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Les prémices de la Littérature et de l’Art, à travers l’Histoire de l’Angleterre.

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Pour juger équitablement du génie d’un peuple, il importe de remonter à ses sources littéraires, à ses sommets d’expansion idéale correspondant, le plus souvent, aux heures de son Histoire les plus prospères ou les plus agitées. Il est rare qu’à chaque étape de félicité intellectuelle ou de passion on n’enregistre point les chefs-d’œuvre les plus typiques. L’art doit naître dans les extrêmes de la joie et de la tristesse, sous l’empire de la protection des grands, dans la lumière de leur luxe ou à l’ombre de leur affliction.

En France, le règne de Louis XIII nous procura un style régressif, sombre et lourd, après la grâce fastueuse célébrée par François Ier, et Louis XIV inonda de son soleil le style qu’il avait hérité de son père morose.

Aussi bien, le style tarasbiscoté de la Régence et de Louis XV trouva le reflet de sa redondance ornementale dans les débordements du temps, tandis que le Louis XVI ramena l’austérité de la ligne, comme un pressentiment de la tourmente révolutionnaire.

Le style Empire, enfin, né spontanément sur des ruines, est bien celui d’un conquérant. Il fut ordonné d’après l’antiquité héroïque.

Il n’y a que dans les époques de platitude que l’art est stagnant, et toutes ses réactions, dues autant à la mode capricieuse qu’au goût subversif, s’accordent dans le sillon de la littérature avec la physionomie des événements et de l’opinion.

Fig. 14. — HATFIELD HOUSE (style Jacobean). (Cliché «Stercoscopic Company Ltd.», Londres.)


Avant d’aborder le détail de notre objet, nous parcourerons donc, en leurs phases caractéristiques, les divers mouvements de l’esprit anglais.

La conquête partielle de l’Angleterre, par les Romains, n’a laissé que peu de traces dans la langue et la littérature anglaises. Point davantage l’art ne fut-il impressionné par l’exemple romain, et les iconoclastes ont aboli tout témoignage d’une prétendue décoration picturale de la cathédrale de Canterbury à la suite de l’invasion glorieuse de Guillaume le Conquérant, importateur du luxe et des arts de son pays. En revanche nous voyons, au treizième siècle, Henri III appeler à sa cour des artistes pour la plupart italiens et, grâce à ce prince qui devança Charles Ier dans ses encouragements à l’art pictural surtout, la décoration prit un essor considérable.

Puis, durant deux siècles, après les guerres des Deux-Roses, au xve siècle et jusqu’à l’avènement de Henri VII (1485-1509), les expressions esthétiques, qui ne durent guère sortir du domaine de la peinture sur verre et de la miniature, languissent et, à partir de ce règne, le champ d’idéal s’élargit, mais sans bénéfice encore, il est vrai, pour l’art natal étranglé par l’importation étrangère.

On remarque à cette époque, à Londres, un Hclbein, oncle sans doute de Holbein le Jeune, et Jean Mabuse (Gossaert) |qui des premiers initia les Anglais à l’art flamand.

Fig. 15 — PALAIS DE WHITEHALL, par Inigo Jones. (Cliché «Stereoscopic Company, Ltd.», Londres).


Nous remonterons ensuite à la poésie italienne du quatorzième siècle, à la remorque de nos trouvères et troubadours qui l’avaient inspirée.

Dante et Pétrarque éveillent alors le génie du poète Geoffrey Chaucer que l’on peut considérer comme le véritable créateur de la littérature anglaise dont l’un des plus beaux âges nous transporte au règne de la reine Élisabeth (1558-1603).

Mais auparavant, nous noterons l’ère du roi Henri VIII (de 1609 à 1647), qui, au point de vue des arts, s’affirma le François Ier de l’Angleterre.

Henri VIII manda à sa cour des peintres flamands et italiens; un Français: Nicolas Lizard, et un grand Allemand: Hans Holbein, le Jeune.

Plutôt insignifiante pour l’art plastique, à part l’éclat du miniaturiste anglais Isaac Oliver, la grande époque de la reine Élisabeth, au nom inséparable d’un important style d’architecture, fut néanmoins propice à la musique, sans doute parce que cette princesse était elle-même une excellente musicienne.

Mais la littérature fit surtout merveille avec les Edmund Spenser, les William Shakespeare, les Francis Bacon, les John Milton!

Le goût de la reine Élisabeth pour la musique, — nous ouvrirons ici une parenthèse, — évoque un penchant analogue chez Richard III, et même, si l’on en juge par les ordonnances suivantes, les deux souverains communient aussi dans le sentiment pratique, sous le couvert de la beauté ou de son culte égoïste.

Fig. 16. — CATHÉDRALE DE SAINT-PAUL, par Chr. Wren. (Cliché «Stercoscopic Company, Ltd.», Londres.)


Richard III, lorsqu’il n’était encore que duc de Gloucester, entretenait près de lui une armée de musiciens. Parvenu au trône, il prodigua de grands encouragements à l’art musical, mais il usa, pour recruter les artistes, d’un moyen arbitraire et violent. Témoin son ordonnance de 1484 où il commandait à John Melyonek, un dilettante de cet art, d’appréhender et de saisir en son nom tous les hommes et enfants habiles dans le chant ou autrement experts dans la science de la musique qu’il pourrait trouver et qu’il jugerait en état de lui servir.

Quant à la reine Élisabeth, elle rendit en 1563 une ordonnance par laquelle, afin qu’il ne fût point attenté à sa propre beauté par l’art, des experts étaient commis pour juger de la fidélité des copies à venir du portrait de Sa Majesté. La reine, en outre, faisait défendre de continuer à peindre ou à graver; d’après sa gracieuse personne, jusqu’au moment où un portrait fidèle (c’est-à-dire dépourvu des moindres défauts ou difformités «dont, par la grâce de Dieu, sa Majesté est exempte») serait jugé digne d’être exposé ou copié...

Shakespeare a écrit: «Les puissantes raisons font les puissantes actions», mais il eût flétri de telles tyrannies, et, dans le domaine des contradictions, Richard Ier, malgré sa cruauté, était bien poète!...

Fig. 17. — CLOCHER DE L’ÉGLISE SAINT-STEPHENS-WALBROOK

Wren architecte, dessin de M. D. R. Lyne.


D’autre part, — pour fermer notre parenthèse, — Élisabeth éleva l’Angleterre à un degré de puissance et de prospérité remarquable.

Au reste, véritablement savante, la reine Élisabeth (de même que la sixième épouse de Henri VIII, Catherine Farr, protectrice des lettres et à qui l’on doit d’avoir intercédé en faveur de l’Université de Cambridge lorsqu’on voulait détruire tous les collèges comme entachés de papisme) traduisait Euripide, Horace, Isocrate et commentait Platon; elle écrivait en vers ou en prose, parlait le grec et le latin avec la plus parfaite aisance.

Dans l’enchaînement de l’érudition féminine royale, nous mentionnerons une culture égale chez Marie Tudor dont Antonis de Moor connut les faveurs artistiques, et à qui Élisabeth avait succédé : Marie la Sanglante ou la Sanguinaire, plus vertueuse qu’Élisabeth, «la belle vestale» comme l’appelle ironiquement le grand Will.

Bref, tandis que la restauration des Stuarts, malgré une réaction violente contre l’austérité puritaine, sous l’action française, devait laisser la littérature indifférente, on commença à distinguer avec Jacques Ier (1566-1625) des peintres réellement anglais à côté des Flamands qui continuaient à acclimater l’art du portrait. Mais ce fut surtout grâce à Charles Ier que le goût prospéra. Rubens et Van Dyck, sur les sollicitations de ce monarque, se fixèrent en Angleterre.

Fig. 18. — PALAIS DU PARLEMENT, par Ch. Barry. (Cliché «Stercoscopic Compagnie, Ltd.», Londres.)


On prétend que Charles Ier possédait un diamant d’un très grand prix où les armes d’Angleterre étaient gravées avec le plus précieux talent. Peut-être l’artiste n’était-il autre que le roi lui-même, et d’ailleurs il s’était adonné avec prédilection à la sculpture et à la peinture, cultivant en outre les lettres avec agrément, de même que Jacques Ier et, auparavant, Édouard VI.

Mais la royauté devait cesser quelque temps d’être aussi favorable à l’art qui ne reparut, en Angleterre, que sous les auspices de Charles II (dont Peter Lely fut le peintre ordinaire et les deux Van de Velde les maîtres préférés), mais pour l’aubaine, il est vrai, de produire le premier représentant de l’art indigène: James Thornhill, et de marquer l’aurore d’une école de peinture proprement dite.

Les quarante années qui embrassent, ensuite, les règnes de Guillaume III (plutôt rebelle à l’art et. dont l’encouragement ne s’adressa guère qu’à un Henry Crooke, «peintre de visages» mort en 1700), de la reine Anne et de George Ier, représentent l’époque la plus brillante du génie littéraire anglais.

Nous touchons ainsi au début du dix-huitième siècle où la reine Anne continua, en le rectifiant, le mouvement de la Restauration, avec Charles Churchill, Swift, Edward Gibbon, etc.

Fig. 19. — DÉTAIL EXTÉRIEUR d’une maison du XVe siècle. (Collection Gill et Reigate, Londres.)


Anne est le dernier membre de la famille des Stuarts qui ait occupé le trône de la Grande-Bretagne. L’éclat de son règne succéda à celui de Louis XIV: on dit le Siècle de la reine Anne, comme le Siècle de Léon X et de Louis XIV. Son gouvernement fut autant illustré par l’éclat que jeta la littérature que par l’importance des événements politiques et militaires. Sous sa protection éclairée, les lettres se popularisèrent et produisirent un grand nombre d’orateurs et d’écrivains supérieurs. Sans compter que les premiers grands peintres se manifestent aussi dès ce règne, pour élargir encore leur geste de beauté dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, époque littéraire du retour à l’observation et à l’amour de la nature, sous la plume des Thomas Chatterton, des Thomas Moore, de Walter Scott.

Au chapitre qui concerne spécialement la peinture, nous départagerons les écoles anglaises, du début du dix-huitième siècle au milieu du dix-neuvième et jusqu’à nos jours, c’est-à-dire l’ancienne de la nouvelle école.

Le romantisme indiqué en littérature par un lord Byron, par une Anne Radcliffe, devait trouver écho dans la peinture avec Bonington qui, parallèlement à l’action de E. Delacroix, en France, fut un digne adversaire du classicisme avant la révolution du paysage anglais célébré par John Constable dont l’exemple de vérité en imposa.

Fig. 20. — ENSEMBLE D’UN INTÉRIEUR du XVe siècle. (Collection Gill et Reigate, Londres.)


John Constable mourut à l’aube de l’avènement au trône de la reine Victoria.

Il ne se dégage point, en vérité, de ce préambule, une originalité propre aux arts, si toutefois des poètes, des romanciers, des philosophes, des dramaturges et des historiens éclairent de leur génie personnel la littérature anglaise.

Parallèlement on constate que la statuaire est pour ainsi dire inexistante, et que si la musique ne brille guère au firmament de la Grande-Bretagne, les architectes qui s’y illustrèrent sont plutôt italiens, français, espagnols et flamands.

En revanche, de très grands acteurs s’y remarquent: Betterton, Garrick, Kean, Irving, Henderson.

Nous nous tournerons donc, avec plus d’intérêt, non point vers les premiers temps de la peinture où l’inspiration est plutôt flamande et italienne, mais vers le commencement du dix-huitième siècle, signal d’une originalité qui devait s’épanouir de 1850 à 1900.

A ces mêmes époques correspondra une éclosion personnelle des arts décoratifs. Et les divers apports étrangers, convertis suivant la mentalité anglaise, ne nous réserveront pas moins de surprises, tant dans leur résultat que dans leurs intentions.

L’Histoire universelle de l’Art témoigne d’une assimilation plus ou moins heureuse, et parmi de propres trouvailles, s’enregistre la curiosité des impressions reçues d’ailleurs; mais, en ce qui concerne l’art anglais, c’est l’instant de répéter que sa manifestation picturale, celle (dont il peut s’enorgueillir au plus juste titre, n’a réellement fait école que depuis le dix-huitième siècle, époque qui vit fleurir également une véritable école de gravure.

Nous avons exposé les raisons pour lesquelles l’art plastique avait tant tardé à naître en Angleterre tandis que son architecture ogivale au moyen âge, tandis que ses poètes, surtout, contribuaient depuis longtemps à sa gloire.

Aussi, l’excellence des miniatures anglaises de cette époque d’attente nous apparaît-elle comme un symbole de la représentation timide de l’image peinte. C’est dans un format réduit, jusqu’au minuscule, que le peintre anglais s’énonça tout d’abord, et il semble que la qualité précieuse de cette expression artistique proteste dans le fini, contre la manifestation large, sinon interdite du moins non encouragée.

Fig. 21. — TÊTE DE GOUTTIÈRE (dessin de M. D. R. Lyne).


Dans le domaine du symbole, nous nous complaisons, d’autre part, à la rigidité du décor architectural britannique, à sa correction qui en impose par quelque froideur à notre enthousiasme français. En revanche, quant au déploiement de la grosse orfèvrerie anglaise, c’est-à-dire celle qui ne s’apparente point à l’art, il ne semble pas que nous ayons jamais atteint en France sa magnificence nombreuse et étoffée. Le goût dans la mesure nous demeure en propre, au détriment de certaine richesse de poids qui ne relève pas de la qualité de notre idéal, encore moins de sa quantité.


Art de reconnaître les styles: Le Style anglais

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