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L’ENTRÉE AU COLLÉGE

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L’Aurore aux doigts de rose a ouvert les portes de l’Orient. Nous sommes au 5 octobre.

Il est sept heures du matin. La maison Crapouillot est en émoi; c’est aujourd’hui que le petit César Crapouillot, fils de M. Agésilas Crapouillot et de madame Anastasie Crapouillot, marchands de rubans, rue Saint-Denis, entre au collége.

«— Verginie! Verginie! Verginie! demande à tue-tête madame Crapouillot, eh bien! vous n’êtes pas encore levée?... Verginie! Verginie! Verginie!

Virginie arrive, en se frottant les yeux, dans la chambre de madame.

— Eh bien, avez-vous fait la malle de César?

— Oui, madame!

— Pauvre chéri du bon Dieu!... c’est aujourd’ hui qu’il entre au collége. En voilà un chagrin pour moi, Verginie!

Virginie, à part:

— Quel débarras!

— Dire qu’il va se lever à cinq heures du matin, le cher ange!... Avez-vous mis ses bas de laine?

— Oui, madame!

— Ah dame! c’est bien dur pour le cœur d’une mère de se séparer de son enfant!... un enfant si charmant!... qui fait tout ce qu’il veut... comme ça va lui sembler pénible, à cet amour!

— Ah bah!... il s’y habituera!

— Il s’y habituera! il s’y habituera!... c’est possible... mais en attendant, il ne sera jamais soigné comme à la maison! On dit qu’on est si mal nourri dans ces colléges! Vous avez pensé aux confitures de coings?...

— Oui, madame... et puis des poires, et puis des raisins secs, et puis une toupie en acajou, et puis des billes en agate, et puis une balle élastique.

— Pauvre bijou!... il est sept heures et demie... on nous attend à onze heures... le temps de déjeuner: il faut réveiller César!... allez, je m’habille.»

Mais Virginie n’a pas eu besoin d’éveiller le jeune César, l’héritier des Crapouillot a passé la nuit sans dormir.

L’entrée au collége, le premier bain froid et le premier mariage sont les trois événements les plus importants de la vie de l’homme.

Donc César a fait, tout éveillé, les rêves les plus pharamineux.

On déjeune.

«Eh bien, dit le père Crapouillot en se frottant les mains, voilà l’instant qui approche!

— Cher amour d’ange! dit madame Crapouillot en étouffant César de baisers.

— Tu travailleras bien, n’est-ce pas, mon fils!

— Oh! oui, pppa.

— D’abord, vois-tu, moi, je ne te mettrai pas dans le commerce.

— C’est pour ça que nous t’envoyons au collége, mon cœur.

— Je veux que tu sois quelque chose!...... Qu’est-ce que tu voudrais bien être, mon fils?

— Moi, pppa?... je voudrais être riche...

— Comme il a de l’esprit, monsieur Crapouillot!... Travaille bien, mon chéri, tu iras à l’École polytechnique.

— Non... va... César... tu sais, nous connaissons M. Delacour, qui est à tu à toi avec le ministre, nous te lancerons, mon garçon! Virginie, allez chercher une voiture. Oh! il sera ministre un jour, madame Crapouillot! Je suis bien heureux que vous m’ayez donné un fils semblable!... Embrasse ta mère, César. »

Madame Crapouillot est au comble de la félicité.

Virginie revient avec la voiture... il faut que Crapouillot reste à la boutique... Madame Crapouillot conduit César au collége.

La bonne mère trouve que les deux haridelles de la citadine vont plus vite que le chemin de fer.

Le véhicule s’arrête. — La porte du collége s’ouvre... César fait son premier pas dans le monde.

PETITE SCÈNE

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QUI SERA TOUJOURS LA MÊME

LA MÈRE. — Ayez-en bien soin, Monsieur.

LE PROVISEUR. — Soyez tranquille, Madame.

— C’est notre fils unique, Monsieur.

— Nous veillerons sur lui,

— Il est faible de santé... ménagez-le...

— Oh! il sera-très-bien... Comment réglerons-nous ses sorties?... tous les mois?

— Tous les mois! mais vous voulez donc que son père meure de chagrin?

— Tous les quinze jours?

— Ah! monsieur, j’en ferais une maladie... Pauvre amour! (Elle embrasse César.)

— Eh bien! tous les huit jours.

— C’est bien long...

— Les règlements de l’établissement sont formels.

— Alors tous les huit jours... Mais je viendrai te voir, mon ange adoré. (Elle embrasse César.)

— Voici le tambour... on sort de déjeuner... je vous quitte... Adieu, Madame.

— Adieu, Monsieur... Je vous recommande César... c’est notre fils unique.

Madame Crapouillot mange son fils de caresses... mais il faut se résigner... César dévore déjà sa prison du regard...

— Adieu, mon fils!... Pauvre ange!... Mais n’aie pas peur! nous viendrons te voir... nous t’apporterons du chocolat,... mon petit lapin,... mon petit bijou,... ma créature aimée, mon amour!...

Et la pauvre madame Crapouillot s’arra he des bras de son rejeton par un mouvement héroïque.

Crapouillot quitte sa mère sans sourciller.

Une vie nouvelle commence pour lui.

C’est ainsi que tous les Crapouillot du continent se précipitent au collége.

LE COPIN

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Castor et Pollux, Nisus et Euryale, Damon et Pythias, dans l’antiquité ;

Bayard et Dumanoir, Duvert et Lauzanne, Clairville et Cordier, dans ce temps, donnent l’idée la plus exacte qu’on puisse se faire d’un copin.

Le copin de collége est un ami dévoué qui devient un autre vous-même, partage vos peines, vos chagrins, votre beurre, vos plumes de fer et vos billes. C’est un associé qui prend les intérêts d’une maison Crapouillot ou Blandezinc et Cie, et cherche à en assurer la prospérité.

L’apport d’un nouveau Crapouillot dans une société Blandezinc consiste ordinairement en quelques pots de gelée, des billes de valeur et deux ou trois volumes de Berquin ou de Paul de Kock, de Ducray-Duminil ou d’Alexandre Dumas, suivant l’âge du Crapouillot ci-nommé.

Au point de vue commercial, le copin de collége n’a qu’une très-médiocre importance.

Il inscrit sur son blason: «Donne-moi de quoi q’ tas, je te donnerai de quoi q’ j’aurai.»

Et il observe religieusement sa devise.

Mais les transactions sont très-bornées. —Au service de l’Université, le collégien n’est pas calé !

Le copin se transforme quelquefois en un ami éternel; mais c’est très-rare. Cela ne s’est même jamais vu.

LE PION

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«Il n’est pas de cheval de fiacre, de septième clerc d’avoué, de mousse à bord d’un navire, de vieille femme galante, de dernier commis de commerce, d’apprenti d’usine, de forçat dans son bagne, de chien à l’attache, de voyageur livré à des sauvages, de moineau pris par des enfants, qui ne soit plus heureux qu’un pion.»

C’est un esprit charmant, Édouard Ourliac, qui a ainsi défini la vie du pion de collége. Ourliac était encore au-dessous de la vérité.

Dire les souffrances de cet être humain, qui a pourtant deux pieds et deux mains comme vous et moi, Monsieur, est chose impossible.

Échappé d’une étude de clerc d’huissier ou traqué d’estaminet en estaminet par un doit considérable, le pauvre diable qui s’enrôle dans cette compagnie des servants du malheur doit avoir toujours présent à l’esprit ce mot célèbre de la Trappe: «Frère, il faut souffrir!»

Un pion a généralement quatre cents francs d’appointements. Il est nourri, couché et logé.

Moyennant ces honoraires, le pion ne s’appartient plus, c’est une chose, une machine... Il se lève à cinq heures du matin, il se couche à minuit sans avoir un quart d’heure de répit.

Et sa femme? Et ses enfants? Et sa famille?

Mais, ma parole d’honneur, je vous trouve charmant!...Est-ce qu’un pion a une femme? Est-ce qu’un pion a des enfants? Est-ce qu’un pion a une famille?

Un pion... c’est un pion!!!!

OBSERVATION. — Le pion a de trente à quarante-cinq ans. Passé cet âge, on n’a jamais su ce qu’ils pouvaient devenir.

L’ÉTUDE

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Si Crapouillot est un être indécrottable, si Blandezinc est le digne émule de Crapouillot, en revanche Topinard et Blandin sont des bûcheurs, des piocheurs.

A peine le tambour a-t-il battu, que Topinard et Blandin sautent à bas du lit; ils se mettent au travail dès que la salle d’étude est éclairée. Jamais ils ne sont en défaut. C’est le thème qui les voit lever, c’est la version qui les couche.

Aussi Crapouillot et Blandezinc font-ils les vœux les plus impies en défaveur de ces deux jésuites.

Tel est le nom dont on baptise les élèves qui travaillent.

L’étude est ordinairement une grande salle ornée, dans toute sa longueur, de tables sur lesquelles sont posés des pupitres. Ces meubles renferment les livres, le papier, les plumes du collégien. Le pupitre joue un grand rôle dans l’étude.

Il subit des métamorphoses que l’imagination de la fée la plus ingénieuse ne saurait inventer.

Le pupitre se transforme tour à tour en cabinet de toilette, en cuisine, en poulailler, etc., etc., etc.

Le Crapouillot, qui doit avoir un jour cinquante mille livres de rentes et frissonne déjà en lisant sur une affiche: «Mademoiselle Alice Ozy remplira le rôle de Suzette,» bourre les interstices laissés par ses livres, de savon de Windsor à trois sous, de cosmétiques méphitiques et de pommades rances. Menuisier par coquetterie, il trouve le moyen d’enlever, dans l’épaisseur de son pupitre, une place suffisante pour y placer un morceau de verre blanchi, qu’il décore du nom pompeux de glace, et entoure cette nouvelle psyché de peignes et de brosses à cheveux. Pupitre-toilette.

Blandezinc est gueulard, lui. Sa bonne maman Chamouillé lui donne trente sous par semaine. Un trésor, notez bien! Blandezinc a la passion de la boutique à treize. Il ne sort jamais sans rapporter un petit plat en terre, un pot en fer-blanc, une casserole, un petit fourneau, un gril, une fourchette, un couteau, une cuiller, n’importe quoi. Demain, chère Madame, vous pourriez donner à M. Anténor Blandezinc, âgé de quatorze ans, votre jolie fille Artémise, vous trouveriez dans le pupitre de votre gendre un ménage monté. Pupitre-cuisine.

Aristide Giboulot a une autre passion. Cancre au possible, il adore la volaille. Son pupitre, entièrement dégarni de toute espèce de Lhomond et de Racines grecques, a reçu une couche de millet, de chènevis et un assortiment complet de graines. Là vivent ou plutôt agonisent, — grâce à des trous percés frauduleusement, — un moineau, un poulet et un petit canard, à l’éducation desquels se livre ardemment Giboulot. Pupitre-poulailler.

Pendant que tous les Blandin et les Topinard piochent et étudient, Crapouillot se regarde et s’admire. La raie de monsieur n’est pas droite; monsieur fait sa raie, met de l’eau de Cologne dans son mouchoir et repasse des rasoirs. Blandezinc, qui a déchiré un Virgile tout neuf (Virgile, c’est son charbon), allume le fourneau, après avoir jeté un morceau de beurre dans la casserole avec un quartier de pomme. Blandezinc confectionne une pomme au beurre.

Maître Giboulot,

Dont la bonté s’étend sur toute la nature,

A ses petits oiseaux prépare la pâture.

Mais l’eau de Cologne a trahi Crapouillot, la fumée qui s’échappe des cuisines a trahi Blandezinc, le gloussement de la volaille a trahi Giboulot. Trahison générale. On n’est trahi que par les siens. Crapouillot, Blandezinc et Giboulot sont collés.

Collés, l’admirable mot!

Les cosmétiques, les comestibles, les volatiles sont confisqués, et Crapouillot, Blandezinc et Giboulot, privés de récréations pendant trois jours, prononcent un serment auprès duquel celui des Horace et du Jeu de Paume ne sont que de la Saint-Jean.

Ils jurent de renverser l’exécrable tyran —qui les torture.

Ils arrachent Guillaume à ses ferses! Guillaume, c’est le quartier; Gessler, c’est le pion.

Sisyphe, le rocher de Crapouillot va te retomber encore une fois sur le crâne, mon bonhomme!

Collégiens, étudiants et mercadets pour rire

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