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1853

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Nice, 5 janvier 1853.– Je trouve, dans une lettre de Paris, de Mme Louis de Talleyrand, une phrase qui me paraît juste: «On respire ici sous l'oppression, tant l'anarchie a fatigué, mais on en prévoit le retour, et la tristesse domine, au fond, tous les esprits non officiels.»

J'ai achevé les Mémoires de Cosnac. Si des deux volumes on en faisait un seul, il pourrait être des plus piquants, car il s'y trouve quelques coins de coulisses qui n'étaient point encore venus jusqu'à nous. Puis l'auteur était évidemment un esprit fin, prompt, vif, original, hardi, libre d'allures, par hauteur plus que par licence, ce qui le plaçait presque au niveau de ceux de qui dépendait sa fortune. La charmante Henriette d'Angleterre y paraît sous le jour le plus touchant51.

Mes lettres de Berlin disent que, pour la politique générale, le voyage de l'Empereur d'Autriche y a fait merveille, mais que pour la question douanière elle n'a pas fait un pas. La cuisine parlementaire qui se fait en ce moment à Berlin y cause une grande agitation; on en est ému et inquiet.

Nice, 8 janvier 1853.– Dans l'Indépendance du 3 janvier se trouve la liste officielle des sénateurs: Mouchy, La Rochejaquelein et Pastoret étonnent! La Maison Impériale y est aussi; du moins, est-elle toute prise dans les sommités bonapartistes, il n'y a rien à y reprendre.

Mon fils Alexandre52, qui est arrivé hier, et la poste m'ont apporté de Paris une quantité de lettres, dont je vais donner quelques extraits: 1o «Ici on se querelle, on se boude, l'hiver est triste; notre pauvre société française n'existe plus; il n'y a plus un salon possible; chacun vit dans son coin. Vous aurez vu les noms des grandes et premières charges avec leurs énormes cumulants, traitements, dans les gazettes. Voici ceux des chambellans: MM. de Flamarens, d'Arjuzon, de Quitry, Walsch, de Belmont, et quelques autres encore que j'oublie en ce moment. Chaque chambellan aura un traitement de dix mille francs. Il n'y aura plus de Clichy pour les sénateurs, leur prison sera le Luxembourg.»

2o «Vous aurez vu les grandes charges de la Maison Impériale. Elles ont amené la démission de sénateur du prince de Wagram, qui s'attendait à être Grand-Veneur, son père l'ayant été sous l'Empire, et le fils connaissant mieux que personne la vénerie.

«La société est intenable. L'aigreur réciproque de chaque fraction, à son comble, l'anathème contre MM. de Pastoret et de La Rochejaquelein presque unanime.

«M. Molé est revenu accablé et dérouté de Champlâtreux.

«Depuis que les journaux n'osent plus rien dire, les faux bruits nous inondent: je ne vous donne donc pas pour certain que c'est le duc de Guiche qui ira à Berlin remplacer M. de Varennes, M. de Béarn allant à Bruxelles, ce qui mécontente les Broglie.»

3o «Les lettres de créance du ministre de Prusse ont tardé à arriver jusqu'il y a six jours. On en était de bien mauvaise humeur ici, et on le montrait d'une façon bien gauche. Les lettres envoyées à M. de Kisseleff ne contenaient pas les mots: Monsieur mon frère, tandis que celles de l'Autriche et de la Prusse les portaient. L'ordre était donné aux ministres de ces deux Puissances de ne remettre leurs lettres que si celles de Russie étaient acceptées, et on ne voulait pas les recevoir. Cependant, tout s'est arrangé, Kisseleff vient de remettre les siennes, les autres le seront demain.»

4o «Rien ne peut vous donner une idée de ce qu'a été le séjour de la Cour Impériale à Compiègne. Entre autres, on y a joué des charades en action. Sur le mot curé, par exemple, les dames, à quatre pattes, faisaient les chiens, etc.

«L'Empereur est décidément fort amoureux d'une Espagnole, Mlle de Montijo. Il lui a montré la couronne impériale préparée pour l'Impératrice. On dit ce joyau splendide. Pour le faire valoir, l'Empereur a voulu que la belle Espagnole l'essayât, à quoi elle s'est prêtée sans difficulté, accueillant même ce que cet augure pouvait avoir de personnel pour son avenir.

«Il paraît que les trois Cours du Nord reconnaissent le fait impérial, mais non comme provenant d'un droit hérité, ni même transmissible par héritage: Napoléon élu Empereur par la nation, voilà tout. Louis-Napoléon a reçu officieusement communication de cette rédaction à Compiègne; ayant au premier moment comprimé l'impression qu'elle lui faisait, le soir l'effet a éclaté par de violentes attaques de nerfs et de colère, pendant lesquelles il menaçait de faire immédiatement entrer l'armée française en Belgique. On a fait chercher au plus vite les Ministres pour le calmer. Ils y sont parvenus avec peine. C'est là le vrai de cette indisposition qui l'a retenu à Compiègne, au delà du premier terme fixé pour la durée de ce séjour.»

Nice, 11 janvier 1853.– J'ai reçu hier une très affectueuse lettre de la Reine Marie-Amélie, en réponse à une lettre de bonne année. Elle m'est parvenue par Mme Mollien, qui était chargée de me la faire arriver. Celle-ci me mande que Mme la Duchesse d'Orléans était allée, avec ses enfants, passer les fêtes de Noël et du jour de l'An avec sa sainte belle-mère; que, depuis, elle est retournée à la belle habitation qu'elle a louée près de Plymouth; elle s'y ennuie beaucoup, à ce qu'il paraît, et, au printemps, elle veut changer, non seulement de lieu, mais aussi de pays. On ne sait point encore celui qu'elle choisira.

Nice, 15 janvier 1853.– J'avance dans la lecture de l'histoire de Louis XVII53, si profondément émouvante. Il ne s'y trouve rien de nouveau en fait de grands événements; les contours extérieurs du quadruple drame du Temple sont connus de tout le monde; mais des détails curieux dans leur révélation abondent et remplissent ce cadre de larmes et de sang d'une manière habile, parce que la vérité est prise sur le fait, qu'elle se sent partout, se reconnaît à des signes certains et met ainsi le lecteur directement aux prises avec tous les bourreaux et toutes les victimes. C'est une douleur et une angoisse qui saisissent à la première page du livre et qui s'accroissent jusqu'à la dernière, sans aucune relâche. J'en suis parfois malade, parce que la torture devient contagieuse, et cependant je ne sais pas quitter cette agonie si barbare et si admirablement chrétienne, et sublime jusque dans ce malheureux enfant, qui se retrouve en mourant le petit-fils de saint Louis. Je sais bon gré à l'auteur, M. de Beauchesne, d'avoir consacré tant de soins à cette courte vie de dix ans, qui se trouve être celle d'un enfant, d'un homme, d'un vieillard, d'un martyr.

Mon fils Louis54 m'a apporté une lettre de Paris dont voici l'extrait: «L'intérêt des derniers jours ici a roulé sur la reconnaissance par les Puissances du nouveau titre impérial de Louis-Napoléon. Cet intérêt a été vif. Louis-Napoléon a hésité pendant quarante-huit heures à accepter les lettres de créance. La raison politique l'a emporté; il s'est appuyé, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, sur les termes aimables et amicaux de l'Empereur de Russie, pour passer par-dessus ce qui y manquait, et il l'a fait d'assez bonne grâce. Mais c'est un sacrifice qu'il a fait, il ne le cache pas à certaines personnes. En gardera-t-il rancune? C'est là la question. Je suis porté à le croire. Il y a une chose certaine, c'est que, sans désirer la guerre positivement, et voulant surtout que la France ne l'accuse pas de la faire par ambition personnelle, il ne la craint pas; il croit qu'elle tournerait à son avantage, et que son nom aurait, sur les bords du Rhin, l'effet qu'il a eu dans le midi de la France. Que ce soit une illusion ou non, une pareille conviction suffit pour tout commencer. Rien n'est prochain, cependant cela est sûr. Il y a une autre chose certaine, c'est que c'est une tête froide, qui travaille toujours, qui se croit sûre de ne pas se tromper, et qui n'abandonne jamais ses desseins. La réalité, qui a justifié ses plus chimériques espérances, donne raison d'avance à toutes celles qu'il peut former désormais. Or, il a dans l'esprit l'idée qu'il est appelé à faire de grandes choses pour la France, et même pour l'Europe. Toutes ces conditions ne présentent pas une grande sécurité pour l'avenir.

«L'intérieur est très calme; de longtemps les difficultés ne viendront pas de là. On se rapproche peu du nouveau Gouvernement. Nous sommes vis-à-vis de lui comme l'étranger, nous ne lui disons pas: mon frère.

«On songe toujours au mariage; j'y crois l'Empereur décidé, mais on ne trouve pas de Princesse; tout a échoué; il y en a d'ailleurs fort peu. Il serait possible qu'il s'en passât, et qu'il épousât une femme quelconque, afin d'avoir une postérité. Cela ne grandirait pas la situation. En tout, l'opinion s'arrête très difficilement à l'idée qu'il aura des successeurs, et elle est surtout très hostile à Jérôme et à son fils.»

Nice, 21 janvier 1853.– Les lettres reçues hier de Paris tournent toujours autour du même sujet: le mariage de Louis-Napoléon. Je lis dans les journaux l'étonnant discours qu'il a adressé au Sénat et aux Corps constitués. Il faut lire cette allocution in extenso; le Journal des Débats donne ce texte en entier55.

La sœur de Mme de Montijo a épousé Lesseps, autrefois Consul; voilà une petite parenté toute gentille! Eugénie56 a choisi comme témoins le duc d'Ossuna et le marquis de Bedmar, qui ont accepté de la conduire à l'autel.

On voulait marier le fils de Jérôme avec Mlle de Wagram, mais il a reculé devant la parenté Clary, qu'il trouve au-dessous de sa dignité. Cela flattera le Roi de Suède57. Quel tohu-bohu que tout ceci!

Nice, 22 janvier 1853.– C'est décidément un mariage d'amour que fait Louis-Napoléon. On me mande que Mlle de Montijo, élevée dans une pension de Paris, est fort belle, de grande naissance par son père; sa mère est fille d'un consul anglais, ce qui explique la teinte anglaise du genre de beauté, nullement espagnol, de la nouvelle Impératrice, car il n'est pas question de formes morganatiques; ainsi, point de Princesse. J'en suis charmée. Mais quelle charge, à l'âge et avec la santé du sposo, d'avoir une femme jeune, belle et méridionale! et cela dans l'entourage Bonaparte et l'atmosphère qui l'enveloppe.

Voici d'autres détails que j'ai glanés dans mes lettres de Paris, qui ne sont remplies que du mariage: Mlle de Montijo a de vingt-cinq à vingt-sept ans; beauté hautaine avec des cheveux auburn qu'elle tient de sa mère irlandaise; elle a des allures hardies. On raconte que jouant à cache-cache dans les saturnales de Compiègne, l'Empereur l'aurait découverte cachée derrière le rideau d'une chambre, où, se croyant seul avec elle, il aurait voulu l'embrasser étroitement, et qu'elle l'aurait repoussé en disant: «Pas avant d'être Impératrice.» Une autre personne, cachée tout auprès, prétend avoir entendu ce propos.

Le Conseil des Ministres a été très opposé à ce mariage. Les entours immédiats en sont très peinés. Légitimistes et orléanistes sont charmés de cette équipée matrimoniale et de tout ce qu'elle promet.

Nice, 28 janvier 1853.– J'ai eu hier une nouvelle qui me va au cœur. Le Cardinal-Prince-Évêque de Breslau est mort à son château épiscopal de Johannisberg le 19 de ce mois. Je m'attendais d'autant moins à une fin aussi prochaine que j'avais reçu le 22 une lettre de son secrétaire particulier, écrite par ses ordres, en date du 13, dans laquelle, en m'envoyant sa bénédiction pour l'année 1853, il me remerciait de mon constant intérêt, de mes vœux, et me faisait donner les détails satisfaisants d'une crise salutaire, longtemps espérée en vain par les médecins, enfin effectuée, depuis laquelle le sommeil et l'appétit se reproduisaient sensiblement. Eh bien! six jours après, il a été enlevé à ses amis, à l'Église! Et à quelle époque? Il ne nous appartient pas de demander à la Providence: Pourquoi? mais il est permis de pleurer, de prier, et surtout de suivre l'exemple de cette angélique patience qui ne s'est pas démentie un instant durant de si longues et de si cruelles souffrances. Je perds personnellement en lui un appui, une consolation à laquelle j'attachais un prix infini. Sa bonté ne s'était jamais démentie pour moi depuis 1845. Pendant huit années, il a toujours été un ami à la fois sincère et indulgent, sachant faire la part de toute chose. Je conserverai à sa mémoire la plus vive reconnaissance, et je le place dans le ciel à côté de cet autre ami chrétien dont j'ai tant aussi éprouvé l'indulgente affection58. Il me semble qu'à Rome on devra comprendre quelle perte cette mort sera pour l'Église en Allemagne. Le goût personnel du Roi de Prusse pour le Cardinal, l'influence réelle, souvent magique qu'il exerçait d'autant plus sur le Monarque qu'il était lui-même entraîné par tout ce que celui-ci a de séduisant, avaient formé un lien direct, qui était devenu la seule étoile qui brillât encore en Prusse à notre horizon religieux.

Nice, 30 janvier 1853.– Les journaux nous ont apporté hier la nomination de la maison de l'Impératrice Eugénie59. La Grande-Maîtresse est toute naturelle, la Dame d'honneur aussi, dans une Cour qui dérive du véritable Napoléon; mais les Dames du palais sont prises dans le plus petit monde, et les Messieurs aussi. C'est drôle, d'y fourrer tant de parenté et de faire avancer sa voiture, fermer une portière, ouvrir une fenêtre, porter châles et manteaux, par des cousins.

Un des jeux de mots de Paris est de dire que l'Impératrice sera la femme la mieux habillée, parce que tout Paris l'habille.

On dit que l'Impératrice a toute une kyrielle de prénoms; qu'on a hésité longtemps sous lequel elle serait plus habituellement désignée, qu'on avait flotté surtout entre Eugénie et Eudoxie, et qu'enfin on s'était tenu au premier, le second sentant trop le Bas-Empire.

Nice, 1er février 1853.– La duchesse d'Albuféra m'écrit ce qui suit: «La liste des Dames de l'Impératrice n'a été arrêtée qu'après plusieurs refus. Celui de la duchesse de Vicence a été absolu. On trouve la liste officielle fort terne.

«Le couple impérial se rendra à Saint-Cloud après la cérémonie et y passera quelques jours; les fêtes officielles recommenceront au retour. L'amour de l'Empereur est tel que samedi 22, pendant le bal des Tuileries, il a quitté la nombreuse compagnie pour aller passer deux heures dans ses petits appartements, où Mlle de Montijo s'était rendue. Son appartement coûte un million d'ameublement; les plus magnifiques cadeaux lui seront votés; la Ville de Paris lui offre un collier valant six cent mille francs.

«L'étiquette dans la cérémonie du mariage sera calquée sur les plus anciennes traditions; rien n'y manquera; il y aura même de plus un dais et le trône dans Notre-Dame, ce qui ne s'était pas pratiqué jusqu'à présent, dit-on.

«Vous verrez dans les journaux qu'on sème des jardins et qu'on en plante en une nuit pour fleurir et ombrager le cortège.»

Nice, 2 février 1853.– Il paraît qu'on pense, comme je le prévoyais, au baron de Kettler pour remplacer le cardinal Diepenbrock. C'est assurément le meilleur choix que l'on pourrait faire. M. de Kettler a beaucoup de zèle, de fermeté; beaucoup plus d'activité corporelle que le Cardinal; il visitera davantage son diocèse; il parlera tout aussi bien, au moins en chaire; il a aussi un extérieur imposant; il est bien né, bien apparenté, généralement estimé et honoré, mais il n'a pas l'onction, la grâce, la suavité, l'élégante dignité, l'à-propos dans la conversation, le tact aussi fin, aussi sûr; il alarme moins, et il n'exercera pas la même séduction personnelle sur le Roi. Ils avaient servi tous les deux dans l'armée, et M. de Kettler porte même sur son noble et austère visage une marque de son naturel guerroyant.

Nice, 4 février 1853.– J'ai reçu plusieurs lettres de Paris. Voici, en résumé, quelques détails: à la cérémonie du mariage à Notre-Dame, la princesse Mathilde était fort théâtralement arrangée, avec un air triste et contrarié; l'Impératrice très belle; on dit que sa seule imperfection est d'être plus grande, assise, qu'on ne s'y attend quand elle est debout. Elle a dit que, sacrifiant sa liberté et sa jeunesse, elle donnait plus qu'elle ne recevait, aussi se laisse-t-elle adorer. Les Dames avaient l'air terre-à-terre, mais décent. Les décorations de Notre-Dame splendides, mais les Cardinaux n'ayant pas grand air; c'est, qu'excepté M. de Bonald, il n'y en avait pas un seul de bonne maison.

Une circonstance sûre, mais qu'on ne publie pas pour ne pas éveiller les superstitions, c'est qu'en rentrant de Notre-Dame par une autre route que celle par laquelle le cortège s'y était rendu, la voiture impériale surmontée d'une grande couronne, en passant sous la voûte du Pavillon de l'Horloge, les chevaux entrés, elle n'a pas pu avancer. Le cocher, surpris, a donné des coups de fouet aux chevaux, qui, alors, ont fait tomber l'obstacle, lequel n'était ni plus ni moins que cette couronne, trop haute pour le portail, et qui a volé en éclats! Ominous!60

Nice, 5 février 1853.– Quelqu'un arrivé de Paris ici dit que, pendant les cérémonies du mariage impérial, la population était curieuse, mais froide; que l'Impératrice a paru moins jolie qu'on ne s'y attendait; en effet, il me revient qu'elle était d'une pâleur extrême, ce qui nuisait à son éclat. Les marchands vendent énormément, sans doute, dans cette frénésie de luxe, mais les affaires proprement dites restent assez stagnantes, le public ne prenant encore aucune confiance, et tout apparaissant jusqu'à présent fantasmagorie.

On me dit ce qui suit dans une lettre de Paris arrivée hier: «M. Molé vient d'être très malade d'une fluxion de poitrine, une saignée l'a sauvé. La princesse Lieven languit et se traîne misérablement dans une complaisance admiratrice et plate de tout ce qui est, sans compter pour rien les turpitudes des gens qu'elle accueille avec transport, comme porteurs de nouvelles et dépositaires du pouvoir. Elle parle de ses anciens amis avec un dédain qui révolte; jamais la rage du succès ne s'est montrée avec un plus incroyable cynisme.»

On m'écrit aussi que la duchesse de Hamilton était en simple particulière dans une tribune, à cause du grand deuil de son beau-père. Elle paraissait fort triste, et aurait désiré un autre mariage pour le parent qu'elle aime beaucoup.

Nice, 6 février 1853.– Hier, veille de la Sainte-Dorothée, ma patronne. Le matin, j'avais été par politesse chez la comtesse d'Orestis, à une bataille de confetti qu'elle avait arrangée dans son jardin pour la Société russe et anglaise. Ce plaisir particulier aux Italiens, quand la multitude passionnée y prend part dans un long espace comme le Corso à Rome, a quelque chose d'original, de fiévreux, de contagieux dont j'ai éprouvé moi-même la frénésie; mais dans un petit jardin, avec peu de monde, où d'ailleurs on se tapait de trop près, et, par conséquent, beaucoup trop fort, c'était un plaisir à froid, très peu récréatif. Aussi, au bout de trois quarts d'heure, je suis rentrée chez moi.

Le soir, je voulais me coucher, quand, tout à coup, les portes se sont ouvertes, et plus de vingt-cinq personnes sont entrées chez moi, avec un déluge de bouquets, de vers, de dessins, de souvenirs de toutes sortes. Puis, mes enfants, qui étaient dans le secret, ayant fait éclairer et orner de fleurs la grande salle, j'y ai trouvé un concert charmant tout organisé. Le vieux marquis de Negro avait, pour l'occasion, composé une hymne qui a été chantée à ravir et répétée aux cris de bis de la compagnie. Tout cela a duré jusqu'à une heure du matin. J'étais exténuée de fatigue, de reconnaissance, d'émotion.

Mme d'Avenas écrit à ma fille que l'avant-veille de son mariage, l'Impératrice Eugénie est allée au Sacré-Cœur de Paris où elle a passé quelques années de son enfance. Mme d'Avenas s'y trouvait par hasard; elle a trouvé l'Impératrice charmante, naturelle, simple, voulant revoir tous ses souvenirs de jeunesse, et jusqu'à la sœur converse qui la lavait. Cette visite a eu un bon retentissement dans le monde pieux.

Nice, 10 février 1853.– La poste m'a apporté une lettre de la maréchale d'Albuféra qui me dit ceci: «Les personnes qui reviennent de Saint-Cloud parlent du bonheur dont on y jouit. Il y aura, le Mardi gras, bal d'intimes aux Tuileries. Les toilettes sont resplendissantes; on porte beaucoup d'or et d'argent, non seulement dans les étoffes, mais encore dans les rubans et les fleurs. Les formes des robes restent les mêmes, seulement on a adopté pour les robes habillées des queues de trente centimètres; c'est un acheminement au grand habit.»

M. de La Marmora vient de recevoir, par voie télégraphique, la nouvelle d'un soulèvement à Milan et dans plusieurs autres villes de la Lombardie. Les poignards mazziniens auraient joué, mais le canon autrichien l'aurait emporté; les détails manquent61.

11 février 1853.– Il est arrivé tout à l'heure des lettres de Milan disant ce qui suit: «Pendant le Carnaval, des Milanais masqués et armés ont surpris et forcé les troupes qui gardaient le Palais. Cependant la garnison, bientôt ralliée, a pris sa revanche et a vengé les soldats et officiers, parmi lesquels un colonel, qui avaient été massacrés.» On dit même que des potences sont dressées sur les places publiques.

Je lis l'ouvrage du père Theiner sur Clément XIV62. C'est d'un grand intérêt. Le tableau de l'époque qui en fait l'introduction est habilement tracé. Je n'en suis que là jusqu'à présent. Le bruit que fait cet ouvrage en prouve l'importance. C'est évidemment un livre sérieux, puisé à des sources bien authentiques. Les Jésuites font habilement de n'y pas répliquer et d'éviter une polémique prolongée sur ce terrain que M. Crétineau leur a rendu le mauvais service de provoquer. On me mande que les amis des Pères Jésuites font tous leurs efforts pour obtenir que ce livre soit mis à l'index à Rome, mais que le Saint-Père s'y refuse. Je crois, j'oserais même dire que je sais qu'en effet il y a de fort bonnes raisons pour qu'il ne laisse pas toucher l'auteur, qui a puisé ses inspirations, disons même son audace (car il y en a beaucoup dans une telle communication), dans des encouragements supérieurs.

13 février 1853.– M. Avigdor est venu m'assurer que les troubles de Milan avaient cessé. Il m'a, de plus, apporté la proclamation incendiaire de Mazzini, qui, de sa personne, paraît avoir été à Bellinzona. Le bruit court ici qu'on aurait découvert une vaste conjuration à Bologne; que des troubles auraient éclaté à Bologne et une révolte à Monza; on ne peut trop encore y voir clair, et quoique je ne doute pas que la victoire restera à l'autorité légale, je n'en suis pas moins troublée en pensant qu'il y a un pays tellement miné et en effervescence.

Le Journal des Débats a donné deux passages relatifs à l'arrestation de M. de Saint-Priest et à la lettre qu'il écrit à ce sujet. Tout palpite encore sur cette pauvre terre de France, travaillée par tant de passions diverses63.

Voici l'extrait d'une lettre que mon fils Alexandre a reçue hier de Paris: «A propos de Carmélites, savez-vous que M. Cousin, poussé par son amour rétrospectif pour Mme de Longueville, va très souvent aux Carmélites de la rue d'Enfer, et qu'il ne veut plus écrire une ligne sans la soumettre à la Supérieure, qui est une personne du plus haut mérite, dit-on. Elle lui envoie ses manuscrits revus et corrigés, et il se soumet en enfant à ses décisions64. C'est fâcheux qu'il n'ait pas pris plus tôt ce parti, mais on ne peut qu'applaudir à cette complète conversion. J'ai toujours estimé les hommes qui reviennent; il faut pour cela autant de courage que de conscience et de sincérité.

«Si l'on s'est égayé à l'étranger de notre nouvelle comète, comme vous l'appelez (l'Impératrice), je vous assure qu'ici les sonnets, les pamphlets, les calembours pleuvent de tous côtés, et dans toutes classes, comme dans tous les salons. Je trouve cela plus déplorable que risible, car à quelque parti qu'on appartienne, il est triste de voir notre pauvre France tombée si bas. Cette malheureuse Impératrice a été tellement traînée dans la boue que, ne fût-ce que par charité chrétienne, je serais portée à la défendre. Tout en faisant la part de l'excentricité de son caractère, on s'accorde généralement sur la bonté de son cœur. Quant à moi, elle a fait ma conquête à Notre-Dame, pas comme beauté, mais par sa dignité et le pieux recueillement de son maintien.

«Savez-vous aussi l'affaire de M. Veuillot avec l'abbé Gaduel? Cet homme est incorrigible65

Nice, 14 février 1853.– Il est arrivé hier ici un aide de camp du Roi de Sardaigne, qui a raconté qu'en effet Mazzini s'était avancé jusqu'à Lugano ou Bellinzona, mais que Kossuth, moins prudent, s'était aventuré jusqu'à Voghera. C'est par les autorités autrichiennes que le comte Apponyi en a été averti, ainsi que du passage projeté de certains réfugiés avec armes et munitions, qui devait s'opérer à Stradella. Sur la demande d'Apponyi, on a envoyé des troupes pour disperser le rassemblement, saisir les munitions, etc.; mais on est arrivé, avec ou sans bonne volonté, trop tard à Voghera pour se saisir de Kossuth, qui avait pris le large.

Nice, 18 février 1853.– On m'écrit de Paris: «La tentative faite à Milan prouve que les socialistes ne se tiennent pas pour battus. Aussi la mise en liberté de quatre mille trois cents détenus, en France, a-t-elle produit une véritable terreur dans nos provinces. J'espère encore que ce mouvement milanais suspendra l'exécution de cet acte de clémence; ce serait un grand bonheur.

«On dit que les personnes qui allaient à la Cour de l'Empereur avant son mariage devront être représentées, pour permettre d'éliminer celles qu'on désire en écarter.

«L'Impératrice, jusqu'à présent, ne décide rien par elle-même. Elle soumet tout à l'Empereur, même la robe qu'elle doit porter; ils ne se quittent pas; on dit l'Empereur éperdument amoureux.

«M. de Caulaincourt, second fils de la duchesse de Vicence, épouse Mlle de Croix; il avait été refusé plusieurs fois à cause d'un œil de verre. La mère est enchantée de ce mariage. La jeune personne est riche, bien née et bien élevée. La duchesse de Périgord est moins charmée du mariage de son fils Paul: les Saint-Aignan ne donnent que 15000 francs de rente à leur fille, dont ils retiennent 6000 francs pour frais de nourriture et de logement.

«Il est certain que le maréchal de Castellane avait reçu l'ordre, par le télégraphe, d'entrer en Savoie et de s'emparer du Comté de Nice, si le mouvement milanais n'avait pas été étouffé tout de suite, probablement sous le même prétexte et avec la même durée qui a mené et qui fait rester les Français à Rome.»

Nice, 23 février 1853.– Que dire de cette nouvelle horreur tentée à Vienne66. Je suis encore sans détails; je ne sais que ce que disent les nouvelles télégraphiques, qui, même, ne sont pas d'accord entre elles. Toujours est-il que ce charmant Empereur a été blessé. Dieu veuille qu'il n'y ait pas de mauvaises suites pour ce jeune Souverain, qui annonce de si belles qualités et dont l'Allemagne a bien grand besoin à l'heure qu'il est.

Nice, 25 février 1853.– J'ai reçu de Vienne, de mon beau-frère67, quelques lignes écrites après l'attentat contre l'Empereur. La blessure avait énormément saigné, mais les médecins la déclaraient sans danger. L'émotion, l'indignation, étaient générales dans toutes les classes; le peuple s'est porté à l'Archevêché, demandant qu'un Te Deum fût chanté à l'instant à Saint-Étienne, pour rendre grâce à Dieu que le coup n'ait pas été mortel.

Un Espagnol est arrivé ici de Paris. Il est l'ami de la sœur du marquis de Bedmar et de Mme de Toreno. Cette sœur, qui se nomme Incarnation de son nom de baptême, a épousé le beau M. Manuel, l'agent de change élégant, héros d'assez éclatantes aventures. Mme Manuel était l'amie de cœur de Mlle de Montijo, mais l'Empereur n'a pas voulu qu'elle fût reçue à la Cour de l'Impératrice. Enfin, à force d'insistances, celle-ci a obtenu de voir, le matin, en particulier, cette amie de cœur. Dans cet entretien, il paraît que la jeune couronnée s'est jetée en pleurant dans les bras d'Incarnation, disant qu'elle se sentait enfermée dans une cage, dorée à la vérité, mais hermétiquement fermée; qu'elle n'était maîtresse de rien, et qu'elle n'avait eu aucune liberté pour la composition de sa maison.

Il faut lire dans le Journal des Débats du 22 de ce mois un article sur l'ouvrage du Père Theiner par M. de Sacy. Il n'y est ni janséniste, ni philosophe, il y est homme de discernement judicieux et impartial, résumant parfaitement l'ouvrage, l'appréciant sans dénigrement, et portant un jugement juste, sain, modéré, et, à mon avis, excellent sur les Jésuites, non pas les Jésuites de l'institution ni ceux d'aujourd'hui, mais ce qu'ils étaient au moment de leur suppression, et ce qu'ils tentent toujours plus ou moins à redevenir.

Le Galignany du 17 février contient la réponse de Mme Tyler, seconde femme de l'ex-Président des États-Unis, à la fameuse lettre collective des dames anglaises68. Elle est plus rude que l'article que John Lemoinne a fait à ce sujet. Il paraît que les dames américaines, au lieu d'être flattées d'avoir été traitées en sœurs par quelques grandes dames anglaises, sont fort blessées de leurs conseils. Mme Tyler les traite avec une ironie sanglante et le leading article du Times à ce sujet69, que le Galignany rapporte également dans la même feuille du 17, n'est pas moins désagréable pour les dames anglaises que pour celles du Nouveau Monde. On dit les Duchesses, Marquises et Comtesses de la Grande-Bretagne, signataires de l'Épître, très embarrassées, et aux regrets que leur vaniteuse charité leur ait fait faire une semblable démarche. Il est sûr qu'il est impossible d'en avoir fait une plus ridicule.

Nice, 26 février 1853.– J'ai reçu hier des lettres de Paris, dans lesquelles on me dit ce qui suit: «Les amis du Gouvernement ont regretté encore plus que ses ennemis l'arrestation du vicomte de Saint-Priest; je crois qu'il n'y aura, en définitive, que M. Tański de sérieusement atteint. Il correspondait avec plusieurs Cours étrangères, et leur faisait passer, outre des bulletins politiques, tous les couplets, les quatrains, les pamphlets qui pullulent sur l'Impératrice. On a trouvé chez lui, entre autres, la minute d'une lettre de lui, adressée à lady Holland, à Naples, remplie des lazzi que le mariage impérial a provoqués. Walewski et Rothschild ont fait de grands efforts pour obtenir sa liberté, mais inutilement. Ce même Tański était aussi dans l'intimité du prince Jérôme-Napoléon.

«Les témoins espagnols de l'Impératrice, au mariage civil et religieux, n'ont pas été invités depuis aux Tuileries, pas même au bal du Mardi Gras, où il y avait trois cents personnes. Cependant, ils ont dîné hier avec Leurs Majestés, à l'exception du marquis de Bedmar qui a fait dire qu'il partait le matin même pour Madrid.

«Le prince Murat n'a paru ni à la Cathédrale ni aux Tuileries; il est resté sous sa tente, blessé de n'avoir pas eu l'Altesse impériale et le même rang que le groupe Jérôme.»

Nice, 27 février 1853.– On me mande de Vienne que le jeune Empereur, par la violence du coup qui lui a été porté, a cru dans le premier moment avoir reçu un coup de feu et être assailli par plusieurs. Aussi tira-t-il son sabre pour se défendre. Il put ensuite faire cent pas sans chanceler, après lesquels il fut obligé de se laisser conduire par son aide de camp, le comte O'Donnell. Son premier mot à celui-ci a été: «Ceci vient de Milan», et en revoyant sa mère: «Je partage le sort de mes braves soldats de Milan.»

L'Archiduchesse Sophie est dans un état affreux, elle a vraiment l'aspect de la Mère de douleur. Elle prévoit des chances de récidive dans l'avenir et a perdu toute sécurité.

On me mande de Paris que Cousin s'est passionné pour l'Impératrice Eugénie, et qu'il en parle avec la même exaltation que de Mme de Longueville. N'y a-t-il pas là de quoi faire tressaillir la poussière de Port-Royal?

Nice, 28 février 1853.– Ma sœur m'écrit de Vienne, du 21, que la vue du jeune auguste blessé est encore trouble.

Elle me dit aussi qu'à Milan la haute noblesse était venue, en corps et en voitures de gala, offrir au général Gyulay ses compliments de condoléances à l'occasion de l'attentat, et que le général leur aurait dit, en les recevant, qu'il regrettait de devoir à une aussi douloureuse circonstance l'honneur de faire leur connaissance.

Il vient de paraître dans le nord de l'Italie une nouvelle proclamation de Mazzini, qui dit qu'il ne faut pas se décourager par l'avortement de l'insurrection de Milan, puisqu'il ne s'agit que d'attendre quelques jours pour voir des événements plus décisifs; ce qui, d'après les dates, coïnciderait avec l'attentat de Vienne. D'après les journaux, on devait tenter un coup de main sur la forteresse de Bude. Toutes ces trames ont également leurs échos dans le Grand-Duché de Posen, et dans le cœur même de Berlin.

Nice, 1er mars 1853.– Mon beau-frère Schulenbourg, qui est arrivé hier de Vienne, nous a conté bien des particularités sur l'Autriche et la Lombardie qu'il vient de traverser. Les dernières nouvelles télégraphiques que Radetzky avait reçues de Vienne pendant que Schulenbourg était à Vérone portaient que l'état cérébral du jeune Empereur offrait de la gravité; la vue était tellement affectée que le pauvre blessé ne pouvait pas supporter la plus petite lueur; il était obligé de rester dans la plus parfaite obscurité, et son ouïe était tellement surexcitée qu'il entendait distinctement tout ce qui se passait à trois chambres de la sienne. On craignait un épanchement du sang au cervelet. Deux minutes avant l'accident, l'Empereur avait montré au comte O'Donnell un groupe de trois hommes à mines sinistres, en lui disant: «Voilà des brigands.» Aussitôt que le meurtrier fut terrassé, ce groupe a disparu. On a envoyé un prêtre hongrois à l'assassin pour remuer sa conscience et lui faire faire des aveux; il paraissait s'y être décidé et avoir déjà commencé. Les arrestations continuaient de tous côtés.

Cet événement, joint aux troubles et conspirations de Milan et de Hongrie, rapprochera beaucoup les puissances continentales de l'Empereur Napoléon III. On veut faire cause commune et se mettre en faisceau contre le danger commun, et notamment se montrer unis et imposants à la Suisse et à l'Angleterre. Tout tourne au profit de Louis-Napoléon, jusqu'au danger de l'assassinat, dont il court, avec des souverains légitimes, les terribles chances.

L'exaspération contre les Anglais, à Vienne, est telle, qu'au Te Deum de Saint-Étienne, lord Westmorland a pu entendre, s'il comprend l'allemand, des paroles, dites fort haut, et des plus rudes à ses oreilles. Le prince de Metternich, qui n'était pas rentré à la Chancellerie d'État depuis les événements de 1848, s'y est rendu, aussitôt après l'attentat, pour savoir par les Ministres qui étaient réunis, des nouvelles de l'Empereur. C'est noble et bien.

Nice, 3 mars 1853.– Lady Westmorland m'écrit une lettre toute désespérée sur l'attentat contre l'Empereur, auquel elle est d'autant plus sensible que toute la mission souffre de l'exécration vouée à l'Angleterre; je cite ses mots. On voulait faire un scandale devant la maison habitée par les Westmorland. La police a eu beaucoup de peine à l'empêcher, et il n'y a que la connaissance qu'on a des sentiments personnels de lord Westmorland qui fasse qu'on les tolère à Vienne, et elle ajoute: «J'ai l'espoir que les choses sont arrivées à un point tel, que notre Cabinet devra et pourra mettre fin aux menées des abominables gens réfugiés et conspirant en Angleterre contre le repos européen. Mais j'en serais beaucoup plus sûre si mon oncle, le duc de Wellington, vivait encore pour élever la voix.»

Schulenbourg a vu avec peine qu'en Saxe le public de toutes les classes était mal satisfait du mariage du Prince Albert avec la Princesse Carola70. On n'y trouve ni alliance politique utile, ni entourage de famille brillant; on n'aime pas l'origine maternelle; puis, pas de fortune, le jeune ménage sera tout simplement pauvre, 40000 écus de rente à eux deux pour tout potage; c'est, dans leur position, n'avoir rien. Du reste, la Famille Royale elle-même (mais elle seule) est très affectueuse pour la Princesse Carola et le jeune homme éperdument amoureux. On avait désiré qu'il épousât l'Archiduchesse Élisabeth, la jeune veuve qui habite Brünn, mais aussitôt qu'il eut aperçu la Princesse Carola, qui, par hasard, se trouvait à Brünn en ce moment, et quoique l'Archiduchesse soit infiniment plus belle, il a dit à un neveu de Schulenbourg: «Celle-ci ou aucune.»

Nice, 5 mars 1853.– On m'écrit de Paris ceci: «La clémence de l'Empereur a un effet déplorable sur les provinces, où on s'alarme du retour de ces misérables71. Les sociétés secrètes sont en pleine vigueur; elles se dissimulent, mais ne se dissolvent pas; les Préfets courageux l'écrivent, ceux qui ne veulent ni inquiéter ni déplaire se taisent lâchement. M. de Persigny, qui s'est élevé fortement, et contre le mariage, et contre l'amnistie, est en froid avec les Tuileries. Le vent y est revenu à M. de Morny. On dit l'intérieur impérial assez triste; l'épuration des dames, un peu trop gaies, est positive.»

Mes nouvelles d'Allemagne confirment la conspiration hongroise, le projet d'assassiner l'Archiduc-Gouverneur, et à Berlin on a découvert des trames semblables. L'émoi a été vif à Charlottenbourg. Il paraît certain que les trois Cours du Nord feront simultanément des démarches sérieuses pour rompre les repaires anarchiques, et rien ne pouvait mieux servir l'Empereur Napoléon III, car avec lui on forcera la Suisse et le Piémont; sans lui cela deviendrait difficile, et comme lui aussi est menacé des poignards socialistes, son intérêt se trouve identique avec celui des trois souverains, et l'entente en deviendra plus cordiale.

Dans les Cours de l'Europe, on est devenu très indifférent pour le rejeton de la branche aînée des Bourbons, et on est tout simplement hostile aux d'Orléans, parce qu'on est persuadé, non sans raison, qu'avec eux reviendrait ce détestable libéralisme bavard, qui a enfanté 1848, et que le jugement faux et vaniteux, enfin tout ce que représentait Mme la Duchesse d'Orléans, créerait bien plus de dangers à l'Europe que la dictature actuelle.

Nice, 8 mars 1853.– Il paraît certain que Mazzini et Saffi se sont embarqués sur une frégate anglaise qui a longtemps côtoyé Villefranche et toute la rivière de Gênes.

Lord Minto se promenait l'autre jour sur l'Acquasola de Gênes, bras dessus bras dessous avec le secrétaire de Kossuth!

La frégate a relâché à Livourne. Plusieurs midshipmen72 sont descendus dans la ville, y chantant des airs et des paroles révolutionnaires en italien. Ils ont été arrêtés par la police autrichienne. Le commandant de la frégate les a réclamés; on les lui a refusés et la frégate a dû prendre le large sans eux.

Nice, 13 mars 1853.– La maréchale d'Albuféra m'écrit de Paris: «Vous désirez savoir la couleur des yeux de l'Impératrice. Ils sont bleus; mais elle se peint les sourcils et les cils en noir, ce qui fait un contraste avec ses cheveux blond ardent et donne beaucoup de piquant à son visage. Tout le monde la trouve belle. On la disait grosse, mais comme elle a valsé au bal du Mardi Gras, on ne sait plus trop que penser. Savez-vous pourquoi l'Impératrice Eugénie est la première écuyère de France? C'est qu'elle a sauté la barrière du Trône! Voilà un des lazzi avec lesquels on se console ici.»

Gênes, 18 mars 1853.– Je suis arrivée ici aujourd'hui à midi. La route était encore fort encombrée de rochers détachés de leurs cimes par les déluges de pluie, et ils entravaient singulièrement notre marche, malgré les efforts des cantonniers occupés au déblayage. J'ai déjà visité les églises de l'Annunziata, du Gesù, de Santo-Ciro et de San Lorenzo, l'Albergo di poveri et l'Ospedale di Santa Caterina. Tout cela a de l'intérêt et complète assez bien mon giro génois.

Alexandrie, 18 mars 1853.– Adieu le Midi, le ciel pur, la mer bleue; adieu palmiers, myrtes, roses et oliviers! Nous avons traversé ce matin, par une pluie froide, ou plutôt par une neige fondue, cette partie nue et rude des Apennins. C'était fort laid et fort triste. A Bussana nous avons pris le chemin de fer. Nous étions entassés dans un wagon avec trois Anglais, dont l'un, Irlandais très loquace, revenant des Grandes Indes, les deux autres revenant de Rome et de Naples.

Vérone, 22 mars 1853.– Nous avions quelque espérance d'atteindre Vérone dès hier au soir, ce qui, en effet, nous eût été facile, si nous n'avions pas manqué de dix minutes le dernier départ du chemin de fer. Il a donc fallu rester à Mantoue, où nous étions pitoyablement gîtés dans un détestable petit cabaret, les auberges passables étant encombrées par les parents de ceux qu'on juge en ce moment à Mantoue, non pas à la suite des derniers événements de Milan, mais en conséquence de la grande conspiration découverte en novembre dernier73; quatorze cents personnes sont gravement compromises; cinq ont déjà été exécutées dans un des forts de Mantoue. L'Empereur vient d'en gracier un grand nombre et de commuer la peine des autres. Mais, Mantoue, cette forteresse déjà si sérieuse et si obscure en elle-même, vue ainsi au travers des torrents d'une pluie glaciale, et sous le voile lugubre des conspirations et des tragédies réelles, dans une petite chambrette dont les vitres étaient cassées et la cheminée était pleine, non pas de feu, mais d'une fumée épaisse, offrait le plus triste séjour.

Vérone, 24 mars 1853.– L'Archiduchesse Sophie a fait un touchant cadeau au comte O'Donnel, cet aide de camp qui était près de l'Empereur d'Autriche au moment de l'attentat contre sa personne. Elle lui a donné une bague très simple, contenant une grosse turquoise, qui s'ouvre, et sous laquelle se trouve une mèche des cheveux ensanglantés de l'Empereur, qui lui ont été coupés après l'attentat. En lui donnant cette bague, l'Archiduchesse a dit au comte O'Donnel: «Ce n'est pas un cadeau impérial, c'est le souvenir d'une mère reconnaissante.»

On a fait à Vienne plusieurs bons mots, dont j'ai retenu les suivants: Le général Haynau est mort le même jour et presque à la même heure que l'Archevêque de Vienne, qui se nommait Milde (ce qui en allemand veut dire douceur). On dit donc, que malgré la férocité attribuée à Haynau, il est mort mit milde74. Voici le second bon mot. Le général Leiningen, en mission à Constantinople, a obtenu des Turcs de ne plus appeler les chrétiens des chiens; mais à la condition expresse que, désormais, il ne serait plus permis aux chrétiens de donner à leurs chiens le nom de Sultan. Ceci est bien digne du théâtre des Variétés.

Une question plus sérieuse, plus importante, c'est l'arrestation à Milan d'un avocat, chez lequel on a saisi des papiers très explicatifs des projets mazziniens et, entre autres, la preuve qu'à un jour fort prochain, il devait éclater à Naples, Florence et Gênes, des explosions formidables, et mieux organisées que ne l'a été la dernière échauffourée de Milan. On a aussitôt expédié des courriers sur les différents points menacés qui, très probablement, seront arrivés à temps pour empêcher les bombes d'éclater.

Vérone, 25 mars 1853.– Le maréchal Radetzky, m'ayant très poliment fait exprimer ses regrets qu'un reste de grippe ne lui permit pas de venir chez moi, j'ai été hier chez sa femme, où le Maréchal s'est rendu. L'appartement est beau, commode et chaud, la vieille dame fort polie; mais l'intérêt principal se fixait, naturellement, sur l'illustre vieillard, qui complète, pour moi, la série des illustres guerriers contemporains, que j'ai tous connus plus ou moins. Cette série commence par Souvarow qui, à Prague, lorsque son fils cherchait à épouser ma sœur, m'a fait sauter et gambader avec lui, quand j'avais sept à huit ans; ses originalités, encore plus que sa gloire, l'ont fixé dans mon souvenir. Napoléon, avec ses capitaines célèbres; Wellington, Schwarzenberg, Blücher, et maintenant Radetzky, et d'autres encore, m'ont été connus d'assez près, pour pouvoir conserver une impression distincte de leur individualité; et je sais apprécier cette longue chaîne d'illustrations contemporaines.

Il est impossible d'avoir été plus naturellement obligeant, simple, et, en même temps, plus aimablement communicatif que le feld-maréchal Radetzky l'a été avec moi. Sa verdeur, son entrain, à quatre-vingt-six ans, sont une véritable merveille; mais il lui faut soigner une toux qui est incessante depuis quelques jours. Il était parfaitement rassuré sur les suites de la grande conspiration (qui se tramait et qui devait éclater hier), depuis qu'en outre de l'arrestation de l'avocat Milanais, on a aussi opéré celle d'un riche banquier de Bologne. Ici, on est obligé de faire garder les puits des casernes par des sentinelles, pour empêcher l'exécution du projet découvert de les empoisonner; les détails les plus douloureusement curieux abondent.

Vérone, 26 mars 1853.– J'ai eu hier la visite du général Benedeck, une des plus brillantes célébrités des dernières campagnes d'Italie et de Hongrie. Il est maintenant chef d'état-major du feld-maréchal Radetzky. Sa position ici est très importante et, par le temps qui court, très lourde. Il est doux, modeste, poli; sa conversation mesurée sans être froide; ses blessures ont rendu sa santé délicate; il est maigre et de taille moyenne.

Les uns disent que l'ennui commence à régner aux Tuileries; d'autres, au contraire, que les tendresses y sont extrêmes et que l'Impératrice est très touchée des soins constants et charmants dont elle est l'objet. En dehors des grandes soirées, il y en a de petites qu'on dit fort gaies. Pour les présentations à l'Impératrice, l'étiquette ne laisse pas que d'être sévère. Elle consiste en une simple défilade. Mme Le Hon en était furieuse et le disait tout haut.

J'ai reçu une lettre de Mme Mollien, désolée du bruit, qui se répandait de tous côtés, que Mme la Duchesse d'Orléans épousait M. de Montguyon; et elle espère que toute cette histoire est une invention.

Voici les extraits de deux lettres: la première est de M. de Falloux, la seconde du duc de Noailles:

Premier extrait: «Je suis mal au courant des directions actuellement prédominantes à Venise; j'ai eu le chagrin de me trouver en désaccord avec un premier mouvement de M. le Comte de Chambord. A la suite du 2 Décembre, j'aurais voulu que l'élite seule du parti légitimiste représentât, en se retirant de tout, la protestation morale, mais qu'on laissât le gros de nos amis à leurs mairies, à leurs Conseils généraux, y fonder ou y développer les écoles religieuses, qui seules rendront la France, à l'avenir, une nation sur laquelle on puisse régner. Une ligne plus cassante, plus hostile a été préférée75. Je conçois que cela fut bien tentant pour le Chef de la maison de Bourbon; cependant, j'ai persisté à croire que les conseils donnés étaient exagérés et funestes. Quant à la fusion, M. le Comte de Chambord l'a toujours désirée et a beaucoup témoigné ce désir. On y a mal répondu; et il a fini par être blessé, sans cependant y renoncer ou la repousser absolument. Les d'Orléans répètent beaucoup qu'ils ont fait de nouvelles démarches; mais, de fait, ces démarches étaient des conditions déplacées. Voilà où on en est aujourd'hui. C'est une situation bien dangereuse pour tout le monde. Ce sont les Princes d'Orléans qui ont fait l'Empire; ils suivent une ligne de conduite toute propre à fortifier cet Empire. Tant que la France ne verra pas un grand et fort gouvernement à mettre à la place de ce qui lui donne aujourd'hui le repos matériel, elle ne s'en dégoûtera pas. Mais il faut craindre aussi les illusions du Comte de Chambord. Tant qu'il n'a pas d'enfants, le principe réside bien encore en lui, avec tous ses avantages; mais la réalité, la perpétuité de la Maison de Bourbon, sont dans la branche cadette. Le Comte de Chambord est donc fort paralysé, lui, dont la valeur première est l'hérédité; il ne faudrait donc pas qu'il voulût avoir trop rigoureusement raison, sans vouloir tenir compte de l'état de démoralisation où la France est plongée, sans réfléchir qu'une nation, dans un tel état, est accessible à tous les coups de main. M. le Comte de Paris grandit, M. le Comte de Chambord prend des années, l'action du temps est donc bien inégale pour les deux, et il faudrait tout concilier, en unissant tout indissolublement. Je sais bien que, sans nous autres légitimistes, aucun gouvernement ne durera, mais la France est trop épuisée pour supporter de nouvelles expériences; et si on ne lui ôte pas en commun la chance de se tromper, sa prochaine erreur serait la dernière et la France serait en lambeaux… avant vingt ans. Je voudrais que, des deux côtés, on fût bien persuadé de cette vérité.»

Second extrait: «La fusion est aussi éloignée que jamais. Le fait est que, malgré quelques semblants, les d'Orléans n'en veulent pas, la façon dont ils l'entendent la rendant a priori impossible. Ils ne veulent s'engager vis-à-vis du Comte de Chambord que dans le cas où la volonté nationale se sera prononcée à son égard et lorsque le fait se sera joint au droit. Quant à l'Angleterre, elle ne fera rien contre les réfugiés; on ne pourrait l'y forcer que si la France était à la tête des autres puissances pour l'y obliger, et c'est ce qu'elle ne fera pas. Du reste, point de projets de guerre clairs et arrêtés; mais l'Empereur Napoléon a dit hier, à quelqu'un, qui me l'a répété immédiatement: «La France n'a toute sa puissance et toute son influence que dans l'action. Quand l'Europe est en repos, les vieilles monarchies l'emportent toujours sur elle, et il faut bien avouer que je suis né d'hier.» Ceci a été dit à propos de la rapidité du succès de la mission du Comte de Leiningen à Constantinople76

Vérone, 27 mars 1853, jour de Pâques.– Il a fait hier un joli petit semblant de printemps dont, bien vite, j'ai profité pour aller au Giardino Giusti, que j'avais envie de revoir. Les violettes y abondaient, et nous nous sommes livrés à de fort douces illusions, sous les cyprès séculaires égayés par le chant des oiseaux, qui tous paraissaient en belle humeur. Nous avons gagné les terrasses supérieures, d'où la vue était très nette, riche et variée. Nous nous sommes laissés conduire ensuite à un théâtre antique, destiné jadis aux jeux olympiens. Un propriétaire d'ici a acheté et fait abattre les maisons qui encombraient ces ruines; elles paraissent avoir couvert un très grand espace. Des pierres colossales reproduisent ce caractère de grandeur, imprimé à tous les monuments d'une puissance en elle-même gigantesque.

Vérone, 29 mars 1853.– J'ai été hier dire adieu au maréchal Radetzky, toujours retenu par les restes de la grippe. Il a fort agréablement causé dans son cabinet, où je l'ai trouvé, écrivant d'une main aussi ferme que ses conceptions sont claires et lucides. Il m'a montré une belle miniature, représentant l'Empereur François-Joseph, que l'Archiduchesse Sophie lui a envoyée, en y joignant quelques vers des plus touchants. La Maréchale m'a menée dans la bibliothèque, où se trouvent, sous verre, les bâtons de maréchaux autrichien et russe; le second est fort orné de diamants; le premier, moins brillant, est plein d'allusions, de noms, de dates, de symboles. Le tout repose sur un piédestal en bronze, fondu dans l'airain d'un des canons pris à Novare.

Venise, 30 mars 1853.– Au bout de ce prodigieux chemin de fer, qui traverse la lagune, pour enchaîner insolemment l'épouse de la mer à la terre, Pierre d'Aremberg m'attendait hier, au débarcadère. Il s'est placé dans notre gondole pour descendre avec nous le Canal grande, au bout duquel est l'Albergo Danieli où nous sommes descendus. Les salons sont grands, avec la belle vue sur Santa Maria della Salute, San Giorgio Maggiore, la Riva degli Schiavoni et son bruyant mouvement: tout ce grand et vivant tableau se perdant dans le lointain de la mer. La route de Vérone, ici, est charmante, traversant une large vallée, bordée à gauche par les Alpes Tyroliennes, à droite par les monts Euganéens; les unes couvertes de neige et de glace, les autres se dessinant en pointes aiguës sur un ciel, qui s'était enfin purifié.

Venise, 31 mars 1853.– Ma cousine Emma de Chabannes77, pour laquelle j'avais un petit paquet, est venue me voir et me dire que sa Princesse pensait, avec plaisir, qu'elle pourrait enfin faire ma connaissance personnelle. La Princesse part après-demain, pour aller passer quinze jours à Modène; j'y vais ce matin, et ensuite chez la Duchesse de Berry.

Hier j'ai été dans la matinée, en gondole, à l'église degli Scalzi, la plus riche de Venise, et à celle de Santa Maria gloriosa dei Frari, la plus intéressante par ses monuments funéraires. Les Carmes déchaussés qui soignent l'église degli Scalzi sont très polis, et m'ont accueillie à merveille. Ils m'ont montré un autographe de leur patronne, sainte Thérèse, qu'ils conservent sous verre et qui n'est pas placé pour être vu commodément; ensuite je suis rentrée. Il faisait un froid humide fort déplaisant; aussi suis-je restée chez moi, tout le reste du jour, à ne voir de Venise que ce que ma fenêtre veut bien m'offrir; à la vérité, c'est beaucoup, beaucoup à voir, beaucoup aussi à entendre, parce que la voix humaine, dans ses plus diverses inflexions, se charge ici de remplacer le bruit des roues et le piaffement des chevaux.

Venise, 1er avril 1853.– Il faisait positivement chaud dans la gondole qui m'a descendue hier, à midi et demi, au Palais Cavalli. L'accueil y a été fort bon, la conversation facile. Le Comte de Chambord a une bonne figure ouverte et de la rondeur dans les manières, mais il ne faut le voir qu'assis. Quant à la Comtesse de Chambord, elle a toutes mes préférences: dignité, grâce, naturel, politesse bienveillante, taille superbe, bel air, yeux intelligents, cheveux admirables, dents blanches, sourire aimable. L'inégalité de son visage ne va pas jusqu'à la contorsion ni à la grimace. Sa conversation est fort en harmonie avec son extérieur; enfin, elle est ce qu'elle doit être, la position donnée; position si touchante, si élevée, si triste, si difficile, dont la simplicité la tire mieux que toutes les habiletés ne pourraient le faire. Bref, elle m'a plu au delà de ce que je supposais; son mari moins, quoique sa candeur et la loyauté répandues sur ses traits aient de l'attrait. Il a un beau front, droit, élevé; sa conversation est bonne, sage, mais je ne la trouve pas élevée; puis il est, ce me semble, de très belle humeur; je ne sais pas si je n'aimerais pas mieux un nuage de mélancolie.

Le palais Vendramin a des allures toutes différentes. Mme la Duchesse de Berry est devenue d'une laideur suffocante: laideur, allures, gestes, son de voix, plaisanteries, tout est commun jusqu'au vulgaire; bonne femme au fond, mais hurluberlue dans son langage et grotesque de sa personne. Le comte Lucchesi78 n'est pas plus beau, mais il est poli et se tire en maître absolu de sa très difficile position; il fait les honneurs du palais, plus en grand maréchal qu'en époux; mais on sent la main de fer sous le gant de velours. Les trois enfants, issus de ce mariage (la petite fille, née à Blaye, a eu le bon esprit de mourir, il y a longtemps), ne se sont pas montrés.

Après ces deux audiences, je suis allée au jardin botanique, créé en 1815, par ordre de l'Empereur François: j'y ai vu de fort belles plantes; on n'est pas fâché de se retrouver par moments sur des petits carrés de terre ferme.

Lady Westmorland me mande ce qui suit, en date de Vienne du 28 mars: «Lord Stratford de Redcliff a été ici, pendant quelques jours, en route pour Constantinople. Il a eu une audience de l'Empereur et en a été très content, ainsi que du comte Buol. Ils paraissent être tout à fait d'accord sur les affaires de Turquie; c'est une goutte de consolation, car, du reste, il y a une irritation et une animosité des deux côtés, qui nous font passer de mauvais moments. Vienne est fort triste; point de bals, un mauvais opéra et un ballet détestable.»

Venise, 2 avril 1853.– J'étudie Venise de mon mieux. Je vois peu à la fois, mais bien en conscience et avec force livres et recherches. Hier nous avons été visiter San Giorgio avec son magnifique perron, d'où la vue est si belle. Palladio a mis tout son art dans cette église, très correcte par conséquent, mais froide dans ses lignes, sa couleur et ses formes; mais dix belles colonnes de marbre antique, quelques belles figures en bronze et un ou deux souvenirs historiques lui donnent de l'intérêt. Les tableaux s'y perdent par l'humidité de cette île, qu'on va fortifier, et qui deviendra un point de défense formidable. L'église des Capucins, Il Redentore, également du Palladio, a ses mérites et ses défauts; ceux-ci fort augmentés par des ornements d'un goût affreux, imaginés par les bons franciscains, qui ne sont guère artistes. Leur sacristie contient trois Jean Bellini de prima sorte, et, comme contraste, une série de crachoirs, d'une configuration si étrange que je n'ai pu comprendre leur destination que par l'explication que m'en a donnée le Père sacristain. Celui-ci a la plus belle, la plus longue et la mieux tenue, peignée, brossée et brillante de toutes les barbes de capucins que j'aie jamais vues. Il m'a prise en bonne part, et, au dernier moment, il a ouvert une petite armoire contenant une figurine en cire qu'on dit être: il vero Ritratto del santissimo Fondatore degli ordini mendicanti79. Le fait est que c'est tellement ainsi qu'on se représente saint François d'Assise que, pour moi du moins, je ne mets pas en doute que ce ne soit là son véritable portrait. Enfin, je suis rentrée, bien fatiguée. Après le dîner, je me suis assoupie, mais pas longtemps, car le chant des gondoliers qui, en chœur, égayent leur station au Molo, m'a fait vite ouvrir la fenêtre pour les mieux entendre. C'était fort joli.

Venise, 3 avril 1853.– Il y a de bien belles choses à admirer ici; mais il y en a trop. Je ne sais comment le mois que je veux passer à Venise suffira pour tout ce que l'un et l'autre me dit de voir. J'ai vu d'admirables Paul Véronèse à l'Académie delle belle arti, où je suis restée deux heures dans une véritable admiration. La collection n'y est pas nombreuse, mais les chefs-d'œuvre y abondent: presque tous de cette admirable école vénitienne qui, depuis que je sais distinguer les tableaux, est celle qui m'a toujours satisfaite plus que toute autre.

Venise, 4 avril 1853.– Hier dimanche, j'ai été faire ma prière à l'église des Saints-Apôtres, dont on célèbre la fête le 3 avril. Il y avait, par conséquent, grande funzione dans cette église qui leur est consacrée; beaucoup de lumière, de belles orgues, mais des voix et des chants rappelant beaucoup trop l'opéra. L'église, en elle-même, n'est pas intéressante; d'ailleurs, n'y étant que pour assister à la grand'messe, je l'ai fort peu examinée. Ce qui m'a singulièrement plu et touchée, c'est une procession passant sur la Riva degli Schiavoni, et portant chaque année, au premier dimanche après Pâques, aux malades qui n'ont pu faire leurs dévotions à l'église, leur portant, dis-je, la communion pascale, soit dans leur palais, soit dans le taudis de leur misère. C'est bien, c'est naturel, comme l'est toujours notre mère l'Église.

A midi et demi, j'étais au palais Vendramin, où Mme la Duchesse de Berry m'avait dit de me rendre, pour me montrer en détail ce charmant et magnifique établissement que les arts dans leur plus belle expression, le goût dans sa perfection, le confort dans tout son bien-être, l'histoire dans ses traditions, et le luxe dans sa splendeur, se sont plu à différentes époques à orner. Depuis des colonnes de jaspe sanguin, de toutes grandeurs, provenant du temple de Diane, à Éphèse, jusqu'à une botte de Louis XIV, sur le talon de laquelle Van der Meulen a peint une des batailles gagnées par le Roi, depuis des tableaux prima sorte de Jean Bellini, Andrea del Sarto, etc., etc., jusqu'à des portraits du pauvre petit Louis XVII, il y a de tout; et tout est bien ordonné, bien à sa place, l'appartement bien distribué, des vues superbes; même un jardin, chose si rare ici, où le manque d'arbres, de fleurs et de verdure finit par fatiguer les yeux qui en cherchent vainement le repos et le rafraîchissement. Je suis restée deux heures à suivre Mme la Duchesse de Berry, et à écouter les explications très obligeantes et très intéressantes que me donnait le comte Lucchesi; il est un cicerone vraiment habile; je crois qu'il allège les pénibles honneurs qui lui sont dévolus, en se plongeant dans les arts et la curiosité.

Venise, 5 avril 1853.– Ma matinée d'hier a été consacrée à la basilique de Saint-Marc, à son trésor et à l'inspection plus détaillée de la Piazza et de la Piazzetta. Il y aurait trop à en dire pour en indiquer ici le détail, je me bornerai à en tracer mon impression.

Bâtie sur le modèle de Sainte-Sophie, de Constantinople, l'Orient y a mis son cachet particulier, de telle sorte qu'on a d'abord quelque peine à se sentir dans une église du culte catholique romain; aussi, quoique Saint-Marc ne soit pas à comparer comme grandeur, ni à Saint-Pierre, ni au dôme de Milan, ni à celui de Cologne, reste-t-il digne d'être mis sur la même ligne, parce que rien de semblable ne se trouve en Europe. Ce n'est ni l'anéantissement qui terrasse à Saint-Pierre, ni le respect qu'inspire Cologne, ni les élancements joyeux que provoque Milan; mais c'est un fragment du temple de Salomon. Je voudrais pouvoir me confesser à Saint-Pierre, prier à Cologne, chanter le Te Deum à Milan, et rêver aux Croisades à Saint-Marc.

Venise, 6 avril 1853.– J'ai été visiter, hier, les ateliers de Schiavone et de Nerli. Les artistes vivants ont trop à lutter, ici, contre les comparaisons inatteignables qui les entourent. Schiavone habite une partie de l'élégant palais Foscari-Giustiniani. Nerli, qui est Prussien plein de talent, occupe les mansardes de l'immense palais Pisani, dont les dimensions contrastent avec le délabrement des détails.

Venise, 8 avril 1853.– Hier, j'ai été au couvent des Arméniens de l'île Saint-Lazare, que les études arméniennes de lord Byron ont rendu particulièrement célèbre: nous y avons vu le vieux moine qui lui donnait des leçons. C'est un bel établissement, propre, bien tenu, où on fait poliment accueil aux étrangers. L'air y est bien meilleur qu'en ville, et un joli jardin, dans le milieu du cloître intérieur, rappelle, par sa végétation, ceux des villas de Nice: c'était un vrai rafraîchissement de retrouver de la verdure et des fleurs. L'imprimerie, la bibliothèque, l'église, la sacristie, tout nous a été ouvert et montré par un jeune moine, fort bien élevé, parlant français et italien.

Le duc de Lévis, qui m'avait demandé, à jour et heure fixe, un entretien, est venu chez moi; notre conversation, qui s'est longtemps prolongée, m'a confirmée dans la conviction que ce n'est pas d'ici que partent les difficultés à la fusion.

Venise, 9 avril 1853.– Nous avons senti une tempête que la Bora nous a envoyée de Trieste, en vraie rivale malicieuse. J'étais, le soir, au palais Vendramin, et le canal montait si haut dans le Canal Grande que je suis arrivée chez Mme la Duchesse de Berry avec le mal de mer. C'était une petite soirée en famille, où le whist, le thé et un peu de conversation ont rempli une couple d'heures. Dans la matinée, j'avais été faire une longue station au palais des Doges; j'y ai vu et revu des merveilles artistiques, historiques, et de curieux manuscrits dans le cabinet particulier du bibliothécaire. Le palais des Doges est ma grande préférence à Venise, car il semble que toutes les grandes ombres puissent encore y être évoquées, au moindre mot, à chaque pas, à chaque soupir.

M. de Bacourt étant venu passer un mois à Venise, la correspondance subit alors une interruption.

Berlin, 14 mai 1853.– Je suis arrivée, avant-hier à une heure après midi, à Potsdam; j'ai été invitée pour le thé et le souper au Château. J'y ai vu arriver le Duc et la Duchesse de Gênes: le Duc est beau et a une sérieuse attitude. Je trouve seulement que son sérieux touche au sombre et au taciturne, plus que son âge ne le comporte; du reste, sa femme est si gaie, si fraîche, si ouverte, si naturelle, qu'évidemment elle est heureuse. Elle ressemble infiniment d'extérieur à feu la Reine des Belges80, avec une expression plus gaie. Le Roi Léopold a fait ici feu des quatre pieds pour être agréable. On trouve son fils par trop bien élevé, tant il est poli, doucereux, courbé en humilité: la vraie école paternelle. On dit qu'il serait beau si son long nez ne profilait pas une ombre semblable à l'ombre classique du mont Athos (réflexion de Humboldt, naturellement). Ici, le Ministère est divisé, la Famille Royale divisée, la Cour divisée, les questions communales parlementaires et religieuses en effervescence. Il paraît que c'est le chanoine Fœrster qui sera Prince-Évêque de Breslau. Il est bon prêtre, homme d'esprit, grand prédicateur, bon écrivain, actif ami des jésuites: il ne paye pas de mine, il manque de calme, il n'est pas gentilhomme, mais il n'appartient, en aucune façon, au clergé niveleur. Personnellement, je ne pouvais désirer un meilleur choix. Il n'est point encore proclamé!

Le Roi et la Reine de Prusse m'ont beaucoup questionnée sur le Comte et la Comtesse de Chambord, avec un intérêt visible et tendre. On n'a aucun goût, aucune estime, aucune confiance pour Louis-Napoléon; mais on est craintif, méticuleux; au fait, on a bien des motifs pour être prudent.

Sagan, 18 mai 1853.– Je suis arrivée hier, ici, ravie de me retrouver dans mon home, émue par l'accueil qui m'est fait par la population.

Lady Westmorland m'écrit de Vienne que le Roi Léopold doit être, ce qu'il est en effet, enchanté de l'accueil que l'Empereur et son Auguste Mère lui font81. Lord Westmorland avait été invité à la parade et bien traité par le chef de cette brillante et fidèle armée. Elle me dit aussi que tout le parti révolutionnaire en Angleterre, avec lequel lord John Russell et lord Palmerston ont été si longtemps en coquetterie, est maintenant à couteaux tirés avec ces deux ministres, qui n'en ont pas moins eu un vote éclatant en leur faveur. Dieu veuille que cela leur donne la volonté de mieux faire et d'user, pour le bien du monde entier, du pouvoir que ce vote leur donne.

Günthersdorf, 27 mai 1853.– Nous voici avec un Prince-Évêque nommé par le Chapitre: c'est celui que j'annonçais. Le Roi ne tardera pas à confirmer ce choix; et Rome, sans doute, le sanctionnera. Il est de beaucoup préférable à celui de l'insignifiant Évêque de Münster ou du curé spirituel, mais niveleur, de Ratibor. Il n'y a que l'Évêque de Mayence, Mgr Kettler, que j'eusse préféré.

Mes lettres de Vienne ne parlent que des ovations, tout exceptionnelles, dont le Roi de Prusse y est entouré. C'est aimable, convenable et habile. J'en suis charmée. Le mariage du Duc de Brabant avec l'Archiduchesse Marie est déclaré. Elle a un caractère des plus vifs.

Sagan, 5 juin 1853.– Quelqu'un qui a vu, il y a quelques jours, à Berlin, le duc d'Ossuna, m'a dit que ce grand d'Espagne lui avait raconté que, tout témoin qu'il était au mariage de l'Impératrice Eugénie, il n'avait pu la voir, à son passage par Paris, dernièrement. L'Empereur la tient sous un joug assez austère, et, du reste, elle est d'une santé fort délicate.

On me mande de Vienne que le Roi Léopold est plus enchanté de sa future belle-fille que ne l'est l'épouseur. Mme de Metternich, avec sa rudesse habituelle, dit que c'est unir un palefrenier à une religieuse, mais que c'est le Duc de Brabant qui est la religieuse.

Sagan, 9 juin 1853.– Toutes les lettres de Berlin ne cessent de parler du ravissement du Roi de Prusse de son séjour à Vienne. L'Archiduchesse Sophie arrive dans trois jours à Sans-Souci avec ses deux fils cadets.

Sagan, 13 juin 1853.– Je ne puis m'empêcher dans mes méditations solitaires de trouver que les événements paraissent se précipiter en Orient. Assurément, l'Empereur de Russie est trop âgé pour agir en étourdi, mais il ne l'est pas assez pour qu'on ne puisse lui supposer l'ambition de vastes projets. Je m'imagine qu'à Paris, on pense souvent qu'il faudrait compléter le 2 Décembre du dedans par un 2 Décembre du dehors. Ce sont là deux gros nuages bien chargés d'électricité, aux deux bouts du monde européen, qui courent au-devant l'un de l'autre. Je crois bien qu'au centre on aimerait à dresser des paratonnerres, mais sera-ce possible? Et si cela ne se pouvait, quelle guerre naîtrait de ce choc! Du reste, il m'est revenu dernièrement qu'à Paris, on hésitait beaucoup devant la guerre franchement révolutionnaire, qu'on s'y flatte même qu'en n'entrant pas immédiatement en Belgique, ni en Savoie, on pourrait entrer en campagne d'accord avec l'Angleterre. Mais cela me paraît terriblement platonique. La France, si éprise du luxe et du bien-être, bénéficie de la paix; comment supporterait-elle d'en être sevrée, si on ne lui offrait promptement les émotions et les dédommagements de la conquête? D'ailleurs, le monde n'est-il pas mûr pour une crise définitive? Les grands instruments de vitesse qui ont été si merveilleusement prodigués à ce siècle, le sont-ils, dans les décrets de la Providence, uniquement pour les trains de plaisir et les ballots de coton? Ne sont-ce pas plutôt les bottes de sept lieues de la civilisation, avide de rentrer en Orient? Tout cela semble, à mon petit horizon solitaire, plus vraisemblable, quelque romanesque que cela paraisse, que la prolongation d'un état de choses qui n'est lui-même que la permanence du malaise et du péril pour tous les Gouvernements et pour tous les peuples.

Sagan, 19 juin 1853.– Je suis allée à Hansdorf82 où Mme l'Archiduchesse Sophie a désiré (selon l'itinéraire que lui avait tracé le Roi de Prusse) dîner à deux heures pour arriver à Sans-Souci à l'heure du thé. J'ai passé une heure à côté d'elle, à causer de mille choses qu'elle traite avec facilité, agrément, abandon. Elle a paru fort sensible à mon attention et au superbe bouquet que je lui ai apporté. Elle a, depuis bien, bien, bien des années, été toujours également bonne pour moi, et je la trouve très aimable, animée, bienveillante et spirituelle.

Dresde, 29 juin 1853.– Nous sommes arrivés ici, d'où la Grande-Duchesse83 est partie ce matin pour Weimar; sa fille Wasa est malade à Pilnitz et est soignée par la Princesse Carola, ou pour mieux dire, par Mme la Princesse Albert de Saxe, sa fille. J'apprends que le jeune ménage est fort satisfait. Le public ne trouve pas du tout la Princesse Carola jolie, mais on lui trouve l'air prévenant, bienveillant; elle est fort polie et obligeante. La Famille Royale est très contente d'elle, et le public, qui n'a pas vu ce mariage d'un bon œil, se radoucit devant les jolies et bienveillantes façons de la jeune Princesse. Comme le Prince Albert est très aimé et estimé, tout le pays lui a fait de superbes cadeaux: les villes manufacturières, notamment, et les villes de commerce, comme Leipzig, par exemple, qui a offert une magnifique vaisselle. On ne sait où placer l'énorme quantité de choses qui arrivent de toutes parts.

Carlsbad, 3 juillet 1853.– Je suis arrivée hier dans cette fournaise. Le dernier jour de Dresde, j'ai dîné chez les Redern avec le Prince Albert de Prusse84. Redern, ministre de Prusse en Saxe a, de son souverain, la permission d'inviter le Prince Albert chez lui, mais non pas d'aller chez le Prince. Défense lui est faite de prendre notice quelconque de l'épouse qui, dit-on, est en couches en ce moment; c'est un peu bien près des noces. L'influence de la Reine de Prusse, pour empêcher le Roi de permettre ce mariage (à condition de ne jamais voir la femme), n'a jamais pu l'emporter sur les obsessions de la Princesse Charlotte de Meiningen et de l'Impératrice de Russie.

J'ai appris, à Dresde, que le Prince Wasa avait donné les beaux diamants emportés de Suède à sa fille, la Princesse Carola, à l'occasion de son mariage; mais aussi à la condition de ne pouvoir, ni les vendre, ni les faire changer de monture; ils doivent rester dans la caisse du Prince Albert, qui en est responsable, et la Princesse ne peut les porter qu'en donnant chaque fois un reçu. On évalue cet écrin à quatre cent mille écus.

Carlsbad, 8 juillet 1853.– Le Grand-Duc de Saxe-Weimar est décidément au plus mal. Voilà un deuil qui jettera du trouble dans le séjour de Mme la Princesse de Prusse à Londres. Elle aime son père, et elle s'inquiétera pour son frère, elle se préoccupera pour sa mère; enfin, elle aura quelques soucis de plus à joindre à ceux qui, déjà, ne lui manquent pas.

Teplitz, 12 août 1853.– J'ai quitté Carlsbad sans regret; il me faut maintenant conter, tant bien que mal, le peu qui arrive jusqu'à moi; et d'abord le mariage de la jeune Mélanie de Metternich: elle épouse le comte Pepy Zichy, un sien cousin, qu'elle a refusé deux fois, tant qu'elle visait, avant 1848, à un prince de maison souveraine.

On dit que la jeune Archiduchesse, future Duchesse de Brabant (ou plutôt déjà Duchesse de Brabant, car le mariage par procuration a dû se célébrer hier), a l'air bien triste. Je la plains et le jeune Duc de Brabant aussi; car ce sont deux enfants qui se marient à contre-cœur tous deux. La sensibilité paternelle ne s'en émeut guère. Le Roi Léopold fait son chemin à pas discrets, mais sûrs, sans se soucier ni des aigreurs des uns, ni des soupirs des autres; il a bien la figure de son rôle, bien plus desséchée que vieillie!

Son Ministre à Vienne, M. O'Sullivan de Grass, est tellement enflé de joie, à ce qu'on dit, et d'orgueil d'être ambassadeur, et de ses fonctions auprès de la Princesse, qu'il en aurait crevé, si cela avait duré; mais après la cérémonie d'hier, il redevient Ministre, tout en précédant, cependant, la Princesse à Bruxelles où le Prince Adolphe Schwarzenberg l'accompagne.

D'après ce qui me revient, je ne crois pas que l'entrevue du duc de Nemours et du Comte de Chambord ait eu lieu jusqu'à présent.

Teplitz, 15 août 1853.– Ma cousine de Chabannes m'écrit ce qui suit: «Mme la Duchesse d'Orléans me paraît vraiment dans une sorte d'aberration d'esprit, car ce qu'elle fait, en ce moment, y ressemble fort, et je lui suis trop attachée pour ne pas en éprouver un vif chagrin. Vous savez que, l'année dernière, tout en se montrant fort opposée au désir de tous les siens, elle avait cependant fini par se soumettre à moitié, et à de certaines conditions qui, du reste, tout naturellement, ont dû faire échouer le projet de fusion entre les deux branches. Depuis un an, elle se tenait à part avec une certaine affectation; mais maintenant, et à l'occasion du voyage du duc de Nemours en Autriche, elle a déclaré ne plus rien vouloir entendre, ni avec, ni sans condition, menaçant, si on passait outre, d'un éclat public et d'une séparation hautement avouée. Les Princes et la Reine Amélie se plaignent de la nécessité de ne point causer une division de plus, et de devoir tout sacrifier à l'union de l'intérieur de leur groupe, exilé en Angleterre. Quelle déplorable faiblesse et quelle étroite façon de juger une position aussi grave! Une fois qu'elle se verrait toute seule de son bord, il faudrait bien qu'elle se soumit. Mais enfin on est en terreur d'elle, Dieu sait pourquoi!»

Voici maintenant l'extrait d'une lettre de l'obligeant Scarella, qui m'écrit de Venise, après son retour d'un voyage à Rome, au sujet des commissions artistiques qu'il veut bien surveiller pour moi à Venise; il me dit: «J'ai eu occasion de me convaincre, hélas! à Rome, que le vénérable Pontife Grégoire XVI a été bien négligé et même abandonné dans sa dernière maladie! J'ai eu une longue audience de son successeur. Il a daigné me parler avec confiance et grande tristesse. Il m'a avoué l'état cruel de sa position actuelle, environnée de partis révolutionnaires qui conspirent sans cesse. On parvient à grand'peine à les comprimer, mais non à les détruire. L'esprit public est très mauvais dans les États romains et en révolte contre le Gouvernement qui est faible et inactif, incapable de conserver la tranquillité sans les troupes étrangères. Le Gouvernement qui, il y a quelques années, a si légèrement encouragé la révolution, n'a pas admis, jusqu'à présent, les moindres progrès administratifs; ni chemins de fer, ni télégraphes, ni éclairage au gaz, etc., etc… Ce Gouvernement misérable épuise la fortune de ses sujets, sans qu'il en résulte de bénéfice pour lui-même. J'ai assisté à l'élection du Général des Jésuites, le Père Beckx; il a été bien reçu du Pape, quoique le Saint-Père n'aime pas cette Compagnie, si essentielle cependant, et qui pourrait lui être bien utile. J'ai également assisté aux fonctions du chapeau donné aux deux Cardinaux français, et j'ai vu l'illumination de la Girandole au Monte Pincio, substituée à celle du Château Saint-Ange, occupé maintenant par le magasin à poudre des Français.»

Teplitz, 19 août 1853.– Il paraît qu'on porte des jugements fort divers sur la nouvelle Duchesse de Brabant. On me dit que la Reine de Prusse en fait un portrait flatteur; et avant-hier, Mme de Ficquelmont et sa fille assuraient toutes deux que cette Princesse avait une tête charmante et une expression pleine d'agrément dans les yeux; que c'était, en un mot, une beauté de Rubens qui semblait faite exprès pour la Belgique; qu'en outre, elle avait l'esprit prompt et ouvert, et que les maîtres qui l'avaient instruite assuraient qu'elle avait une intelligence rapide et une capacité rare. Maintenant, où est le vrai?

Teplitz, 25 août 1853.L'Indépendance belge nous fait assister à la marche triomphale de la Duchesse de Brabant. Elle doit être touchée de l'accueil que lui fait le beau et riche pays qu'elle traverse, où les souvenirs de ses ancêtres ressuscitent sous ses pas.

On me mande qu'on en a une humeur de chien aux Tuileries, ce que je conçois à merveille; mais ce que je ne m'explique pas, c'est que le Ministre de France à Bruxelles soit le seul du Corps diplomatique qui ne se trouvera pas à son poste pour la cérémonie.

J'ai eu les détails suivants sur ce qui vient de se passer à Ischl. L'Empereur d'Autriche y est arrivé le 16 août au soir. Il a vu sa tante et ses cousines de Bavière le 17, et on a été frappe de la façon particulière et attentive dont il regardait sa cousine Élisabeth. Le 18, au bal, il a dansé la première valse avec la sœur aînée; cette valse a été courte; il a dansé la seconde avec la sœur cadette, qui a été interminable. Plus tard, dans la figure du cotillon où on offre des bouquets, il a traversé la salle et a offert le sien à la Princesse Élisabeth. Le 19, il s'est renfermé, n'a vu personne, et à dîner, il avait l'air très sérieux. Le 20, au matin, il a été avec sa mère, chez sa tante, la Duchesse de Bavière, demander la main de sa cousine. Le oui a été dit sans beaucoup de difficultés. Aussitôt après, il a été avec la fiancée et les deux mères à l'église. Une personne qui se trouvait dans un coin de l'église, y entendant la messe pour son propre compte, les a vus arriver, tous très émus, très pieux, et recueillis. (Ce n'était pas un dimanche.) En sortant de l'église, le mariage a été déclaré et aussitôt après, l'Empereur a été, en famille, passer le reste de la journée dans les montagnes. Si l'Empereur avait écouté les désirs particuliers de sa mère et de sa tante, la Reine de Prusse, il eût épousé une de ses cousines germaines de Saxe; mais aucune ne lui a plu; il l'a déclaré tout simplement, en disant qu'il n'était nullement pressé de se marier, et qu'il n'épouserait qu'une Princesse qui lui plairait. C'est donc une autre cousine germaine de Bavière qui lui a plu, et après avoir pris vingt-quatre heures de solitude et de réflexion, il a passé outre. Le comte de Ficquelmont, qui dînait hier chez moi, me disait que tout cela était bien, en effet, dans le caractère du jeune Empereur: «Indépendant, réfléchi et déterminé.» Il aime et estime son jeune Souverain, et je vois que c'est l'effet qu'il produit sur tous ceux qui l'approchent. M. de Ficquelmont me citait aussi un mot du général russe de Berg qui, après l'éclatante entrée de l'Empereur à Raab, disait aux Autrichiens: «Messieurs, je vous félicite d'avoir un Empereur aussi brillant; mais ce qui vaut mieux, c'est que vous avez en lui non seulement un Empereur, mais encore un maître.»

La Princesse Élisabeth, étant cousine germaine de l'Empereur et Princesse de Bavière de père et de mère, est tout à fait du bois dont on fait de très véritables Impératrices. On la dit très agréable, de fort beaux yeux, une jolie expression et une taille gracieuse. Elle n'aura seize ans qu'au mois de décembre; le mariage ne se célébrera qu'après le jour de l'An. Cette nouvelle alliance bavaroise pourrait bien ne pas plaire à Berlin. La future belle-mère de l'Empereur est, à ce que j'ai lieu de croire, la plus spirituelle princesse et la plus instruite de sa famille, qui compte cependant plus d'une princesse distinguée; elle est originale, retirée, ne sortant que peu de son château de Possenhofen, où elle a vécu d'études et de dévouement à l'éducation de ses filles.

Teplitz, 28 août 1853.– J'ai eu une nouvelle lettre d'Ischl dans laquelle on me mande que, lorsque l'Empereur a parlé à Madame sa mère du désir d'épouser la Princesse de Bavière, il l'a fait dans ces termes: «Si j'étais sûr qu'on ne persuadât et ne poussât pas la Princesse à m'accepter, je voudrais lui demander moi-même si elle consent à partager mon sort difficile, à m'aider à en porter le poids et à l'alléger.» On a donc sondé la jeune personne en lui disant qu'elle ne devait consulter que son cœur et ne regarder en rien à l'éclat de la situation. Elle a répondu que ce n'était que cette position trop élevée et trop difficile qui pourrait l'effrayer, car quant à la personne, elle s'y sentait vivement attirée. L'Empereur, en recevant cette réponse, a dit au comte O'Donnel: «Je vous remercie aujourd'hui doublement de ce que vous avez été pour moi, sur le bastion de Vienne.» Les deux mères auraient voulu que la chose fût tenue secrète jusqu'à l'arrivée ou, au moins, jusqu'à la réponse du Duc Maximilien, père de la Princesse, auquel personne n'avait songé dans les premiers moments d'effusion; mais l'Empereur a dit qu'il ne fallait pas que son bonheur fût caché et qu'il avait hâte de le proclamer.

Sagan, 3 septembre 1853.– On me mande de bonne source que le duc de Broglie est converti à la fusion; c'est malheureusement bien tard, et il n'a pas peu contribué, par son hérésie politique, à creuser l'abîme entre les deux branches en fortifiant, pendant des années, l'obstination de Mme la Duchesse d'Orléans.

Qu'il est rare que les gens, même les plus honnêtes et les plus distingués, fassent les choses importantes à propos!

Sagan, 6 septembre 1853.– Lady Westmorland me mande de Vienne ce qui suit: «Nous voilà replongés dans les incertitudes et les négociations par cette réponse de Constantinople. Je ne crois pas que cela empêche l'accommodement que tous veulent, mais cela nous donnera encore beaucoup de peine et de tracas85

On dit la jeune Impératrice jolie, et l'Empereur épris et très heureux.

Sagan, 9 septembre 1853.– Voici ce que m'écrit d'Anjou M. de Falloux; il revenait de faire une course à Paris. «On a trois politiques distinctes à Paris: celle des agioteurs qui jetteraient volontiers le Sultan dans le Bosphore pour cinq francs de hausse à la Bourse. M. de Morny et M. Fould patronnent cette politique, et la font, à cette heure, triompher officiellement. A l'extrémité opposée, la politique révolutionnaire de la guerre ronge son frein, prépare ses chances, et elle a ses représentants fort près aussi de l'oreille impériale. Entre les deux se place la pensée suprême qui veut la guerre plus que M. Fould et moins que M. de Persigny.

«Louis-Napoléon cherche à faire tomber lord Aberdeen pour faire surgir lord Palmerston; il ne croit pas à la possibilité d'une paix solide, mais voudrait une entrée en campagne plausible, régulière et d'accord avec un Ministère anglais renouvelé. On hésite donc et on hésitera encore quelque temps, non pas entre la paix et la guerre, mais entre les différentes façons d'entamer la guerre, puis, quand le parti sera pris, la France s'éveillera avec son deux décembre du dehors!»

Sagan, 12 septembre 1853.– Il paraît certain que l'Empereur Nicolas arrivera le 20 à Olmütz86.

Lady Westmorland me mande ce qui suit de Vienne, en date du 9: «Je n'ai plus aucune patience avec ces Turcs, qui refusent si sottement ce que l'Empereur Nicolas acceptait de si bonne grâce; et maintenant, je crains fort qu'il ne se redresse contre les exigences et les prétentions de la Porte: nous attendons avec anxiété la réponse de Pétersbourg.»

Il paraît que lord Stratford Redcliffe a joué le même rôle à Constantinople que dans ses précédentes missions, et, que tout en tenant un langage officiel calmant, il a beaucoup stimulé sous main, d'une part, les arrogances de Menschikoff, et de l'autre, les résistances musulmanes. On dit qu'il va être rappelé.

Sagan, 22 septembre 1853.– Il ne se passe pas de semaine où il ne faille placer un nouveau jalon mortuaire sur notre route; ce sont des signets de deuil dans le triste livre de la vie, que nous ne feuilletons pas avec assez d'attention, et dont la dernière page se clôt avant que nous n'ayons bien reconnu la vraie signification de l'œuvre. Hier encore, j'ai appris la mort de mon cousin, Paul de Médem. Sans doute, il faut bénir la Providence de l'avoir tiré des ténèbres qui s'épaississaient, de plus en plus, autour de son intelligence, pour le placer au centre de cette lumière, qui seule ne s'éteint jamais. Mais cette fin prématurée ne laisse pas que de fendre le cœur.

Sagan, 25 septembre 1853.– Le prince Paul Esterhazy est à Vienne; il est arrivé de Pesth avec les insignes royaux de Hongrie, et c'est lui qui a porté la couronne à la cérémonie de l'église87. Voilà qui le réhabilite complètement à la Cour et à la ville! J'en suis bien aise, car je lui veux toutes sortes de bien.

M. de Salvandy, ayant dans un voyage à Nantes passé devant Rochecotte, s'y est arrêté et y a fait une visite à Pauline88, après laquelle il m'a écrit une fort aimable lettre. Il y dit ce qui suit: «Mon impression générale sur tout ce que nous voyons, c'est que les événements sont destinés à se précipiter; qu'en gros, ils ressembleront à ce que nous avons déjà vu, avec les différences qui me laissent partagé entre la douloureuse crainte de ressemblances complètes, quant aux moyens, et l'espérance d'issues plus indépendantes, plus dignes, et, par cela même, plus durables. Je ne rentrerai en ville que fort tard; il s'est fait dans le monde des vides qui me sont de grandes tristesses; je me sens dépaysé dans la génération nouvelle qui remplit les salons: Mmes de Noailles, de Maillé, d'Osmond, de moins; Mme de Boigne éteinte; M. Pasquier baisse à vue d'œil; l'empreinte du temps atteint M. Molé. Je renonce à poursuivre M. Guizot dans la lanterne, très peu magique, de Mme de Lieven. Le duc de Noailles n'hérite pas, comme il l'aurait pu, de tant de successions ouvertes; les Decazes sont abîmés entre la maladie, le Roi Jérôme et M. Bixio. Il n'y a plus de Sainte-Aulaire, Mme Mollien est toute seule dans l'appartement charmant qu'elle s'est fait; Mme de Châtenay, en perdant Alexis de Saint-Priest, est restée seule dans le sien. Albert de Broglie, qui a repris sa place dans le monde pour lequel il est fait, et dont son père s'était exilé, va beaucoup chez les autres et n'a point de chez soi. La duchesse de Mouchy plus aimable chaque jour, depuis qu'elle ne s'abrite plus chez sa mère; la duchesse de Rauzan dont la santé se détruit de plus en plus, sont mes seules amitiés vivantes. Mmes de Choiseul et de Vogüé, qui recueillent l'héritage de leurs amitiés défuntes, malgré une bonne grâce infinie, ne sont plus des centres, parce qu'il s'y réunit trop de monde, trop de jeunesse, qu'il n'y a pas de petits jours, que dès lors, on ne cause pas. Le salon de Mme de La Ferté reste froid et austère comme elle. Le monde ancien est fini!»

Ce passage compose, ce me semble, un tableau assez rapide et assez vrai de ce qu'est devenu le Paris de la bonne compagnie.

Sagan, 4 octobre 1853.– Lady Westmorland me mande de Vienne en date du 2: «Mon mari est revenu d'Olmütz, avant-hier au soir, enchanté de son séjour, et surtout très content de ses conversations avec l'Empereur Nicolas, et de la modération de ses intentions pacifiques dont il a donné des preuves incontestables. Hier donc, nous étions un peu remontés, en espérant une solution, mais aujourd'hui, nous avons une dépêche télégraphique de Constantinople du 25, qui annonce que le Sultan, poussé par le Divan, s'est décidé à déclarer la guerre, malgré l'avis des quatre représentants89

51

Cosnac, nommé évêque de Valence par le cardinal Mazarin et appelé plus tard à l'archevêché d'Aix, fut aumônier de Monsieur, frère de Louis XIV. Il joua un rôle actif lors de l'Assemblée du Clergé en 1682, et il laissa des Mémoires qui ne furent publiés qu'en 1852, par le comte Jules de Cosnac, pour la Société de l'Histoire de France.

52

Le duc de Dino.

53

M. de Beauchesne, ancien gentilhomme de la Chambre du Roi sous la Restauration, avait publié en 1852, le fruit de longues études et de patientes recherches sur le malheureux fils de Louis XVI, sous le titre: Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort. Cet ouvrage fut couronné par l'Académie française.

54

Le duc de Valençay.

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Au mois de janvier 1853, le bureau du Sénat, celui du Corps législatif et le Conseil d'État tout entier furent convoqués au Palais des Tuileries, dans la salle du Trône; Napoléon III, en uniforme de général, monta les degrés de ce trône, et, par un discours qui fut affiché dans toute la France, annonça aux grands Corps de l'État sa résolution d'épouser Mlle de Montijo et de la faire Impératrice. Le mariage fut célébré quelques jours plus tard, le 31 janvier.

56

La nouvelle Impératrice se nommait Eugénie.

57

Les Clary étaient une famille de petits négociants à Marseille. Dans sa jeunesse, et avant les grandeurs de sa famille, Joseph Bonaparte avait épousé Julie Clary, et leur fille Désirée épousa Bernadotte qui devint Roi de Suède. Le fils aîné de Berthier, prince de Neufchâtel, duc de Wagram, avait épousé Françoise Clary, et c'est leur fille qu'il était question de marier au prince Jérôme-Napoléon.

58

Allusion à Mgr de Quélen.

59

Par un décret du 26 janvier 1853, l'Empereur Napoléon III nommait, dans la maison de l'Impératrice, la princesse d'Essling, Grande-Maîtresse; la duchesse de Bassano, Dame d'honneur; la comtesse de Montebello, Mme Feray, la vicomtesse Lezay-Marnesia, la baronne de Pierres, la baronne de Malaret et la marquise de Las Marimas, Dames du palais; le comte Tascher de la Pagerie (sénateur), Grand-Maître; le comte Charles Tascher de la Pagerie, premier Chambellan; le vicomte Lezay-Marnesia, Chambellan; le baron de Pierres, Écuyer.

60

Présage.

61

Une sanglante échauffourée avait eu lieu à Milan le 6 février, mais le mouvement eut peu d'importance; les émeutiers ne tinrent nulle part devant la troupe. La véritable gravité de cette affaire fut dans ses conséquences, dans le redoublement des rigueurs de la police autrichienne, et les malheurs qui en résultèrent pour un grand nombre de familles, surtout après la proclamation de Mazzini au peuple italien, et celle de Kossuth au peuple hongrois, dont l'apparition simultanée et la ressemblance semblaient indiquer une entente entre ces deux chefs de la démagogie européenne.

62

L'Histoire du Pontificat de Clément XIV, écrite d'après des documents inédits des Archives secrètes du Vatican, par A. Theiner, prêtre de l'Oratoire et garde-adjoint de ces Archives, venait d'être traduite de l'allemand par Paul Geslin, et publiée chez Firmin-Didot. C'était une réhabilitation de la mémoire de Clément XIV pour le venger des attaques des Jésuites, et comme une réponse à M. Crétineau-Joly, qui, partisan de l'autorité absolue, en religion comme en politique, avait écrit une Histoire de la Compagnie de Jésus et de Clément XIV, où il se montrait très sévère pour ce Pape.

63

Le 7 février, le général vicomte de Saint-Priest, MM. René de Rovigo, de la Pierre, le comte de Mirabeau, de Coëtlogon et quarante autres personnes, parmi lesquelles plusieurs Allemands et Italiens, furent arrêtés à Paris, dans leurs domiciles respectifs, et après une perquisition faite dans leurs papiers, ils furent tous conduits à la prison de Mazas. Ils étaient prévenus d'avoir fait partie d'agences secrètes, ayant pour but d'adresser aux journaux étrangers de fausses nouvelles sur l'état de la France et de déconsidérer le Gouvernement de Napoléon III aux yeux de l'Europe. Parmi les personnes arrêtées se trouvait M. Joseph Tański, réfugié polonais, naturalisé français et attaché depuis plusieurs années à la rédaction du Journal des Débats. Le général de Saint-Priest fut remis en liberté le soir même de son arrestation, tandis que M. Tański n'obtint sa mise en liberté sous caution que le 24 février.

64

En 1853, M. Victor Cousin publia son livre sur Mme de Longueville, qui ouvrait la série de ses études sur les Femmes et la Société du dix-septième siècle, et esquissait tous les personnages de la Fronde.

65

A propos d'articles que l'abbé Gaduel, vicaire général d'Orléans, avait fait paraître dans l'Ami de la religion, et qui critiquaient philosophiquement et théologiquement un livre recommandé par Louis Veuillot, dans son journal l'Univers, Mgr Sibour, archevêque de Paris, avait condamné ce journal et en avait interdit la lecture au clergé de son diocèse. M. Veuillot, au lieu de discuter ces critiques, attaqua M. Gaduel dans sa personne et se livra à de sarcastiques déclamations contre la science et l'enseignement de la théologie.

66

Le 18 février, l'Empereur d'Autriche se promenait sur les remparts de Vienne, lorsqu'il fut tout à coup arrête par un garçon tailleur hongrois, ancien hussard. L'assassin avait dirigé son coup de poignard vers la gorge, mais François-Joseph, ayant aperçu l'arme levée contre lui, fit avec le bras un mouvement qui la repoussa en arrière, au bas de la nuque. L'aide de camp de Sa Majesté, comte O'Donnell, dégaina aussitôt et porta à l'assassin un coup de sabre qui l'abattit à ses pieds.

67

Le comte Schulenbourg.

68

En 1848, la publication de la Case de l'oncle Tom, où Mme Becker-Stowe peignait avec autant de vivacité que de couleur les souffrances des esclaves noirs en Amérique, provoqua en Angleterre un mouvement d'opinion très accentué en faveur de l'abolition de l'esclavage. Plusieurs grandes dames, réunies à Stafford-House, sous la présidence de la duchesse de Sutherland, rédigèrent une lettre ouverte aux dames américaines, les engageant à faire œuvre de propagande pour l'abolition de l'esclavage dans leur pays. Cette lettre provoqua une verte réponse de Mme Tyler, où, en parlant de la misère et des abus de toutes sortes qui règnent en Angleterre, elle invitait les dames anglaises à vouloir bien s'occuper de réformer leur nation, avant de penser à réformer les institutions américaines, qui avaient leur raison d'être dans les conditions spéciales de cette contrée.

69

Voir cet article du Times aux pièces justificatives de ce volume.

70

Le Prince Royal de Saxe avait épousé, le 18 juin 1852, la Princesse Carola Wasa, fille du Prince de Holstein-Gottorp, Prince Wasa.

71

A l'occasion de son mariage, et par un décret daté du 31 janvier 1853, Napoléon signa une amnistie dont profitèrent plus de trois mille individus qui avaient été l'objet de mesures rigoureuses après les troubles de décembre 1851.

72

De l'anglais: aspirants de marine.

73

La paix ayant été signée après la guerre de 1848-1849, l'Autriche, croyant rendre plus solide sa souveraineté sur ses possessions italiennes en les frappant de terreur, leur fit lourdement sentir le poids de son joug. Les populations de ces provinces, de plus en plus irritées, recoururent, malheureusement, pour le secouer, au moyen des conspirations. Mazzini, réfugié à Londres et à l'abri de tout danger, y avait fondé un Comité national d'où partait le mot d'ordre, et qui centralisait les efforts des sociétés secrètes répandues en Lombardie et en Vénétie, dans le seul but de chasser les Autrichiens d'Italie. Pour agir plus efficacement, un Comité révolutionnaire se constitua à Mantoue, sous la présidence d'un prêtre fort estimé: Enrico Tazzoli. La police autrichienne fut mise sur sa piste par l'imprudence d'un des membres du Comité qui, pour en augmenter le nombre, admit dans son sein des personnes appartenant aux classes les plus basses de la population. Dès lors, le secret devint impossible à garder et les procès commencèrent. Plusieurs exécutions en furent la suite et enfin celle du prêtre Crioli, fusillé à Mantoue pour avoir conseillé à des soldats autrichiens de déserter, fut le prélude de cette Conspiration de Mantoue qui eut son épilogue sur les glacis de Belfiore. Une poésie révolutionnaire ayant été trouvée sur une des victimes qui, sous le bâton, avoua qu'il la tenait du prêtre Tazzoli, ce dernier fut arrêté. On trouva dans ses papiers la liste chiffrée des noms de tous les membres du Comité révolutionnaire, dont un traître livra la clef, ce qui permit de les saisir et de les arrêter tous. Un long procès en fut la suite: procès qui dura depuis janvier 1852 jusqu'au 19 mars 1853. Les accusés étaient au nombre de cent cinquante; tous appartenaient aux meilleures classes de la population: neuf d'entre eux furent pendus à Belfiore à la suite de la sentence qui en condamnait presque la moitié à mort. Les autres virent leur peine commuée et furent envoyés aux galères.

74

Avec douceur.

75

Par ordre de M. le Comte de Chambord, les légitimistes devaient s'abstenir de toute espèce de service dans l'État.

76

Le Feld-Maréchal comte Leiningen avait été chargé d'une mission diplomatique auprès de la Porte Ottomane, concernant les différends entre les deux Gouvernements. Ayant remis au Sultan, le 3 février, la lettre autographe de l'Empereur d'Autriche, le comte de Leiningen était de retour le 16 février à Vienne, la Porte ayant adhéré aux demandes et réclamations que l'Autriche lui avait adressées par l'intermédiaire de ce diplomate.

77

Elle était dame d'honneur de Mme la Comtesse de Chambord.

78

Mari de Mme la Duchesse de Berry.

79

De l'italien: le véritable portrait du très saint Fondateur des Ordres mendiants.

80

Princesse d'Orléans, fille du Roi Louis-Philippe.

81

Le Roi Léopold des Belges, dans le but de présenter aux principales Cours de l'Europe son fils aîné, qui avait atteint sa majorité, et qu'il voulait marier, et en même temps désireux d'obtenir l'augmentation des garanties de l'indépendance de la Belgique, ainsi que la conclusion d'un traité de commerce avec le Zoll-Verein, entreprit, au mois de mai 1853, un voyage à Berlin et à Vienne. Le Roi de Prusse, qui le reçut à Berlin avec une grande affabilité, le retrouva peu de jours après dans la capitale de l'Autriche, où Frédéric-Guillaume IV, accompagné de son frère, le Prince Charles de Prusse, se rendit le 20 mai pour y signer le traité de commerce austro-prussien. Le Roi put alors assister aux fiançailles du Duc de Brabant avec l'Archiduchesse Marie, fille de feu le Palatin. Ce mariage fut célébré le 23 août suivant.

82

Hansdorf était alors la station du chemin de fer d'embranchement de Berlin-Sagan.

83

La Grande-Duchesse Stéphanie.

84

Le Prince Albert de Prusse, qui vivait séparé de sa femme depuis quelque temps, venait d'épouser, assez clandestinement, une dame d'honneur de cette Princesse, Mlle de Rauch, qui reçut le titre et le nom de comtesse de Hohenau.

85

L'Église grecque, dans les Lieux Saints, empiétait sur l'Église latine qui perdait ainsi tout droit. Appuyée par la France, l'Église latine demanda que la question reçût un nouveau règlement, et la Turquie fut appelée à en décider. La Russie, croyant le moment venu d'imposer ses volontés, envoya à Constantinople le maréchal Menschikoff, avec des propositions dont elle exigeait la signature immédiate. La Turquie, voyant l'abdication de son indépendance, les rejeta. La Russie envahit aussitôt les Principautés danubiennes. C'était un casus belli. L'Angleterre, la France et l'Autriche, dans l'espoir de maintenir la paix, adressèrent à la Russie une note portant leurs trois signatures. La Turquie, n'ayant pas accepté, sans modification, le contenu de cette note, le Czar la rejeta, et le but que l'on se proposait ne fut pas atteint.

86

L'Empereur Nicolas arriva, en effet, à Olmütz: il était accompagné de son beau-frère, le Prince de Prusse, pour s'entendre avec l'Autriche et la Prusse. Une longue conférence eut lieu le 2 octobre, sous la tente impériale, entre les deux Empereurs, le Prince de Prusse et MM. de Nesselrode et de Buol. Les délibérations en restèrent d'abord secrètes, puis, on apprit bientôt que le Czar avait fait savoir à la Porte Ottomane que ces puissances ne lui donneraient qu'une garantie séparée de chacune d'elles, et non pas une garantie collective, et qu'il n'y aurait aucune solidarité entre les garants de l'intégrité et de l'indépendance de la Turquie. La proposition austro-russe fut repoussée à Londres comme à Paris, et absolument rejetée à Constantinople.

87

Pour le mariage du Duc de Brabant.

88

Marquise de Castellane.

89

Une dépêche avait apporté la déclaration formelle de la guerre de la Porte à la Russie. Le texte en était d'abord parvenu à la Légation ottomane à Vienne avec la condition que les hostilités ne seraient ouvertes que dans le cas où la Russie n'évacuerait pas les Principautés danubiennes dans les quatre semaines.

Chronique de 1831 à 1862, Tome 4 (de 4)

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