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XIII
LA COMÉDIE AVANT MOLIÈRE

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La comédie ancienne. – Comédie de caractère et comédie d'intrigue. – Usage à Athènes. – Jean de la Taille de Bondarroy et Jodelle, de 1552 à 1578. – Anecdote sur Jodelle. – Jean de la Rivey. – Chapuis (1580). —L'Avare cornu et le Monde des cornus. – Rotrou, auteur de plusieurs comédies et tragi-comédies. – La tragi-comédie. – Comédies de Rotrou. —Les Ménechmes (1631), sujet souvent remis à la scène. —Diane (1635). —Les Captifs (1638). —Célimène (1633), pastorale. – Sujet de cette pièce. —Doristé et Cléagenor (1630). – Mot de Rotrou en donnant son Hypocondriaque (1628). —Les Deux pucelles (1636), singularité de ce titre. – Deux vers de Don Lope de Cordoue. – Scudéry, de 1630 à 1642. —La Comédie des Comédiens (1634). – Anecdote. —L'amour tyrannique (1638), son succès. —Axiane (1642), sorte de drame historique. – Vion d'Alibrai, sa célébrité comme buveur. – Beys, de 1635 à 1642. – Sa Comédie des Chansons (1642). – Origine probable du vaudeville et de l'opéra comique. – Douville, de 1637 à 1650. – Son genre de talent. —La Dame invisible (1641). —Les fausses Vérités (1642). —L'Absent de chez soi (1643). – Anecdote. – Levert, de 1638 à 1646. —Aricidie (1646). – Anecdote. – Gillet, de 1639 à 1648, précurseur de Molière. – Son genre de talent. – Ses comédies puisées dans son propre fonds. —Le Triomphe des cinq passions (1642). – Citation. – De Brosse, de 1644 à 1650. —Le Curieux impertinent (1645). – Anecdote. – Scarron, de 1645 à 1660. – Notice historique sur ce poëte dramatique et sur son genre. – Ses principales productions, pièces burlesques. – Jodelet. —L'Héritier ridicule (1649). – Anecdote. —Don Japhet d'Arménie (1653). – Anecdotes. —L'Écolier de Salamanque (1654). – Anecdote. – Épigramme sanglante. —Le Menteur, de Corneille. – Anecdote.

Le genre dramatique auquel on a donné le nom de Comédie, très-fort en honneur dans la Grèce ancienne et à Rome, n'exista en France qu'à l'état le plus imparfait jusqu'à la venue de Molière, au milieu du dix-septième siècle.

La Comédie, comme l'entendaient les anciens, était une critique pouvant être utile pour l'amélioration des mœurs, car elle faisait passer sous les yeux des humains les travers à éviter. La Comédie tirait naturellement sa principale force du ridicule mis en scène, quelquefois même exagéré à dessein. Les anciens évitaient avec soin que les travers peints par ce genre de drame, fussent affligeants, révoltants ou dangereux, dans la crainte d'exciter la compassion, la haine ou l'effroi; ces sentiments étaient réservés par eux à la Tragédie.

Leurs comédies étaient donc la représentation d'une action plus ou moins touchante de la vie habituelle, la peinture plus ou moins fidèle de mœurs prêtant au ridicule.

Il est bien entendu que nous ne parlons ici que de la comédie sortie de ses langes et épurée par les habiles auteurs de la Grèce et de Rome. Dans le principe, en effet, la Comédie ne consistait guère qu'en un tissu d'injures adressées aux passants par des vendangeurs (dit l'histoire) barbouillés de lie de vin. Cratès l'éleva sur un théâtre plus décent, en prenant pour modèle la tragédie inventée par Eschyle. Après lui, quelques auteurs lui firent faire un grand pas.

On divisait l'histoire de la Comédie chez les Grecs en trois périodes: la comédie ancienne, satire politique et civile qui allait jusqu'à nommer les personnages; la comédie moyenne qui se bornait à désigner ceux dont elle s'emparait pour les soumettre à sa censure, attendu qu'on avait fini par interdire la licence dont nous venons de parler; enfin la comédie nouvelle, qui consistait à intéresser les spectateurs par la peinture des mœurs générales, au moyen d'une intrigue attachante. Ce fut cette espèce de comédie imaginée par Ménandre et les poëtes ses contemporains, que Plaute et Térence transportèrent avec tant d'habileté et de succès sur la scène de Rome.

La comédie, la bonne et saine comédie, dégénéra ensuite, et on la perd de vue pendant des siècles entiers, avant de retrouver en Italie quelque trace, même des plus imparfaites, de l'art dramatique tombé dans la plus complète décadence. Elle commença enfin à renaître vers le quinzième siècle, grâce à des troupes de baladins allant de ville en ville jouer sur les tréteaux des farces qu'ils décoraient fort improprement du nom de comédies, farces dont les intrigues absurdes et les situations ridicules avaient pour principal but de faire valoir la pantomime italienne. Quelques auteurs, entre autres le cardinal Bibiena et Machiavel, puis l'Arioste, essayèrent de produire des comédies imitées des bons auteurs grecs et romains. Composés spécialement pour des fêtes, ces ouvrages n'étaient malheureusement représentés que dans de rares occasions. A peu près vers la même époque, le théâtre espagnol se releva également par des comédies assez intéressantes et dont les intrigues ne manquaient pas d'un certain mérite. En France, on peut dire que jusqu'au Menteur de Corneille (1642), on n'eut pas de véritable comédie.

Avant l'envahissement du genre dit romantique, ce genre de pièces était soumis, comme la tragédie, à diverses règles dont les auteurs, n'osaient s'affranchir. Nous avons tous été bercés sur les bancs des colléges avec la fameuse règle des trois unités: Unité d'action, unité de temps, unité de lieu.

Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli

Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli…


a dit le grand critique.

Corneille a écrit une excellente dissertation à ce sujet, ce qui ne l'a pas empêché, presque seul des auteurs dramatiques faisant loi, de s'écarter un beau jour de cette règle, en mettant au monde son chef-d'œuvre, le Cid. Aujourd'hui nous sommes beaucoup moins exclusifs, nous laissons parfaitement de côté la règle des trois unités et bien d'autres. Au théâtre, la seule règle actuellement en honneur, est celle qui astreint l'auteur à plaire à son public. Avons-nous tort? Je ne le pense pas. Nous préférons, en général, une comédie qui plaît, quoiqu'elle soit irrégulière, à un ouvrage construit dans les règles de l'art, mais qui fatigue ou ennuie. Pour tout dire, en un mot, nous ne connaissons plus de règles. La scène n'est plus, de nos jours, un amusement sérieux, c'est un moyen de passer le plus agréablement possible quelques heures, et pourvu qu'en effet les heures s'écoulent agréablement, l'on n'en demande guère plus aux auteurs dramatiques.

Il y a deux sortes de comédies, la comédie d'intrigue et la comédie de caractère. Ce dernier genre est celui dont Molière a surtout fait usage. Son Avare semble être un modèle. Ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, quand la comédie est une imitation de mœurs, il faut qu'elle soit un peu exagérée. Ainsi, pour prendre un exemple, il est impossible d'admettre qu'en un seul jour un Harpagon, quelque harpagon qu'il puisse être, ait l'occasion de produire autant de traits d'avarice que celui de Molière. Ce dernier a concentré nécessairement en quelques scènes le résumé, pour ainsi dire, de la vie morale de son héros.

Une remarque avant de quitter la comédie ancienne.

Il existait à Athènes un usage qu'on devrait bien acclimater chez nous. Les pièces dramatiques étaient soumises à dix juges, hommes distingués, indépendants, d'un mérite reconnu, d'une intégrité à l'abri de tout soupçon, et qui prêtaient serment de juger avec la plus grande équité. Ces juges n'avaient égard ni aux sollicitations, ni à la cabale. Leur appréciation, complètement littéraire, était étrangère à toute considération, même politique. Que n'avons-nous en France un semblable aréopage? Certes, on ne verrait pas sur la scène autant de rapsodies, et le goût du public n'irait pas se perdant de plus en plus. Ce ne serait fâcheux que pour cette littérature de couplets grivois, de ronds de jambes et d'exhibition de maillots, cherchant son succès dans des excentricités déplorables. Le théâtre s'enrichirait, selon toute apparence, de comédies dignes de ce nom, de vaudevilles plus décents et non moins gais, de couplets plus spirituels, de bons mots plus convenables, de situations moins ridicules. Ce serait là un grand bien pour les théâtres modernes.

Mais parlons maintenant de la comédie en France avant la venue de Molière.

Les deux écrivains auxquels on peut attribuer la régénération de la comédie sur notre scène furent Jean de la Taille de Bondarroy, qui donna en 1562 les Corrivaux, en 1567 Négromant, et en 1578 le Combat de Fortune et de Pauvreté; et Jodelle, qui fit représenter en 1552 Eugénie ou la Rencontre, et en 1558 la Mascarade. Ces deux poëtes ne brillent ni par un goût épuré, ni par un style décent, mais enfin il y a, dans leurs conceptions dramatiques, quelque chose de mieux que les rapsodies sans intrigue et sans intérêt mises jusqu'alors au théâtre.

Le roi Charles IX avait compris la supériorité de Jodelle sur ses devanciers, car il le comblait de bienfaits, ce qui n'empêcha pas le poëte de se plaindre du sort jusqu'à son dernier soupir.

On raconte qu'étant presque à l'agonie, il adressa au roi un sonnet dans lequel il compare sa position à celle du philosophe Anaxagore, que Périclès aimait et cependant laissait dans le besoin. Anaxagore, pressé par l'indigence, se décide à mourir. Périclès l'apprend, vole près de lui, lui exprime ses regrets, lui fait mille promesses:

L'autre, tout résolu, lui dit (ce qu'à toi, Sire,

Délaissé, demi-mort presque, je puis bien dire):

Qui se sert de la lampe au moins de l'huile y met.


Jean de la Rivey, comme les deux précédents, essaya de ranimer la comédie et fit faire quelques pas au genre dramatique. Un peu plus tard, en 1580, parut Chapuis, qui composa deux comédies: l'Avare cornu, en cinq actes et en vers de dix syllabes, et le Monde des Cornus, où l'on traite de l'origine des cornes. Le sous-titre de cette dernière pièce indique suffisamment la force du sujet.

La comédie resta ensuite quelques années stationnaire; Rotrou, que nous avons déjà apprécié comme poëte tragique, la remit en scène. Nous lui devons un grand nombre de comédies et de tragi-comédies qui ne sont pas sans mérite, en les considérant au point de vue des productions littéraires du commencement du dix-septième siècle, avant Corneille et avant Molière. Nous avons prononcé le nom de tragi-comédie: un mot sur le genre d'ouvrage qu'on appelait ainsi et qui tenait de la pastorale, de la comédie et de la tragédie, sans être réellement d'aucun de ces trois genres.

On désignait par ce nom un poëme dans lequel le sérieux de la tragédie se trouvait marié au plaisant de la comédie. C'était quelquefois aussi une action dramatique, roulant sur les aventures de personnages héroïques et ayant un dénouement heureux. Corneille a longtemps appelé son Cid une tragi-comédie.

Ces pièces ne laissaient pas que d'avoir une sorte d'analogie avec le drame moderne, en un certain sens. Dans le drame qui fleurit sur nos scènes du boulevard, on trouve réuni, dans la même action, à côté des rôles principaux habituellement sérieux et même lugubres, un ou plusieurs rôles gais et souvent grotesques, faisant contraste. Ce contraste est, pour ainsi dire, exigé aujourd'hui par les classes populaires qui forment le public de ces théâtres. L'antiquité n'a pas connu ces sortes de compositions bâtardes qu'on a quelquefois aussi appelées comédies-héroïques. Les Anglais, dans leur théâtre, en ont beaucoup usé et abusé; mais en France, elles furent abandonnées, quand vint l'époque de la vraie et saine comédie.

Revenons à Rotrou, auteur de la Bague de l'oubli (1628), des Ménechmes (1631), de Diane (1635), de Clorinde (1636), des Captifs (1638), des Sosies (1638), de la Sœur généreuse (1635). Toutes ces comédies sont en cinq actes et en vers. Elles peuvent être considérées comme le trait d'union entre le genre primitif du siècle précédent et celui qui allait naître sous la plume de Molière. Plusieurs de ces productions de Rotrou eurent un grand succès, et il en est dont l'idée a été souvent reprise au théâtre après lui. Ainsi, les Ménechmes, pièce imitée de Plaute et dont l'intrigue consiste dans la ressemblance parfaite de deux frères, est une comédie refaite soixante-quinze ans après Rotrou par Regnard, et qui, de nos jours, a fourni le sujet d'un des plus spirituels et des plus amusants vaudevilles du répertoire moderne: Prosper et Vincent.

La comédie de Diane est une espèce de pièce à tiroir dans laquelle une même actrice joue plusieurs rôles, ce qui a été imité souvent depuis, pour mettre en relief les facultés d'artistes ayant une grande facilité d'imitation. Les Captifs, comédie puisée dans Plaute, dont l'intrigue est fort simple, l'action bien conduite, eut une grande vogue, de même que les Sosies, qui fussent restés probablement longtemps encore à la scène, si l'Amphitryon de Molière n'était venu les détrôner trente ans plus tard.

Outre les comédies que nous venons de nommer rapidement, Rotrou donna encore à la scène française, de 1630 à 1637, une pastorale et dix-huit tragi-comédies.

Le titre de la pastorale est Célimène ou Amarilis (1633). En général, on donnait ce nom à une espèce d'opéra champêtre ou de ballet dont tous les personnages étaient des bergers et des bergères, et dont la musique était simple et pleine de douceur. Du temps de Rotrou cependant, alors que l'opéra n'était pas encore connu en France, une pastorale était une comédie également à personnages champêtres, dont l'intrigue était des plus naïves. On en jugera par celle-ci: Célimène, voyant son amant près de lui être infidèle, se déguise elle-même en berger, se fait aimer de sa rivale et de toutes les bergères dont les bergers deviennent jaloux. Elle finit par se faire connaître, unit les amants et rallume les feux de son volage. Cela dure cinq actes et se débite en vers, ce qui prouve en faveur de la patience qu'avaient nos pères dans la première moitié du dix-septième siècle. Tout au plus, de nos jours, avec ce canevas, parviendrait-on à bâtir un acte de ballet, dont le succès pourrait être dû aux jupes courtes des jolies bergères de l'Opéra, à la pantomime expressive d'une Célimène-Rosita, à une mise en scène pleine de fraîcheur, et non pas certes à un scenario aussi nul.

Parmi les tragi-comédies de Rotrou, nous citerons celle de Doristé et Cléagenor (1630), non à cause de sa donnée qui est parfaitement absurde, mais parce qu'elle offre un des premiers exemples de la violation de la règle fameuse de l'unité de temps et de lieu. Elle avait été précédée, en 1628, de l'Hypocondriaque ou le Mort amoureux, coup d'essai de Rotrou qui dit, en la donnant au théâtre: «Il y a d'excellents poëtes, mais non pas à l'âge de vingt ans.» Il avait bien raison, car la pièce était fort médiocre. En 1631, on joua celle de l'Heureuse Constance qui eut un grand succès, et elle le méritait (quoique la donnée n'eût rien de remarquable), par l'intérêt jeté sur des caractères très-bien tracés.

En 1645, Rotrou obtint également une sorte de succès avec Agésilas, tiré d'Amadis de Gaule. Dans l'intervalle, en 1636, il avait fait représenter la tragi-comédie des Deux Pucelles, dont le sujet est tiré d'une comédie espagnole. Ce qu'il y a de curieux dans le titre, rapproché de la pièce, titre qui ne passerait plus aujourd'hui au théâtre, c'est que l'une des deux pucelles de Rotrou est prête d'accoucher.

La dernière pièce du prédécesseur de Corneille est la tragi-comédie de Don Lope de Cordoue (1650), dans laquelle on trouve ces deux vers dignes du grand poëte:

Il suffit pour bien peindre une guerre allumée

Qu'on était Espagnol en l'une et l'autre armée.


Un des principaux poëtes dramatiques parmi les contemporains de Rotrou fut Scudéry, dont la vie littéraire s'étendit de 1630 à 1642. Pendant cette période, cet auteur fécond donna à la scène une vingtaine de pièces, dont quatre comédies et neuf tragi-comédies.

Les comédies sont: la Comédie des Comédiens (1634), le Fils supposé (1635), l'Amant libéral (1636), l'Amour tyrannique (1638). A proprement parler, la première de ces quatre pièces n'est une comédie que pendant les deux premiers actes, qui sont en prose; les trois derniers, écrits en vers, forment une pastorale amenée, justifiée, si l'on veut, par les actes précédents qui lui servent de prologue. La Comédie des Comédiens est un sujet souvent mis à la scène. Quelques années avant la représentation de cette pièce, en 1629, du Peschier avait donné au théâtre la Comédie de la Comédie, critique plaisante de l'éloquence ampoulée et des hyperboles de Balzac. Elle était précédée d'un prologue rempli de ces inconvenances reçues alors par le public, et dont on aura une idée par la phrase suivante. – «J'envoie bien faire f… ces bonnes gens du temps passé, dit l'auteur, d'avoir pris tant de peine à ne rien faire qui vaille.»

Le Fils supposé est un long quiproquo assez original et qui eut du succès. L'Amant libéral, traduction de Cervantès, a une intrigue qui donne une idée très-juste du théâtre espagnol; c'est un long tissu d'invraisemblances, d'incidents, avec des scènes qui ne manquent pas d'intérêt. Quant à l'Amour tyrannique, quoique fort médiocre sous tous les rapports, cette pièce réussit admirablement. On la considéra comme un chef-d'œuvre. Le cardinal de Richelieu, en sortant de la représentation, dit tout haut: «Cet ouvrage n'a pas besoin d'apologie, il se défend assez de lui-même.» De fait, il est incontestable qu'on eût pu tirer du sujet une belle tragédie ou un drame digne de la scène anglaise; mais Scudéry n'en fit qu'une mauvaise comédie en cinq actes et en vers. Nous ne dirons qu'un mot de deux des nombreuses tragi-comédies de cet auteur. Le Prince déguisé (1635) ressemble beaucoup à un ballet avec des chœurs, Axiane (1642), est un véritable drame historique en prose, en cinq actes. Cette innovation, dans une tragi-comédie, de remplacer les vers par la prose fut tentée par Scudéry, parce que longtemps il avait préconisé cette idée qu'il est possible d'écrire un bon ouvrage dramatique sans avoir recours à la poésie. Du reste, il est juste de dire qu'il s'est surpassé lui-même en traçant les caractères d'Axiane et d'Hermocrate.

Les traits qui sont propres au talent de Scudéry seraient appelés aujourd'hui les écarts d'une imagination folle. A l'époque où il vivait, on les admirait. Chaque siècle a son goût dominant, auquel il faut bien que les écrivains sachent sacrifier. Lorsqu'on juge et critique, on ne doit pas perdre cela de vue, si l'on veut être juste.

Voici maintenant un poëte plus célèbre par son amour pour le jus de la treille que par ses productions littéraires, Vion d'Alibrai, qui fit son propre portrait dans les vers suivants:

Je me rendrai du moins fameux au cabaret;

On parlera de moi comme on fait de Faret.

Qu'importe-t-il, ami, d'où nous vienne la gloire?

Je la puis acquérir sans beaucoup de tourment;

Car, grâces à Bacchus, déjà je sais bien boire,

Et je bois tous les jours avecque Saint-Amant.


Ce serait-là en effet une façon assez commode d'acquérir de la gloire, mais on ne peut acquérir ainsi qu'une triste célébrité. C'est ce qui arriva pour cet auteur, père de deux pitoyables comédies, de deux pastorales encore plus médiocres, et d'une tragédie ne valant pas mieux.

Beys, qui vivait à la même époque, donna, de 1635 à 1642, cinq comédies en cinq actes et en vers, et une tragi-comédie. Sa première pièce, l'Hôpital des fous (1635), imitée de la comédie italienne, ne resta pas au théâtre, non plus que le Jaloux sans sujet (1635), l'Amant libéral (1636), et les Fous illustres (1642); mais la Comédie des chansons de la même année 1642 offre cette particularité, qu'elle pourrait en quelque sorte être considérée comme l'origine du vaudeville et de l'opéra comique en France. En effet, c'est peut-être le premier exemple d'une comédie entremêlée de couplets, cousus à la suite les uns des autres. Beys eut une certaine célébrité, non à titre de poëte dramatique, mais à titre d'auteur (d'après les ordres de Louis XIII) d'un poëme épique sur les campagnes de ce prince. Néanmoins on le soupçonna un beau jour d'avoir écrit contre le gouvernement du roi, et comme à cette époque, d'un pareil soupçon à la Bastille, il n'y avait qu'un pas, on lui fit sauter ce pas sans plus de façon. Son innocence ne tarda pas cependant à être reconnue, et le panégyriste de S. M. Louis XIII fut rendu à la liberté.

Douville, qui précéda de bien peu Molière, est un auteur plus sérieux que Beys. Il composa beaucoup de comédies; malheureusement elles se ressemblent tellement par le fond, qu'après en avoir lu une, on les connaît presque toutes. Ce sont toujours rencontres inopinées, trompeuses apparences, brouilleries et raccommodements d'amants qui s'adorent, etc. En général, dans ses pièces, les femmes font les avances. Il faut tout dire, cet auteur puisait assez habituellement dans les répertoires espagnols ou italiens. Il traduisait les poëtes de ces deux nations, les défigurait et finissait par se les approprier. Il plaisait au public d'alors qu'il parvenait à éblouir avec les richesses d'autrui, étant peu riche de son propre fonds. Ce Douville, frère de l'abbé Bois-Robert, composa un recueil de contes qui servirent à sa réputation plus que ses travaux dramatiques. Il était ingénieur et géographe du roi.

Parmi ses comédies, nous citerons la Dame invisible (1641), dont le sujet est pris de la Dame Duende du poëte espagnol Calderon, copiée plus tard par le théâtre italien, sous le titre d'Arlequin persécuté par la dame invisible. Citons encore: les Fausses vérités, ou Croire ce qu'on ne voit pas et ne pas croire ce que l'on voit (1642), comédie en un acte et en vers, espèce de proverbe tiré également de Calderon; l'Absent de chez soi (1643), en cinq actes et en vers. Après la première représentation de cette pièce, Douville, très-fier du succès qu'elle avait obtenu, demanda à son frère ce qu'il en pensait. Bois-Robert lui avoua franchement qu'il la trouvait mauvaise (et c'était la vérité). « – Je m'en rapporte au parterre! s'écria l'auteur piqué au vif. – Vous faites bien, reprit l'abbé, mais je crains que vous ne vous en rapportiez pas toujours à lui.» Quelque temps après, Douville donna Aimer sans savoir qui; cette comédie fut sifflée. – «Eh bien! lui dit son frère, vous en rapportez-vous encore au parterre? – Non vraiment, reprit l'auteur, il n'a pas le sens commun. – Hé quoi, s'écria Bois-Robert, vous ne vous en apercevez que d'aujourd'hui? Pour moi, je m'en suis aperçu dès votre pièce précédente.» La Dame suivante (1645), Jodelet astrologue (1646), la Coiffeuse à la mode (1646), et les Soupçons sur les apparences (1650), comédies en cinq actes et en vers, longues, diffuses, à intrigues embrouillées, imbroglios sans queue ni tête, complètent le bagage dramatique de Douville avec la tragi-comédie des Morts vivants (1645). Jodelet a servi à Thomas Corneille pour sa comédie de l'Astrologue. La Coiffeuse à la mode, pièce moins mauvaise que les précédentes, offre une situation assez originale et qui réussit à la scène.

Nous ne dirons qu'un mot de Levert, qui avait plus de présomption que de mérite et qui menaçait sérieusement ses lecteurs de sa haine, s'ils ne le louaient pas. Cependant, dans les quatre pièces (dont deux comédies) données par lui au théâtre, on trouve un certain mérite, des intrigues assez bien conduites, des scènes variées et une versification coulante. Ces comédies sont: l'Amour médecin et le Docteur amoureux (1638), qui n'a aucune analogie avec celui de Molière. La tragi-comédie de Aricidie (1646) eût été promptement oubliée sans ces quatre vers qui scandalisèrent fort le public par l'application qu'on en fit:

La faveur qu'on accorde aux princes comme lui

Est exempte de blâme et de honte aujourd'hui,

Tout ce qu'on leur permet n'ôte rien à l'estime,

Et la condition en efface le crime.


Morale, en effet, des plus commodes pour les femmes qui se prostituent dans l'espoir d'être en faveur auprès des souverains.

Nous voici arrivé à un auteur dont le nom est bien peu connu de nos jours, Gillet, et qui cependant mérite qu'on se souvienne de lui. En effet, on peut en quelque sorte faire remonter à ses comédies qui ne sont pas, comme celles de ses contemporains, pillées dans les ouvrages italiens ou espagnols, l'origine de la comédie française.

Gillet de Tessonnerie, né en 1620, plus tard conseiller à la cour des monnaies, est un des premiers qui ait osé se lancer dans les pièces à caractères puisées dans son propre fonds. Il avait sans doute peu de goût, mais ses compositions sont sagement conduites. Il fit bonne justice des enlèvements à l'espagnole, des reconnaissances à l'italienne, de toutes ces ressources qu'aujourd'hui nous appellerions des ficelles, et dont les auteurs saturaient le public depuis la fin du siècle dernier. Gillet imagina des comédies comiques par le fond et par la manière de présenter le dialogue. On peut donc dire à sa louange qu'il ouvrit le premier la carrière brillante que Molière courut avec tant de gloire.

Ses pièces, la plupart originales et amusantes, sont une esquisse légère encore, à la vérité, des ridicules de la société, mais indiquant ces ridicules avec esprit. Elles sont semées de critiques judicieuses et de traits de mœurs. En un mot, personne avant lui n'avait fait une peinture si vraie des coutumes et du goût de la nation française.

Ses comédies sont: Francion (1642), le Triomphe des cinq passions (1642), le Déniaisé (1647), et le Campagnard (1657). Le Triomphe des cinq passions est un sujet simple et cependant original. Un jeune seigneur est prêt à entrer dans le monde, un sage, un mentor, lui montre les cinq passions qu'il aura à vaincre, la vaine gloire, l'ambition, l'amour, la jalousie et la fureur, passions qu'il fait passer successivement sous ses yeux en lui apprenant à les connaître par cinq comédies en un acte et ayant toutes un sujet différent, ce qui constitue réellement cinq petites pièces en un acte avec un prologue. Le Déniaisé a une scène qui a été complètement imitée par Molière dans son Dépit amoureux, en voici quelques mots:

JODELET, arrêtant Pancrace

Tandis qu'ils vont dîner, un petit mot, Pancrace,

Dirais-tu qu'une fille ait de l'amour pour moi?


PANCRACE

… Tous nos vieux savants n'ont pu nous exprimer

D'où vient cet ascendant qui nous force d'aimer,

Les uns disent que c'est un vif éclair de l'âme, etc.


JODELET

Ainsi donc…


PANCRACE

Nous perdrions le droit du libre arbitre.


JODELET

Mais…


PANCRACE

Il n'y a point de mais. C'est notre plus beau titre.


JODELET

Quoi!..


PANCRACE

C'est parler en vain, l'âme a sa volonté.


JODELET

Il est vrai!..


PANCRACE

Nous naissons en pleine liberté.


JODELET

C'est sans doute.


PANCRACE

Autrement notre essence est mortelle.


JODELET

D'effet…


PANCRACE

Et nous n'aurions qu'une âme naturelle.


JODELET

Bon!..


PANCRACE

C'est le sentiment que nous devons avoir.


JODELET

Donc…


PANCRACE

C'est la vérité que nous devons savoir.


JODELET

Un mot.


PANCRACE

Quoi! Voudrais-tu des âmes radicales,

Ou l'opération pareille aux animales?


JODELET, voulant lui fermer la bouche

Je voudrais te casser la gueule.


PANCRACE, se débarrassant

On a grand tort

De vouloir que l'esprit s'éteigne par la mort.


JODELET

Enfin.


PANCRACE

Les minéraux produits d'air et de flamme.

Ont un tempérament, mais ce n'est pas une âme,


JODELET, lassé

Ah!


PANCRACE

L'âme n'est donc pas cette aveugle puissance

Qui se meut ou qui fait mouvoir sans connaissance.


JODELET, jetant son chapeau

J'enrage.


PANCRACE

Elle n'est pas au sang comme on le dit.


JODELET

Parlera-t-il toujours? Mais…


PANCRACE

Ce mais m'étourdit.


JODELET, fermant les poings

Peste!


PANCRACE

Nous pouvons voir des choses animées

Qui, sans avoir de sang, auraient été formées, etc.?


JODELET

Holà!


PANCRACE

Prête l'oreille à mes solutions, etc., etc.


Ainsi l'âme a l'arbitre.


JODELET

Ah! c'est trop arbitré.

Au diable le moment que je t'ai rencontré.


PANCRACE

Au diable le pendard qui ne veut rien apprendre.


JODELET

Au diable les savants, et qui peut les comprendre!


Le Campagnard est la mise en scène du ridicule des nobles de province de l'époque.

De Brosse, dont les tragédies sont mauvaises, composa quelques comédies passables de 1644 à 1650, comédies dans lesquelles règne un ton plus convenable, plus décent que dans les ouvrages dramatiques de ses prédécesseurs et de ses contemporains. C'est là son plus grand mérite. Une de ses productions, la comédie du Curieux impertinent (1645), est à peu près sa meilleure pièce. On y trouve deux vers remarquables par les pensées qu'ils expriment:

La honte est le rempart de l'honneur d'une femme;


et celui-ci:

L'or ne se corrompt point et peut corrompre tout.


Le Curieux impertinent, tiré de Don Quichotte, fut remis à la scène en 1710 par Destouches. Ce fut la première comédie de Destouches, et l'on fit sur elle une épigramme qui n'est qu'un bon mot, car la pièce est fort bonne:

On représente maintenant

Le Curieux impertinent,

Pour moi j'ai vu la pièce, et j'ose en être arbitre.

Voici ce que j'en crois de mieux:

Pour la voir une fois, on n'est pas curieux,

Mais qui la verra deux en portera le titre.


Le Songe des hommes éveillés (1646) eut du succès. Le sujet en a été bien souvent remis à la scène depuis de Brosse. C'est celui du paysan ivre, du marchand endormi, du pauvre diable, transportés tout à coup dans des appartements magnifiques ou dans des palais et auxquels on fait croire qu'ils ont toujours été de grands personnages ou même des souverains. Il y a peu d'années, ce canevas a été traité en opéra comique.

Nous n'avons plus, pour terminer notre notice anecdotique sur les principaux auteurs qui ont précédé Molière, qu'à parler de l'un des plus originaux, le poëte Scarron, qui travailla pour le théâtre de 1645 à 1660, et, pendant ces quinze années, donna une douzaine de pièces, toutes plus burlesques les unes que les autres. Fils d'un conseiller au Parlement de Paris et né en 1610, époux de mademoiselle d'Aubigné, plus tard madame de Maintenon, il fut affecté, dès l'âge de vingt-six ans, d'une paralysie qui lui ôta l'usage de ses jambes. Son esprit, malgré son triste état, était tellement enjoué, que sa maison était le rendez-vous d'une foule de gens du monde, de poëtes, d'auteurs, qui venaient le consoler dans son infortune et apprendre à rire auprès de lui. Scarron se voua au genre burlesque. Il y excella, et ses comédies en vers et en prose sont pleines de traits, malheureusement plus bizarres que comiques. Il introduisit au théâtre le valet facétieux, le valet grotesque, le valet intrigant, parce que ce genre de personnage prêtait beaucoup à ses compositions; ainsi: Jodelet duelliste (1646), Jodelet maître valet, sont des types créés par lui. Le sujet de cette dernière pièce est tiré d'une comédie espagnole intitulée Don Juan Alvaredo; mais le titre est le nom d'un acteur alors célèbre, Julien Geoffrin, qui prit au théâtre celui de Jodelet.

Entré dans la troupe du Marais en 1610, l'année de la naissance de Scarron, Geoffrin s'y fit bientôt remarquer par la naïveté de son jeu, l'expression comique de sa figure et de ses gestes. En 1634, par ordre de Louis XIII, il passa à l'hôtel de Bourgogne, où son talent prit de nouvelles proportions. Plusieurs auteurs firent des pièces en vue de cet acteur célèbre; mais Scarron fut celui qui mit le mieux ses talents en relief. Jodelet joua ses rôles de valet original avec un succès toujours croissant. Il est vrai de dire que sa figure avait quelque chose de si plaisant, qu'à son entrée en scène, les spectateurs ne pouvaient le regarder sans rire. Il feignait alors une surprise qui redoublait la bonne humeur du public. Il parlait du nez, et ce défaut n'en était pas un dans son jeu. De nos jours, que d'imperfections physiques, sur nos petits théâtres, font la fortune de certains acteurs? On le représente, dans les gravures du temps, avec une grande barbe et de longues moustaches noires, le reste du visage enfariné. Il mourut en 1660. Mais revenons à Scarron.

En 1646, ce poëte fit jouer les Boutades du capitan Matamore, espèce de pochade en un acte et en vers, très-bouffonne et qui amusa beaucoup. En 1649, ce fut l'Héritier ridicule, comédie en cinq actes, qui plut si fort à Louis XIV, que ce prince, alors encore fort jeune, se la fit jouer, dit-on, trois fois de suite dans le même jour, ce qui prouve qu'à cette époque le grand roi avait du temps à donner à ses plaisirs et le goût encore assez peu épuré. En 1653, Scarron dédia à son souverain une comédie burlesque intitulée Don Japhet d'Arménie, par une épître non moins burlesque que sa comédie elle-même. Voici l'épître:

AU ROI

«Sire,

«Quelque bel esprit qui aurait, aussi bien que moi, à dédier un livre à Votre Majesté, dirait en beaux termes que vous êtes le plus grand Roi du monde; qu'à l'âge de quatorze à quinze ans, vous êtes plus savant en l'art de régner qu'un roi barbon; que vous êtes le mieux fait des hommes, pour ne pas dire des Rois, qui sont en petit nombre, et enfin que vous portez vos armes jusque au Mont Liban et au delà. Tout cela est beau à dire, mais je ne m'en servirai point ici: cela va sans dire. Je tâcherai seulement de persuader à Votre Majesté qu'Elle ne se ferait pas grand tort si Elle me faisait un peu de bien; si elle me faisait un peu de bien, je serais plus gai que je ne suis; si j'étais plus gai que je ne suis, je ferais des comédies enjouées; si je faisais des comédies enjouées, Votre Majesté en serait divertie; si Elle en était divertie, son argent ne serait pas perdu. Tout cela conclut si nécessairement, qu'il me semble que j'en serais persuadé si j'étais aussi bien un grand Roi comme je ne suis qu'un pauvre malheureux, mais pourtant,

«De Votre Majesté, etc.»

La pièce de Don Japhet d'Arménie, réduite en trois actes, fut représentée en 1721, avec intermèdes de chant et de danse, devant l'ambassadeur ottoman Mehemet Effendi, dont elle excita la gaieté.

Une autre des comédies de Scarron, l'Écolier de Salamanque (1654), fit du bruit à l'époque où il la donna, parce que le sujet lui en avait été dérobé par l'abbé Bois-Robert, qui avait composé avec le plan ses Généreux ennemis qu'il fit représenter à l'hôtel de Bourgogne. L'abbé eut en outre l'impudence de critiquer la pièce de Scarron. Ce dernier, qui avait la bonhomie de lire ses élucubrations dramatiques à ses amis avant de les mettre au théâtre, ne pardonna jamais cet indigne larcin et, pour s'en venger, il lança contre l'abbé le sarcasme le plus sanglant. «Quand on pense, disait-il, que j'étais né assez bien fait pour avoir mérité les respects des Bois-Robert de mon temps.»

Vous savez bien que ce prélat bouffon

De beaucoup d'impudence et de peu de mérite.

Est par dessus Fabri, l'archifripon,

Un très-grand s…te.


Le Gardien de soi-même (1655), le Marquis ridicule (1656), le Faux Alexandre, tragi-comédie laissée inachevée, et enfin celle du Prince Corsaire, complètent le burlesque bagage dramatique du premier mari de madame de Maintenon.

Boileau ne pouvait le souffrir. Un jour, Louis XIV se bottait pour aller à la chasse. A côté de lui se trouvaient plusieurs seigneurs de la cour et Despréaux. Il demande à ce dernier quels auteurs, à son avis, avaient le mieux réussi dans la comédie. – «Sire, je n'en connais qu'un, répond Boileau, c'est Molière, tous les autres n'ont fait que des farces proprement dites, comme ces vilaines pièces de Scarron.» A ces mots, échappés par mégarde de la bouche du satirique et qu'il eût bien voulu reprendre, le successeur du poëte burlesque auprès de sa veuve devint fort pensif. Au bout d'un instant, il reprit: – «Si bien donc que Despréaux n'estime que le seul Molière. – Il n'y a que lui, Sire, qui soit estimable dans son genre d'écrire,» se borna à répondre le critique qui ne se souciait pas de remettre Scarron sur le tapis.

Le duc de Chevreuse, tirant Boileau à part: – «Oh! pour le coup, mon cher, lui dit-il, votre prudence était endormie. – Et où est l'homme, répondit Despréaux, à qui il n'échappe jamais une sottise?» A notre avis, Boileau avait bien raison de parler de Scarron et de ses compositions dramatiques comme il le faisait. On ne peut comprendre qu'un prince dont le règne fut celui des arts, ait jamais pris quelque plaisir aux rapsodies du poëte burlesque. Aujourd'hui ses élucubrations ne supporteraient pas la scène, pas plus qu'elles ne supportent la lecture. En 1645, bien peu d'années avant l'Étourdi de Molière, la cour et la ville battaient des mains et riaient à gorge déployée de cette tirade de Jodelet à Béatrix:

Vous ne m'aimez donc pas, madame la traîtresse!

Et vous me desservez auprès de ma maîtresse?

Ah! louve! ah! porque! ah! chienne! ah! braque! ah! loup!

Puisses-tu te briser bras, main, pied, chef, cul, cou!

Que toujours quelque chien contre ta jupe pisse!

Qu'avec ses trois gosiers Cerbérus t'engloutisse!

Le grand chien Cerbérus, Cerbérus le grand chien,

Plus beau que toi cent fois, et plus homme de bien.


En 1653, alors que Molière se faisait déjà applaudir en province, on applaudissait à Paris des tirades comme celle-ci de don Japhet:

Gare l'eau! bon Dieu! la pourriture!

Ce dernier accident ne promet rien de bon:

Ah! chienne de duègne, ou servante ou démon,

Tu m'as tout compissé, pissante abominable!

Sépulchre d'os vivants, habitacle du diable,

Gouvernante d'enfer, épouvantail plâtré,

Dents et crins empruntés, et face de châtré!


LA DUÈGNE

Gare l'eau…


DON JAPHET

La diablesse a redoublé la dose.

Exécrable guenon! si c'était de l'eau rose,

On la pourrait souffrir par le grand froid qu'il fait;

Mais je suis tout couvert de ton déluge infect, etc., etc.


Or, Jodelet et Don Japhet sont les deux meilleurs produits littéraires et dramatiques du poëte Scarron, et on peut ajouter que ces comédies sont aussi pitoyables par le fond que par la forme. Empruntées à la mauvaise école espagnole, elles eurent cependant, nous devons le dire, jusqu'à la venue de Molière, un grand succès non-seulement près des bons habitants de la ville de Paris, mais auprès du Grand Roi et de sa cour. Nous avouerons même encore qu'en 1763, on les reprit et que Don Japhet fut très-suivi; l'auteur des Mémoires secrets en fait le plus grand éloge, il le préfère à beaucoup des pièces de cette époque qui sont cependant, à notre avis, infiniment plus supportables.

Avant de parler du père véritable de la bonne et saine comédie en France, de l'immortel Molière, qu'on nous permette une anecdote à propos du Menteur de Corneille. Cette charmante pièce, représentée en 1642, était restée classique à la scène, et beaucoup de vers qu'on y trouvait avaient passé en proverbe. Un grand seigneur contait un jour à table des anecdotes peu véridiques. Un homme d'esprit, se tournant vers le laquais de ce personnage et l'apostrophant du nom du laquais du Menteur: – «Clisson, lui dit-il, donnez à boire à votre maître.»

Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second

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