Читать книгу La coucaratcha. III - Эжен Сю - Страница 2
CHAPITRE VI
ОглавлениеUNE SOIRÉE
Ce jour-là, Cécile était plus triste, plus rêveuse, plus souffrante encore que de coutume. Par hasard elle avait passé le matin devant l’ancien hôtel d'Elmont, et cette circonstance venait de réveiller dans son cœur tout un monde de cruels et amers souvenirs.
Plongée dans un large fauteuil, son beau front appuyé sur sa main blanche et amaigrie… Cécile était dans son parloir.
Depuis long-temps il faisait nuit, et la lueur incertaine et vacillante du foyer éclairait seule la douce et mélancolique figure de la jeune femme!
Cécile aimait cette lueur vague et capricieuse du feu qui s’éteint, se ravive pour étinceler et mourir encore. Cette demi-obscurité lui plaisait… et c’est avec un triste bonheur qu’elle laissait alors planer sa pensée sur les jours qui n’étaient plus…
C'est alors qu’évoquant le passé elle revoyait sa mère… son père… c’est alors que la concentration de sa pensée sur ces objets chéris… l’absorbait tellement qu’elle croyait les entendre, tant leurs moindres paroles vibraient encore dans son âme…
C'est dans cette disposition d’esprit triste et amère que se trouvait madame de Noirville, lorsque tout à coup la porte de son parloir s’ouvre avec fracas; un torrent de lumière dissipe les ténèbres de l’appartement, et M. de Noirville, riant aux éclats de son gros rire, se précipite sur un divan, après avoir ordonné aux deux valets de chambre de déposer sur la cheminée les candélabres chargés de bougies.
On ne saurait peindre l’horrible souffrance physique et morale qui fit douloureusement tressaillir tous les nerfs de Cécile lorsque, violemment arrachée à ses plus chères et ses plus pieuses pensées… elle vit tout à coup cette lumière éblouissante, et qu’elle entendit ces éclats de rire stupides.
C'était odieux… Elle pleura…
– Ah! mon Dieu…! mon Dieu…! la bonne farce! – cria Noirville en appuyant son front empourpré sur un des coussins du divan pour rire plus à son aise… – Ah! mon Dieu! la bonne farce…! C'est Dumont qui va joliment rire!
Cécile essuya une larme, et resta muette.
– Et toi aussi tu vas joliment rire, – dit Noirville, qui ne s’aperçut de rien; – oui, tu vas joliment rire… Malgré ton petit air sainte-n’y-touche… je te défie de ne pas rire. Voilà la chose: figure-toi donc que nos gens d’écurie… ah! mon Dieu! mon Dieu! que c’est donc drôle!.. Figure-toi donc que nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque… Ah! mon Dieu!.. je ne pourrai jamais te raconter cela… voilà le rire qui me reprend…; je ris trop, ma parole d’honneur ça fait mal de tant rire, d’autant plus que j’ai mangé des Dartois chez Félix comme un vrai goulu… Ah! la bonne farce! je vais écrire à Dumont pour qu’il vienne de suite et que je la lui raconte.
Cécile se leva pour sortir.
Mais Noirville, devinant son intention et fort en gaîté, se jeta sur la porte, la ferma, mit la clef dans sa poche, et continua toujours en riant aux larmes:
– Du tout, tu entendras la farce jusqu’au bout, madame la pincée; ça t’égaiera; ça te vaudra mieux que tes bêtes d’idées noires que tu as par genre, j’en suis sûr… Je te disais donc que nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque… Ah! j’en crèverai, c’est sûr…; ah! mon Dieu! c’est que c’est si drôle aussi! ah! ah! voilà encore que ça me reprend… Non… non, je me remets… Eh bien, nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque, lui ont donc mis de la poix dans son chapeau, au concierge, de façon qu’en rentrant en tilbury avec l’alezan… qu’est-ce que je vois… qui me salue?.. notre concierge qui avait la tête nue comme mon genou… Sa perruque était restée collée à son chapeau… Hein! est-ce drôle!.. C'est ça une bonne farce, ah!.. la bonne farce!.. Comme ça fera rire Dumont! J'ai demandé tout de suite qui avait fait le coup, on m’a dit que c’était Pierre, et je lui ai donné dix francs pour boire. Ah! farceur de Pierre! va… oh! oui ça va joliment amuser Dumont… je m’en fais une fête, ma parole d’honneur; et puis il faudra que je fasse la même farce à M. Boitou, qui a un faux toupet… N'est-ce pas, ma femme?
Nous n’essaierons pas de dire ce que dut éprouver Cécile tant que dura l’accès de gaîté de monsieur de Noirville; lorsqu’il eut fini sa narration, madame de Noirville lui dit seulement:
– Voulez-vous avoir la bonté, Monsieur, de m’ouvrir cette porte?..
– Pas de cela, Lisette…; ou bien si… mais je ne t’ouvrirai qu’à une condition, oui, ma petite chatte, à une condition, c’est que tu viendras baiser ton gros geôlier… ton Adolphe… ton Dodophe… comme dit Dumont.
– En vérité, Monsieur, je vous dis que j’ai besoin de respirer…; j’étouffe ici; je voudrais aller dans la serre… ouvrez-moi par pitié, Monsieur… encore une fois, je souffre…
A ce moment, le maître d’hôtel, qui avait en vain cherché la clé dans la serrure, fit entendre ces mots derrière la porte du parloir:
– Madame est servie…
– Ah ciel! Monsieur, et vos gens qui me trouvent enfermée avec vous! – s’écria Cécile en rougissant d’indignation.
– Eh bien! après?.. tiens! est-ce qu’un mari… ne peut pas…
Un regard rempli de dignité, de hauteur et d’écrasant mépris… stupéfia M. de Noirville et arrêta sur ses lèvres je ne sais quelle triviale brutalité prête à lui échapper.
Il ouvrit la porte du parloir, offrit le bras à sa femme et l’accompagna dans la salle à manger.
M. et madame de Noirville se mirent à table.
C'était un vendredi, et Cécile, d’une piété profonde, suivait exactement les lois de l'Église.
M. de Noirville, lui, mettait sa vanité d’esprit fort à taquiner sa femme sur les scrupules religieux qui l’empêchaient de faire comme lui, qui s’acharnait à ne manger ce jour-là ni poissons ni légumes, quoiqu’il les aimât beaucoup, préférant se gorger de viande, pour humilier les jésuites, disait-il, et narguer les prêtres.
– Cécile, qui mangeait comme un oiseau, prit quelques cuillerées d’un potage qu’on lui avait servi à part, et retomba dans sa rêverie.
Elle en fut tirée par un retentissant éclat de rire de M. de Noirville, qui s’écria: Devine ce que tu viens de manger là!..
– Je ne vous comprends pas, Monsieur, répondit Cécile.
– Ah! ah! dit Noirville – en redoublant ses éclats de rires, – c’est ça… qui prouve bien la bêtise de faire maigre; tu ne sais pas ce que j’ai fait? je suis descendu moi même à la cuisine pour mettre dans ta soupe maigre une grande cuillerée de bouillon gras. Eh bien! croiras-tu encore qu’il faut faire maigre maintenant?.. Te voilà bien attrapée… Ah! la bonne farce!.. tu as commis un péché… un fameux péché… fameux… C'est encore ça qui fera rire Dumont!
Cécile rougit, ne répondit pas un mot, et se leva de table en disant à son mari:
– Vous m’excuserez, Monsieur; mais je me retire chez moi… je suis souffrante.
Et elle disparut, malgré les supplications de Noirville, qui s’écriait la bouche pleine:
– Mais ma femme… ma femme, ne te fâche pas, c’est une farce; on peut bien rire un peu aussi… Puis il ajouta: – C'est égal, elle a fait gras; son confesseur sera joliment enfoncé quand il saura qu’elle a fait gras; car je l’ai en horreur ce vieux jésuite-là, et je recommande toujours à mes domestiques de rire quand il passe… le tartufe qu’il est…
Monsieur de Noirville, après avoir exhalé sa haine contre les jésuites et le maigre, dîna parfaitement comme toujours, puis alla dormir au ballet de l'Opéra.
Cécile, en rentrant chez elle, trouva une lettre de Dresde: c’était la réponse de la baronne d'Herlmann à la lettre si triste et si désolée qu’elle lui avait écrite.
Enfin – dit Cécile – après tout ce que j’ai souffert aujourd’hui, le ciel me devait bien cette consolation. Que deviendrais-je, mon Dieu, si je n’avais pas au moins une amie qui comprît tous mes chagrins!..
Et brisant le cachet avec émotion, elle lut: