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L'OLYMPIA
ОглавлениеManet envoya au Salon de 1864 deux toiles, les Anges au tombeau du Christ et Episode d'un combat de taureaux, qui furent reçues. Elles étaient plus ou moins dans la manière déjà vue, aussi ne donnèrent-elles lieu à aucun jugement particulier. Elles laissèrent leur auteur, auprès du public, dans l'état de condamnation où l'avait mis le Déjeuner sur l'herbe de l'année précédente.
En 1865, il envoya une œuvre sur laquelle il comptait pour frapper une seconde fois l'attention et se produire de nouveau, dans tout le développement de sa personnalité, l'Olympia, à laquelle il joignit un Jésus insulté par les soldats. L'Olympia avait été peinte en 1863, la même année que le Déjeuner sur l'herbe, après, comme une sorte de complément. Depuis que pur ses rigueurs, en 1863, le jury d'admission au Salon s'était attiré de l'Empereur une remontrance, par la faveur accordée aux artistes refusés d'exposer non loin des autres, il se montrait moins draconien. Relâché dans sa sévérité, il admettait maintenait des œuvres qu'il eût auparavant condamnées. C'est ce qui explique que Manet repoussé aux Salons de 1859 et de 1863 ait pu faire accepter en 1865 l'Olympia et le Jésus insulté, où il se produisait sous sa forme la plus personnelle.
Les deux tableaux au Salon ameutèrent immédiatement le public. La tempête de railleries et d'insultes que le Déjeuner sur l'herbe avait soulevée se déchaîna de nouveau, pour aller sans cesse grandissant. Les particularités qui, chez Manet, avaient amené la désapprobation, avaient, en 1863, pris par surprise. Le public avait pu se demander s'il n'y avait pas là, après tout, l'outrance voulue d'un débutant, désireux d'attirer l'attention. Mais voilà que deux ans après, cette fois dans le lieu solennel du Salon officiel, le même Manet réapparaissait avec la même physionomie, remettant ses mêmes procédés sous les veux du public. Les traits insolites qu'on avait d'abord contemplés avec horreur dans le Déjeuner sur l'herbe, on les retrouvait accentués dans l'Olympia.
Le tableau était peint dans une note lumineuse générale. En contraste avec les œuvres sombres et éteintes de l'époque, il ressortait comme une tache offensant les yeux. Les plans étaient établis sans repoussoir ou enveloppe d'ombre, clair sur clair; les couleurs les plus tranchées se trouvaient juxtaposées, sans demi-tons ou adoucissements. Certes, dans tout le Salon, seul Manet peignait de la sorte, et comme personne ne pouvait penser qu'un débutant, un nouveau venu, différant de tous les autres, des maîtres connus et respectés, pût avoir raison contre eux, on le condamnait sans rémission, on le rabaissait unanimement à la position d'outrancier, de révolté, d'ignorant, de barbare. Les connaisseurs, ou prétendus tels, ne trouvaient aucune expression assez forte pour rendre le mépris que ses procédés leur inspiraient.
C'était là l'opinion sur la forme; sur le fond elle était au moins aussi sévère. Olympia, le sujet du tableau, était peinte nue, étendue sur un lit, le bras droit appuyé sur un coussin. Son corps reposait sur une sorte de châle de l'Inde à tons jaunes, semé de légères fleurs; derrière le lit, une négresse apportait à sa maîtresse un énorme bouquet, où l'audace des tons vifs juxtaposés se donnait libre cours. L'ensemble était complété par un chat noir, placé sur le lit contre la négresse, et faisant le gros dos. C'est-à-dire qu'on avait un nu pris dans la vie, conçu et traité de cette façon toute moderne que Manet avait adoptée définitivement, mais aussi un nu, aux yeux du public, offensant la pudeur et heurtant toute la tradition respectée et respectable du grand art. Si donc avec le Déjeuner sur l'herbe il avait déjà soulevé tout le monde contre lui, en portant atteinte au grand art de la tradition, avec l'Olympia il amenait un soulèvement encore plus grand, car il récidivait son attentat. Il l'aggravait, en manquant au respect que tous voulaient conserver pour ce qui faisait l'essence même du grand art, ce qui en constituait la part la plus élevée, le nu déclaré idéalisé et maintenu dans des formes épurées.