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Scène 1.IV.
ОглавлениеLes mêmes, Cyrano, puis Bellerose, Jodelet.
MONTFLEURY (aux marquis): Venez à mon secours, Messieurs !
UN MARQUIS (nonchalamment): Mais jouez donc !
CYRANO:
Gros homme, si tu joues
Je vais être obligé de te fesser les joues !
LE MARQUIS:
Assez !
CYRANO:
Que les marquis se taisent sur leurs bancs,
Ou bien je fais tâter ma canne à leurs rubans !
TOUS LES MARQUIS (debout): C'en est trop !. . .Montfleury. . .
CYRANO:
Que Montfleury s'en aille,
Ou bien je l'essorille et le désentripaille !
UNE VOIX:
Mais. . .
CYRANO:
Qu'il sorte !
UNE AUTRE VOIX:
Pourtant. . .
CYRANO:
Ce n'est pas encor fait ?
(Avec le geste de retrousser ses manches): Bon ! je vais sur la scène en guise de buffet, Découper cette mortadelle d'Italie !
MONTFLEURY (rassemblant toute sa dignité): En m'insultant, Monsieur, vous insultez Thalie !
CYRANO (très poli): Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n'êtes rien, Avait l'honneur de vous connaître, croyez bien Qu'en vous voyant si gros et bête comme une urne, Elle vous flanquerait quelque part son cothurne.
LE PARTERRE:
Montfleury ! Montfleury !—La pièce de Baro !—
CYRANO (à ceux qui crient autour de lui): Je vous en prie, ayez pitié de mon fourreau: Si vous continuez, il va rendre sa lame ! (Le cercle s'élargit.)
LA FOULE (reculant): Hé ! là !. . .
CYRANO (à Montfleury): Sortez de scène !
LA FOULE (se rapprochant et grondant): Oh ! oh !
CYRANO (se retournant vivement): Quelqu'un réclame ? (Nouveau recul.)
UNE VOIX (chantant au fond): Monsieur de Cyrano Vraiment nous tyrannise, Malgré ce tyranneau On jouera la Clorise.
TOUTE LA SALLE (chantant): La Clorise, la Clorise !. . .
CYRANO:
Si j'entends une fois encor cette chanson,
Je vous assomme tous.
UN BOURGEOIS:
Vous n'êtes pas Samson !
CYRANO:
Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ?
UNE DAME (dans les loges): C'est inouï !
UN SEIGNEUR:
C'est scandaleux !
UN BOURGEOIS:
C'est vexatoire !
UN PAGE:
Ce qu'on s'amuse !
LE PARTERRE:
Kss !—Montfleury !—Cyrano !
CYRANO:
Silence !
LE PARTERRE (en délire): Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! Cocorico !
CYRANO:
Je vous. . .
UN PAGE:
Miâou !
CYRANO:
Je vous ordonne de vous taire !
Et j'adresse un défi collectif au parterre !
—J'inscris les noms !—Approchez-vous, jeunes héros !
Chacun son tour ! Je vais donner des numéros !—
Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ?
Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste,
Je l'expédie avec les honneurs qu'on lui doit !
—Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt.
(Silence): La pudeur vous défend de voir ma lame nue ? Pas un nom ?—Pas un doigt ?—C'est bien. Je continue. (Se retournant vers la scène où Montfleury attend avec angoisse): Donc, je désire voir le théâtre guéri De cette fluxion. Sinon. . . (La main à son épée): le bistouri !
MONTFLEURY:
Je. . .
CYRANO (descend de sa chaise, s'assied au milieu du rond qui s'est formé, s'installe comme chez lui): Mes mains vont frapper trois claques, pleine lune ! Vous vous éclipserez à la troisième.
LE PARTERRE (amusé): Ah ?. . .
CYRANO (frappant dans ses mains): Une !
MONTFLEURY:
Je. . .
UNE VOIX (des loges): Restez !
LE PARTERRE:
Restera. . .restera pas. . .
MONTFLEURY:
Je crois,
Messieurs. . .
CYRANO:
Deux !
MONTFLEURY:
Je suis sûr qu'il vaudrait mieux que. . .
CYRANO:
Trois !
(Montfleury disparaît comme dans une trappe. Tempête de rires, de sifflets et de huées.)
LA SALLE:
Hu !. . .hu !. . .Lâche !. . .Reviens !. . .
CYRANO (épanoui, se renverse sur sa chaise, et croise ses jambes): Qu'il revienne, s'il l'ose !
UN BOURGEOIS:
L'orateur de la troupe !
(Bellerose s'avance et salue.)
LES LOGES:
Ah !. . .Voilà Bellerose !
BELLEROSE (avec élégance): Nobles seigneurs. . .
LE PARTERRE:
Non ! Non ! Jodelet !
JODELET (s'avance, et, nasillard): Tas de veaux !
LE PARTERRE:
Ah ! Ah ! Bravo ! très bien ! bravo !
JODELET:
Pas de bravos !
Le gros tragédien dont vous aimez le ventre
S'est senti. . .
LE PARTERRE:
C'est un lâche !
JODELET:
Il dut sortir !
LE PARTERRE:
Qu'il rentre !
LES UNS:
Non !
LES AUTRES:
Si !
UN JEUNE HOMME (à Cyrano): Mais à la fin, monsieur, quelle raison Avez-vous de haïr Montfleury ?
CYRANO (gracieux, toujours assis): Jeune oison, J'ai deux raisons, dont chaque est suffisante seule. Primo: c'est un acteur déplorable, qui gueule, Et qui soulève avec des han ! de porteur d'eau, Le vers qu'il faut laisser s'envoler !—Secundo: Est mon secret. . .
LE VIEUX BOURGEOIS (derrière lui): Mais vous nous privez sans scrupule De la Clorise ! Je m'entête. . .
CYRANO (tournant sa chaise vers le bourgeois, respecteusement): Vieille mule ! Les vers du vieux Baro valant moins que zéro, J'interromps sans remords !
LES PRÉCIEUSES (dans les loges): Ha !—Ho !—Notre Baro ! Ma chère !—Peut-on dire ?. . .Ah ! Dieu !. . .
CYRANO (tournant sa chaise vers les loges, galant): Belles personnes, Rayonnez, fleurissez, soyez des échansonnes De rêve, d'un sourire enchantez un trépas, Inspirez-nous des vers. . .mais ne les jugez pas !
BELLEROSE:
Et l'argent qu'il va falloir rendre !
CYRANO (tournant sa chaise vers la scène): Bellerose, Vous avez dit la seule intelligente chose ! Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous: (Il se lève, et lançant un sac sur la scène): Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous !
LA SALLE (éblouie): Ah !. . .Oh !. . .
JODELET (ramassant prestement la bourse et la soupesant): A ce prix-là, monsieur, je t'autorise A venir chaque jour empêcher la Clorise !. . .
LA SALLE
Hu !. . .Hu !. . .
JODELET:
Dussions-nous même ensemble être hués !. . .
BELLEROSE:
Il faut évacuer la salle !. . .
JODELET:
Évacuez !. . .
(On commence à sortir, pendant que Cyrano regarde d'un air satisfait. Mais la foule s'arrête bientôt en entendant la scène suivante, et la sortie cesse. Les femmes qui, dans les loges, étaient déjà debout, leur manteau remis, s'arrêtent pour écouter, et finissent par se rasseoir.)
LE BRET (à Cyrano): C'est fou !. . .
UN FÂCHEUX (qui s'est approché de Cyrano): Le comédien Montfleury ! quel scandale ! Mais il est protégé par le duc de Candale ! Avez-vous un patron ?
CYRANO:
Non !
LE FÂCHEUX:
Vous n'avez pas ?. . .
CYRANO:
Non !
LE FÂCHEUX:
Quoi, pas un grand seigneur pour couvrir de son nom ?. . .
CYRANO (agacé): Non, ai-je dit deux fois. Faut-il donc que je trisse ? Non, pas de protecteur. . . (La main à son épée): mais une protectrice !
LE FÂCHEUX:
Mais vous allez quitter la ville ?
CYRANO:
C'est selon.
LE FÂCHEUX:
Mais le duc de Candale a le bras long !
CYRANO:
Moins long
Que n'est le mien. . .
(Montrant son épée): quand je lui mets cette rallonge !
LE FÂCHEUX:
Mais vous ne songez pas à prétendre. . .
CYRANO:
J'y songe.
LE FÂCHEUX:
Mais. . .
CYRANO:
Tournez les talons, maintenant.
LE FÂCHEUX:
Mais. . .
CYRANO:
Tournez !
—Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez.
LE FÂCHEUX (ahuri): Je. . .
CYRANO (marchant sur lui): Qu'a-t-il d'étonnant ?
LE FÂCHEUX (reculant): Votre Grâce se trompe. . .
CYRANO:
Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe ?. . .
LE FÂCHEUX (même jeu): Je n'ai pas. . .
CYRANO:
Ou crochu comme un bec de hibou ?
LE FÂCHEUX:
Je. . .
CYRANO:
Y distingue-t-on une verrue au bout ?
LE FÂCHEUX:
Mais. . .
CYRANO:
Ou si quelque mouche, à pas lents, s'y promène ?
Qu'a-t-il d'hétéroclite ?
LE FÂCHEUX:
Oh !. . .
CYRANO:
Est-ce un phénomène ?
LE FÂCHEUX:
Mais d'y porter les yeux j'avais su me garder !
CYRANO:
Et pourquoi, s'il vous plaît, ne pas le regarder ?
LE FÂCHEUX:
J'avais. . .
CYRANO:
Il vous dégoûte alors ?
LE FÂCHEUX:
Monsieur. . .
CYRANO:
Malsaine
Vous semble sa couleur ?
LE FÂCHEUX:
Monsieur !
CYRANO:
Sa forme, obscène ?
LE FÂCHEUX:
Mais du tout !. . .
CYRANO:
Pourquoi donc prendre un air dénigrant ?
—Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ?
LE FÂCHEUX (balbutiant): Je le trouve petit, tout petit, minuscule !
CYRANO:
Hein ? comment ? m'accuser d'un pareil ridicule ?
Petit, mon nez ? Holà !
LE FÂCHEUX:
Ciel !
CYRANO:
Énorme, mon nez !
—Vil camus, sot camard, tête plate, apprenez
Que je m'enorgueillis d'un pareil appendice,
Attendu qu'un grand nez est proprement l'indice
D'un homme affable, bon, courtois, spirituel,
Libéral, courageux, tel que je suis, et tel
Qu'il vous est interdit à jamais de vous croire,
Déplorable maraud ! car la face sans gloire
Que va chercher ma main en haut de votre col,
Est aussi dénuée. . .
(Il le soufflette.)
LE FÂCHEUX:
Aï !
CYRANO:
De fierté, d'envol,
De lyrisme, de pittoresque, d'étincelle,
De somptuosité, de Nez enfin, que celle. . .
(Il se retourne par les épaules, joignant le geste à la parole): Que va chercher ma botte au bas de votre dos !
LE FÂCHEUX (se sauvant): Au secours ! A la garde !
CYRANO:
Avis donc aux badauds
Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage,
Et si le plaisantin est noble, mon usage
Est de lui mettre, avant de le laisser s'enfuir,
Pas devant, et plus haut, du fer, et non du cuir !
DE GUICHE (qui est descendu de la scène, avec les marquis): Mais à la fin il nous ennuie !
LE VICOMTE DE VALVERT (haussant les épaules): Il fanfaronne !
DE GUICHE:
Personne ne va donc lui répondre ?. . .
LE VICOMTE:
Personne ?
Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits !. . .
(Il s'avance vers Cyrano qui l'observe, et se campant devant lui d'un air fat): Vous. . .vous avez un nez. . .heu. . .un nez. . .très grand.
CYRANO (gravement): Très !
LE VICOMTE (riant): Ha !
CYRANO (imperturbable): C'est tout ?. . .
LE VICOMTE:
Mais. . .
CYRANO:
Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire. . .Oh ! Dieu !. . .bien des choses en somme. . .
En variant le ton,—par exemple, tenez:
Agressif: "Moi, monsieur, si j'avais un tel nez
Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse !"
Amical: "Mais il doit tremper dans votre tasse !
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap !"
Descriptif: "C'est un roc !. . .c'est un pic !. . .c'est un cap !
Que dis-je, c'est un cap ?. . .C'est une péninsule !"
Curieux: "De quoi sert cette oblongue capsule ?
D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ?"
Gracieux: "Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leur petites pattes ?"
Truculent: "Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ?"
Prévenant: "Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol !"
Tendre: "Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane !"
Pédant: "L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane
Appelle Hippocampelephantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d'os !"
Cavalier: 'Quoi, l'ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode !'
Emphatique: "Aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !"
Dramatique: "C'est la Mer Rouge quand il saigne !"
Admiratif: "Pour un parfumeur, quelle enseigne !"
Lyrique: "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ?"
Naïf: "Ce monument, quand le visite-t-on ?"
Respectueux: "Souffrez, monsieur, qu'on vous salue,
C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue !"
Campagnard: "Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain !
C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !"
Militaire: "Pointez contre cavalerie !"
Pratique: "Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !"
Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot:
"Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !"
—Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit:
Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n'avez que les trois qui forment le mot: sot !
Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n'en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d'une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.