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AVANT-PROPOS

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L'histoire de Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut, offre un mémorable exemple des vicissitudes de la fortune. Celles qu'eut à subir cette princesse, durant près d'un demi-siècle, furent, en effet, aussi diverses qu'émouvantes.

L'apprentissage du malheur commença pour elle dès l'enfance. La mort de sa mère, dans les contrées lointaines de l'Orient; la fin tragique de l'empereur Bauduin, son père, arrivée peu après, l'avaient rendue orpheline alors qu'elle n'avait pas quinze ans. Héritière des plus riches provinces de l'ancienne Gaule-Belgique, elle devint, presque aussitôt, la victime des convoitises politiques du roi Philippe-Auguste, qui l'arracha, ainsi que sa jeune sœur Marguerite, au sol natal pour la transférer à Paris, où elle resta comme en otage jusqu'à ce que les Flamands, toujours jaloux de leur indépendance nationale, obtinrent enfin qu'on leur rendît leur légitime souveraine.

Mariée, toujours au moyen d'intrigues politiques, à Fernand de Portugal, prince étranger plus aventureux que prudent et habile, les débuts de son règne furent marqués, d'abord par des luttes sanglantes qui amenèrent l'invasion de la Flandre; puis, après des alternatives diverses, par la formation de cette coalition fameuse que la jeune comtesse avait été impuissante à conjurer, et que devait bientôt anéantir la victoire de Philippe-Auguste à Bouvines.

Fernand de Portugal, prisonnier, est jeté dans la tour du Louvre, et c'en était fait de la nationalité flamande, sans le prestige que conservait toujours un peuple valeureux dont l'honneur était sauf; prestige que partageait aussi, il faut le dire, à un haut degré, par sa filiation et ses alliances de famille, la jeune princesse appelée à présider seule désormais aux destinées de la Flandre et du Hainaut.

Alors commence pour Jeanne de Constantinople le rôle actif et douloureux que lui a réservé la Providence au milieu des malheurs de sa patrie. Un double devoir lui est imposé comme femme et comme souveraine.

En vain elle implore, durant plusieurs années, avec la plus vive et la plus touchante persistance et au prix d'écrasants sacrifices, la délivrance de son époux. Le roi de France reste inflexible et menaçant.

Un autre chagrin de famille l'atteint cruellement. A la faveur des troubles de ces temps agités, sa jeune sœur Marguerite, confinée en Hainaut sous la garde de son tuteur Bouchard d'Avesnes, épouse ce dernier, et bientôt un triste mystère se révèle; l'on apprend que Bouchard a reçu les ordres dans sa jeunesse et que le mariage est sacrilège. Le scandale arrive à son comble. Jeanne implore vainement sa sœur pour le faire cesser. La papauté fulmine vainement aussi, et coup sur coup, des sentences d'excommunication. Bouchard et Marguerite, soutenus par la puissante maison d'Avesnes, se montrent inébranlables dans la résolution de maintenir une union que condamnent les lois divines et humaines. La comtesse, obligée d'user de son autorité souveraine, la voit méconnue par sa sœur et par toute la faction qui la soutient, et il en résulte des hostilités et des haines qui poursuivront la fille infortunée de l'empereur Bauduin au delà du tombeau, pour l'outrager jusque dans sa mémoire.

Mais la coupe d'amertume n'était pas pleine encore. Au moment où les déplorables dissensions causées par l'union de Marguerite de Constantinople avec un prêtre apostat poursuivaient leur cours, il survint en Flandre et en Hainaut un des plus étranges événements dont l'histoire fasse mention. Un aventurier apparaît tout à coup, en soutenant qu'il est l'empereur de Byzance Bauduin, que l'on croyait mort depuis vingt ans en Orient. La crédulité publique, si facile à émouvoir dans ces temps d'ignorance, est perfidement exploitée par les alliés et les amis de Bouchard d'Avesnes, ainsi que par plusieurs hauts barons dont la comtesse avait dû réprimer les velléités tyranniques. Elle se traduit bientôt par des manifestations populaires qui ébranlent sérieusement le pouvoir de la souveraine. Le faux Bauduin est acclamé partout où il se présente, et c'est triomphalement qu'on l'accueille dans les villes principales des deux comtés.

Jeanne, obligée de se réfugier dans le château-fort du Quesnoy, ne se laisse point abattre par ce coup de foudre. A son appel, le roi de France Louis VIII vint à Péronne. Les principaux chevaliers de Flandre et de Hainaut qui avaient accompagné l'empereur Bauduin à la croisade, y avaient été convoqués. L'imposteur, mandé en leur présence par le roi, ne put soutenir le rôle audacieux qu'il s'était arrogé, et, démasqué honteusement en public, à la grande confusion de tous ceux qui croyaient en lui ou feignaient d'y croire, il essaya par la fuite d'échapper au châtiment qu'il méritait; mais saisi peu de temps après en Bourgogne par un seigneur dont il était le serf et ramené en Flandre, cet homme, qui n'était qu'un simple ménestrel ou jongleur ambulant, fut, après jugement et la confession de son crime, supplicié à Lille.

Enfin, après plus de douze ans de captivité, le comte Fernand sort de la tour du Louvre et revient en Flandre. Une fille naît à la comtesse; elle perd cette enfant, seule consolation de ses longues infortunes, et, bientôt après, son époux lui-même lui est ravi, succombant aux suites d'une maladie dont il avait contracté le germe dans sa dure prison.

Au milieu de tant de sollicitudes et des angoisses de toutes sortes dont son existence n'avait cessé d'être abreuvée, la comtesse Jeanne ne faiblit point. Soutenue par les plus solides vertus chrétiennes et une inébranlable fermeté d'âme, elle ne faillit à aucune des obligations que lui imposait son rôle de souveraine ou plutôt de mère de ses sujets que les contemporains et la postérité lui décernèrent en l'appelant la bonne comtesse.

Remariée plus tard à un prince de la maison de Savoie, et devenue par cette union tante du grand homme qui devait s'appeler un jour saint Louis, elle accomplit, jusqu'à sa mort, la mission qu'elle s'était imposée, de travailler sans relâche au soulagement des misères publiques par d'innombrables fondations pieuses dont la plupart subsistent encore; à la répression des tyrannies féodales, en même temps qu'à l'émancipation et à l'éducation de ses sujets, sources premières de la prospérité sans égale dont ils devaient bientôt jouir.

Et quand son heure dernière eut sonné, ce fut de la mort d'une sainte qu'elle mourut, enveloppée dans la simple robe de bure des novices de l'abbaye de Loos, et avec de tels sentiments de résignation et de foi que le ménologe de Cîteaux inscrivit son nom parmi ceux des bienheureux de l'ordre.

La rivalité de races qui divisait les provinces de sa domination et les passions ardentes qui régnaient alors, ont bien pu susciter des écrivains qui ont quelquefois cherché à affaiblir ses mérites ou à dénaturer ses actes; il s'est même trouvé des chroniqueurs étrangers qui ont perfidement essayé de la calomnier dans sa vie publique ou privée; mais ces obscurs diffamateurs et leurs plagiaires modernes ne sauraient ternir une mémoire qui restera toujours pure et honorée, consacrée d'ailleurs qu'elle est par la reconnaissance publique et par les monuments de l'impartiale histoire dont nous nous sommes plus que jamais efforcé, dans cette nouvelle édition, de rester le fidèle écho.

Edward Le Glay.

Jeanne de Constantinople

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