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Notions préliminaires

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Entre les deux règnes des Valois et des Bourbons, l’art a manqué d’inspiration collective et de haute influence unitaire dans notre pays; il a vécu plus que jamais d’emprunts. Il est devenu érudit, brillant, souvent délicat et souvent sensuel, mais il a cessé de représenter franchement un système d’idées et de sentiments clairement définis comme au moyen âge. L’originalité va s’affaiblissant.

L’architecture de Henri II, malgré le grand nom de Philibert Delorme, appartient à cette catégorie de l’art qui décline encore avec les derniers Valois. Avec les Bourbons, domine l’influence des Flamands dont le goût pour les formes un peu lourdes est partagé par l’Espagne, alors si puissante, si riche, si dominante. Auparavant, la Renaissance avait trouvé sa grâce dans une variation spirituelle, bien française, de la donnée italo-antique et, dès le XVIIe siècle, notre art, devenu aristocratique, commence à s’enfermer dans le dogme étroit du classicisme et de l’académisme, d’où s’envoleront peu à peu nos pures traditions nationales et originales.

Or, avant que le point culminant architectural des Bourbons ne soit atteint sous Louis XIV, c’est-à-dire avant que l’influence italienne ne revienne contrebalancer celle des Flamands et que ne s’accuse un goût très développé pour l’antiquité romano-grecque, l’ère de Henri IV et de Louis XIII ramènera l’art à cette austérité que le roi Soleil devait apprivoiser. Comme en haine de la gaité de la Renaissance, dans l’âpreté du moment, et puis, aussi, pour venir en aide à son génie défaillant, le fils de Henri IV réprima les écarts de la ligne égarée dans l’excessive arabesque, tout comme Louis XIV devait plus tard condamner le goût «sauvage» de nos «grossiers a eux». Aussi bien, l’école classique, avec les réformateurs de la fin du XVIIIe siècle, mènera enfin les styles à l’abime, épuisés qu’ils seront d’avoir tant emprunté aux œuvres d’art grecques et romaines. Ainsi réagissent les époques, sous l’empire des événements divers, dans le torrent tumultueux des idées soumises au caprice et à la mode.

FIG. 2. — Panneau décoratif (XVIIe siècle).


Succédant donc, aux règnes de Henri III et de Henri IV attristés par les guerres religieuses, l’ère de Louis XIII s’imprègne de gravité ; le sourire un peu las, d’ailleurs, de la Renaissance succombant à l’élégance et au joli, va mourir sur des lèvres amères. L’art flamand, aux opportunes massivetés, s’associera maintenant à l’art italien, pour tempérer son exubérance, pour refréner sa sveltesse et sa fantaisie décadentes.

Le style de Louis XIII respire le souci, il roule des nuages noirs dans son ciel tourmenté qui succède à une nue sereine. L’architecture s’alourdit, tout pèse à l’entour, les meubles comme le costume, malgré l’éclaircie d’une dentelle. L’architecture cependant tâche aussi de sourire un peu sous l’écrasement des frontons: c’est l’association heureuse de la brique, de la pierre blanche et de l’ardoise, qui rachète son air morne.

Chaque époque a son idéal plastique, et cet idéal communie singulièrement avec l’esprit de chaque temps. Il apparaît même, que la forme esthétique de l’individu n’est que le reflet, à chaque époque, de cet idéal. On pourrait résumer les styles par un mode de beauté typique. Jean Goujon, sous la Renaissance, étire le corps de la femme, ce même corps que Michel-Ange muscle vigoureusement au mépris du canon des Grecs. Au début du XVIIe siècle, Puget poursuit la puissance en immolant plutôt la grâce chantée par Jean Goujon, tandis que Coysevox, après, exalte la ligne dans le pittoresque, et que Bouchardon ne retient, au XVIIIe siècle, que le charme. Puis viendront, au début du XIXe siècle, les sculpteurs régis par David, qui retourneront au type gréco-romain, sans en saisir le caractère; alors que, dès le milieu du même siècle, les Rude, les Dalou, chantèrent simplement la chair palpitante et que nos jours indécis semblent subordonner la plastique à la pensée.

FIG. 3. — Motif décoratif (fronton).


FIG. 4. — Motifs décoratifs.


Or, l’époque qui nous occupe est représentée dans son opulence massive, issue de l’influence flamande, par la femme de Rubens. C’est la femme de Rubens que nous voyons déambuler parmi ces architectures de Henri IV et de Louis XIII, sans même que son souvenir s’évanouisse complètement, sous Louis XIV. Louis XIV, d’ailleurs, a conservé un peu de la lourdeur précédente, mais il lui a communiqué plus de noblesse, plus de souffle; il remplaça aussi la tristesse qu’il hérita, par de la majesté ; il fit hautainement sourire les ors.

Tandis que, dans la peinture — au chapitre du Louis XIII (les Style) — H. Havard observe judicieusèment que «la nudité des Madeleines au désert se charge d’un embonpoint engageant, de carnations potelées, appétissantes» , nous voyons, en sculpture, la distinction précédente s’altérer. L’art tout entier devient trapu et engoncé ; il est néanmoins original et grandiose, du moins en ce qui concerne particulièrement l’architecture, puisqu’ il donnera au roi Soleil les bases sur lesquelles celui-ci édifiera sa grandeur monumentale. D’ailleurs, aux architectes de Henri IV et de Louis XIII revient le mérite de cet art français de l’unité duquel nous ne pouvons encore nous affranchir. Après la délicieuse Renaissance, on s’ingéniera dans la construction — et la construction dicte au meuble ainsi qu’au costume, ses lois — à s’adapter à l’esprit nouveau. Au lieu de viser exclusivement, comme auparavant, à l’agrément privé, le bâtiment s’efforcera désormais à réaliser une harmonie constructive dont le public, unanimement, bénéficiera. C’est là le début de nos agglomérations de maisons, de notre groupement par quartiers, succédant aux palais isolés, d’une beauté hautaine et distante.

FIG. 5 — Ostensoir (dessin).


Dès Henri IV, la royauté se fonde sur des bases nouvelles et le trône demeure inébranlable, si toutefois les ministères, appelés alors aux affaires, sont aussi instables que les nôtres. L’idée d’une communion avec le peuple semble germer à cette époque où le Béarnais institue «la poule au pot» démocratique, et Louis XIII sera surnommé le Juste. Toujours est-il que le vulgaire va être dès maintenant convié par l’architecture à des commodités, à une fantaisie, que les précédents seigneurs avaient accaparées, et il résultera de cette légitime concession, une façade, une régularité, d’où naîtront nos rues ordonnées par un style. Ainsi le cœur de la noblesse commencera-t-il à battre à l’unisson de celui de la foule, et Henri IV aimera les paysans dont, avec Sully, il flattera la terre pour le plus grand essor de la richesse nationale.

FIG. 6. — Cheminée (dessin).


Les villes sont nées de l’idéal mis en commun, des aspirations associées en vue du bien-être général, et un pays ne vaut que par la fortune de ses villes solidaires. C’est ce que Henri IV semble le premier avoir compris, lorsqu’il restaura l’autorité royale après avoir réorganisé la France dévastée par les guerres de religion, depuis Charles IX.

FIG. 7. — Motifs décoratifs.


Bref, bâtiments royaux et habitations privées fraternisent maintenant dans l’accord de l’architecture, et l’art tout entier va commencer à s’unir en condescendant à l’agrément de tous.

Mais répétons-le, l’originalité constructive, en rupture de Renaissance, va tomber fatalement dans l’exagération de sa réaction, et c’en est fait des légèretés, des découpures et des fragilités précédentes. On prend tout, même, à contre-pied, et cela se conçoit, si tant est que la personnalité ne se dégage qu’à travers des négations. Voyez plutôt le gothique substituant la forme ogivale au plein cintre que le roman avait emprunté aux Romains; le gothique dont l’audacieux jet de pierres vers le ciel et les légers arcs-boutants succèdent à la sévérité plutôt massive du roman; ce gothique dont le faisceau de colonnet les fut lui-même remplacé par des colonnes sous la Renaissance, qui remit aussi en faveur les pilastres et les chapiteaux classiques.

FIG. 8. — Décoration d’un portique (dessin), par Alexandre Francini.


Autant de systèmes différents et opposés, jusqu’à ce que certaine perfection pratique soit atteinte, à moins qu’à bout de souffle comme à notre heure, on ne puisse guère renouveler l’art architectural que dans le confort et l’hygiène. Pourtant, si l’on examine le style Louis XIII en général, on goûte l’impression d’une beauté déjà pratique, d’une beauté recueillie à travers l’expression des siècles, et cette beauté, sévèrement régie, semble aussi disciplinée.

Il faut noter, néanmoins, qu’à l’époque qui nous occupe, l’art français n’a pas renié le XVIe siècle, si toutefois l’art étranger fascine excessivement nos artistes. C’est le début de cet académisme que Louis XIV imposera au bout d’une ère de flottement. Académisme alors naissant, à l’ombre de chefs-d’ œuvre dont l’Italie conserve encore la réputation, malgré la décadence de son goût. Les peintres, les sculpteurs, les architectes, donc, obéissant à l’impulsion antique, se répandent d’abord en Italie, puis ils voyagent fructueusement en Flandre et en Hollande.

A la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, le centre glorieux des arts s’est effectivement transporté en Flandre, où rayonne principalement Rubens, et en Hollande, où Rembrandt règne. Sans compter que Velasquez est le maître incontesté de l’école espagnole si florissante également, à cette heure.

FIG. 9. — Ostensoir (dessin).


Jamais l’étranger n’a tant brillé dans les arts, et, seule, l’Angleterre attend le XVIIIe siècle pour se distinguer. Or, si l’Italie conserve in discutablement la tradition où nos artistes fortifieront leur génie, il n’en est pas moins vrai que le geste étoffé de Rubens et de son école a produit sur notre art décoratif une étonnante impression. A l’heure où l’Italie succombait au maniérisme avec des peintres comme l’Albane, l’expression sincère et vivante inaugurée en Flandre et en Hollande, voire en Espagne, fut un avertissement pour des grands artistes comme Poussin et Le Sueur qui réagirent contre la manière affectée d’un Simon Vouet, par exemple. Cependant, tandis que l’idéal antique masquait à la vision douce | du Poussin, de Le Sueur et de Claude Gelée, la vérité poignante d’un Rembrandt, d’un Velasquez, Rubens seul, parmi les réalistes — il est vrai que le réalisme de Rubens est d’une fantaisie extraordinaire — devait exercer plutôt une action directe sur l’art français du XVIIe siècle. Voyez Le Brun empruntant au maître flamand son ampleur et sa richesse ornementale, voyez Puget prenant tantôt à Michel-Ange, tantôt à Rubens, l’emphase de ses reliefs. Mais ces deux génies français appartiennent en propre au siècle de Louis XIV dont ils reflètent l’enthousiasme grandiloquent et, pour l’instant, il ne faut retenir de l’influence flamande, hollandaise et espagnole, qu’une ambiance de lourdeur, et peutètre de liberté contenue, propice à la sévérité du jour.

L’ordre et la règle commandent aux arts dans tout le XVIIe siècle et, plus que jamais, la tradition, au moins apparemment, guide le génie aux heures de gravité que nous examinons, au seuil du grand siècle.

D’ailleurs, des désordres de tout genre ont marqué l’avènement au trône de Louis XIII; l’autorité royale restaurée par Henri IV est violemment battue en brèche par les princes et les nobles; il n’en faut pas davantage pour que le monarque se départe du despotisme et de l’exclusivisme précédents.

FIG. 10. — Motifs décoratifs.


On renoncera donc à la beauté riante de la Renaissance sous l’empire des mœurs déshonorantes: basses intrigues, habitudes des assassinats et des duels. Déjà, dans les dernières années du règne de Henri IV, la marquise de Rambouillet avait quitté la cour, froissée de sa grossièreté, grossièreté dans laquelle Louis XIII se serait fâcheusement distingué. On sait la simplicité de Henri IV et celle de la reine Marie de Médicis, recevant «sans façon» au Louvre; bref, ce relâchement des mœurs, frappant pendant la dernière moitié du XVIe siècle, que Louis XIV devait réprimer, par contre-coup, dans l’art, avec tant de grandeur et de solennité, influa singulièrement sur le style de Louis XIII, d’une austérité et d’une sobriété répressives, caractéristiques.

«Il faudrait singulièrement méconnaître les rapports intimes qui unissent les arts et les mœurs, écrit H. Havard (les Styles), pour supposer que cette stabilité si laborieusement acquise, cet équilibre mieux pondéré, cette régularité dans les institutions, n’eurent pas leur retentissement dans les productions de l’esprit. Conséquence facile à prévoir, l’élégance dégagée et plutôt fragile des époques précédentes disparaît promptement de l’architecture.»

Or, l’équilibre mieux pondéré et cette régularité dans les institutions (qui n’eurent pas d’ailleurs uniquement leur répercussion dans l’architecture) auxquels l’auteur fait ici allusion, sont l’œuvre de Richelieu, premier ministre de Louis XIII, roi sans couronne, de Richelieu ambitieux de toutes les gloires, protecteur des lettres et des beaux-arts.

FIG. 11. — Composition pour un vase (XVIIe siècle).


Si toutefois l’ambition de Richelieu pouvait être opposée à l’orgueil tyrannique de Louis XIV, on donnerait au cardinal l’avantage, étant donné que l’Éminence rouge traça la voie brillante du second. Effectivement, c’est de Louis XIII, et même de Henri IV, que date, répétons-le, l’unité artistique des villes, la fin de l’égoïsme de la Beauté, privilège exclusif, auparavant, d’une catégorie de seigneurs. En devenant ainsi plus pratique, l’architecture créa les hôtels, et l’art qui présida à leur aménagement, ouvrit à l’émulation esthétique un concours favorable. On s’ingénia, dès lors, à une personnalité de l’art, au luxe d’un «chez soi» adapté au goût individuel; on commença, en un mot, à organiser l’état social.

Déjà Henri IV avait régénéré les industries périclitantes, la draperie, la tapisserie, et si Sully, économiquement, démocratiquement, presque, s’efforça de réagir contre la vogue rétablie des soieries et des velours, dont il croyait la fabrication susceptible d’arracher les paysans aux champs, le Béarnais plaça singulièrement à la tête du contrôle général du commerce son ancien valet de chambre.

Mais, après Henri IV, les industries de luxe disparurent, du moins en partie, et c’est Louis XIII, que dis-je, Richelieu, qui leur donna un nouvel essor. Pour conclure, il faut rendre hommage d’abord, au nom de l’art, notre seul souci présent, à Henri IV qui rêva de la paix universelle; puis à Louis XIII, son fils, dont le ministre de génie, Richelieu, continua pour ainsi dire le relèvement, de la France.

FIG. 12. — Frontispice, par Alexandre Francini.


Une constatation reste à faire qui expliquera, à côté de l’influence flamande subie par les arts, celle non moins impérieuse de l’Espagne. N’oublions pas le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, fille aînée du roi d’Espagne, Philippe III. Anne d’Autriche qui, au dire de Mme de Motteville, «ne prenait plaisir qu’à ce qui lui rappelait l’Espagne», impressionna certainement, de ses préférences nationales, la parure, le vêtement et l’ameublement, et surtout, ainsi que nous le verrons plus tard, l’orfèvrerie de son temps.

Quant à l’influence de la Flandre, ne peut-on pas la supposer issue, en France, du spectacle de son bien-être? Rappelons-nous la quiétude et la joie dans laquelle s’énoncèrent les maîtres flamands sous les archiducs Albert et Isabelle, en 1598, dès la reconnaissance des Pays-Bas en gouvernement particulier!

Il est permis dès lors, d’envisager l’idéal français se reposant à l’ombre des conceptions paisibles, profilant d’autrui sans abdiquer pourtant sa pensée propre, mais perfectionnant son éducation italienne, au contact de beautés sinon plus émancipées, du moins plus imprévues.

FIG. 13. — Encadrements (XVIIe siècle) [dessin]


Après l’éloquence des Italiens, la profondeur d’un Rembrandt ne pouvait laisser l’art français indifférent, et, de même, malgré le modèle grec hallucinant, la simplicité vraie des petits maîtres flamands ne pouvait point ne pas trouver écho dans notre esprit national.


L'Art de reconnaître les styles. Le Style Louis XIII

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