combinaison du Ministère dont il est chargé; chacun veut bien aller avec lui et sous lui, mais ils ne veulent pas aller ensemble les uns avec les autres. Il faut cependant tenir à ce que la composition de ce Cabinet soit un peu forte et ait bonne façon! Tout est difficile, même pour les gens supérieurs.

Paris, 22 février 1836.– M. de Talleyrand est de très mauvaise humeur: tous les journaux, tout le public le chargent de la responsabilité du nouveau Ministère, qui est enfin dans le Moniteur de ce matin12. Il n'y a cependant pris aucune part; et comme l'éclatante élévation de M. Thiers ne plaît pas à tout le monde, et que les Anglais surtout jettent feu et flammes, il en résulte que M. de Talleyrand est en grande humeur de tout ce qui lui revient à ce sujet, qu'il a une reprise de colère contre Paris, contre son âge, sa position, et des regrets plus vifs d'avoir quitté Londres.

Paris, 23 février 1836.– En rentrant, hier, chez moi, à la fin de la matinée, j'ai trouvé à ma porte M. Berryer qui venait de la Chambre des Députés où M. Thiers avait parlé. Berryer fait beaucoup de cas du talent, de l'esprit et de la capacité de Thiers; il a, lui, Berryer, l'esprit le plus libre, le plus impartial, le plus simple possible; il n'a aucune recherche, aucune affectation, aucune violence; il n'est pas à croire qu'il soit homme de parti; aussi, dans mon opinion, l'est-il on ne saurait moins et ne demanderait-il peut-être pas mieux de ne plus l'être du tout. La facilité, la rapidité, la douceur, la simplicité de sa conversation ont un mérite d'autant plus grand qu'elles contrastent avec sa profession et sa position. L'équité de ses jugements et la bienveillance qui les caractérise le plus souvent, sont ce qui donne de la confiance dans ses opinions et ses récits.

La Chambre a reçu, avec une froideur marquée, le discours de Thiers, et je considère cela comme heureux pour lui, car il serait à craindre qu'il ne se perdît par de l'enivrement, et ce qui l'en garera ne saurait que lui être bon et utile.

Paris, 24 février 1836.– M. Molé a dîné hier ici; il y a un peu de froideur et de désappointement sur sa figure. Il n'a pas voulu marcher ministériellement avec M. Dupin, c'est ce qui a fait que celui-ci, qui dispose de quelques voix à l'Académie française, les lui a retirées et a, ainsi, fait manquer son élection, disant à cette occasion: «M. Molé n'ayant pas voulu être mon collègue, il ne me plaît pas d'être son confrère.»

Paris va devenir de plus en plus difficile à habiter, car, outre les deux grandes divisions dynastiques qui séparent la société, nous aurons maintenant toutes les fractions que les ambitions déçues ont produites: fraction Molé, fraction Broglie, fraction Guizot, fraction Dupin, et, enfin, fraction Thiers. Et tout cela aussi aigre et aussi hostile les uns contre les autres que le sont les légitimistes contre le juste milieu au moins. Toutes ces fractions ne se confondent nullement dans un centre commun, comme pourrait et devrait être le Château; au contraire, les uns s'en prennent au Roi, les autres à notre maison. On se déteste, on se déchire, personne ne fait de retour sur soi-même et ne s'aperçoit que chacun a fait des fautes, et que ce n'est pas hors de soi qu'il faut chercher des coupables. Quel étrange aveuglement et quelle mauvaise foi ont les hommes, surtout ceux qui sont mêlés aux affaires et aux intérêts du monde!

Paris, 4 mars 1836.– M. Mignet racontait, hier, chez M. de Talleyrand, que Marchand, l'ancien valet de chambre de l'Empereur, allait publier des commentaires sur les Commentaires de César, que Napoléon lui a dictés dans les dernières semaines de sa vie à Sainte-Hélène. Marchand a beaucoup parlé à M. Mignet des derniers moments de Napoléon, de son isolement, du vide de sa vie, et il en donnait pour preuve qu'un soir, l'Empereur, déjà fort souffrant, étant couché, lui dit en lui montrant le pied de son lit: «Marchand, assieds-toi là et conte-moi quelque chose.» Marchand lui dit: «Eh! mon Dieu, Sire, que puis-je vous dire, à vous qui avez tant fait et tant vu? – Raconte-moi ta jeunesse, ce sera simple, ce sera vrai, et cela m'intéressera», reprit l'Empereur… Ce petit dialogue paraît bien pathétique! Et Bossuet, qui, dans son Oraison funèbre de la Palatine, n'a pas dédaigné l'anecdote un peu triviale de la poule, quel enseignement n'aurait-il pas trouvé dans ce peu de paroles? Le plus grand hommage rendu à Bossuet n'est-il pas ce retour que chaque grande infortune, chaque gloire triomphante ou déchue nous fait faire vers l'aigle de Meaux, seul digne de les célébrer, de les pleurer et de les perpétuer!

Paris, 5 mars 1836.– Hier matin, MM. Berryer et Thiers se sont rencontrés chez moi; je ne crois pas qu'on puisse avoir assisté à une conversation plus animée, plus piquante, plus spirituelle, plus inattendue, plus obligeante, plus sincère, plus libre, plus vraie, plus dégagée de tout esprit de parti que celle qui s'est établie tout de suite entre ces deux hommes, si bien et si différemment doués; mais aussi j'ai cru qu'elle ne finirait plus! Ils ne sont partis qu'après six heures.

Paris, 7 mars 1836.– M. Royer-Collard m'a fait faire, hier, la connaissance de M. de Tocqueville, l'auteur de la Démocratie en Amérique; il m'a paru être un petit homme doux, simple, modeste, à la mine spirituelle. Nous avons beaucoup causé de l'Angleterre, sur les destinées de laquelle nous sommes parfaitement d'accord.

Paris, 9 mars 1836.– J'avais, à plusieurs reprises, jeté les yeux sur l'Imitation de Jésus-Christ, mais, soit que je ne connusse encore que superficiellement les autres et moi-même, soit que mon esprit fût mal préparé et ma pensée trop distraite, je ne faisais pas grande différence entre ce bel ouvrage et la Journée du Chrétien ou le Petit Paroissien; je m'étais souvent étonnée de la grande réputation de ce livre et je n'avais trouvé aucun goût à sa lecture. Le hasard me l'a fait ouvrir l'autre jour chez Pauline, les premières lignes m'ont frappée, et, depuis, je le lis avec une admiration toujours croissante. Que d'esprit sous la forme la plus simple! Quelle profonde connaissance du cœur humain dans ses plus profonds replis! Que c'est beau et lumineux! Et c'est l'ouvrage d'un moine inconnu! Rien ne m'humilie davantage que de l'avoir méconnu, et ne me prouve mieux à quel point j'étais dans les ténèbres.

Paris, 10 mars 1836.– J'ai été, hier, avec la duchesse de Montmorency, au bal de Mme Salomon de Rothschild, la mère. C'est la maison la plus magnifique que l'on puisse imaginer, aussi l'appelle-t-on le temple de Salomon! C'est infiniment supérieur à la maison de sa belle-fille, parce que les proportions sont plus élevées et plus grandes; le luxe y est inouï, mais de bon goût, la Renaissance pure, sans mélange d'autres styles; la galerie surtout est digne de Chenonceaux, et on aurait pu se croire à une fête des Valois. Dans le salon principal, les fauteuils, au lieu d'être en bois doré, sont en bronze doré, et coûtent mille francs pièce! La salle à manger est comme une nef de cathédrale. Le tout bien ordonné, admirablement éclairé, point de cohue et beaucoup de politesse.

Paris, 11 mars 1836.– J'ai été, hier, entendre, à Saint-Thomas-d'Aquin, l'abbé de Ravignan, jadis procureur du Roi, ami de Berryer qui le vante beaucoup, beau-frère du général Exelmans, et que j'ai connu dans les Pyrénées, où il m'avait frappée par la belle expression de sa figure. Il prêche bien, son débit est excellent, son style pur et élégant; il a plus de logique et d'argumentation que d'onction et de chaleur. Aussi s'attache-t-il plus au dogme qu'à la morale évangélique; il m'a paru être plutôt un homme de talent qu'un grand prédicateur.

Paris, 18 mars 1836.– Vous faites ma part trop belle13 à l'occasion de mes réflexions sur Bossuet. Parce que j'ai le goût du vrai, parce que le monde et les hideuses misères qu'il couvre me frappent en dégoût; parce que j'en suis arrivée à en craindre la contagion, que j'ai trop longtemps subie; parce que je me recherche avec quelque sérieux, et que je suis effrayée de me sentir plongée dans toutes les mauvaises et tristes conditions qui sont le partage des gens du monde, et au milieu desquelles l'esprit de paix, de charité et de pureté périt; parce que je fais quelques efforts pour rompre tant d'entraves et pour m'élever vers une région plus épurée, il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, mes efforts sont impuissants, mes essais inutiles, mes tentatives vaines, et que je ne sais, habituellement, si l'excès de fatigue morale qui m'accable tient au triste spectacle des déplorables agitations qui m'entourent ou à celles, non moins déplorables, que j'éprouve moi-même. Quand, après de longues années passées dans tous les embarras du siècle, on veut changer de route, quelque détourné que soit le sentier qui conduit de l'une à l'autre, on se trouve un lourd bagage: on ne sait ni avancer avec son poids, ni s'en alléger tout d'un coup; on trébuche, on revient sur ses pas; enfin, on est très mauvais marcheur, et le but s'éloigne, à mesure qu'on a un désir plus sincère de l'atteindre. Voilà où j'en suis…

J'ai eu, hier, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville, qui me plaît assez; celle du duc de Noailles, qui, sans déplaire jamais, ne plaît jamais trop; et, enfin, celle de Berryer, qui pourrait plaire beaucoup, s'il ne portait, à travers son esprit et son agrément, une certaine empreinte de mauvaise vie dont je suis frappée; du reste, la conversation a très bien marché, entre l'un qui a si bien vu, le second qui est sain dans son jugement, et le troisième qui a, dans l'esprit, le mouvement rapide avec lequel on devine tout. Cette conversation d'hommes distingués a porté uniquement sur les choses, point sur les hommes; pas un nom propre, aucun commérage, ni violences, ni aigreurs; elle a été telle que la conversation devrait toujours être conduite, surtout chez une femme.

Paris, 20 mars 1836.– Quelle profonde tristesse inspire un premier beau jour de printemps quand il fait contraste avec la disposition dans laquelle on se trouve!.. Depuis quarante-huit heures, le beau temps doux, léger et parfumé s'est emparé de l'atmosphère, tout est clair et riant, tout respire la joie, tout renaît, tout se réchauffe et s'égaye; eh bien! je me sens asphyxiée dans cette ville!.. Des promenades publiques ne sont pas la campagne et rien ne peut me rendre ce doux printemps fleuri de l'année dernière, ce vaste horizon, cet air léger, cette respiration facile! Qui le pourrait deviendrait l'objet de mon culte… Au lieu de cela, aller, en voiture fermée, au bois de Boulogne avec Mme de Lieven, quelle chute! C'est ce que j'ai fait hier, pendant que M. de Talleyrand était à l'Académie des sciences morales et politiques, donnant sa voix à M. de Tocqueville, qui a manqué son élection.

Paris, 24 mars 1836.– La princesse Belgiojoso a une figure extraordinaire plutôt que belle; sa pâleur est extrême, ses yeux trop écartés, sa tête trop carrée, sa bouche grande, et ses dents ternes; mais elle a un beau nez, et une taille qui serait jolie si elle était plus pleine, des cheveux très noirs, des costumes à effet, de l'esprit, une mauvaise tête, des fantaisies artistes, du décousu, et un assez habile mélange de naturel, qui trompe sur la prétention, et de prétention qui corrige ce que le fond de la nature me paraît avoir de vulgaire, et ce que les flatteurs appellent sauvage. Voilà ce que me semble être cette personne, que je n'ai fait que rencontrer.

M. Royer-Collard m'ayant trouvé l'autre jour lisant l'Imitation, m'en a apporté hier un joli petit exemplaire, qu'il possède depuis sa jeunesse, et qu'il a presque toujours porté sur lui. Je ne puis dire combien ce don m'a touchée, combien il m'est précieux: je ne trouve qu'un seul tort à ce petit livre, c'est d'être en latin; je n'ai jamais bien su cette langue, et je me trouve l'avoir oubliée… Je crois que je vais la rapprendre.

M. Royer m'a demandé en échange un livre que j'eusse beaucoup lu. Je lui ai donné cet exemplaire des Oraisons funèbres de Bossuet, qui porte fort mes marques, dont le signet est arraché et qui s'est trouvé, marqué par une épingle à cheveux, à un des passages les plus applicables pour moi de la princesse Palatine. M. Royer a reçu ce petit bouquin de bien bonne grâce.

J'ai été, le soir, au Théâtre italien, où Berryer est venu me faire une visite dans ma loge; il était fort occupé de la séance du matin à la Chambre des Députés et du discours formidable de M. Guizot. M. Thiers se prépare à y répondre ce matin, et cela est indispensable, à moins de laisser passer la Chambre sous le pouvoir de M. Guizot; enfin, nous allons voir la lutte corps à corps engagée entre les vrais adversaires. C'est un événement, et regardé comme tel. Berryer racontait et décrivait tout cela à merveille, sans une parole âcre pour personne, sans un mot de plus qu'il ne fallait pour l'intelligence des positions. En dix minutes, il m'avait tout appris.

Paris, 27 mars 1836.– Hier matin, j'ai eu l'honneur de voir le Roi chez Madame Adélaïde; il a eu une conversation charmante. Il a eu la bonté de me raconter son mariage, la Cour de Palerme, et la fameuse Reine Caroline. J'ai su, aussi, que le prince Charles de Naples et miss Pénélope arrivaient ici dans deux jours, pauvres comme des gueux. Cette arrivée est un embarras, et une sorte de honte, surtout pour la Reine14.

J'ai raison de croire que si Thiers n'a pas répondu immédiatement l'autre jour au grand discours de Guizot, cela a été par mesure de prudence, et par docilité à des ordres supérieurs; mais il ne perdra rien pour attendre, et, à la prochaine occasion, nous verrons éclater une grosse bombe. Il me paraît qu'on n'a pas voulu placer la question comme un duel entre deux individus, et qu'on a préféré laisser éventer un peu l'effet de l'un avant de le combattre. D'ailleurs, une énorme majorité a répondu à l'effort du moment; il est seulement fâcheux qu'il y ait autant de concessions dans le discours de M. Sauzet et j'ai vu des mécontentements prononcés et élevés à ce sujet.

M. de Tocqueville, que M. Cousin avait, à son insu, présenté à l'Académie des sciences morales et politiques, m'a dit avoir déclaré ne pas vouloir qu'il fût question de lui sur de nouveaux frais. Il ne se soucie pas, lui, petit-fils de M. de Malesherbes, de siéger à côté de conventionnels, car cette Académie est, en général, fort mal composée.

Paris, 29 mars 1836.– Il est certain que toute idée d'intervention en Espagne est abandonnée par tous les divers degrés de la hiérarchie gouvernementale; les uns ne l'ont jamais eue, les autres ne l'ont plus. Je ne crois pas qu'il y ait la plus petite imprudence à craindre de ce côté!

Il n'est bruit que d'une conversation entre le Roi et Guizot, dans laquelle le Roi aurait, d'une manière très animée, montré son mécontentement des dates auxquelles on s'efforce de rattacher le système du bon ordre. Le Roi a dit que ce système n'était pas celui de tel ou tel, mais le sien, et qu'il ne reconnaissait qu'une seule date, la sienne, celle du 9 août. Il a ajouté que c'était mal agir que d'attaquer le seul Cabinet qui, pour le moment, pouvait avoir la majorité. A quoi Guizot a répliqué que si le Roi voulait en essayer, il verrait que la majorité était ailleurs. «Non pas», a repris le Roi, «c'est vous, Monsieur, qui êtes dans l'illusion, et qui ne sentez pas que la marche que vous suivez vous éloigne des affaires plus qu'elle ne vous en rapproche; vous arriverez peut-être, en la continuant, à me pousser à ce qui me répugne, mais à ce qui, assurément, vous déplairait encore plus, c'est à une dissolution de la Chambre, pensez-y bien.» Je crois que cette conversation est textuelle et qu'elle fera un peu plus regarder à ce qu'on dira ou fera, d'autant plus que les doctrinaires, sachant très bien qu'ils n'ont pas de chances pour être réélus, trembleront devant la dissolution.

M. de Chateaubriand a vendu ses œuvres, inédites et futures, 150 000 francs comptant, plus une rente viagère de 12 000 francs, réversible à sa veuve. On dit qu'il est tout dérouté depuis qu'il a payé ses dettes; son avenir, arrêté et limité d'avance, lui paraît un poids. Tout ce qu'il écrira, même en dehors de ses Mémoires, appartiendra à ses éditeurs, moyennant un prix réglé dès aujourd'hui. Tous les cahiers de ses Mémoires ont été solennellement renfermés, en sa présence, dans une caisse de fer déposée chez un notaire. Il dit que ses pensées ont été mises en prison pour dettes, à sa place.

Paris, 30 mars 1836.– Il est bien vrai que j'ai plus entendu de musique cette année que par le passé. Privée de toutes les jouissances qui me sont chères, je me suis livrée, avec vivacité et sans scrupules, à celles de la musique, recherchant les occasions de l'entendre et y prenant plaisir. A mesure que le nombre des années ou les circonstances diminuent le nombre des goûts, ceux qui restent s'accroissent de ceux qui partent; les affections héritent de la coquetterie, la musique de la danse; la lecture, la méditation, des conversations oiseuses, malignes ou indiscrètes; la promenade des visites, et le repos de l'agitation.

Paris, 10 avril 1836.– J'ai mené Pauline, hier au soir, à une loterie de charité chez la duchesse de Montmorency, où il y avait foule; tout le haut faubourg Saint-Germain, et jusqu'à la duchesse de Gontaut, l'ancienne gouvernante du duc de Bordeaux, qui, du reste, s'est exécutée et m'a saluée très poliment. Pauline s'est amusée comme on s'amuse à quinze ans, c'est-à-dire de tout. Elle était fort en beauté, coiffée bien simplement, mais enfin coiffée par le grand Édouard, une robe bleu de ciel, fraîche comme une rose, avec un joli maintien, tranquille, naturelle, sa petite mine bienveillante; enfin, elle a eu succès et approbation. Cela m'a mise de très bonne humeur pour tout le monde; toutes les petites blessures que tel ou tel m'a faites jadis s'effacent par un mot agréable ou un regard bienveillant adressé à Pauline. Il vaut assurément mieux ne s'être pas mis en hostilité avec le monde, mais quand on a eu ce tort ou ce malheur, se réconcilier par sa fille est parfaitement doux.

J'ai des lettres d'Angleterre qui me disent que la duchesse de Gloucester est devenue la plus heureuse personne du monde: elle a lady Georgiana Bathurst comme dame d'honneur, elle reçoit tous les soirs, c'est le rendez-vous des High-Tories: il s'y dit toutes les nouvelles, il s'y fait maints commérages dont la Duchesse régale le Roi chaque matin. Le Roi d'Angleterre ne voit ses Ministres que pour affaires; il n'a, avec eux, aucune communication sociale. Lord Melbourne n'y regarde pas, ne se plaint pas, va son train sans fatiguer le Roi de ses plaintes: c'est un assez bon plan, ce me semble.

J'ai été, hier matin, grâce à un billet privilégié que j'ai fait demander à M. l'Archevêque, entendre la clôture des conférences de l'abbé Lacordaire à Notre-Dame. Il part, aujourd'hui, pour Rome, et restera deux ans absent. Il y avait, certainement, cinq mille personnes dans l'église, presque tous jeunes gens des écoles. Parmi les hommes qui sont arrivés avec l'Archevêque, et qui par faveur ont été placés dans le banc de l'Œuvre, j'ai reconnu le marquis de Vérac, le duc de Noailles, M. de Tocqueville. J'étais précisément derrière ce banc, avec une cinquantaine de dames dont je ne connaissais pas une; j'étais en face de la chaire et je n'ai rien perdu. Beaucoup d'imagination, de verve, et une tout autre langue que celle des séminaires, distinguent l'abbé Lacordaire, qui est jeune et qui a un bon débit; mais j'ai trouvé du pêle-mêle, un peu trop de hardiesse dans les images, et une doctrine dans laquelle la belle et humble théorie de la grâce n'avait nulle part sa place. Il me semble que saint Augustin, ce grand apôtre de la grâce, y aurait trouvé à redire. A tout prendre, j'ai été intéressée et frappée de l'aspect attentif de l'auditoire. L'Archevêque a clos la conférence par des remerciements et des adieux convenables au jeune prédicateur, et par une bénédiction motivée, simple et douce, pour tout l'auditoire, reçue avec un respect étonnant de la part de tous ces jeunes gens. Il est vrai de dire que, quand l'Archevêque ne se lance pas dans les lieux communs du séminaire, ni dans la politique, il peut, avec sa noble figure, ses gestes et son ton affectueux, dans cette belle cathédrale, sur ce siège exhaussé d'où il découvrait toute cette jeunesse, produire, comme il l'a fait hier, un effet imposant et touchant. M. de Tocqueville, qui est venu chez moi à la fin de la matinée, en était encore tout ému.

Paris, 13 avril 1836.– Il y a un grand départ pour Prague de MM. Hyde de Neuville, de Jumilhac, de Cossé, Jacques de Fitz-James, de Montbreton, allant demander M. le duc de Bordeaux à Charles X, et, sur son refus, décidés à l'enlever; se flattant du concours du jeune Prince, voulant l'établir en Suisse, l'y faire élever et le rapprocher ainsi, de toutes manières, de la France; ce projet, fort peu sensé en lui-même, est rendu plus absurde encore par les vanteries qui l'ont précédé et le bruit qu'on en a fait. Un autre projet, dont la police est informée, c'est celui d'enlever un des jeunes Princes de la famille royale ici et de le garder pour otage. Le Ministre de l'Intérieur en est assez en émoi.

Paris, 21 avril 1836.– Un courrier, arrivé hier de Vienne, a apporté une réponse conçue dans les termes les plus gracieux aux insinuations faites sur le voyage que M. le due d'Orléans désire faire en Autriche. Ce qui avait été évité sous M. de Broglie a été accueilli sous M. Thiers pour lequel, personnellement, la réponse est fort aimable. On attend, ces jours-ci, quelque chose d'analogue de Berlin. Le départ du Prince, et de son frère M. le duc de Nemours, est fixé au 4 mai, mais cela ne sera publié que dans cinq jours, c'est-à-dire au retour de Chantilly. On doit revenir par Turin. La Cour de Sardaigne, qui sent bien qu'il lui faut un appui, paraît disposée, après de longues hésitations, à le chercher en France. Mon fils Valençay accompagnera les Princes: il sera le seul, non attaché à leur maison, qui sera du voyage; on voulait lui donner un titre, des fonctions, je n'en ai pas voulu, mon fils n'en ayant pas besoin pour être bien traité partout.

Hier à dîner, chez M. de Talleyrand, il s'est établi une certaine lutte entre M. Thiers et M. Bertin de Veaux, qui a juste, ce me semble, tourné en sens inverse de ce qu'on souhaitait; au lieu d'une explication douce, c'est devenu un duel. J'étais sur le gril, et enfin j'ai rompu, presque brutalement, le combat, ce dont je crois que tout le monde m'a su gré; je l'aurais fait plus tôt, si je n'avais pas trouvé que c'était à M. de Talleyrand de le faire, mais il n'a pas même cherché à détourner la conversation. Bertin de Veaux donnait des coups de boutoir; Thiers a été longtemps doux comme un mouton, mais enfin, excité aussi, il a monté le ton. On en est venu à se donner des défis politiques.

Paris, 23 avril 1836.– Mrs Norton a écrit une lettre à M. Ellice qui est une espèce de factum, qu'elle lui envoie avec mission de le communiquer à ses compatriotes du Continent. Je l'ai lue; elle ressort, de cette vilaine histoire, pure comme Desdemona, s'il faut l'en croire15; je le veux bien, cela m'est égal. Le tout me paraît bien vulgaire et de bien mauvais genre.

La duchesse de Coigny, qui a toujours été accoucher en Angleterre pour n'y mettre au monde que des filles, devait partir aujourd'hui pour faire de nouvelles couches à Londres; mais, s'étant trompée dans ses calculs, elle est accouchée hier d'un gros garçon… C'est un rude désappointement.

Paris, 26 avril 1836.– Les revenants de Chantilly ne tarissaient pas, hier, sur la beauté du lieu, la quantité de monde, le mouvement des courses, le brillant de la chasse, et, pour ceux qui étaient au Château, sur la grâce du Prince Royal. Les Anglais disent que, si ce n'est sous le rapport des courses en elles-mêmes, qui cependant sont fort bien, sous tous les autres rapports, ces trois jours de Chantilly l'emportent de beaucoup sur Ascot, Epsom et toutes les autres parties de ce genre en Angleterre.

La chasse s'est faite avec l'équipage du prince de Wagram, elle a été suivie par quatre cents jeunes gens, dont trente seulement sont arrivés à la mort du cerf.

Le Prince Royal part le 3 ou le 4, et ira d'un trait à Metz pour visiter l'École d'artillerie; il ne veut s'arrêter à aucune petite Cour, il les évitera toutes avec soin, en prenant toutes sortes de routes peu usitées, sous le prétexte qu'elles sont plus directes.

J'ai dîné, hier, chez Mme de la Redorte, avec quelques personnes, parmi lesquelles se trouvait le général Alava, qui racontait le duel entre Mendizabal et Isturitz, où ni l'un ni l'autre n'avait été touché.

Il avait l'air de croire à une crise ministérielle, à Madrid, qui pourrait bien atteindre sa position diplomatique.

Alava est tellement extravagant, qu'étant chez M. Dupin à une des réceptions de Députés, le maître de la maison lui demanda, en frappant sur l'épaule de M. Berryer s'il connaissait ce Député, et Alava de s'écrier: «Oui, certainement, je connais M. Berryer, et je partage toutes ses opinions

Paris, 27 avril 1836.– Le Prince Royal passe par Verdun, Metz, Trêves, Dusseldorf, Hildesheim, Magdebourg, Potsdam et Berlin. Tous les ministres de Saxe, de Hanovre, de Bavière sont venus lui faire des invitations pressantes de la part de leurs souverains pour qu'il voulût bien s'arrêter chez eux. Cela a été décliné sous le prétexte du manque de temps, mais, au fait, par un peu de rancune contre les longues impertinences et injures de Munich; et, refusant l'un, il n'y avait pas moyen, sans hostilité évidente, d'accepter les autres. On regrette cependant de brûler Dresde, dont on a toujours eu à se louer. De Berlin, on ira par Breslau et Brünn à Vienne.

J'ai eu entre les mains, il y a quelques jours, quelques volumes des Essais de morale de Nicole dont Mme de Sévigné nous donne la curiosité. C'est, sans doute, excellent, mais je crois qu'il faut être encore un peu plus avancé que je ne suis pour l'admirer vivement. J'y trouve une certaine sécheresse austère, qui me repousse un peu. Au lieu de tant de traités, j'aime mieux cette touchante parole de saint Augustin: «Si vous avez peur de Dieu, jetez-vous dans les bras de Dieu.» J'arriverai cependant peut-être à goûter Nicole, les goûts de l'esprit changent avec les modifications d'âge et de position.

Paris, 28 avril 1836.– Pozzo a reçu l'Ordre de Saint-André, en diamants, mais en même temps, un congé illimité pour voyager en Italie! Je pense qu'il passera bientôt par ici.

Le voyage du Prince Royal est avancé d'un jour, il part le 2. On sera dix jours pour arriver à Berlin, parce qu'on couchera chaque nuit, qu'on ne fera pas de trop grandes journées, qu'on veut arriver frais et dispos et d'humeur à affronter toutes les fatigues militaires, les manœuvres, les fêtes et autres devoirs. Je trouve cela fort sage. Le Prince Royal a été formellement invité aux manœuvres de Berlin. Sa réception ne peut donc être que bonne. Cette invitation a bien été provoquée, mais enfin c'est une invitation; dès lors on ne peut accuser ni d'importunité, ni de témérité. M. le duc et Mme la duchesse d'Angoulême auront quitté Vienne tout naturellement quand les deux Princes y arriveront.

J'ai été hier soir chez Mme la comtesse de Castellane à une lecture faite par M. de Rémusat de scènes historiques dans le genre des Barricades: la Saint-Barthélemy en est le sujet. Il y a de l'esprit, de la verve, et, à ce que l'auteur assure, beaucoup de recherches historiques, mais c'est tellement long qu'il a fallu remettre à mardi pour entendre la seconde partie. C'est chose fatigante que d'assister à une lecture…

Paris, 1er mai 1836.– C'était hier le bal de Pauline, il était joli et a supérieurement réussi: point de foule, beaucoup de lumières, de jeunes et jolies personnes bien gaies, de jeunes messieurs polis et en train de faire danser les demoiselles; très bon air, très bon ton, et un choix exquis de beau monde; pas précisément d'exclusion, mais le faubourg Saint-Germain dominait. Ma cousine de Chastellux, par exemple, s'est exécutée; enfin, j'ai été très satisfaite de notre petit succès et de la joie de Pauline.

Paris, 2 mai 1836.– Il est arrivé hier des nouvelles de Berlin, qui parlent de tous les préparatifs de réception qu'on fait pour les jeunes Princes. Le Roi a dit qu'ils seraient reçus comme l'est l'Empereur son gendre. Ils demeureront au Vieux Palais. Une heure après leur arrivée, tous les Princes viendront leur faire la première visite; enfin, tout cela se passera le mieux du monde. Les carlistes en sont écrasés, les violents en sont malades, les modérés en jettent de tendres regards sur le château des Tuileries, et hier, M. de Chabrol, l'ancien ministre de la Marine, et M. Mounier ont été au Château. M. de Noailles en ferait bien autant, sans sa femme, qu'il considère beaucoup, avec raison, car c'est une personne d'un grand mérite, mais qui est très violente dans ses opinions politiques.

Paris, 4 mai 1836.– J'ai été hier entendre la fin de la Saint-Barthélemy par M. de Rémusat16. Il y a beaucoup d'esprit et de talent, mais je le répète, le genre est faux et un beau récit historique m'intéresserait davantage.

J'ai vu M. Royer-Collard, et ensuite M. Thiers. Le premier disait que dans la querelle Dupin les doctrinaires sont décidément battus, la Chambre s'étant prononcée contre eux. Le second est fort content, notamment de ses rapports avec l'ambassadeur de Russie et la Cour de Saint-Pétersbourg qui commence à s'amadouer. Je crois qu'il est en train d'une autre réconciliation qu'il croit plus importante, celle avec Bertin de Veaux; ceci est encore le secret des secrets.

Paris, 6 mai 1836.– La mort du bon abbé Girolet m'affecte beaucoup. Il a suivi le beau précepte de Bossuet, et la seule précaution qu'il ait prise contre les atteintes de la mort a été l'innocence de sa vie; car tous ses intérêts ont été tellement négligés qu'il me laisse des affaires embrouillées, embarrassées, et qui exigent ma prompte arrivée à Rochecotte. Je pars après-demain. On m'attend pour lever les scellés. Le testament par lequel il me laisse tout a été trouvé, mais ce tout, où est-il? Quel est-il? C'est ce qu'on ignore, et on craint qu'il n'y ait plus de dettes que d'avoir, ce qui m'empêcherait d'établir les fondations que je lui ai promis de faire, après sa mort. Je vais trouver un vide bien sensible à Rochecotte; je n'y serai plus saluée par ce doux regard qui se fixait si affectueusement sur moi. Puis quels tristes détails!

Rochecotte, 10 mai 1836.– Il ne faut rien me demander de bien intéressant de ce petit coin retiré du globe, où je ne puis me vanter que de repos, de silence et de solitude, trois bonnes conditions, auxquelles je suis d'autant plus sensible que je sors, comme dit l'Imitation, «de ce commerce tumultueux des hommes, qui engage la vanité même, avec des intentions simples, et qui finit par asservir l'âme».

J'ai passé ma soirée à faire, avec M. Vestier, mon bon architecte, des plans et devis pour le tombeau de l'Abbé et pour le mien. Cela se fera tout simplement dans le cimetière de la paroisse, en haut de la côte, dans cette belle vue, dans ce bon air, regardant le soleil levant. Des tombes bien simples, entourées d'arbustes, garanties par une grille en fer; les noms et les dates, voilà tout. Sa dernière demeure sera simple, comme était son âme, et comme le deviendra la mienne, je l'espère. Il est si rare que les volontés des hommes soient exécutées après leur mort, qu'il faut, de son vivant, prendre l'initiative le plus qu'on peut. J'ai eu beaucoup de peine à décider Vestier à ce petit travail; il dit que c'est horrible d'exiger qu'il creuse ma tombe, et le pauvre garçon s'est mis à pleurer. Il a fini par céder, car il m'est docile17.

Rochecotte, 13 mai 1836.– J'ai reçu, hier, une lettre fort longue de mon fils Valençay, écrite de Coblence: les honneurs rendus aux Princes étaient grands; M. le duc d'Orléans invitait, partout, à dîner, les autorités chargées de lui faire accueil; il leur parle l'allemand avec une facilité qui a beaucoup de succès. Dans chaque ville, la musique des régiments joue constamment sous les fenêtres des Princes; enfin toutes les attentions convenables.

Valençay, 18 mai 1836.– Je suis ici depuis avant-hier. J'y attends M. de Talleyrand et Pauline demain.

Je lis une relation des principales religieuses de Port-Royal sur leur réforme, conduite par la mère Marie-Angélique de Sainte-Madeleine Arnauld et sur leur persécution du temps de leur célèbre Abbesse, la mère Angélique de Saint-Jean Arnauld, nièce de la première et fille de M. d'Andilly. C'étaient de grandes âmes et des esprits bien fermes; et que de détails singuliers! Quelle race que ces Arnauld, et M. Nicole, et l'abbé de Saint-Cyran! On retrouve tous ces noms dans Mme de Sévigné. Son ami M. de Pomponne était Arnauld, fils de M. d'Andilly. Cette famille était tout à part, même dans son propre temps, puisqu'on disait que Pascal était tout petit devant Antoine Arnauld! Cela ne donne-t-il pas l'idée de géants? Géants à leur époque, que paraissent-ils être maintenant?

Valençay, 22 mai 1836.– J'ai eu, hier, une lettre de mon fils Valençay, de Berlin. Il est enchanté, et il a raison de l'être, car outre la satisfaction générale du voyage, il est traité avec une bonté particulière qui le touche et me pénètre, parce que c'est à mon intention. Le Prince Royal lui a dit qu'il m'avait toujours regardée comme sa sœur, qu'il le traiterait en neveu, que ma lettre était charmante, mais qu'il lui reprochait de ne pas assez sentir die Kinderstube18. La duchesse de Cumberland et ma marraine, la princesse Louise19, ont été maternelles, la Reine des Pays-Bas bien douce aussi; M. Ancillon, M. de Humboldt, la comtesse de Redern, excellents. M. de Valençay m'assure que le Prince Royal de Prusse n'a été ni froid ni répulsif dans son accueil à M. le duc d'Orléans, mais très obligeant et cordial au contraire; la Princesse Royale charmante, ainsi que la princesse Guillaume la jeune; toutes les autres très convenables; les populations, tout le long des routes très bien, mais nos Princes d'une prudence parfaite. On a eu quelque peine à faire quitter aux jeunes Français militaires la décoration belge; Mgr le duc d'Orléans voulait qu'ils ne la portassent pas du tout à Berlin, mais ils ont fait les farouches, et, enfin, on s'est borné à obtenir qu'ils l'ôteraient devant la Reine des Pays-Bas20. Il est arrivé à Berlin un courrier avec une lettre pressante du Roi de Saxe pour inviter les Princes à passer par Dresde. Je ne sais si cela changera l'itinéraire. Les deux Princes voyageurs ont été le dimanche à l'église catholique de Berlin, ce qui est très bien et d'un bon effet.

Valençay, 23 mai 1836.– Voici comment s'est passée la journée d'hier, qui était la Pentecôte. Elle donnera une idée de notre vie habituelle ici. D'abord, la grand'messe à la paroisse; l'office a duré deux grandes heures, grâce à un sermon de M. le Curé, d'autant plus soigné qu'il m'a vue dans le banc du château. La chaleur était extrême, l'odeur désagréable, l'encombrement presque comme à Saint-Roch. J'y ai pris un grand mal de tête, qui s'est un peu dissipé pendant une longue promenade en calèche, que j'ai faite avec M. de Talleyrand aux étangs de la forêt de Gâtines.

Plusieurs personnes de la ville ont dîné chez nous. J'ai un peu marché après dîner, pendant que Pauline faisait la promenade en calèche avec son oncle, puis j'ai écrit jusqu'à neuf heures que part la poste et que M. de Talleyrand est rentré. La lecture des journaux, le thé et le piquet ont fini la journée.

Je les trouve bonnes quand je n'ai pas eu d'alerte pour la santé de M. de Talleyrand, et, en me couchant, j'en rends grâces à Dieu. Le plus ou moins d'amusement, d'intérêt, d'agrément, je n'en suis plus à y regarder; tout cela reviendra peut-être un jour; maintenant que M. de Talleyrand et mes enfants se portent bien, et que j'ai l'esprit assez libre et l'humeur assez aimable pour rendre la vie douce et facile à ce qui m'entoure, je n'en demande pas davantage. Le jour où on est arrivé à faire très sincèrement abnégation totale de soi, on trouve tout léger, et au lieu de ce vol bas et pesant de l'égoïsme, on s'élève d'un vol rapide, à ailes étendues, et on y trouve du plaisir. Ce n'est que quand je vois la maladie s'abattre et menacer les miens, que je perds le courage et l'équilibre, car je ne suis qu'à ce début de la résignation où on se porte en sacrifice soi-même, en tribut au ciel. Je doute que j'y parvienne jamais! Mais quittons ce sujet, on me croirait dévote comme une dame du faubourg Saint-Germain! Je suis bien loin de là; ce n'est jamais ce que je serai précisément; j'ai une indépendance d'esprit qui ne me permettra guère de suivre la route frayée, et de m'astreindre à de certaines pratiques, allures et observances; mais il serait difficile aussi qu'avec mon goût naturel pour les bons livres, avec la disposition sérieuse de mon esprit, mon expérience de tant de choses, et la sincérité de mes jugements sur moi-même, je ne finisse pas par puiser à la seule source intarissable!

L'hôtel Carnavalet est à vendre; la mise à prix est de cent quarante mille francs; si j'osais, je l'achèterais; réellement, j'en suis extrêmement tentée.

Valençay, 26 mai 1836.– La correspondance entre M. de Talleyrand et Madame Adélaïde est toujours animée et très affectueuse, ce qui ne laisse pas de me donner un peu de besogne.

Voici ce que les lettres d'hier, de Paris, ont fourni:

Alava est accablé, c'est Miraflorès qui s'annonce comme son successeur; Alava dit que les affaires de son pays le mettent au désespoir. En effet, les journaux mentionnent des choses singulières dans l'Assemblée des Procuradores, et quelle confusion que toute cette affaire du changement des Ministres! Il y a des personnes qui se disent bien informées, et qui assurent qu'Isturitz, pour se tirer d'embarras, ne serait pas éloigné de s'entendre avec don Carlos et de faire le mariage de la Reine Isabelle avec son cousin.

Lady Jersey a donné ordre qu'on lui envoyât copie de sa correspondance avec lady Pembroke. Il paraît que c'est au delà de tout ce qu'on peut imaginer, en style de servante. Elle veut aussi que M. de Talleyrand lise tous ces factums.

J'ai une lettre de la princesse Louise de Prusse, ma marraine, extrêmement favorable pour les jeunes Princes français. La princesse Louise est une femme d'esprit, et d'un jugement naturellement ironique et sévère, ce qui donne encore plus de prix à son appréciation. M. de Valençay m'écrit qu'il a été frappé de la beauté des Princesses, de leurs pierreries et de l'élégance de leur toilette. M. de Humboldt avait conduit les Princes et leur suite voir les musées et les ateliers d'artistes. Le Prince Royal de Prusse, qui a le goût des arts, a donné, à cet égard, un grand élan à Berlin. M. le duc d'Orléans a fait une chose qui a plu beaucoup, c'est de commander une statue à Rauch, le premier sculpteur de la Prusse et le protégé du Roi.

La timidité de la Reine des Pays-Bas est encore plus grande que celle du duc de Nemours. Cette disposition semblable les a rapprochés, car on assure que la Reine a pris le jeune Prince en amitié et qu'il y a, entre eux, de longues conversations.

Valençay, 29 mai 1836.– J'ai lu, hier, la nouvelle pièce de M. Casimir Delavigne, Une famille au temps de Luther. Il y a de beaux vers, mais rien n'est moins fait pour la scène, et plus froid que ces discussions théologiques, même lorsqu'elles finissent par un crime; et puis, on est un peu fatigué de ces formes de fanatisme, qui ne sont plus de notre temps. Enfin, on est las même de l'horrible boucherie de la Saint-Barthélemy, et la meilleure preuve qu'elle a perdu son horreur, aussi bien que les atrocités des Atrides, c'est qu'on les chante et qu'on les danse!

Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que la princesse Royale de Prusse a écrit à sa mère, la Reine douairière de Bavière, qu'elle était forcée de convenir de la distinction des Princes français et que c'était un bien bon ami du Roi Louis-Philippe qui leur avait donné le conseil de se montrer.

Voilà le Roi de Naples parti de chez lui, les uns disent pour aller épouser une princesse de Modène, d'autres, pour faire sa cour à la fille de l'archiduc Charles, et d'autres enfin pour venir regarder les jeunes Princesses à Paris.

Le Roi fait faire pour Valençay un portrait en pied de François Ier, qui a bâti le château, et un autre de la Grande Mademoiselle, qui y est venue, et qui l'a loué dans ses Mémoires. Le Roi envoie aussi à M. de Talleyrand le fauteuil qui servait à rouler Louis XVIII et il nous a fait dire par Madame que, s'il allait à Bordeaux, ce qui serait possible, il passerait ici.

Valençay, 31 mai 1836.– Il paraît que ni l'esprit ni l'âge ne mettent à l'abri des folies: celle de M. Ancillon en épousant Mlle de Verquignieulle en est une grande, d'après ce que l'on écrit de Berlin. M. de Valençay me mande aussi que la fête donnée par M. Bresson21 et à laquelle le Roi de Prusse a assisté, a été fort brillante: tous les valets étaient en grande livrée, bleu, rouge et or, et Bresson lui a dit: «Ce sont mes couleurs.» Cela n'est-il pas amusant et digne du temps actuel? «A la bonne heure!» comme dit M. de Talleyrand.

Valençay, 1er juin 1836.– Les jeunes Messieurs français qui étaient allés à Prague sont revenus; ils y sont restés fort peu. Ce qui les a frappés le plus, c'est l'atmosphère d'ennui au milieu de laquelle on doit y vivre. Ils ont trouvé un très bon visage au duc de Bordeaux, mais la taille peu agréable, l'esprit peu développé, comme celui d'un enfant élevé au milieu de vieillards.

A un dîner, donné le 22 mai aux deux Princes français chez le Prince Royal de Prusse, la princesse Albert22, à la grande rage de Bresson, au grand mécontentement du Roi et au grand effroi de tous les assistants, avait paru avec une énorme guirlande de lys dans ses cheveux; jusque-là, cependant, elle avait été convenable.

Les cadeaux faits par M. le duc d'Orléans à Berlin ont été énormes; tant en argent qu'en diamants, cela a été de plus de cent mille francs!.. plutôt trop que pas assez. Le prince Wittgenstein a reçu une boîte, non seulement avec le portrait du Prince Royal, mais encore avec ceux du Roi et de la Reine. Ceci est une attention très marquée. M. Ancillon, bardé de la grande croix de la Légion d'honneur, se boursouflait et se pavanait. Il avait l'air de vouloir marcher sur le corps de tout le monde. Bourgeois et calviniste; cela s'explique.

On se quitte s'adorant, les uns aimant les Princes comme leurs fils, les autres comme des frères, enfin, jamais succès n'a été plus complet; toutes les femmes sont frappées de la beauté de M. le duc d'Orléans. Mes autorités ne sont pas suspectes, car ce n'est pas seulement M. de Valençay que je cite, mais encore d'autres lettres arrivées ici hier, et de Berlinois même. L'accident, qui a failli arriver au duc d'Orléans à la manœuvre, tenait à des politesses qu'il faisait aux Princesses, près desquelles il caracolait, c'est dans ce moment-là qu'il a failli être renversé, mais l'adresse avec laquelle il s'en est tiré lui a valu force compliments, et, à ce sujet-là, voici ce que m'écrit la duchesse de Cumberland: «Jugez ce que nous serions devenus, s'il lui était arrivé du mal; je voudrais laisser mon corps malade dans mon lit, et me transformer en ange gardien, pour planer sur eux pendant leur séjour à Berlin, et répondre ainsi à la confiance de votre Reine, qui, dans une lettre charmante, m'a priée de traiter ses fils comme les miens.»

Le jour où nos Princes ont reçu le Corps diplomatique, M. de Ribeaupierre, le ministre de Russie, s'est fait excuser, sous prétexte d'une joue enflée. Contre l'ancienne étiquette de Berlin, tout le Corps diplomatique a été invité à un bal chez le prince Guillaume, frère du Roi. Voici aussi ce qu'on m'écrit: «La fête donnée à la mission de France, par ordre du Roi Louis-Philippe, a très bien réussi; les Princes français ont eu le tact parfait d'en faire eux-mêmes les honneurs, et ont reçu le Roi et les Princesses au bas de l'escalier.»

Valençay, 2 juin 1836.– La princesse de Lieven est arrivée hier ici, assez languissante. Elle est établie et soignée du mieux que nous pouvons, mais j'ai déjà, vers le soir, cru sentir qu'elle avait le pressentiment de s'ennuyer, et que si ce voyage était à refaire, elle hésiterait. Je le conçois. Elle n'aura ici ni nouvelles, ni lanterne magique humaine, deux choses de première nécessité dans sa vie. La nouveauté des objets matériels, les souvenirs, les traditions historiques, les beautés du site, la vie intérieure domestique, la lecture, la réflexion, l'ouvrage, rien de tout cela n'est à son usage, et Valençay n'a jamais été plus réduit, sous d'autres rapports, qu'en ce moment.

Les vers que M. de Peyronnet m'a adressés ne sont pas bien bons, mais ce point est insignifiant dans la question et la circonstance actuelles. Pendant l'hiver, j'ai fait beaucoup de démarches pour ces pauvres gens, et j'ai obtenu, pour le plus malade, M. de Peyronnet, des adoucissements matériels qui lui ont été très agréables; j'espère mieux encore, tout de suite après la session. C'est cette œuvre de charité qui m'a valu les vers en question23.

Ma sœur m'écrit de Vienne pour me dire qu'on y fait les plus grands préparatifs pour recevoir les Princes français, Paul Esterhazy surtout: ils auront une fête chez lui à Eisenstadt. Malheureusement, il y a déjà beaucoup de monde à la campagne, et beaucoup de deuils.

Valençay, 4 juin 1836.– Le temps, qui était mauvais depuis deux jours, s'est un peu remis, hier, avant midi, ce qui nous a heureusement permis de promener Mme de Lieven dans la forêt, la garenne, les carrières, etc. Mais le soir, M. de Talleyrand a eu une palpitation, légère à la vérité, mais enfin l'ennemi se montre toujours. Mme de Lieven bâillait, et quels bâillements!.. La pauvre femme s'ennuie! Je le comprends très bien et je le lui passe. Le fait est qu'il faudrait une toute autre disposition d'esprit que la sienne, des habitudes toutes différentes, pour se tirer de notre solitude actuelle et du grave et du terne que l'état moral et physique de M. de Talleyrand donne à cette maison-ci. Du reste, la Princesse n'est pas un hôte facile pour l'établissement matériel: elle a déjà changé deux fois de chambre et veut maintenant revenir à la première qu'elle a occupée et dans laquelle se trouve le lit de Mme de Staël. Lady Holland ne nous aurait pas donné plus de peine; aussi Pauline dit-elle que la Princesse is rather whimsical!24.

Il a paru à Londres une caricature sur lord Melbourne et Mrs Norton, et cela le jour même de l'éclipse; elle représente le soleil et Mrs Norton, la lune qui passe sur lui, et au-dessous est écrit: éclipse. Cela s'applique au procès scandaleux que M. Norton a intenté à sa femme, et dans lequel lord Melbourne se trouve si désagréablement compromis.

Valençay, 5 juin 1836.– La pauvre princesse de Lieven s'ennuie et est singulièrement naïve à ce sujet, car elle m'a demandé hier, comme une personne qui se parle à elle-même, pourquoi nous l'avions invitée dans un moment où nous n'avions personne. Je me suis mise à rire, et lui ai répondu fort doucement: «Mais, chère Princesse, c'est vous-même qui avez eu la bonté de désirer venir; nous avons invité la terre entière, mais la session n'étant pas finie, les Diplomates, les Pairs, les Députés, ne peuvent quitter Paris. – C'est vrai,» a-t-elle répondu; puis, plus tard, ayant vu que M. de Sercey venait d'arriver à Paris, elle a eu un grand élan de regret de ne pas s'y être trouvée pour le questionner; elle a dit aussi que son salon eût été bien intéressant, le soir, pendant la discussion du budget des Affaires étrangères. J'aime les personnes naïves, parce qu'avec elles, du moins, on sait exactement où l'on en est.

Valençay, 10 juin 1836.– La princesse de Lieven a reçu hier des lettres de son mari qui lui disent qu'on lui a rendu, à elle, de très mauvais offices auprès de l'Empereur Nicolas. On a transmis à Saint-Pétersbourg des conversations et des discours entiers, soi-disant tenus par la Princesse, qui sûrement sont faux; car elle est bien zélée pour le service du maître; mais quand on parle beaucoup et qu'on voit toute espèce de monde, on finit toujours par être compromis. Cela agite beaucoup la Princesse.

Il est parfaitement certain que le Prince d'Orange donne des symptômes de folie, et cela par une avarice tellement sordide que sa femme et ses enfants manquent de nourriture à table; il a lui-même la clef du garde-manger, et la Princesse se fait acheter en secret, par sa femme de chambre, quelques côtelettes. On dit le fils ainé un vilain petit sujet: à Londres, où il est maintenant, avec son frère cadet, on les appelle unripe oranges25. Les Hollandais sont, dit-on, très effrayés de leur avenir, et font des vœux pour la prolongation de la vie du Roi actuel.

Valençay, 13 juin 1836.– J'ai eu, hier, une longue lettre du Prince Royal de Prusse, dans laquelle il y a une phrase fort bonne sur les Princes français et sur le Roi leur père, avec un correctif anti-révolutionnaire qui donne le cachet de ses véritables opinions. Cette lettre est curieuse. J'en ai une aussi de M. Ancillon, sans correctif, et la plus laudative, sur les voyageurs, sur l'union, sur la paix, sur M. de Talleyrand. Elle est curieuse aussi. Enfin, j'en ai deux, très longues, de M. de Valençay, écrites de Vienne; il s'était arrêté à Günthersdorff, dont il me parle en détail26. A Vienne, il avait vu, chez sa tante de Sagan, le comte de Clam, par lequel il avait su qu'on avait été fort content de la première entrevue; que nos Princes avaient dit tout ce qu'il convenait de dire. L'archiduchesse Sophie s'est souvenue fort gracieusement de moi, et a très bien traité mon fils. Il trouve que les Princesses autrichiennes n'ont pas la grâce et la distinction qui sont si remarquables chez les Princesses de la famille royale de Prusse. La princesse de Metternich était à la première soirée de M. et Mme de Sainte-Aulaire: elle y a été fort convenable et y est restée fort tard; M. le duc d'Orléans ne lui a parlé que pendant cinq minutes, et de… l'homéopathie! Elle méritait une petite leçon27.

Il paraît que la grande réception diplomatique de la noblesse et de la garnison a été superbe. Ce qui a surtout charmé M. de Valençay, c'est la course à Bade, chez l'archiduc Charles, qui lui a parlé en très bons termes de M. de Talleyrand. L'Archiduc a fait, à tous les Français, l'accueil le plus cordial; on a dîné avec l'archiduchesse Thérèse, qui, d'après M. de Valençay, a l'air agréable, de jolies manières, un visage piquant; mais elle est très brune et fort petite. M. le duc d'Orléans était près d'elle, à table, et la conversation n'a pas langui. M. de Metternich était du dîner. Il est réconcilié, du moins en apparence, avec l'Archiduc28. Celui-ci est retiré dans ce joli Bade où il cultive des fleurs: il a dit à M. de Valençay que, comme tous les vieux soldats, il aimait son jardin. M. le duc d'Orléans devait y retourner dîner tout seul le surlendemain. L'Archiduc adore sa fille et la laissera libre dans le choix de son époux: elle a refusé le Prince Royal de Bavière; elle va voir défiler encore devant elle le Roi de Naples et celui de Grèce. Son père ne redoute que l'alliance russe.

M. de Valençay a été aussi enchanté de la fête de Laxembourg et des courses sur l'eau avec de la musique à tous les coins: cela lui a rappelé Virginia Water29; toute la société de Vienne y était, en bayeuse, et animait le coup d'œil.

Il est assez simple que tout cela blesse à Prague. Madame la Dauphine a dit, à quelqu'un qui, la veille de son départ de Vienne, lui demandait quand on aurait l'honneur de l'y revoir, que, lorsqu'on voudrait dorénavant la voir, il faudrait venir la chercher. Une dame viennoise, fort ennemie politique de la France, a dit, devant M. de Valençay, en parlant de notre Prince Royal, qu'il était si aimable et si gracieux qu'il fallait espérer qu'il n'était pas autre chose!

Les voyageurs devaient partir le 11, et se rendre à Milan par Vérone, mettant dix jours pour ce trajet.

Le prince de Capoue et miss Pénélope sont à Paris; le premier a vu la Reine. Il va à Rome, et, de là, négociera sa réconciliation avec Naples.

Tous les Cobourg, et les Majestés belges, viennent à Neuilly.

Valençay, 17 juin 1836.– Il faut que chaque jour soit marqué par une tribulation: hier au soir, nous avons eu une horrible frayeur dont les conséquences auraient pu être des plus graves; elles paraissent devoir être légères, cependant le docteur dit qu'il faut neuf jours pour être certain qu'il n'y aura pas de choc intérieur. La rage de M. de Talleyrand de rester tard dehors l'a fait rentrer hier dans sa petite voiture à la nuit close; de plus, comme un enfant, il s'amuse à se faire pousser à la course et à se diriger en zigzag, de sorte qu'il a mis la roue de devant en travers; elle a, par conséquent, fait obstacle, l'obscurité l'a empêché de s'en apercevoir, il a crié de pousser plus fort par derrière, ce qu'a fait le domestique; il en est résulté un cahot qui a été assez violent pour le faire sauter hors de la voiture et pour le jeter, la tête la première et le visage par terre, sur le gravier de la cour de l'orangerie, à l'entrée du donjon. Il a le visage extrêmement meurtri, et a, heureusement, beaucoup saigné du nez; il n'a pas perdu connaissance, et a voulu rester au salon et jouer au piquet. A minuit, il a mis ses jambes dans de l'eau et de la moutarde, et maintenant il dort encore; mais quelle secousse, quel ébranlement nerveux, à son âge, avec son poids, et souffrant d'un mal pour lequel chaque émotion, chaque trouble est si mauvais!

Valençay, 18 juin 1836.– La figure de M. de Talleyrand est fort endommagée, mais, du reste, il paraît devoir se tirer miraculeusement de cette singulière chute!

Valençay, 21 juin 1836 30. – Vous souvenez-vous que c'est vous qui décliniez toutes les conversations sur la religion? Ce n'est qu'une fois, à Rochecotte, que vous m'avez un peu développé vos idées à cet égard; vous étiez plus avancé que moi, alors, dans de certaines croyances; les épreuves par lesquelles j'ai passé depuis m'ont fait aller assez vite dans cette route, mais mon point de départ a été le souvenir de cette conversation, dans laquelle j'ai vu que vous admettiez quelques principes fondamentaux sur lesquels je n'étais pas fixée. Du reste, je n'ai, spéculativement, pas été au delà: ce n'est que dans l'application que j'ai cherché à me diriger d'après cette boussole; je ne me suis en aucune façon occupée du dogme, ni des mystères, et si j'ai une préférence pour la religion catholique, c'est que je la crois plus utile à la société en général, aux États, car pour les individus, c'est différent, et je crois que toute religion qui a l'Évangile pour base est également bonne et divine. Depuis que je vois tous les appuis manquer autour de moi, j'ai senti ma propre faiblesse et le besoin d'un soutien et d'un guide: j'ai cherché et j'ai trouvé; j'ai frappé et il m'a été ouvert, j'ai demandé et il m'a été accordé; tout cela cependant encore fort incomplètement, parce qu'en marchant ainsi seule, et quand on y est si peu préparée, il n'est pas possible de ne pas prendre souvent de faux sentiers, de ne pas glisser dans les ornières et de ne pas trébucher à chaque pas. Il n'aurait pas été sage, même, de m'exciter à trop de zèle et de ferveur, c'eût été me préparer des rechutes et celles-ci peuvent être mortelles; j'avance donc à tout petits pas, et quand je me demande compte de mes progrès, je m'humilie en voyant à combien peu ils s'élèvent: un peu plus de douceur, de patience, d'équilibre et d'empire sur moi-même, voilà tout ce que j'ai acquis. J'ai encore même ardeur pour les choses qui me plaisent, même répugnance pour celles qui m'importunent; mes malveillances ne sont point éteintes; mes rancunes restent assez vivaces, mes inquiétudes d'esprit aussi fatigantes, mon activité aussi peu réglée, ma parole souvent trop prompte et mes expressions pas assez mesurées; j'ai encore mille complaisances pour moi-même, je me blesse du blâme, je me sens trop flattée de l'approbation, je la recherche quelquefois, au besoin, même, je la provoquerais; enfin, il n'y a rien d'aussi difficile, d'aussi long, qui demande plus d'exercice et de persévérance que de mettre ordre à sa conscience.

Outre le besoin pratique que j'ai senti de me servir d'un fil qui me tirât du labyrinthe, j'y ai encore été portée par un grand sentiment de reconnaissance. Il y a un jour, en Angleterre, où j'ai été tout à coup frappée des grâces innombrables qui m'avaient été accordées, à moi qui avais fait un si mauvais usage de mes facultés et de mes avantages. J'ai admiré la patience de Dieu, la longanimité de la Providence à mon égard; avoir trouvé ce que j'ai trouvé alors m'a semblé un bien si réel, si peu mérité, qu'il m'a rempli le cœur de gratitude. Ce sentiment de reconnaissance a toujours été en augmentant; c'est lui qui me soutient en partie dans l'accomplissement des sacrifices que j'ai à faire. Les grands enseignements que me donne la vieillesse de M. de Talleyrand chaque jour, la mort de Marie Suchet31, la douleur de sa mère, la disparition successive de tant de personnes de ma connaissance, d'âges, de sexes et de positions diverses, celle de cette petite-fille à qui j'ai fermé les yeux32 et qui m'a fait voir la mort de si près, la lecture attentive de bons livres, les conversations élevées de M. Royer-Collard qui voudrait bien se dépouiller du doute philosophique et qui y arrive petit à petit, voilà ce qui m'a fait faire attention à mille choses, inaperçues avant, ce qui me fait tendre vers un but élevé et assuré. Voilà l'histoire de ce côté de ma vie. Du reste, mes allures ne sont pas celles d'une dévote et je puis dire que je suis bien plus avancée dans le fond que dans la forme; je doute même que je change jamais grand'chose à celle-ci.

Quelle longue réponse je fais là à une seule petite page de votre lettre! Si elle vous paraît trop longue, dites-le, nous réserverons toutes ces révélations pour les soirées de Rochecotte…

M. le duc d'Orléans a écrit des merveilles sur une conversation qu'il a eue avec M. de Metternich et dont il a été ravi.

La princesse de Lieven vient de partir: c'est un soulagement général! Je crois que la Princesse et sa superbe nièce33 ont fini par sentir qu'elles avaient été un peu ridicules ici, car elles ont fait bien des frais le dernier jour, des remerciements sans nombre, des excuses des embarras donnés, etc…

Valençay, 24 juin 1836.– Rien n'est plus bête que d'être mauvais! Mme de Lieven a assez vilainement écrit à Paris pour gémir et se plaindre du profond ennui qu'elle éprouvait ici; ses correspondants s'en sont, ou moqués, ou servi contre nous; cela s'est donc beaucoup dit et su. Nos amis en sont en grande colère en nous le mandant. Cette petite ingratitude de Mme de Lieven qui, de plus, en cette occasion, devient du manque de savoir-vivre, est une vraie bêtise. Du reste, je n'en suis pas surprise. J'aurais parié qu'il en était ainsi: l'ennui était trop profond pour être dissimulé, et j'ai vu, évidemment, que le besoin de s'en venger se développait dans la correspondance. Le seul tort que je lui reproche, ce n'est pas de s'être ennuyée, ni de l'avoir montré, ni même de l'avoir écrit, c'est d'avoir prolongé son séjour ici, sous le prétexte d'une maladie feinte. Elle avait peur de voyager seule, elle redoutait l'isolement à Bade, elle n'osait pas se prolonger à Paris; elle est donc restée ici à se mourir d'ennui et à nous faire enrager. Ce qui ne l'a pas empêchée de pleurer comme une Madeleine en partant: ses larmes étaient sincères, car elle les versait, non sur nous, mais sur elle-même, sur sa vie errante, déracinée. Je ne m'y suis pas trompée.

J'ai eu hier une lettre de M. de Valençay, de Leoben. On était fort satisfait de Vienne, et en tous points. Cependant, la famille Royale de Prusse avait plu davantage que la famille Impériale. On avait trouvé les Princesses de Prusse plus brillantes de jeunesse, de beauté et d'élégance, et, malgré la guirlande de lys, qui paraît avoir été le résultat d'une petite conversation moitié taquine, moitié coquette, notre Prince Royal et la princesse Albert avaient été dans une flirtation marquée. L'Impératrice d'Autriche et la duchesse de Lucques sa sœur sont très belles, mais ce sont des beautés froides, austères et imposantes. Nos Princes ont fait les mêmes cadeaux à Vienne qu'à Berlin, seulement au lieu de la grande croix de la Légion d'honneur, donnée à Ancillon, on a offert, au prince de Metternich, qui a depuis longtemps tous les ordres français, un magnifique service en porcelaine de Sèvres.

Valençay, 25 juin 1836.– M. de Barante34 m'écrit, de Saint-Pétersbourg, qu'on y est furieux, contre Mme de Lieven, de son séjour prolongé en France. On y a beaucoup d'humeur aussi contre les succès du voyage de nos Princes, mais on n'en témoigne rien à notre Ambassadeur, pour lequel, personnellement, on est fort poli.

On dit que ce qui a déplu davantage à Mrs Norton dans cet étrange procès dont le Galignani rend un compte, hélas, trop détaillé, c'est que les témoins domestiques ont déposé qu'elle mettait du rouge et se teignait les sourcils!

Valençay, 27 juin 1836.– Encore un nouvel attentat contre la vie du Roi35! Quelle rage atroce! Sera-t-elle toujours impuissante? Voilà la triste question qu'on est obligé de se faire… Nous ne savons rien encore que ce que le télégraphe a transmis aux chefs-lieux des départements voisins, d'où les Préfets nous ont envoyé des courriers pour nous en faire part.

Valençay, 28 juin 1836.– On a écrit à nos Princes de ne pas hâter leur retour à cause de l'attentat. Ils doivent être aujourd'hui à Turin, on les attend le 8 à Paris.

Il paraît que lord Ponsonby36 est devenu fou. Il veut la destitution du Reis-Effendi37 et du chef de la garde. Il a écrit deux notes à la Porte ottomane, dans lesquelles il va jusqu'à la menacer du démembrement de l'Empire ottoman si on lui refuse satisfaction. L'amiral Roussin lui-même écrit que lord Ponsonby est fou. Tous les Ministres, celui de Russie compris, s'entremettent pour empêcher une rupture; la Cour de Vienne expose les faits au gouvernement anglais à Londres, et on espère que lord Ponsonby sera rappelé.

Valençay, 29 juin 1836.– J'ai reçu hier une lettre de nos voyageurs, de Roveredo, où ils étaient retenus par une indisposition assez grave de M. le duc de Nemours qu'on a fort atténuée dans les lettres à ses parents, mais qui a beaucoup effrayé M. le duc d'Orléans. Il a été très contrarié aussi du départ précipité du général Baudrand. Il paraît que c'est moins le besoin de se rendre promptement aux eaux qui a provoqué ce départ subit, qu'un peu d'humeur de ce que le Prince Royal ne lui montrait pas assez de confiance.

Les Princes ont été sur le point d'aller à Florence, le grand-duc de Toscane ayant mis une insistance particulière à le demander; la maladie du duc de Nemours l'a empêché. Ils ont rencontré l'archiduchesse Marie-Louise38, cousine germaine de notre Prince Royal. Elle a demandé de nos nouvelles à M. de Valençay dont elle est la marraine; il ne l'a pas trouvée aussi vieillie qu'on la lui avait dépeinte. Ils ont aussi vu la princesse de Salerne, puis le Roi de Naples. On dit que celui-ci a une assez belle tête, mais une grosse vilaine tournure; il est au désespoir de la mort de sa femme, avec laquelle il a très mal vécu, jusqu'au jour où elle est devenue grosse de l'enfant, en couches duquel elle est morte. On le dit très fantasque.

L'Archevêque de Paris a été le jour de l'attentat, à onze heures du soir, à Neuilly. Il est fâcheux qu'il ne paraisse jamais chez le Roi qu'à la suite d'une tentative d'assassinat, aussi je ne pense pas qu'on lui sache très bon gré de ses visites; elles sont à une condition qui fait qu'on l'en dispenserait volontiers. Il a refusé la présentation à l'église du corps de Sieyès qui a été droit au cimetière39.

Ma plus vive peine, dans l'attentat du 25, c'est que ce coup de pistolet a tué, je le crains, notre Princesse Royale!

On dit beaucoup qu'Alibaud est un nouveau Louvel, fanatique isolé, vrai produit des excès de la presse et des mauvaises doctrines. Le Roi veut faire grâce à l'assassin, mais on pense que le Cabinet ne le permettra pas.

Le général Fagel40 a été à Neuilly, malgré la présence des Majestés belges; le Roi lui en a su fort bon gré.

Valençay, 5 juillet 1836.– Une maladie grave de ma femme de chambre m'oblige à me servir moi-même; j'y suis un peu empruntée, mais cela se formera. Cela n'est pas toujours agréable, mais c'est très utile et je ne m'en plains pas; ce n'est pas que je n'aie mes moments de découragement, mais alors je me malmène et cela ne dure pas. Il en résulte bien, quelquefois, une grande fatigue nerveuse, faute d'y être assez exercée; tout cela disparaîtra, car, enfin, nous ne sommes pas ici-bas pour nous amuser, nous reposer, nous bien porter et être heureux et satisfaits. C'est là où est l'illusion. On se trompe sur le but, et c'est alors qu'on se révolte de ne pas l'atteindre; en se disant bien que le but est le travail, la lutte et le sacrifice, on évite les mécomptes, et on échappe ainsi à ce qui est le plus pénible.

Les interrogatoires d'Alibaud ne seront pas imprimés; tant mieux, car tout cela est une mauvaise pâture pour le public. J'ai eu hier une lettre du duc de Noailles, qui est un des juges, et qui me dit qu'il est évident que c'est la misère qui a poussé au crime. Cet homme, n'ayant pas un sou, a voulu se tuer, mais il a trouvé qu'il fallait rendre sa mort intéressante et utile. Voilà où commence l'influence des mauvaises doctrines du temps et des sociétés républicaines dans lesquelles il a vécu… Ce n'est ni un sombre fanatique comme Louvel, ni un Erostrate moderne, comme Fieschi, c'est un mendiant d'assez de sang-froid, nourri de mauvais principes, voilà tout.

Tous les journaux, carlistes, radicaux et juste milieu, enfin tutti quanti, sont très mécontents du mandement de l'Archevêque de Paris. Paraître à Neuilly, est trop pour les uns; ne pas oser dire: le Roi, dans ce mandement, est une platitude inutile auprès des autres, irritante pour beaucoup; la phrase jésuitique et équivoquante de la fin, bien pitoyable. Enfin, le tolle est général, et mérité. J'en suis fâchée, car au fond, ce n'est pas un homme sans qualités, mais d'une gaucherie déplorable.

J'ai eu une lettre de M. de Valençay, de Milan; les courses de chevaux, dans les arènes où vingt-cinq mille personnes étaient réunies, et l'illumination du théâtre de la Scala ont été admirables.

Le maire de Valençay est venu consulter M. de Talleyrand pour une adresse au Roi sur le dernier attentat, et a prié M. de Talleyrand de la lui faire. Celui-ci m'en a chargée. La voici telle qu'elle a été votée, et telle qu'elle est partie hier, pour Paris. C'est une grande preuve de déchéance que de tomber de la langue diplomatique dans la langue municipale. Enfin, voilà ce que le petit Fontanes du Berry a produit: c'est, assurément, de toutes celles qui ont été faites pour la circonstance, la plus monarchique, dans le fond et dans la forme:

«SIRE,

«C'est avec la confiance des enfants, le respect des sujets et la reconnaissance des amis de la vraie liberté, que les habitants de Valençay viennent déposer, au pied du Trône, l'expression de leur joie, pour la miraculeuse conservation de la personne sacrée du Roi, et leurs vœux pour le bonheur durable de la famille Royale. Quelque modeste et retiré que soit le point de votre Royaume d'où les cœurs s'élancent avec amour vers Votre Majesté, sa bonté nous est garante de l'indulgence avec laquelle nos hommages seront reçus. Notre ville, d'ailleurs, n'est pas sans quelque titre à l'intérêt du Roi; celui de tous qu'il nous est le plus doux d'invoquer c'est l'honneur que nous avons eu d'y recevoir Son Altesse Royale Monseigneur le duc d'Orléans, et le souvenir des bienfaits qu'il a répandus parmi nous, etc., etc.»

Suivent les signatures du Conseil municipal, parmi lesquelles figure celle de M. de Talleyrand.

Valençay, 10 juillet 1836.– Mon fils Valençay nous est arrivé hier; il ne nous a rien appris de nouveau sur ses voyages que la confirmation de ses lettres. Nous avons aussi le prince de Laval, qui fatigue M. de Talleyrand à la mort, et il y a de quoi! A Paris, passe encore; il est même parfois amusant; mais à la campagne, ce manque de jugement, cette sottise nobiliaire, qui lui fait dire, par exemple, que l'oranger (taillé, rogné, encaissé) est l'aristocratie de la nature; cette façon de questionner toujours, de bégayer sous le nez, de crachoter au visage, et de toujours prendre le petit côté des choses, sont excédants!.. Et il ne parle pas de s'en aller!

M. le duc d'Orléans m'écrit que ce n'est que par raison qu'il regretterait de ne pas épouser la fille de l'archiduc Charles, car elle ne lui plaît que moralement; physiquement, il la trouve, non pas laide, mais chétive; enfin, il n'est pas séduit. Du reste, le père et la fille disent oui de grand cœur au mariage; l'Empereur d'Autriche ne dit rien, mais son frère, l'archiduc François-Charles, et sa belle-sœur, l'archiduchesse Sophie, disent non.

Valençay, 13 juillet 1836.– Nous avons eu hier soir la visite du duc Decazes41 et du comte de la Villegontier, qui, en se rendant à leurs forges de l'Aveyron, se sont arrêtés ici pour y prendre le thé. M. Decazes était triste et soucieux des dangers du Roi, des plaies qui gangrènent la société et que révèle le procès d'Alibaud. Il se plaint aussi, avec raison, de la manière dont la police est faite, ou, plutôt, n'est pas faite. Il dit que le Roi, seul, a conservé du calme et de la présence d'esprit, mais qu'autour de lui tout est triste, inquiet, agité, que la Reine et Madame sont bien malheureuses. Le maréchal Lobau a persuadé que la Garde nationale trouverait mauvais que le Roi ne passât pas de revue le 28 de ce mois-ci. Il la passera donc, sous l'Arc de triomphe de l'Étoile, la Garde nationale défilant devant lui; mais c'est encore trop! Les fêtes de Juillet se borneront à l'inauguration de l'Arc de triomphe et à celle de l'Obélisque de Luxor. Il ne faudrait, ce me semble, plus du tout de commémoration.

Alibaud a cédé aux exhortations de l'abbé Grivel. Il s'est confessé, et, par conséquent, il s'est repenti. Sur l'échafaud, il a baisé, devant le peuple, le crucifix, mais un des valets lui ayant arraché le voile noir, cela l'a mis en colère; il s'est tourné, subitement, vers la multitude, le rouge lui est monté au visage, et il a crié: «Je meurs pour la Patrie et la Liberté», puis il a tendu la tête.

M. Decazes nous a dit aussi que chaque jour amenait des lettres anonymes, des dénonciations, des révélations et qu'il était impossible d'avoir un instant de repos. Il m'a laissée sous une profonde impression de tristesse.

Valençay, 16 juillet 1836.– Le prince de Laval, qui est encore ici, où il admire tout et paraît se plaire fort, malgré nos divergences politiques, a un certain esprit qui consiste à dire parfois des mots piquants et drôles, mais cet esprit manque de justesse et de mesure. Sa vanité nobiliaire rappelle celle de M. Saint-Simon, ses préjugés de caste vont jusqu'au ridicule, sa curiosité et son commérage sont sans exemple et son occupation de lui-même, de son importance, de son agrément est inimaginable; il a toutes les prétentions, aussi est-il insupportable quand on le prend au sérieux! Dans le cas contraire, il y a un certain parti à en tirer, d'autant plus que, tout en étant taquin, il n'est pas méchant, et que ses prétentions mêmes l'obligent à une certaine élévation.

Quant au duc de Noailles, que nous attendons aujourd'hui même ici, c'est tout autre chose: raisonnable, posé, mesuré, froid, doux, poli, contenu, il n'est ni questionneur, ni bavard, ni fatigant, mais ses prétentions, pour être rentrées, n'en sont pas moins réelles; celles de grand seigneur avant tout, et d'homme politique ensuite, l'absorbent. Il fait grâce de celle d'homme élégant et à bonnes fortunes dont Adrien de Laval se pare dans le passé, à défaut du présent. Je dirais volontiers que si M. de Laval est un ci-devant jeune homme, le duc de Noailles est un vieillard prématuré. Il n'a que trente-quatre à trente-cinq ans, et par sa figure, ses façons, et l'ensemble de sa vie, il en paraît cinquante.

Paris, 21 juillet 1836.– Je fais cas, de plus en plus, du duc de Noailles; il a du jugement, de la sûreté, du goût, de la droiture et d'excellentes manières; c'est un homme grave, honorable et sensé, dont la bienveillance a du prix, et dont la haute position peut être utile dans le monde où il compte; mais le cas que je fais de ses qualités et le prix que j'attache à mes très bonnes et amicales relations avec lui ne m'empêchent pas de lui trouver des prétentions. L'ambition politique est au premier rang, et elle n'est peut-être pas suffisamment soutenue par un certain dégagé de caractère, absolument nécessaire dans le temps actuel. Toute cette famille est restée ce qu'elle était il y a deux cents ans. Les Noailles sont plus illustres qu'anciens, plus courtisans que serviteurs, plus serviteurs que favoris, plus intrigants qu'ambitieux, plus gens du monde que grands seigneurs, plus nobiliaires qu'aristocrates, et avant tout, et plus que tout, Noailles! Je connais tous ceux actuels; le plus capable et le meilleur est sans aucun doute le Duc, que je juge peut-être un peu sévèrement, mais pour lequel j'ai toutefois une véritable estime.

J'ai quitté Valençay avant-hier, à six heures du matin, y laissant Paulinette fort triste de son abandon; j'ai couché à Jeurs, chez les Mollien, où je suis arrivée à huit heures du soir; j'étais ici, hier, d'assez bonne heure.

J'y ai trouvé M. de Talleyrand en assez bonne santé, mais fort préoccupé de l'état des choses. Le Roi n'assistera pas à la revue de demain, et ce qui y a fait renoncer, c'est la découverte du serment fait par cinquante-six jeunes gens de tuer le Roi. Comme on n'a pu se rendre maître de ces cinquante-six jeunes gens, on a, avec raison, jugé plus prudent de renoncer à la revue… Dans quel temps vivons-nous?

La mort de Carrel42 jette aussi du lugubre: il avait de grandes erreurs dans l'esprit, mais cet esprit était distingué, et son talent remarquable. Conçoit-on, pourtant, M. de Chateaubriand, l'auteur du Génie du Christianisme, fondant en larmes au convoi d'un homme qui a refusé de voir un prêtre, et qui a défendu qu'on le présente à l'église? Le besoin de faire de l'effet est ce qui fait le plus souvent et le plus essentiellement manquer de goût et de convenances.

Les affaires d'Espagne vont très mal. Les amis de l'intervention s'agitent fort, et il y en a de bien influents, et des premiers, mais la volonté suprême y est toujours également opposée.

J'ai eu bien bonne compagnie, hier, pendant ma route: celle du cardinal de Retz dont j'ai repris les Mémoires; il y avait bien des années que je ne les avais lus, et c'était à un âge où on cherche les faits et les anecdotes, mais où on fait peu attention au style et aux réflexions. L'un est vif, original, ferme et gracieux tout à la fois; les autres fines, judicieuses, élevées, piquantes, abondantes. Quelle ravissante lecture! que d'esprit, et du meilleur, si ce n'est dans l'action, du moins dans le jugement! C'est La Bruyère dans la politique.

Paris, 28 juillet 1836.– M. le duc d'Orléans est venu me voir hier. Il était très souffrant, assez sombre; il est obligé, lui aussi, à une infinité de précautions qui rendent sa vie triste. Le Roi était bien résolu à aller à la revue, mais, en même temps, si convaincu qu'il y serait tué, qu'il avait fait son testament, et donné tous ses ordres, toutes ses directions à son fils, pour l'avènement de celui-ci au trône.

J'ai eu aussi, à la fin de la matinée, la visite de M. Thiers, fort satisfait des nouvelles d'Afrique qu'il venait de recevoir, de la situation politique au dedans et au dehors, de tout enfin, excepté des dangers continuels et immenses qui menacent la vie du Roi. Il devait y avoir plusieurs attaques contre le Roi le jour de la revue, attaques isolées et inconnues les unes des autres: l'une consistait dans un groupe d'hommes déguisés en gardes nationaux, lequel aurait, en passant devant le Roi, tiré sur lui simultanément; sur vingt coups, infailliblement, il s'en serait rencontré un de fatal. Deux des jeunes gens arrêtés (il y en a plus de cent), ont déjà fait des aveux importants. Hier matin, on a arrêté un homme chez lequel on a trouvé une machine semblable à celle de Fieschi, mais perfectionnée et réduite comme volume, avec plus de justesse et d'infaillibilité dans le tir.

Paris, 29 juillet 1836.– J'ai été hier soir chez la Reine; elle était, en apparence, dans son état naturel, quoiqu'elle ait dit avec une grande amertume: «Nous pouvons nous donner le témoignage d'être de bonnes gens, et on nous force à vivre dans les terreurs, et dans les précautions des tyrans.» Madame Adélaïde prend sur elle, afin de ne pas assombrir le Roi. Celui-ci était avec ses Ministres et n'est venu que plus tard. Il était, dans ses façons, comme de coutume, mais ses traits portaient l'empreinte de sombres pensées: il a éprouvé la plus vive contrariété qu'il ait eue dans sa vie, en n'allant pas à la revue. Du reste, il croit que ses jours sont comptés, car, en embrassant avant-hier la Reine des Belges, qui repartait pour Bruxelles, il lui a dit qu'il ne la reverrait plus. La jeune Reine s'est trouvée mal et rien n'a été plus déchirant que leurs adieux. Les pauvres gens!

Un fait remarquable, consigné par tous les chefs des légions de la Garde nationale, c'est que, depuis quinze jours, une quantité de gens inconnus, ou trop connus, tels que Bastide et autres, se sont fait inscrire sur les rôles de la Garde nationale, et montent la garde: tout cela, pour se trouver dans les rangs défilant devant le Roi, le jour de la revue.

Rien de si triste que les Tuileries; j'y suis restée deux heures avec un serrement de cœur inexprimable, une oppression et une envie de pleurer que j'ai pu à peine contenir, surtout quand j'ai vu le Roi.

Je partirai demain matin de bonne heure pour Valençay.

Chartres, 31 juillet 1836.– J'ai quitté Paris hier, mais beaucoup plus tard que je ne croyais, M. le duc d'Orléans m'ayant fait savoir qu'il désirait encore me parler. Je ne puis assez dire combien j'ai été touchée de sa bonne grâce parfaite pour moi. Il est venu tous les jours me voir et m'a témoigné me compter comme sa meilleure amie; certes, il ne se trompe pas. Il a, sous tous les rapports, fait des progrès remarquables; si le ciel nous le conserve, je suis sûre que son règne sera brillant. J'espère qu'un bon mariage pour lui égaiera notre horizon politique qui est bien sombre.

Quel sera ce mariage? C'est la question qui se décidera la semaine prochaine, car je crois que mariage il y aura: les circonstances le rendent tellement nécessaire pour consolider et fonder ce que le crime menace et attaque chaque jour, que la lignée devient bien plus importante que la grandeur de l'alliance. Celle-ci aurait son prix cependant; on y cherche, mais si on ne réussit pas, on ne penserait plus qu'à trouver une femme qui promît de beaux enfants, sans, pour cela, tomber dans le morganatique, dont, avec beaucoup de sens, on ne veut pas, pas plus que d'une alliance dans laquelle se trouverait mêlé le sang de Bonaparte. La religion est indifférente. Il est absolument nécessaire de tirer Paris du lugubre dans lequel il est jeté. Je connais les Français: si on leur produit une jeune personne avec des façons engageantes, ils seront ravis; et quant au dehors, il comptera peut-être davantage avec nous, quand il n'aura plus un leurre matrimonial à nous offrir.

Hier, je ne me suis arrêtée que quelques minutes chez Mme de Balbi à Versailles, et autant à Maintenon, chez la duchesse de Noailles. Je pars à l'instant pour Châteaudun, et de là pour Montigny où j'ai promis de faire une visite au prince de Laval.

Montigny, 1er août 1836.– J'ai quitté Chartres après y avoir entendu la messe dans la cathédrale, qui, à l'œil, ne paraît pas avoir souffert de l'incendie43; la charpente et les plombs manquent, mais la voûte intérieure, en pierre, n'ayant pas souffert, on ne s'aperçoit de rien, à l'intérieur du dôme de l'église. On travaille aux réparations.

Je me suis arrêtée à Châteaudun, pour y visiter, en détail, tout le vieux château, jusqu'aux cuisines et aux cachots; à travers une dégradation presque complète, on trouve encore de belles parties, et la vue en est jolie. Le prince de Laval est venu à ma rencontre et m'a amenée ici dans sa calèche; il fait de ceci un lieu charmant, arrangé avec goût, recherche et magnificence. Le site est beau, et la partie gothique du château, bien conservée et habilement restaurée. Ce château, pour qui ne connaîtrait pas le propriétaire, le représenterait fort en beau. Je m'étonne, je l'avoue, que ce lieu, tel qu'il est, soit arrangé par Adrien de Laval; à la vérité, il a un excellent architecte, puis, c'est le baron de Montmorency qui a arrangé la cour, et il y a eu quelques conseils de ma façon dans la réunion des salons, car ce n'est pas la première fois que je viens ici; bref, c'est charmant, et quoiqu'il y ait des choses beaucoup mieux à Rochecotte, il y en a de fort supérieures ici. Ce sont deux endroits qui, par leurs dimensions et leurs proportions, peuvent se comparer.

Valençay, 2 août 1836.– Me voici rentrée au gîte, et charmée d'être loin du brouhaha de Paris, mais il me faudrait le temps de bien me reposer, au lieu que voici M. de Talleyrand également arrivé, et du monde qui doit nous envahir, dès aujourd'hui! Si je devais prendre des armes parlantes, je choisirais un cerf aux abois avec un hallali autour!

Il est impossible d'être plus hospitalier que ne l'a été M. de Laval, et je me fais scrupule de la petite ingratitude que je vais commettre, en racontant une des plus grandes ridiculités que je connaisse. Adrien a l'ordre du Saint-Esprit et on ne le porte plus; il en avait plusieurs plaques: qu'a-t-il imaginé d'en faire? Il les a fait coudre au beau milieu des courtepointes en velours qui couvrent les principaux lits de son château! Je n'ai jamais été plus surprise qu'en voyant à mon réveil un large Saint-Esprit en travers sur ma personne!

Valençay, 6 août 1836.– J'ai une lettre de M. de Sainte-Aulaire, du 22 juillet, de Vienne, qui débute ainsi: «Je vous écris de provision, pour un courrier qui partira dans deux jours, et qui dira au Ministère, je ne sais quoi en vérité. L'attentat d'Alibaud a provoqué ici des manifestations non suspectes d'intérêt pour le Roi, et des vœux également sincères, pour l'accomplissement du grand œuvre que lui a confié la Providence; mais il ne faudrait pas s'étonner aussi qu'il eût rendu beaucoup plus vives les terreurs qu'on éprouve ou qu'on cherche à inspirer sur l'état de Paris. «Tout vient à point à qui sait attendre.» A cette condition, j'aurais bien répondu du succès, mais il est des cas où l'on ne veut pas attendre, et l'on peut avoir raison.» La lettre de M. de Sainte-Aulaire ayant dû partir par le courrier porteur de l'importante réponse sur la proposition de mariage entre M. le duc d'Orléans et l'archiduchesse Thérèse, cette réponse doit être arrivée à Paris, et je crois d'autant plus qu'elle y est parvenue, que Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que son neveu doit, lui-même, nous écrire ce qui le touche. Ce n'est pas par curiosité, mais par le plus vif désir de voir le sort du jeune Prince heureusement fixé, que j'attends ses lettres avec impatience. Je voudrais bien aussi que le Roi de Naples fît, d'une de nos Princesses, une Reine de Naples.

Valençay, 7 août 1836.– Comme suite à la citation que je faisais hier d'une lettre de M. de Sainte-Aulaire, je dirai que les réponses sont arrivées, et qu'elles sont défavorables. J'en suis fâchée, pour nous, mais je crois que si c'est un inconvénient pour notre Prince Royal, c'est peut-être une faute politique de la part de ceux qui ont dit non. On pourrait bien ne pas tarder à s'en repentir, car cela peut changer la face du monde et remettre en présence les deux principes qui étaient prêts à se confondre.

Valençay, 9 août 1836.– Nous avons vu arriver hier, à l'heure du déjeuner, nos cousins, le prince de Chalais et son frère44. Le premier a, à mon gré, la plus charmante figure d'homme que je connaisse, une belle taille, de nobles manières; j'ai beaucoup causé avec lui, car il n'est reparti qu'après le dîner. Il a un bon jugement, l'âme simple, le cœur droit, la curiosité des choses utiles, un intérêt sensé et raisonnable pour tout ce qui peut affermir la bonne position de grand propriétaire.

On m'écrit que l'ordonnance qui disperse les prisonniers de Ham est signée; cela me fait un vrai plaisir, car j'y ai beaucoup contribué. Ce n'est pas encore la liberté entière qu'on leur accorde, mais c'est un changement de domicile avec adoucissement qui prépare à une plus grande latitude et qui déjà permettra aux santés délabrées de se rétablir plus aisément et sous de meilleures conditions.

On est fort content du Roi de Naples à Neuilly. On y tourmente beaucoup notre Roi, pour l'entraîner, malgré lui, vers une intervention au delà des Pyrénées, mais il y résiste puissamment, jusqu'à présent: cette tourmente intérieure, jointe aux précautions auxquelles on veut l'assujettir, pour sa sûreté, empoisonne sa vie.

Valençay, 11 août 1836.– On mande à M. de Talleyrand que les questions d'Espagne, qui s'enveniment de plus en plus, jettent, à Paris, une grande aigreur là où il ne faudrait pas qu'il y en eût, c'est-à-dire entre le Roi et son Ministre des Affaires étrangères45, qui est soutenu par le Prince Royal, ceux-ci voulant l'intervention. On se demande qui sortira vainqueur de cette lutte intestine!

Valençay, 22 août 1836.– Je comprends très bien les réflexions qu'on fait sur la grande-duchesse Stéphanie de Bade: son manque de tact tient à sa première éducation. Élevée dans une pension prétentieuse46, elle a pu acquérir beaucoup, excepté ce sentiment exquis des convenances, qui se transmet, qui s'inocule dans l'enfance, mais qui ne s'enseigne pas. Aussi invite-t-elle M. Berryer à un bal chez elle, sans qu'il lui ait été présenté, ni qu'il ait même demandé à l'être! Puis, elle parle trop, en général, et cherche à faire de l'effet, par une conversation brillante qui n'est pas toujours suffisamment mesurée et adaptée à sa situation. Les Princesses ne sont pas tenues à être aimables; ce qu'on exige d'elles, c'est d'être obligeantes et dignes, mais pour comprendre la mesure et ne pas la dépasser, il faut avoir pris de certaines habitudes, dès l'enfance, qui ont manqué à la grande-duchesse Stéphanie, et que Mme Campan ne pouvait pas lui donner. Je la crois, au fond, bonne personne; il y a, dans sa vie, du dévouement, du courage, des malheurs qu'elle a traversés très honorablement. Je crois que Mme de Lieven, qui la critique si sévèrement, ne se serait pas tirée aussi purement qu'elle des crises que lui créait sa situation délicate avec son mari. La Grande-Duchesse avait de la gentillesse de manières, et une jolie mine, éveillée et gracieuse; elle avait besoin de la jeunesse; en la perdant, ce qui lui manque devient plus évident. Hélas! c'est le cas de chacun; voilà pourquoi il est si faux de dire qu'on est trop vieux pour se corriger; c'est, au contraire, quand les agréments passent, qu'il est si essentiel de les remplacer par des qualités: les charmes de la jeunesse disposent à une indulgence, font admettre des excuses, qui disparaissent avec ces charmes et ces grâces, et font place à une sévérité qu'il est nécessaire de devancer, par plus de maintien, plus d'abnégation et plus de respect de soi-même.

Voilà des nouvelles officielles: le refus de Vienne est poliment exprimé, sans être motivé. On ne songe point du tout, comme on l'a dit, à la princesse Sophie de Würtemberg. Notre Prince Royal est parti pour le camp, maigri, changé, mais franchement convalescent.

De Madrid, on sait qu'Isturitz a donné sa démission. C'est M. Calatrava qui le remplace comme Président du Conseil. Tout cela va au plus mal.

Le Roi de Naples part le 24 pour Toulon. Il part, comme il était venu, sans mariage.

Les ex-ministres prisonniers sont encore à Ham, par suite d'une difficulté qui s'est élevée entre les Ministres actuels: celui de l'intérieur veut conserver les prisonniers sous sa surveillance; le Président du Conseil veut qu'ils restent dans des forteresses, avec le régime le plus doux, mais enfin dans des places de guerre; dès lors, le ministre de la Guerre réclame la surveillance! Il est bien temps que ce traitement finisse, car les malheureux sont malades.

Mme Murat a obtenu la permission de passer un mois à Paris; elle y arrive dans huit jours; on dit qu'elle est hors des intrigues de ses frères.

J'ai eu, hier, une lettre de Mme de Lieven, qui m'annonce son retour à Paris comme positif. J'ai peur qu'elle ne fasse une grande faute. J'ai lu hier une lettre de Pétersbourg, dans laquelle il est dit qu'elle est fort mal en cour. En revanche, M. de Lœve-Weimar y est très bien traité et y fait l'aristocrate. Horace Vernet aussi y est gâté et choyé d'une façon inimaginable. Comprend-on, après cela, pourquoi on tracasse ainsi Mme de Lieven? Serait-ce parce qu'on la soupçonne d'être un petit brin intrigante? Mon Dieu, que les Anglais ont raison de mettre, au nombre des meilleures qualités, celle to be quiet!47

Valençay, 24 août 1836.– Ce qu'on m'écrit est comique et inattendu: M. Berryer jouant le vaudeville à Bade, avec Mme de Rossi! Du reste, quoique ce soit un peu étrange, de la part d'un homme politique, cela lui vaut mieux que de se mal associer en Suisse.

Les journaux nous ont appris, hier, la mort de M. de Rayneval48 à Madrid. Ceci va augmenter les embarras d'une question dans laquelle tout est embarras.

Valençay, 27 août 1836.– Nous ne savons pas les détails de ce qui se passe à Paris, mais il y a évidemment quelque crise qui se prépare dans le Cabinet. En résumé, M. Thiers paraît avoir voulu engager le Roi, malgré lui, dans les affaires d'Espagne, et avoir agi dans ce sens sans consulter ses collègues. Tout cela a fort animé les uns et les autres contre lui. Il en est résulté un choc difficile à apaiser, et qui, d'ici à peu de jours, doit amener, ou une soumission de Thiers au Roi, ou un nouveau Ministère qui contiendrait cependant quelques éléments du Cabinet actuel, et notamment, je crois, M. de Montalivet. Tout ceci est encore spéculatif, car nous ne savons rien de particulier.

Valençay, 28 août 1836.– Voici ce qu'une lettre de Madame Adélaïde, reçue hier par M. de Talleyrand, nous apprend: «Le Ministère s'est dissous; j'en suis désolée. Je regrette beaucoup Thiers, mais sa tête s'était montée sur cette question d'intervention en Espagne qui a tout gâté. Le Roi voulait rompre, à l'instant, le nouveau corps qui se formait à Bayonne, et exigeait un engagement formel de renoncer, pour l'avenir, à l'intervention; Thiers s'y est refusé et a donné sa démission. Une nouvelle crise ministérielle, en ce moment, est bien fâcheuse; puis il ne nous reste qu'un si petit cercle dans lequel choisir! Le Roi a fait appeler M. Molé, mais il était à la campagne. Il faut le temps qu'il arrive; sans doute, il demandera Guizot. Tout est bien triste; nous savons d'ailleurs, par expérience, à quel point un nouveau Cabinet est long et difficile à former! Plaignez-nous, plaignez-moi, car je suis navrée!» Voilà donc où on en était avant-hier, dans le lieu où la crise se passait. Je la regrette beaucoup; d'abord parce que j'ai un grand fond d'intérêt pour Thiers, et que je regrette que ses instincts révolutionnaires l'aient emporté sur son dévouement, sa reconnaissance, et sur la docilité qu'il devait à la haute sagesse, à la prudence et à la grande expérience du Roi; puis, les changements fréquents de ministère sont de mauvais accidents de gouvernement, et donnent des secousses trop répétées à l'esprit public. D'ailleurs, le talent souple, vif, prompt de Thiers, ses connaissances et son esprit étaient utiles à l'État. Quel usage en fera-t-il, quand il aura complètement son libre arbitre? Madame Adélaïde, comme le prouve l'extrait de sa lettre, a peu de goût pour les Doctrinaires, mais il n'y a pas à croire qu'on doive rappeler M. de Broglie, envers lequel M. Guizot croit s'être acquitté à tout jamais. A travers tous ces mauvais côtés, il me semble, pourtant, qu'il y a un avantage incontestable pour le Roi à la nouvelle preuve qu'il vient de donner, que, dans les occasions vraiment importantes, il ne se laisse pas ébranler, et ne permet pas qu'on lui mette le marché à la main. C'est ainsi qu'au mois de février il a résisté à l'arrogance des Doctrinaires, et que maintenant il a brisé l'infatuation de Thiers. Ce sont là, je crois, de bons avertissements pour les ministres futurs, à quelque couleur qu'ils appartiennent, et une excellente garantie donnée à la partie sage de l'Europe.

Valençay, 29 août 1836.– M. de Talleyrand devrait trouver, dans tous les accidents qui lui arrivent sans fâcheux résultats, la garantie que son existence est solidement assurée; il me semble cependant que ces avertissements me feraient, à sa place, songer à ce qu'ils annoncent, et à rendre grâce à Dieu des délais qu'il accorde pour alléger le bagage. Il fait bien, quelquefois, des réflexions sur la mort, mais c'est de loin en loin. Hier au soir, il y a eu un gros orage qui menaçait le Château. Après un coup de tonnerre très violent, il m'a demandé quelle était la pensée qui m'avait saisie dans le moment; je lui ai répondu immédiatement: «S'il y avait eu un prêtre dans la chambre, je me serais confessée; j'ai peur des morts subites. Mourir sans préparation, emporter mon lourd bagage de péchés m'effraye; et quelque soin que l'on mette à bien vivre, on ne saurait se passer de réconciliation et de pardon.» M. Cogny, notre médecin, qui était là, et qui a une peur affreuse des orages, a ajouté, un peu niaisement, qu'à chaque éclair il faisait un acte de contrition; M. de Talleyrand n'a rien dit du tout, et nous avons continué le piquet. A chaque occasion, j'établis, quand je le peux, mes croyances, et je cherche par là à réveiller les siennes; mais je ne le fais jamais sans provocation. Il faut avoir, dans ce genre de choses, la main si légère!

J'ai eu hier une longue et intéressante lettre de M. le duc d'Orléans; je la trouve d'autant plus sage, qu'il est revenu à des opinions plus raisonnables sur la question d'Espagne. Il juge la crise ministérielle actuelle exactement dans le même sens que je le fais. J'ai reçu aussi une lettre de M. Guizot, écrite de Broglie le 24 août. Il ne savait encore rien alors de la retraite de Thiers qui n'est que du 25. Il m'écrit qu'il vient d'acheter une petite propriété auprès de Lisieux49 et qu'il va se faire fermier. Depuis, je suppose qu'il aura quitté la charrue pour reprendre la plume et la parole.

Valençay, 1er septembre 1836.– Je suis fort disposée à partager entièrement cette opinion sur l'Empereur Nicolas, qu'on ne peut guère lui accorder qu'une seule qualité de souverain, c'est le courage personnel. Ce qui me paraît lui manquer le plus absolument, c'est l'esprit; je ne veux pas dire l'esprit de conversation et de rédaction seulement, mais l'intelligence.

M. de Montessuy, qui a accompagné M. de Barante à une fête à Péterhof, et qui y a couché, écrit qu'ayant, dans les jardins, vu de loin l'Impératrice, il s'était, par respect, retiré, et que le soir elle lui en avait fait des reproches, lui disant qu'elle était descendue pour lui parler, que c'était mal à lui de l'avoir évitée. Toute cette histoire me paraît bien invraisemblable!Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM. Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du Ministère qui s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.

Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM. Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du Ministère qui s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.

Valençay, 3 septembre 1836.– J'ai appris hier une nouvelle qui me cause une peine très vive et qui va me jeter dans de grands embarras: c'est celle de la mort de mon homme d'affaires en Allemagne, M. Hennenberg, qui a expiré le 23 août, à Berlin. Il s'agit pour moi de remplacer un fort honnête homme, capable, considéré et imposant, qui connaissait, depuis vingt-cinq ans, non seulement toutes mes affaires, mais mes relations passées et présentes; qui s'était identifié à toutes les conditions de mon existence, m'avait rendu des services immenses, et à travers toutes les secousses pécuniaires que j'ai éprouvées, avait rétabli ma fortune et l'avait fait prospérer à vue d'œil, souvent même à mon propre étonnement; enfin, quelqu'un entre les mains de qui j'avais complètement abdiqué le gouvernement de mes affaires, comme il est du reste nécessaire de le faire, à la distance infinie où je suis du centre de mes intérêts. Remplacer un tel homme ne peut pas se faire de loin, ni par lettres, ni à l'aveugle; rester dans l'incertitude et le désordre pendant un temps illimité ne se peut pas davantage sans apporter un préjudice incalculable. Un voyage en Allemagne serait donc de toute nécessité pour moi; mais d'un autre côté, comment laisser M. de Talleyrand seul, dans son état actuel de santé? Je ne puis y songer! Je fais des vœux pour que la Providence me tire de ce dédale inextricable!..

Les lettres de Paris disent que les combinaisons ministérielles manquent, les unes après les autres; que le Roi s'en ennuie, et que Thiers commence à dire que l'Espagne est passée remède! Cela conduira peut-être à un replâtrage, mais chacun aura reçu par là un choc, qui affaiblira l'ensemble, sans compter le principe neutralisant de défiance et de rancune qui subsistera. Tout cela est triste.

Valençay, 4 septembre 1836.– On nous écrit, de Paris, chaque jour, mais sans annoncer encore de solution. Hier, je croyais à un replâtrage; j'y crois moins aujourd'hui. Il se pourrait même que le voyage de Fontainebleau eût lieu avant la recomposition du Cabinet. M. Thiers voudrait partir pour l'Italie; le Roi dit, à cela, qu'il n'aura accepté sa démission que lorsqu'il lui aura nommé un successeur. Les chances Molé et Guizot paraissaient épuisées, sans avoir abouti!

Valençay, 7 septembre 1836.– On nous mande que le Moniteur d'aujourd'hui contiendra un ministère Guizot-Molé, le reste uniquement recruté parmi les Doctrinaires, sous l'influence et par l'exigence de M. Guizot. J'ai reçu hier une lettre de M. Thiers. Je suis peinée d'y voir une certaine humeur contre tous ceux qui n'ont pas partagé ses idées sur cette vilaine Espagne. Il trouve, surtout, que les signataires de la Quadruple Alliance devaient être dans ses idées. Ceci s'adresse à M. de Talleyrand, qui veut répliquer que, si on relit le traité, on verra que, du côté de la France, il a été rédigé de façon que celle-ci ne soit obligée à rien. M. Guizot ayant persisté à ne pas vouloir que M. de Montalivet conservât le ministère de l'Intérieur, et celui-ci ne trouvant pas de sa dignité de quitter ce Ministère pour en accepter un autre, comme le proposait M. Guizot, il se retire, au grand regret du Roi. Il va venir en Berry où il a des terres. Sauzet et d'Argout, vont, dit-on, en Italie, jadis lieu de retraite des souverains détrônés, maintenant promenade obligée des ex-ministres.

Voici un fait certain: le 4 de ce mois, il y a eu des avis que la Société des familles, la plus nombreuse et la mieux organisée, maintenant, des sociétés secrètes, voulait faire quelque tentative pour troubler l'ordre. Leur intention n'était même pas douteuse; mais la crainte, sans doute, d'être découverts les a empêchés d'aller jusqu'à un commencement d'exécution. On devait se porter à la prison des détenus politiques, les mettre en liberté, s'emparer ensuite de la Préfecture de police, et, de là, se porter sur Neuilly. Les Ministres assurent que c'était très sérieux.

Valençay, 9 septembre 1836.– Les journaux déclarent déjà, au nouveau Ministère50, une guerre terrible qui se jugera devant les Chambres. Les journaux de l'opposition prédisent une rupture du Cabinet, qui, en effet, n'est pas hors de vraisemblance. On verrait peut-être alors M. Thiers revenir aux affaires, mais avec des antécédents d'opposition, après une certaine guerre faite au système qu'il avait longtemps soutenu, avec des engagements pris envers des hommes touchant à la gauche, et, alors, n'entraînerait-il pas le gouvernement dans des voies dangereuses? Je ne sais, mais, en tout, les choses me semblent se noircir. Du reste, il est juste de reconnaître que la nouvelle combinaison ministérielle offre, au pays et au dehors, des noms honorables, des talents distingués et des capacités reconnues; espérons donc dans la durée de leur amalgame! Huit ou dix jours avant la dernière crise, M. Molé a, après un assez long silence, écrit à M. Royer-Collard une lettre très coquette pour lui et pour moi.

Valençay, 10 septembre 1836.– M. de Talleyrand a reçu, hier, un petit mot fort aimable et déférent de M. Molé, à son avènement au Ministère. Le trait de la lettre est celui-ci: que le nouveau Cabinet s'étant formé sur une question et dans une pensée que M. de Talleyrand s'était comme appropriée par ses sages prévisions, les nouveaux Ministres devaient se flatter de son approbation; qu'en son particulier, il souhaitait vivement qu'il en fût ainsi, et qu'il comptait sur ses conseils et ses avis. M. de Talleyrand a répondu sur-le-champ. Il ne m'appartient pas de louer la réponse, mais je crois qu'elle doit plaire à M. Molé, qui, cependant, n'y trouvera rien de désagréable pour celui qu'il remplace. M. de Talleyrand peut regretter l'aveuglement de M. Thiers dans cette question d'Espagne, mais ce n'est pas à lui, qui, depuis longtemps, s'est établi comme bienveillant pour M. Thiers et qui l'est, en effet, à le blâmer hautement.

Valençay, 11 septembre 1836.– Je ne citerai pas Mme de Lieven comme appuyant de sa conviction l'exactitude du récit de M. de Montessuy51, mais j'avoue que je n'en reviens pas d'un fait aussi étrange. Si une de nos Princesses ou notre souveraine s'en rendait coupable, cela serait tout de suite interprété révolutionnairement à Saint-Pétersbourg, et si l'Empereur Nicolas admet Horace Vernet et surtout M. de Lœve-Weimar dans ses grâces, son intimité et sa confiance, je ne sais plus de quel droit on reprocherait au Roi de dîner aux Tuileries avec des gardes nationaux. A la vérité, Louis-Philippe n'a ni le knout, ni la Sibérie à sa disposition, deux rudes correctifs contre la familiarité, mais dont il est heureux pour chacun de nous que le Roi ne puisse pas faire usage; en Russie, ni l'âge, ni le sexe, ni le rang, ni le mérite ne mettent en sûreté.

J'ai reçu une lettre de M. Guizot, qui me fait part de son entrée au Conseil. Elle est des plus coquettes. L'amitié du Roi pour M. de Talleyrand, et la confiance dont il l'honore, font que pas un de ses Ministres ne se soucie d'être dans de mauvais termes avec lui; nous ne nous en soucions pas non plus, ainsi tout ira suffisamment bien entre nous et ces Messieurs.

J'ai reçu une longue lettre de M. le comte Alexis de Saint-Priest, de Lisbonne. Il m'écrit de temps en temps, je ne lui réponds que des petits mots assez courts et secs, mais il paraît déterminé à les prendre pour des preuves d'amitié. C'est un calcul comme un autre! Il sait que M. le duc d'Orléans veut bien avoir quelque bonté pour moi, il se croit appelé à jouer un rôle lorsque ce Prince régnera, et il part de là pour vouloir bon gré mal gré être de mes amis; on dirait, d'après le début de sa lettre, que je lui suis beaucoup, et qu'il m'est beaucoup… Cela m'impatiente un peu.

Valençay, 13 septembre 1836.– Comment se rencontre-t-il si souvent des gens pour rapporter aux personnes intéressées le mal qu'on dit d'elles? C'est une singulière et trop générale disposition de l'esprit. Elle m'est tellement odieuse, qu'outre que je m'en crois incapable, je reçois toujours très mal ceux qui viennent me faire des confidences de cette nature. Il me semble que la première condition pour vivre en paix, c'est de ne dire de mal que des choses, quand elles sont mauvaises, et le moins possible des personnes; et que la seconde condition, c'est d'ignorer le mal qu'on dit de vous, à moins qu'il ne s'agisse de vous faire éviter un piège ou un danger véritable; mais c'est bien rarement à cette bonne et salutaire intention qu'on doit de certains avertissements. Toute cette morale vient à l'occasion du mal que lord de Rosse aurait dit de Mme de Lieven, et de la connaissance qu'on a donnée à celle-ci de ces méchants propos. Du reste, je vois que l'usage du monde, le savoir-vivre, le besoin d'avoir des causeurs, enfin les mille et une considérations qui font, de la dissimulation, une vertu, ou au moins une disposition sociale, permettent à ces deux personnes de se voir avec empressement. A la bonne heure! Dans ce cas-ci, mon système m'importe peu, ou pas du tout!

Valençay, 16 septembre 1836.– Voici l'extrait d'une lettre que M. de Talleyrand a reçue hier; elle n'est pas de Madame Adélaïde, mais la personne qui lui écrit est généralement très bien informée: «M. Molé est malade. Il n'a pu encore faire aucune visite, ni recevoir celle d'aucun ambassadeur; on n'a pu, même, tenir encore aucun conseil chez le Roi. On pense que sa santé ne lui permettra pas de rester longtemps au Ministère, où, d'ailleurs, il ne prendra jamais de très profondes racines. On dit que s'il se retirait, ce ne serait pas une cause de la dislocation entière du Ministère, et que ce pourrait bien être Montalivet qui le remplacerait. On dit aussi que le Ministère aborde les Chambres sans crainte, qu'il croit y trouver la majorité; qu'il est décidé à se contenter d'une majorité faible, dans l'espoir de la voir s'accroître, et qu'il ne compte pas faire, perpétuellement, de toutes les questions des questions de Cabinet. Le maréchal Soult ne sera point ministre de la Guerre. Il tenait à avoir la présidence du Conseil et on n'a pas voulu la lui donner; ce sera, probablement, Molitor, Sébastiani ou Bernard. Le Ministère est tout entier soumis à la politique du Roi dans la question espagnole. On dissoudra le corps qui se rassemblait sur la frontière des Pyrénées, on laissera la Légion étrangère ce qu'elle est. Elle est, d'ailleurs, au service de l'Espagne et on n'a pas le droit d'en disposer. On se tiendra dans les limites les plus étroites possibles du traité de la Quadruple Alliance. Cependant, on nommera un ambassadeur à Madrid, ce dont on aurait pu se dispenser dans la circonstance de la mort de Rayneval; c'est par égard pour l'Angleterre qu'on le fait. Le bruit a percé, mais c'est un grand secret, et ce n'est pas fait encore, que cet ambassadeur sera le duc de Coigny. Le Roi est un peu préoccupé de l'attitude que prendra Thiers, et il le redoute assez. Du reste, il est fort mécontent de lui, et l'a exprimé plusieurs fois. Il y a eu un instant où Thiers a fait quelques démarches pour rentrer dans le Ministère, et où il en a été question. Il se soumettait alors entièrement à l'opinion et à la volonté du Roi sur la question espagnole; mais la manière dont celui-ci s'est expliqué a prouvé qu'il était fort éloigné de lui rendre sa confiance, et que, s'il le reprenait jamais, ce ne serait que forcément et dans une position fâcheuse et dominée. La vraie cause de la retraite de Thiers est moins dans une divergence d'opinions entre le Roi et lui, que dans les tromperies dans lesquelles il a voulu engager le Roi malgré lui, dans l'intervention. Depuis son départ, on a découvert plusieurs choses dont on ne se doutait pas. Thiers est parti, en annonçant qu'il ne reviendrait, pour la session prochaine, que dans le cas où il verrait que sa politique serait attaquée. On dit qu'au fond il est abattu de sa chute. Il a d'autant plus de motifs de l'être qu'il en est seul l'auteur. La manière dont il a quitté a fort affaibli le premier éclat qu'il avait jeté et l'opinion publique ne lui est pas favorable.»

Valençay, 21 septembre 1836.– Nous avons appris hier que la Constitution de 1820 avait été proclamée à Lisbonne. On assure que c'est à Londres que cet événement s'est préparé. Le fait est que l'amiral Gage, qui se trouvait dans le port avec trois vaisseaux de ligne, est resté spectateur immobile. Les Reines du Midi ne sont pas destinées à dormir tranquilles, car, à Lisbonne comme à Madrid, c'est à deux heures du matin qu'on a fait signer à la Reine la nouvelle Constitution. L'armée s'est rangée du côté du peuple et de la garde nationale. Ce pauvre petit prince de Cobourg a fait là un bien triste mariage. S'il reste dans la vie privée, avec un aussi lourd bagage que Doña Maria, il y succombera. Il n'est pas possible de ne pas être effrayé de ces réactions militaires, et de ne pas être doublement pressé de voir notre Cabinet se compléter par un vrai Ministre de la Guerre. Les dernières chances étaient pour le général Bernard; ce serait ce qu'il y a de mieux, le maréchal Soult persévérant dans son refus.

Valençay, 23 septembre 1836.– Notre Saint-Maurice52 d'hier a été très brillante. Les voisins ont abondé; nos cousins sont venus de Saint-Aignan. Le bouquet des gardes-chasses avec leurs fanfares le matin, un beau temps, une longue promenade, le banquet du Château et le dîner des petites filles de l'école, l'illumination des trois cours, et enfin le spectacle qui a été très gai, très joli et parfaitement joué, rien n'a manqué à la fête!

Valençay, 25 septembre 1836.– Un fait est certain, c'est que Charles X, pour complaire à M. le duc de Bordeaux, a fait demander à Don Carlos de recevoir son petit-fils dans son armée, ce que Don Carlos a, très sagement, refusé. En effet, c'eût été la seule chose qui eût pu déterminer la France à intervenir.

Tous les détails que me donne une lettre de Strasbourg sur l'abbé Bautain, sur MM. Ratisbonne et de Bonnechose m'intéressent fort, car c'est entre ces Messieurs qu'a eu lieu la correspondance de philosophie religieuse que j'ai lue l'hiver dernier. Ce livre est précédé de leurs biographies et de l'histoire de leur conversion, ce qui fait que je suis fort au courant d'eux. M. Royer-Collard, auquel j'ai parlé plusieurs fois de l'abbé Bautain, m'a dit que lorsqu'il était grand-maître de l'Université, il avait connu cet Abbé, très jeune homme alors, qu'il avait un esprit distingué et beaucoup d'imagination, mais que sa mère était à Charenton, et qu'il avait en lui de quoi l'y suivre, ce qui ne l'empêchait pas d'en faire grand cas, sous beaucoup de rapports. J'espère que la mort de Mlle Humann ne relâchera pas le lien précieux qui existe entre tous ces jeunes gens si bons et si convaincus. Le genre de mort de Mlle Humann est analogue à celui de la Reine Anne d'Autriche, dont je viens de lire la description dans les Mémoires de Mme de Motteville; cette Reine est morte aussi d'un cancer. Je connais peu de choses aussi touchantes, aussi édifiantes, aussi curieuses et aussi bien décrites que la mort de cette Princesse. J'ai fini ces Mémoires: ce livre, comme couleur politique, est la contre-partie de celui du cardinal de Retz. Je lis maintenant, pour me replacer dans le juste milieu, les Mémoires de la Grande Mademoiselle; je les ai lus avant mon mariage, à une époque où je ne connaissais pas la France, ni, à plus forte raison, la contrée que j'habite en ce moment, et que cette Princesse a beaucoup habitée aussi; son livre a, par conséquent, un mérite tout nouveau pour moi et m'amuse fort.

Valençay, 28 septembre 1836.– Il y a quelques jours qu'un courrier espagnol est arrivé de Madrid à Paris. Il avait été arrêté par les carlistes qui lui ont pris toutes ses dépêches, excepté celles qui étaient directement adressées au Roi Louis-Philippe. Par ces dépêches, la Reine Christine annonce que son projet était de quitter Madrid en y laissant les deux Princesses. Le lendemain est arrivée une dépêche télégraphique qui annonce que la Reine doit quitter Madrid avec tout le Ministère pour se retirer à Badajoz; cette ville est choisie comme étant la plus proche du Portugal, et attendu que la Reine ne pourrait passer, ni du côté de Cadix, ni du côté des Pyrénées, ni vers aucun port de mer. Malheureuse créature!

Valençay, 2 octobre 1836.– M. de Valençay, qui est au camp de Compiègne avec M. le duc d'Orléans, m'écrit que tout s'y passe très bien et que la visite du Roi y fait très bon effet. Les Ministres, qui ont tous accompagné le Roi à Compiègne, l'ont suivi à cheval à la grande revue, mais au bout de quelques instants, M. Molé s'y est trouvé mal à l'aise, et il est monté dans la voiture de la Reine. On dit que le camp est très beau; l'accueil que le Roi y a reçu est excellent, et les jeunes Princes sont fort à leur avantage. Cela me fait d'autant plus de plaisir, que c'est la première sortie de prison du Roi depuis l'affaire Alibaud; il fallait que sa présence à ce camp ait été jugée bien nécessaire pour que M. le duc d'Orléans ait répondu sur sa tête de la sûreté du Roi, en suppliant qu'il vînt se montrer aux troupes; c'est là-dessus que le Conseil, qui s'était d'abord opposé, a consenti au voyage du Roi.

Valençay, 5 octobre 1836.– Il faut que je copie le passage suivant, sur le château de Valençay, que je trouve dans les Mémoires de la Grande Mademoiselle, page 411, tome II, année 1653: «Je continuai mon chemin sur Valençay; j'y arrivai aux flambeaux: je crus entrer dans une maison enchantée; il y a un corps de logis, le plus beau et le plus magnifique du monde. Le degré y est très beau, et on y arrive par une galerie à arcades qui a du magnifique. Cela était parfaitement éclairé; il y avait beaucoup de monde, avec Mme de Valençay et quelques dames du pays, parmi lesquelles étaient de belles filles; cela faisait le plus bel effet du monde. L'appartement correspondait bien à la beauté du degré par les embellissements et meubles. Il plut tout le jour que j'y séjournai, et il semble que le temps était fait exprès, parce que les promenoirs n'étaient que commencés. – J'allai de là à Selles; c'est une belle maison.»

J'ai reçu une lettre d'Alexandre de Humboldt à l'occasion de la mort de mon homme d'affaires, M. Hennenberg: il m'offre ses bons offices dans la lettre la plus obligeante, la plus soignée, la plus flatteuse, la plus spirituelle, la plus curieuse du monde, et que je garderai parmi mes autographes précieux. Cette mort de M. Hennenberg a réveillé l'intérêt de tous mes amis. Sans l'inquiétude d'esprit qui me suivrait si je devais quitter M. de Talleyrand et ma fille, un voyage en Prusse serait parfaitement satisfaisant pour mon cœur.

Valençay, 18 octobre 1836.– J'ai reçu, hier, une lettre du prince de Laval, écrite de Maintenon, où il se trouvait, avec M. de Chateaubriand et Mme Récamier. Il me dit qu'il venait d'y arriver un courrier de la princesse de Polignac, pour supplier le duc de Noailles de se rendre à Paris, afin de chercher à lever la difficulté nouvelle qui retardait l'exécution des promesses faites en faveur des prisonniers. Le prince de Laval ajoute que le duc de Noailles allait partir, et que lui retournait à Montigny d'où il viendrait nous faire une petite visite, pour nous raconter tous les nouveaux embarras relatifs aux pauvres prisonniers de Ham.

Valençay, 20 octobre 1830.– Nous avons eu, hier, une bonne visite de M. Royer-Collard, venu de Châteauvieux, malgré le déplorable état des routes. Il était fort indigné qu'on marchandât avec les prisonniers de Ham pour leur liberté. Il m'a laissé une lettre, qu'il avait reçue de M. de Tocqueville, arrivant d'un voyage en Suisse; j'y trouve le passage suivant: «J'ai vu de près la Suisse, pendant deux mois. Il est très possible que les rigueurs actuelles de la France, contre elle, fassent plier ce peuple désuni; mais, en tout cas, ce qui est certain, c'est que nous nous sommes créé là des ennemis implacables. Nous avons fait un prodige: nous avons réuni dans un sentiment commun contre nous des partis jusque-là irréconciliables. Pour opérer ce miracle, il a suffi des mesures violentes de M. Thiers, et, plus encore peut-être, des manières vives et hautaines de notre ambassadeur, M. de Montebello, et de la manie qui le possède de se mêler, à tout propos, des affaires intérieures du pays.»

Je pense beaucoup, ces derniers jours, à ce que l'on fait ou ne fait pas pour les prisonniers de Ham. Tous les journaux sont unanimes, les Débats exceptés, pour blâmer les dernières mesures, ces grâces marchandées, ces conditions avilissantes, imposées à des prisonniers d'un genre tout à part, et dont l'histoire même n'a pas offert d'exemple. Ces malheureux ne demandaient d'ailleurs pas la liberté, et ne sollicitaient qu'un adoucissement favorable à leurs santés. Il paraît que nos Ministres actuels ne partagent pas l'opinion du cardinal de Retz, qui dit: «Tout ce qui paraît hasardeux et qui ne l'est pas est presque toujours sage.» Il dit encore, quelque autre part, une chose qui me semble bien applicable à ce qui vient de se passer: «Il n'y a rien de plus beau que de faire des grâces à ceux qui nous manquent; il n'y a rien, à mon sens, de plus faible que d'en recevoir! Le christianisme, qui nous commande le premier, n'aurait pas manqué de nous enjoindre le second, s'il était bon.» Voilà de l'esprit, à la façon du beau temps dans lequel tout le monde, même les moins parfaits, avait du grand. Je ne sais si, maintenant, on a des vices moindres, mais, assurément, du grand, je n'en vois nulle part.

Valençay, 23 octobre 1836.– Je me suis décidée à écrire une petite notice sur le château de Valençay, sa fondation, son histoire, etc., et je la dédierai à mon petit-fils Boson, avec la dédicace suivante53:

A mon petit-fils!

«Tout le monde convient qu'il est honteux d'ignorer l'histoire de son pays et qu'on court risque de se placer trop haut ou trop bas, lorsqu'on reste étranger à l'histoire de sa famille; mais peu de personnes savent combien le plaisir d'habiter un beau lieu est agrémenté par la connaissance des traditions de ce lieu. De ces trois sortes d'ignorance, la dernière est, sans doute, la moins importante, mais elle est aussi la plus commune; car si les professeurs corrigent la première, et les parents la seconde, ce n'est qu'un goût particulier qui porte à la recherche des dates et des faits qui se rapportent à des lieux sans célébrité généralement reconnue. Cette recherche peut sembler puérile, lorsqu'aucun souvenir intéressant ne la justifie, mais là où, comme à Valençay, plusieurs illustrations ont consacré l'habitation, il est d'autant moins permis d'ignorer ou de confondre, qu'on est particulièrement appelé, si ce n'est à perpétuer ces illustrations, du moins à les respecter.

J'ai pris plaisir, mon enfant, à vous faciliter cette petite étude; puisse-t-elle vous encourager à rester aussi noble de cœur et de pensée que l'est, par sa date, ses splendeurs et sa tradition, le lieu dont je vais vous parler.»

Valençay, 24 octobre 1836.– J'ai eu, hier, une lettre fort aimable de M. le duc d'Orléans; il m'annonce le départ de son frère, M. le duc de Nemours, pour Constantine; il lui envie cette entreprise hasardeuse.

M. le prince de Joinville était à Jérusalem.

Valençay, 28 octobre 1836.– Toutes les lettres de Paris disent que rien n'a été plus imposant que le placement de l'obélisque de Luxor54. La famille royale a été reçue avec transport: c'était la première fois qu'elle paraissait à Paris en public, depuis Fieschi, et la population lui en a su gré. Le Cabinet hésitait, comme pour Compiègne, mais la volonté royale l'a emporté, et avec succès.

Valençay, 30 octobre 1836.– Je pars demain d'ici à huit heures du matin, je déjeunerai à Beauregard55, dînerai à Tours, et coucherai le soir chez moi, à Rochecotte, où M. de Talleyrand et ma fille viendront me rejoindre le 2 novembre.

Rochecotte, 2 novembre 1836.– Je n'ai pas eu un instant de repos, depuis mon arrivée ici, où j'avais à faire mettre tout en ordre pour les hôtes que j'attends, et à visiter les changements faits en mon absence à l'occasion du puits artésien; ces changements ont fort embelli l'entourage immédiat du Château, pour lequel il me reste encore beaucoup à faire.

Je suis disposée à croire que M. Thiers a tenu des propos fort déplacés sur nous tous. L'humeur et les mécomptes, chez les personnes qui manquent de première éducation, s'expriment en général sans mesure. C'est la question d'Espagne qui a fait sortir M. Thiers du Ministère, c'est sur celle-là qu'il était en divergence complète avec M. de Talleyrand: de là tout le reste. Je ne lui en veux pas; il devait en être ainsi. D'ailleurs, il y a très peu de personnes que j'aime assez pour leur en vouloir beaucoup.

Rochecotte, 4 novembre 1836.– Qu'est-ce que c'est que toute cette ébouriffade de Strasbourg56? Ce qui me semble donner un caractère assez sérieux à cette folle entreprise bonapartiste, c'est que le même jour, il y en a eu une du même genre à Vendôme, ici près. Six sergents ont commencé le mouvement, qui a été aussitôt étouffé; cependant, il y a eu un homme tué. Je ne sais si les journaux parlent de cela, mais c'est sûr, les deux Préfets de Tours et de Blois l'ayant dit à M. de Talleyrand, qui me l'a raconté en arrivant. La grande-duchesse Stéphanie sera mal à l'aise de l'expédition de son cousin Louis Bonaparte57. Je plains la duchesse de Saint-Leu, quoique je ne la croie pas étrangère à ce fait, et qu'elle soit aussi intrigante que comédienne; mais elle est mère, elle a déjà perdu un fils aîné, et elle doit éprouver une terrible angoisse, juste mais amère punition de ses pauvres intrigues.

Rochecotte, 7 novembre 1836.– J'ai eu hier une lettre de Mme de Lieven, qui me parle d'une indisposition de l'empereur Nicolas. Il me semble que pour qu'une Russe avoue que l'Empereur est indisposé, il faut qu'il soit bien malade! Cette mort-là serait un tout autre événement que l'échauffourée de Strasbourg. Je ne crois pas que les Français auraient beaucoup à la déplorer!

Rochecotte, 10 novembre 1836.– Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que le Roi est décidé à ne pas laisser juger le jeune Bonaparte; il exigera seulement son prompt départ pour l'Amérique, et l'engagement formel de ne jamais plus revenir en France. Mme de Saint-Leu a écrit au Roi pour lui demander la vie de son fils. On sait qu'elle est cachée à Paris où on ne veut pas qu'elle reste; on ne la laissera pas non plus habiter la Suisse; il paraît qu'elle ira aux États-Unis avec son fils. Quelle absurdité que celle qui fait aboutir à un tel résultat!

Rochecotte, 11 novembre 1836.– Mme de Lieven disait, dernièrement, devant Pozzo, qu'elle irait peut-être passer l'hiver prochain à Rome: «Eh! qu'iriez-vous faire en Italie?» s'écria Pozzo, «vous n'auriez que l'Apollon du Belvédère à qui demander des nouvelles, et sur son refus, vous lui diriez: «Vilain magot, va te promener!» Cette saillie de Pozzo a fait rire tous les assistants, et même la Princesse; au fait, elle est fort gaie.

Rochecotte, 20 novembre 1836.– Les lettres d'hier chantent la palinodie sur les affaires de Portugal. Il paraît que la contre-révolution a échoué au moment où on la croyait assurée, et que c'est la mésintelligence entre le petit Van de Weyer et lord Howard de Walden qui en est cause; le gâchis est complet.

Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que, décidément, la Cour ne prendra pas le deuil à l'occasion de la mort de Charles X58, faute de notification. Elle cite plusieurs exemples de deuils non portés pour ce motif, quoiqu'il s'agît de très proches parents, entre autres, celui de la feue Reine de Naples, tante et belle-mère de l'Empereur d'Autriche, morte dans son château impérial auprès de Vienne, et dont la Cour d'Autriche n'a pas pris le deuil, parce que le Roi de Naples, alors en Sicile, n'a pas notifié la mort de sa femme. Il n'y a rien à opposer à de pareils exemples.

Rochecotte, 21 novembre 1836.– La mort de Charles X divise, à Paris, sur tous les points. Chacun y porte le deuil à sa façon, depuis la couleur jusqu'à la laine noire, avec des gradations infinies, et des aigreurs nouvelles à chaque aune de crêpe de moins. Puis, les uns disent le comte de Marnes et Henri V, les autres Louis XIX. Enfin, c'est la tour de Babel; on n'est pas même d'accord sur la maladie dont Charles X est mort! Nos lettres d'hier ne parlent pas d'autre chose, à part cependant des affaires du Portugal. On assure que ce qui vient d'y être gauchement tenté pourrait bien faire chavirer lord Palmerston59.

Rochecotte, 22 novembre 1836.– Le prince de Laval m'écrit que M. de Ranville est chez lui à Montigny, et M. de Polignac sur la route de Munich et de Goritz. Je ne sais pas du tout comment son affaire s'est arrangée60. Je ne sais pas non plus ce que c'est que cette réunion des curés de Paris, convoqués chez M. Guizot, ministre des Cultes. On dit que Mgr. l'Archevêque prépare un mandement à cet égard, mais je n'ai pas encore le mot de l'énigme.

Il faudrait l'abbé de Vertot pour raconter toutes les révolutions du Portugal. Lord Palmerston n'en serait pas le héros, ni même lord Howard de Walden! Que peut-on penser de toute la bassesse de cette diplomatie?

Rochecotte, 28 novembre 1836.– Il y a eu division, sur la question du deuil de Charles X, jusque dans la famille royale actuelle: la Reine, qui l'avait pris spontanément le premier jour, a été très peinée que le Ministère le lui ait fait quitter. Le Cabinet a craint la controverse des journaux et n'y a rien gagné, car toutes les gazettes rivalisent, selon leur couleur, à qui mieux mieux. Je suis très embarrassée de savoir à quelle nuance, du blanc, du gris ou du noir je me vouerai en arrivant à Paris; en général, les dames du juste milieu, qui tiennent aussi à la société, vont en noir dans le monde et en blanc à la Cour. La position de nos diplomates, au dehors, sera très embarrassante!

M. de Balzac, qui est un Tourangeau, est venu dans la contrée pour y acheter une petite propriété. Il s'est fait amener ici par un de mes voisins. Malheureusement, il faisait un temps horrible, ce qui m'a obligée à le retenir à dîner.

J'ai été polie, mais très réservée. Je crains horriblement tous les publicistes, gens de lettres, faiseurs d'articles; j'ai tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de proférer un mot, et j'ai été ravie quand il a été parti. D'ailleurs, il ne m'a pas plu. Il est vulgaire de figure, de ton, et, je crois, de sentiments; sans doute, il a de l'esprit, mais il est sans verve ni facilité dans la conversation. Il y est même très lourd; il nous a tous examinés et observés de la manière la plus minutieuse, M. de Talleyrand surtout.

Je me serais bien passée de cette visite, et, si j'avais pu l'éviter, je l'aurais fait. Il vise à l'extraordinaire, et raconte de lui-même mille choses auxquelles je ne crois nullement!

Le prince de Laval me mande que M. de Polignac n'a pas pu encore profiter de la liberté qui lui a été accordée, s'étant trouvé trop souffrant au moment du départ61. Il demande à être transporté à la plus proche frontière, Mons ou Calais, pour éviter le plus possible de route qu'il ne pourrait pas supporter.

Rochecotte, 2 décembre 1836.– La lettre de Mgr. l'Archevêque sur la fameuse convocation des curés est mauvaise, parce qu'elle est captieuse, ce qui ne convient jamais à un pasteur dont le plus bel attribut est la simplicité évangélique; mais convenons aussi que la démarche directe auprès des curés a dû le choquer, et que cette interdiction des prières instituées par l'Église sent un peu trop la Révolution, dont je voudrais qu'on sortît plus nettement qu'on ne le fait. C'est par peur qu'on reste dans cette voie, et cette peur, trop marquée, isole du dehors, et encourage les ennemis du dedans.

M. le duc d'Angoulême s'appellera décidément Louis XIX et sa femme, la Reine: c'est elle qui l'a voulu ainsi. Mais ils ont cependant, aussitôt après la mort de Charles X, envoyé dans la chambre du duc de Bordeaux tous les insignes de la Royauté, déclarant que même si les événements devenaient favorables, ils ne voulaient jamais régner en France. Du reste, les notifications ont été faites sous le titre incognito du comte de Marnes. Le jeune Prince est appelé à Goritz Monseigneur; il reste, avec sa sœur, chez son oncle et sa tante.

C'est sur une lettre de M. de Polignac à M. Molé, écrite après la mort de Charles X, et qui dit positivement qu'il sera reconnaissant au Roi des Français de le faire sortir de Ham, qu'il a obtenu d'en sortir. M. de Peyronnet a écrit, au charbon, sur le mur de sa prison: «Je ne demande merci qu'à Dieu», ce qu'il n'avait plus, ce me semble, le droit de dire, puis il est sorti, fort guilleret, de sa prison. Il n'a pas voulu revoir M. de Polignac, même au dernier moment.

Rochecotte, 15 décembre 1836.– Je pars décidément demain soir d'ici, et serai après-demain à Paris.

Les deux correspondants dont les lettres ont alimenté cette Chronique s'étant trouvés réunis à Paris, pendant quelques mois, la Chronique a été interrompue, pour recommencer en 1837.

1

Mascara, en Algérie, fut prise par les Français en 1835.

2

On trouvera ce message aux pièces justificatives de ce volume. – En 1834, Jackson avait réclamé au gouvernement de Louis-Philippe, de façon très hautaine, une indemnité de 25 millions, due aux États-Unis, pour les bâtiments saisis sous l'Empire, menaçant de confisquer, en cas de refus, les propriétés des Français établis sur le territoire de l'Union. Toute légitime que fût la réclamation, ses formes blessantes la firent longtemps repousser, jusqu'à une rétractation du président Jackson contenue dans le message dont il est ici question.

3

L'adresse des 221 (3 mars 1830). – C'était une réponse au discours du trône; et les 221 députés y exposaient nettement leur mécontentement de voir M. de Martignac remplacé, comme président, par le prince Jules de Polignac.

4

Le discours auquel il est fait allusion se trouve aux pièces justificatives de ce volume.

5

M. Humann ayant présenté à la Chambre, comme une mesure nécessaire, la conversion des rentes 5 pour 100 que M. de Villèle avait déjà vainement tentée en 1824, l'accueil de la Chambre fut plutôt favorable. Mais le Cabinet, qui n'avait pas connu à l'avance cette communication, se montra blessé, et M. Humann donna sa démission. Une interpellation sur cette question eut lieu à la Chambre le 18 janvier. Le duc de Broglie ouvrit la discussion: «On nous demande, dit-il, s'il est dans les intentions du gouvernement de proposer la mesure dans cette session. Je réponds: Non! Est-ce clair?» Ce dernier mot souleva une animosité unanime et fut aussitôt commenté défavorablement.

6

C'est toujours des anciens ministres de Charles X qu'il est question ici. Quelques personnes multipliaient les efforts, pour faire rendre la liberté à ces malheureux détenus politiques.

7

En 1835, et comme conséquence de l'attentat Fieschi, le Ministère avait présenté trois projets de loi très sévères, l'un portant sur le jury, l'autre sur le jugement des actes de rébellion, le troisième, de beaucoup le plus considérable, sur la presse. La discussion de ces lois, commencée à la Chambre dès le 13 août 1834, s'y poursuivit jusqu'au 29 septembre, et se termina par le succès complet du gouvernement.

8

Le marquis de Brignole-Sale.

9

Marie-Christine, princesse de Savoie, mourut eu donnant le jour à celui qui fut plus tard François II, dernier Roi de Naples.

10

L'auteur de la Chronique.

11

L'arrêt condamnant à mort Fieschi, Pépin et Morey; ceux-ci furent exécutés le 19 février à la barrière Saint-Jacques.

12

Voici la composition du Cabinet: M. Thiers, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères; M. Sauzet, garde des Sceaux; M. de Montalivet, ministre de l'Intérieur; M. d'Argout, ministre des Finances; M. Passy, ministre du Commerce et des Travaux publics; M. Pelet de la Lozère, ministre de l'Instruction publique; le maréchal Maison, ministre de la Guerre; l'amiral Duperré, ministre de la Marine.

13

Extrait d'une lettre.

14

Le prince Charles de Naples, frère de la duchesse de Berry, était le neveu de la Reine Marie-Amélie.

15

Il s'agit ici du procès en adultère intenté à Mrs Norton par son mari et qui fit grand bruit à cette époque en Angleterre. La liaison de Mrs Norton avec lord Melbourne était bien connue. Cependant, le jugement, prononcé au mois de juin suivant, acquitta lord Melbourne. Une séparation n'en eut pas moins lieu entre Mrs Norton et son mari.

16

Cette œuvre fut publiée après la mort du comte de Rémusat, en 1878, par son fils Paul.

17

Ce projet n'a pas été exécuté en entier; l'Abbé seul est enterré à Saint-Patrice.

18

La chambre des enfants, la nursery.

19

La princesse Louise était la fille du prince Ferdinand de Prusse (le plus jeune frère de Frédéric le Grand). Elle avait épousé, en 1796, le prince Antoine Radziwill.

20

La Reine Wilhelmine des Pays-Bas était fille du Roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, et sœur du Roi alors régnant, Frédéric-Guillaume III.

21

M. Bresson était alors ministre de France à Berlin.

22

La princesse Albert de Prusse était une princesse des Pays-Bas.

23

Il nous a été impossible de les retrouver.

24

Un peu fantasque.

25

Oranges vertes.

26

Propriété de la duchesse de Dino, en Silésie.

27

La princesse Metternich s'était exprimée en termes peu courtois sur la couronne que Louis-Philippe avait mise sur sa tête en 1830.

28

Les idées libérales de l'archiduc Charles avaient été, pour le prince de Metternich, l'occasion d'éloigner ce Prince de la Cour et de le rendre suspect. Ils étaient presque brouillés.

29

Virginia Water est une pièce d'eau, dans le parc de Snow-Hill, entre Windsor et Chertsey, dans les environs de Londres. On y fait des courses sur l'eau et des régates.

30

Extrait d'une lettre.

31

Fille de la maréchale d'Albuféra.

32

Yolande de Valençay.

33

La baronne de Mengden, nièce de la princesse de Lieven, vécut plus tard à Carlsruhe où elle était abbesse d'un chapitre noble. Elle était fort grande, surtout de buste, ce qui obligeait le convive appelé à s'asseoir aux repas à côté d'elle à relever avec effort la tête, pour apercevoir la sienne. Très bonne personne, elle était un peu le souffre-douleur de sa tante, et, à Valençay, lors des séjours qu'y fit la princesse de Lieven, celle-ci lui confiait la garde de son coffre à bijoux durant la promenade, de sorte que la baronne de Mengden n'y pouvait prendre part que fort rarement.

34

Ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg.

35

Dans la soirée du 25 juin 1836, un jeune homme de vingt-six ans, nommé Louis Alibaud, avait tiré sur le Roi dans la cour des Tuileries, au moment où Louis-Philippe passait devant la Garde nationale et pendant que les tambours battaient aux champs.

36

Ambassadeur d'Angleterre à Constantinople.

37

Le Reis-Effendi est le ministre des Affaires étrangères en Turquie.

38

La veuve de Napoléon Ier.

39

Sieyès était mort à Paris, le 20 juin 1836.

40

Le générai Fagel avait été ambassadeur du Roi des Pays-Bas en France, sous la Restauration.

41

M. Decazes remplissait alors les fonctions de grand référendaire à la Chambre des Pairs.

42

A la suite d'une violente polémique dans les journaux, une rencontre devint inévitable entre Armand Carrel, directeur du National, et Émile de Girardin, directeur de la Presse. Un duel au pistolet eut lieu le 28 juillet, au bois de Vincennes, entre les deux journalistes. Grièvement blessé à l'abdomen, Armand Carrel succomba le lendemain, après avoir nettement manifesté sa volonté d'être transporté directement au cimetière, sans passer par l'église.

43

Au mois de juin 1836, un incendie, attribué à l'imprudence d'ouvriers plombiers, détruisit complètement les charpentes de châtaignier de la cathédrale, qui faisaient l'admiration des visiteurs et auxquelles on donnait le nom de forêt. Un grand nombre de vitraux anciens furent brisés ou fondus, les clochers sérieusement endommagés. Pendant plusieurs heures, le feu menaça de se propager dans toute la basse ville. Les réparations, fort importantes, durèrent de longues années.

44

Le comte Paul de Périgord.

45

M. Thiers.

46

L'institution de la célèbre Mme Campan, aujourd'hui école d'Écouen.

47

D'être calme.

48

Ambassadeur de France en Espagne.

49

Cette propriété était le Val-Richer, où M. Guizot habita jusqu'à sa mort.

50

Voici la composition du ministère: M. Molé, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères; M. Guizot, ministre de l'Instruction publique; M. Persil, ministre de la Justice; M. Duchâtel, ministre des Finances; M. de Gasparin, ministre de l'Intérieur, avec M. de Rémusat comme sous-secrétaire d'État; M. Martin du Nord, ministre du Commerce et des Travaux publics; le général Bernard, ministre de la Guerre; l'amiral Rosamel, ministre de la Marine.

51

Voir plus haut Montessuy page 87.

52

Saint Maurice était le patron du prince de Talleyrand.

53

Cette notice sur Valençay fut imprimée plus tard, en 1848, chez Crapelet, rue de Vaugirard, à Paris, avec la même dédicace dont parle ici l'auteur de la chronique. – Ce curieux opuscule est cité par LAROUSSE, dans son grand Dictionnaire universel du dix-neuvième siècle, à l'article «Valençay». – Il est devenu rare, mais il en reste encore plusieurs exemplaires.

54

L'obélisque de Luxor fut donné au Roi Louis-Philippe par le pacha d'Égypte, Méhémet-Ali. – Il fut enlevé de devant le temple de Luxor, transporté à Paris, et placé, en 1836, sur la place de la Concorde.

55

Chez la comtesse Camille de Sainte-Aldegonde.

56

Le 26 octobre 1836, le prince Louis Bonaparte, accompagné de son ami, M. de Persigny, et avec le concours du colonel Vaudrey, essaya de provoquer un mouvement militaire et de renverser le Roi Louis-Philippe.

57

Futur Napoléon III.

58

Charles X venait de mourir, à Goritz, en Autriche, le 6 novembre 1836.

59

La Reine de Portugal avait été forcée, après des émeutes, d'accepter la Constitution radicale de 1820. – Elle fit, en novembre, aidée de Palmella, Terceira et Saldanha, une contre-révolution, croyant, à l'instigation de l'Angleterre, que le peuple de Lisbonne la soutiendrait, et proposa de renvoyer ses Ministres: elle avait été mal renseignée sur le sentiment populaire et fut forcée d'abandonner la lutte.

60

M. de Polignac, prisonnier à Ham, avait réclamé de M. Molé sa translation dans une maison de santé.

61

Sa peine avait été commuée en un bannissement perpétuel.

Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)

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