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La dégradation eut lieu le samedi 5 janvier; je subis cet horrible supplice sans faiblesse.

Avant la lugubre cérémonie, j'attendis une heure dans la salle de l'adjudant de garnison à l'École militaire. Durant ces longues minutes, je tendis toutes les forces de mon être; les souvenirs des atroces mois que je venais de passer revinrent à ma mémoire et, en phrases entrecoupées, je rappelai la dernière visite que me fit le commandant du Paty de Clam dans ma prison. Je protestai contre l'infâme accusation portée contre moi; je rappelai que j'avais encore écrit au ministre pour lui dire que j'étais innocent. C'est en travestissant ces paroles que le capitaine Lebrun-Renault, avec une rare inconscience, créa ou laissa créer cette légende des aveux dont je n'appris l'existence qu'en janvier 1899. S'il m'en eût été parlé avant mon départ de France, qui n'eut lieu qu'en février 1895, c'est-à-dire plus de sept semaines après la dégradation, j'aurais cherché à tuer cette légende dans l'œuf.

Je fus conduit ensuite, entre quatre hommes et un gradé, au centre de la place.

Neuf heures sonnèrent; le général Darras, commandant la parade d'exécution, fit porter les armes.

Je souffrais le martyre, je me raidissais pour concentrer toutes mes forces, j'évoquais pour me soutenir le souvenir de ma femme, de mes enfants.

Aussitôt après la lecture du jugement, je m'écriai, m'adressant aux troupes:

«Soldats, on dégrade un innocent; soldats, on déshonore un innocent.

«Vive la France, vive l'armée!»

Un adjudant de la garde républicaine s'approcha de moi. Rapidement, il arracha boutons, bandes de pantalon, insignes de grade du képi et des manches, puis il brisa mon sabre. Je vis tomber à mes pieds tous ces lambeaux d'honneur. Alors, dans cette secousse effroyable de tout mon être, mais le corps droit, la tête haute, je clamai toujours et encore mon cri à ces soldats, à ce peuple assemblé: «Je suis innocent!»

La cérémonie continua. Je dus faire le tour du carré. J'entendis les hurlements d'une foule abusée, je sentis le frisson qui devait la faire vibrer, puisqu'on lui présentait un homme condamné pour trahison, et j'essayai de faire passer dans cette foule un autre frisson, celui de mon innocence.

Le tour du carré s'acheva; le supplice était terminé, je le croyais du moins.

L'agonie de cette longue journée ne faisait que commencer.

On me lia les poings et une voiture cellulaire me conduisit au Dépôt, en passant par le pont de l'Alma. En arrivant à l'extrémité du pont, je vis par la lucarne de la voiture les fenêtres de l'appartement où venaient de s'écouler de si douces années, où je laissais tout mon bonheur. L'angoisse fut atroce.

Au Dépôt, je fus, dans mon costume déchiré et en loques, traîné de salle en salle, fouillé, photographié, mensuré. Enfin, vers midi, je fus conduit à la prison de la Santé et enfermé dans une cellule.

Ma femme fut autorisée à me voir deux fois par semaine, dans le cabinet du directeur de la prison. Celui-ci se montra d'ailleurs parfaitement correct durant tout mon séjour.

Ma femme et moi, nous continuâmes à échanger de nombreuses lettres.

Cinq années de ma vie, 1894-1899

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