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Les caprices de la Beauté. — Art et appréciation Le vrai, le faux. — Comment s’y reconnaître
ОглавлениеSi l’antiquité est une religion, ses faux prêtres — certains marchands — trouvent leur excuse dans la masse saugrenue des fidèles.
Les trésors de l’antiquité, logiquement, s’épuisent, en raison directe d’une foi insatiable, et le marchand doit avant tout, satisfaire sa clientèle. D’où une fabrication intensive de vieilleries, d’où le truquage — mensonge pieux à la beauté consacrée, vis-à-vis de ses adorateurs sacrilèges. Mais qu’importe, pourvu que l’illusion demeure! «En Angleterre, écrit M. le Dr F. Jousseaume (les Vandales du Louvre), qu’un tableau soit intact ou rafistolé, qu’il soit signé ou non, on le vend tel qu’il est. Si on a des renseignements sur sa provenance, on vous les donnera. S’il a été expertisé, on le dira; mais, lorsqu’il est vendu, il n’y a plus de recours. Ce qui est vendu est vendu.
«En France, ce n’est pas tout à fait la même chose. Ce qui est vendu est vendu pour le marchand, mais ne l’est pas toujours pour l’acquéreur. Nous avons partout de petites restrictions. Il faut bien que tout le monde vive; que deviendraient les médecins sans malades et les magistrats sans procès?»
Or, cela concerne la brocante en général, et, cependant, le commerce des illusions a consolé bien des maniaques, a ravi bien des snobs avant de tromper des connaisseurs. Aussi bien, il apparaît singulièrement injuste de voir la loi mêlée à des questions sentimentales. Le client ne doit s’en prendre qu’à lui-même de son désenchantement, car, en réalité, l’importance de la somme versée en échange du désir satisfait n’est que proportionnée à la mesure du désir. Les satisfactions intimes ne regardent personne, et la vanité seule ose s’offenser d’une déception, vis-à-vis des autres.
«Un homme achète une maison ou un tableau: il croit la maison solide ou le tableau authentique. Il s’est trompé dans son acquisition. C’est son affaire; en quoi cela peut-il intéresser la société ? Est-ce qu’un vendeur ne cherche pas à faire le meilleur marché possible et l’acquéreur également?» EL M. F. Jousseaume, à qui nous empruntons encore ces lignes, observe non moins logiquement, que «nos législateurs sont vraiment trop aveugles lorsqu’ils placent judicieusement sur le même plan les objets de fantaisies et de collections et les choses agréables indispensables à la vie.»
[ D’ailleurs, puisqu’il n’y a point de critérium en art, aucune sanction n’est admissible. Au surplus nous verrons, quand nous aborderons le détail de notre objet, que la valeur d’une œuvre artistique, en dehors du sentiment personnel, est le jouet de la mode, du caprice, de la banque des marchands, de la presse et autres facteurs déconcertants.
FIG. 11. — L’Amour, musée du Louvre.
Restaurations: le bout du nez, les ailes presque entières, les bras, les avant-bras et les mains, les pièces de raccord de la jambe droite, le pied droit, une partie de la cuisse gauche avec la jambe et le pied, plusieurs parties du manteau, les tenons de l’arbre, la plinthe!
«Un tableau ou un autre objet d’art, quelles que soient ses qualités artistiques, est sans valeur s’il n’a pas été chaudement baptisé par les journalistes et confirmé par les experts. Il faut le tambourin, le tam-tam, la grosse caisse, pour attirer sur lui l’attention et le faire passer d’une valeur négative à une valeur positive.
«Un tableau sans sacrements ne vaut rien, et, après son baptême et sa confirmation, il vaut des centaines de mille francs.» (Les Vandales du Louvre.)
Comment, dès lors, s’attarder sérieusement aux déboires de l’idéal! Passe encore pour les esprits avertis qui demeurent fidèles à leurs premières amours et vieillissent au milieu de leurs bibelots; mais que penser de ces «collectionneurs» par genre, qui n’attendent que l’occasion fructueuse de disperser leurs coûteux achats! Ah! ceux-là, soyez-en certain, se moquent bien de l’art, et, leur ignorance de la beauté trouve sa compensation dérisoire dans la valeur marchande. Lorsque la valeur est bien cotée en Bourse, ils vendent, voilà tout.
Et ces collectionneurs-là sont seuls impitoyables, naturellement, à l’inauthenticité, puisqu’ils sont insensibles à la beauté qui se donne, souvent pour rien, quand on sait la cueillir et, d’autre part, que leur illusion tient seule dans la garantie du marchand.
En revanche, qu’importe le plus souvent, au connaisseur, cette authenticité ! Il se délecte simplement d’une jolie chose, et sa joie n’est jamais déçue.
FIG. 12. — Mécène, musée du Louvre.
Restauration: bas du nez, parties de l’oreille gauche, partie du bord de l’oreille droite, nuque, creux de la gorge et buste!
Quelle différence faites-vous, artistiquement, entre une œuvre originale et sa copie parfaite? Savez-vous que nombre d’auteurs eux-mêmes s’y trompèrent, et vous voudriez vous montrer plus royaliste que le roi?
En ces temps de copie, de truquage, de maquillage extraordinaires, pourquoi analyser excessivement les satisfactions que l’on ressent! Il n’y a, au résumé, que la foi qui sauve; l’art ne doit être qu’un article de foi, qu’un contentement délicat du goût raffiné, et, nous abandonnerons à ses déboires, sans intérêt, le goût mesuré aux seules largesses du porte-monnaie, l’enthousiasme borné à un souci de provenance, à la parole d’un marchand.
D’ailleurs, comment s’y reconnaître parmi tant d’expressions! Du vrai au faux en passant par le rafistolage, le simili-vrai et le demi-faux! Nous verrons le miracle des patines, le déroutant des placages, le troublant accord des artifices. Et puis, les beautés ne sont-elles pas diversement décrétées par la vogue?
Nous ne parlons plus, maintenant du véritable amateur dont les joies sont érudites, mais de ces oisifs brocantant par «chic», de ces dilettanti du bric-à-brac, de ces fureteurs d’art improvisés, de tous ces ignorants prétentieux, maniaques ou malades, enfin, pour lesquels on fabrique des antiquités.
Comment s’y reconnaître? Vous saurez d’abord — ô élève amateur — que le plus grand nombre de nos pièces de musées sont d’authenticité précaire. Aussi bien, on a tellement abusé des «répliques» que nous pouvons toujours concevoir un doute à leur égard et, le plus souvent, une réplique n’est qu’une copie quelconque; le mot sauve la chose.
Du côté des restaurations, même hésitation; où commence une restauration et où finit-elle? Voyez plutôt les fâcheuses restaurations de certains antiques, au Louvre (fig. 8 à 13)! Restaurations excessives autant qu’inutiles, dues à des artistes très inférieurs. Du côté des reconstitutions, pareille indécision; et que valent, au point de vue de l’authenticité, les sereines classifications modernes?
FIG. 13. — Julia Domna (?). musée du Louvre.
Restaurations: nez, partie de la joue gauche, principal de la lèvre supérieure, l’autre lèvre, menton, pièces et raccords au voile, à la tunique auprès des mains, attributs, manteau au-dessous de l’avant-bras gauche et le devant de la frange, pièces du reste du manteau, bas de la tunique, pieds, plinthe!
Ne vous fiez pas, surtout, à une signature, rien n’est moins probant, et, en attendant que, matière par matière, nous conseillions au lecteur des moyens rationnels de vérification, poursuivons l’énumération des risques d’erreur promulguée en haut lieu. Qui croire, grand Dieu! si nos musées nationaux, eux-mêmes, ne sont point infaillibles! Et cependant, voisinant avec de prudentes attributions, que d’étonnantes affirmations, que d’inutiles hérésies imposées à l’admiration innocente!
Le catalogue d’un musée est le pédantisme même; il est victime du renseignement forcé ; sa lecture, le plus souvent, initie moins qu’elle consterne.
Gardons-nous, surtout, d’en lire la préface, qui semble le frontispice d’un tombeau.
Si, d’autre part, nous recourons à un ouvrage d’art pour étudier une œuvre, fuyons le livre du littérateur égaré dans les choses de l’art ou celui de l’universel pédagogue, généralement incompétent, si tant est que l’on ne peut tout savoir.
Les belles images, en ce cas, dispensent avantageusement de la littérature oiseuse.
Malheureuse ment, c’est dans la littérature incompétente que se rééditent les lieux communs, les aberrations du passé, toutes les vieilles «balançoires», enfin, que, religieusement. et aveuglément, les époques se repassent.
FIG. 14. — Empereur romain du Bas-Empire, musée du Louvre.
Restauration: nez, lèvre supérieure, grande partie de l’inférieure. Côté gauche du sourcil, menton, bas des joues et cou, partie des oreilles, parties de la couronne de chene et raccords du front!
Ainsi Winckelmann a-t-il voulu faire de l’Apollon du Belvédère un pur chef-d’œuvre, alors que cette statue, avec ses tares incontestables, se rattache ni plus ni moins à la décadence grecque.
Winckelmann, savant archéologue, sortit cette fois, fâcheusement, de son rôle; il est vrai que l’archéologie empiète volontiers sur le domaine de l’art et, cependant, l’âge des choses n’a rien de commun avec l’esthétique, non plus que la philosophie, qui amena, par exemple, le père de l’éclectisme, le grand Victor Cousin, à comparer dans Le Vrai, Le Beau, Le Bien, l’église de la Madeleine... au Panthéon!
Mais passons, non sans constater — pour ajouter au désarroi du néophyte — que la critique d’art est, le plus souvent, confiée de nos jours, à d’étonnants improvisateurs. Cette anomalie, au reste, est un signe des temps. Les artistes de profession, les vrais connaisseurs, seraient incapables de la souplesse d’opinion exigée aujourd’hui. Ils se refuseraient à violer leur conscience, à nier leur science, pour un caprice de la mode. Tandis que la critique d’art improvisée, fort honnêtement souvent, mais avec l’ingénuité de l’ignorance, se met, au contraire, volontiers, dans le mouvement.
Admettez, au surplus, que des influences soient vénalement mises au service de certains trafiquants, et voici que des œuvres abominables pénètrent au musée qui les cote, leur donnant une valeur marchande, à défaut d’une valeur artistique.
FIG. 15. — Amour bandant l’arc, musée du Louvre.
Restaurations: bout du nez, cou, ailes excepté la naissance de la droite, bras droit avant-bras et mains, majeure partie du bras gauche, majeure partie de la cuisse droite, jambe et pied, jambe gauche, pied, carquois, arbre, plinthe!
C’est le mouvement moderne opposé au vieux jeu, prétentieux argument qui masque élégamment une impuissance ou une loyauté qui n’est plus de mise. Il faut être de son temps, que dis-je? de son heure.
Hélas! plus nous développerons notre idée, plus s’accentuera le chaos du critérium artistique chez ceux dont le goût et le jugement n’est pas fixé, chez ceux dont l’éclectisme ne cache que de l’incompétence.
Pour en revenir à notre amateur, nous admettrons maintenant, qu’il a trouvé le chemin de sa documentation, théoriquement du moins, puisque nous avons pris nécessairement notre exemple parmi les profanes.
Ici donc, la mode va intervenir. Autre trouble. On décrète aujourd’hui que les peintres «impressionnistes » ont seuls de la valeur (nous ne disons pas: du talent) et que le meuble moderne fait prime.
Alors, notre néophyte donnera facilement raison à l’engouement et au chic traditionnel, en réservant dans son esprit, sinon dans sa galerie, une place pour les «impressionnistes», à côté des peintres du vieux temps. Et, comme il ne s’y connaît point encore (s’y connaîtra-t-il jamais?), le choix de ses peintres anciens sera aussi détestable que celui de ses impressionnistes, mais le snobisme sera satisfait, normalement si l’on peut dire.
Du côté des meubles, pareille incohérence. Après tout, quand on collectionne sans discernement, les mauvais meublés modernes valent bien les mauvais meubles anciens.
Bref, malgré les efforts de la mode, l’antiquité triomphe toujours, au point que, répétons-le, ses plus laides manifestations même, sont acclamées. Le snobisme joue sur le mot de «rareté ». L’antiquité se fait rare, et certaines audaces modernes sont d’un rare mauvais goût, que les snobs prennent pour le chic suprême.
Peu importe, cela est rare, original, puisqu’il n’y en a pas partout. L’excentricité ne peut être commune sans faillir à l’excentricité essentielle et, pour ne pas être banal, on se distingue, au mépris de la manière. Sans quitter le point de vue général, car nous reviendrons sur la peinture, séparément, nous retournerons au musée, censément, logiquement, l’éducateur le plus qualifié du goût et de la véracité.
FIG. 16. — Un buffet Henri II (?), genre «faubourg St-Antoine».
Nouvelles déceptions. Nombreuses erreurs de styles pour les meubles et, quant aux tableaux, aux statues, n’allez pas croire qu’ils sont tous admirables, malgré le miracle hallucinant de leur vétusté ! Ah! la foi dangereuse des cartouches, tantôt d’une témérité risible, tantôt d’une savante obscurité. Ah! le boniment fallacieux du gardien de musée, du guide. Nous ne parlons pas des fausses antiquités, abondantes, des classifications imprudentes ou impudentes. Pourtant, Dieu que tout cela est savant! Comment voudriez-vous, aussi, que la science sache tout? A côté de l’évidence, n’est-ce pas? il y a la docte hypothèse, le verbiage à côté de l’utile parole et puis, l’intention, la volonté, le devoir de renseigner quand même. C’est votre faute, voyons, pourquoi êtes-vous si curieux?
Ainsi, certaines vastes armures exposées au musée d’Artillerie, si peu en rapport avec notre plus haute stature actuelle, vont vous rendre rêveur, et vous allez sans doute en déduire l’amoindrissement de la taille humaine à travers les âges? Quelle erreur est la vôtre (après celle des conservateurs du musée)! Ce sont des enseignes d’anciens armuriers allemands.
Notre néophyte, en fin de compte, accentue son ahurissement.
Ainsi, cette Vénus que l’on vient de déterrer, si mutilée, décapitée même, n’est point admirable? Nullement. Vous ne croyez pas à son authenticité ? Peu m’importe. D’ailleurs, l’antiquité n’est pas fatalement admirable. Cette Vénus apparaît curieuse, archéologiquement parlant, sans doute; du moins son aspect semble-il vénérable. Quant à lui donner un âge, son âge! Il s’agit probablement de quelque réplique? Qui vous le dira...; en tout cas, souvenez-vous qu’une œuvre, ancienne ou moderne, se discute sur le même pied de beauté. Vraie ou fausse, une œuvre peut être belle, car il y eut des artistes et des faussaires de génie à toutes les époques.
. — Un des trois tableaux de L. David, représentant la Mort de Marat, musée de Versailles.
S’agit-il de l’œuvre authentique ou d’une copie?
Mais ce meuble délabré, en revanche, est superbe? Point davantage. Peu m’importe sa caducité, authentique ou non, il est d’un mauvais style, quoique de style, ses lignes sont lourdes. Il y a beau et beau.
Contesterez-vous, maintenant, la perfection de ce tableau? Pardon... je n’en distingue pas le sujet. Il est vieux, à n’en pas douter; ses rides, ses craquelures, du moins, y prétendent, mais il est devenu tellement noir que je n’y vois goutte. Pour apprécier un tableau, jeune ou vieux, encore faut-il le voir...
Voici, cette fois, un autre tableau, très clair, celui-là. Qu’en pensez-vous? Qu’il est bien et qu’il semble d’époque. Combien l’estimeriez-vous? Attendez, il date du XVIIe siècle, et, pour l’instant, on est tout au XVIIIe! Alors, il n’a pas de valeur? Je n’ai pas dit cela. Artistiquement il est fort beau, mais à l’hôtel des Ventes il ne ferait pas cent louis. Voyez la cote...
Enfin, voici une petite toile du XVIIIe siècle! Nierez-vous son charme? Certes oui. Il ne suffit pas qu’un tableau se réclame du XVIIIe siècle pour qu’il soit charmant. Cependant le charme commercial de cette petite toile n’est pas douteux; elle vaut de l’or...
Autre chose. Vous concevez toujours des doutes sur l’authenticité des peintures, que dites-vous de ce «primitif»? Qu’il est primitif — d’intention tout au moins — mais, vous savez, il y a des naïvetés qui sont tout simplement de l’ignorance et puis il y a de beaux et de laids primitifs. Mais son authenticité... hein? voyez ce panneau qui tombe en poussière... Effectivement, si la peinture date, à n’en pas douter... de 1830 le panneau est certainement ancien.
FIG. 18. — Faux dessin à la sanguine, du XVIIe siècle.
Mauvais décalque, rebauts visibles, papier de fabrication moderne.
Alors, pour en revenir à notre tableau du XVIIe siècle, quel succès, n’est-ce pas, il obtiendrait dans un de nos Salons actuels! Que non point, le jury le refuserait. On ne doit plus peindre comme cela, aujourd’hui. Les chefs-d’œuvre se démodent, on les admire — plus ou moins sincèrement au musée. Leur place est là. Il ne faut pas leur ôter leur auréole séculaire. Ils appartiennent à l’enseignement. On les consulte. Ils sont forts d’une force béatifiée, cristallisée; ce sont des chefs-d’œuvre du temps, enfin. Chaque époque a sa qualité de génie, tous les génies se valent dans leur diversité. En dehors du musée, les expositions rétrospectives font seules un succès plus ou moins franc — aux vieilles toiles. Cela dépend, au surplus, du moment propice, de la cherté des entrées, du lieu «chic» choisi, de la publicité faite.
Nous n’exagérons rien. On pourrait prolonger indéfiniment le questionnaire désabusé où, d’ailleurs, nous effleurâmes seulement notre matière. Dans toute appréciation d’art, il se glisse, à différents degrés, un soupçon de snobisme, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’une instinctive dérivation du goût entraîné par le mouvement différent des années, des temps, des générations. Évolution!
Mais, pour avoir le droit de juger, d’évoluer, il faut connaître à fond ses classiques, d’une beauté éternelle parce qu’ils atteignirent à des sommets et que tous les sommets — en outre de la pensée qui, respectueuse du passé, les dore — sont égaux dans l’effort.
FIG. 19. — Un faux pastel de Nattier.
Quand on y songe, tous les âges ont leur beauté propre, mais il n’est pas niable que la patine des ans donne aux œuvres d’art une supériorité effective. Voilà donc le mérite évident de l’ancien: la douceur de sa forme comme caressée par la poussière des temps, la chaleur de sa couleur que les brumes du passé ont mystérieusement enveloppée.
Mais encore faut-il que l’esthétique de l’œuvre soit d’une qualité impérative, car il serait décourageant pour l’art moderne, dont on paralyserait l’essor, de rabaisser devant l’antique, au mépris de toute justice, des œuvres nées d’aujourd’hui, égales, sinon supérieures parfois, en beauté.
Si la qualité du vin gagne en cave, il y a des limites à cette bonification. L’arome du meilleur nectar s’évente sans crier gare, au bout d’un certain temps, et souvent, le palais se délecte supérieurement à la dégustation d’un vin nouveau.
Tout est dans la franchise de l’appréciation aiguisée. Pour juger, il faut s’y connaître et, si l’on sait distinguer la beauté — d’où qu’elle vienne, du vieux, du moderne; du vrai, du faux — on s’y connaît déjà de la manière la plus logique. Au fur et à mesure de notre travail, nous préciserons ces indications de tact, en les classant utilement, matière par matière. Quant à la véritable instruction artistique, elle se réclame d’abord d’une éducation favorable, d’une direction visuelle et sentimentale, progressive, d’une loyale et patiente observation.
FIG. 20. — Faux dessin de A. Willette (décalque d’un original), oblitéré de la main du maître lui-même.
Sous l’empire de cette discipline, le goût se forme, la nature nous dévoile sa simplicité, sa pureté, son harmonie, son exemple, enfin. L’étude rationnelle au musée, d’autre part, permet des comparaisons indispensables que la consultation de nombreuses gravures complète. En matière d’art, mieux vaut se nourrir d’exemples que de mots. L’œil s’habitue insensiblement, déductivement, à des délicatesses de forme, il arrive aussi à se représenter une perfection qui est souvent la perfection, du moins celle qui correspond à un sentiment propre, éduqué.
Une connaissance approfondie des styles, encore, s’impose. Styles plastiques, de la construction et du meuble, qui permettent de déterminer les époques en les vivant. De même, il faut connaître l’histoire des peuples, afin de défier les anachronismes et parfois aussi, la chimie dont les réactions sont redoutables à la fraude.
Autant de préoccupations initiales, nécessaires tant à fortifier la base du jugement qu’à imposer le respect de l’œuvre à juger. Il faut résister surtout, au snobisme, incohérent comme la mode et, pareillement, on s’efforcera à un éclectisme de bon aloi, à une bienveillance imposée d’ailleurs, par la somme de compétence que l’on a et même, en raison directe de cette compétence.
Cependant, en matière de bibelot, le flair supplée souvent la solide érudition. Le flair est la routine des marchands, leur force; aussi bien ce flair n’a rien d’artistique, il n’est point d’essence émotive, il résulte d’une longue habitude; il ne correspond guère qu’à une vision instinctive du bénéfice plus ou moins grand à tirer.
L’œuvre d’art, quelle qu’elle soit, n’ayant pas de valeur intrinsèque, le prix d’une œuvre d’art étant subordonné à la qualité du client, plus ou moins amateur, plus ou moins riche ou vaniteux, les marchands ont surtout l’avantage de connaître le goût du client. Ils flairent au gré des exigences du client connaisseur ou non, maniaque, riche ou pauvre, libertin ou prude. On collectionne de tout, et le marchand, qui sait aussi bien les besoins que les rêves de ses clients, vend de tout. N’ayant pas ainsi, à se préoccuper d’esthétique, son flair mercantile lui suffit; il lui tient lieu de bonne foi. S’il «roule» parfois le client, il est souvent «roulé » par lui; parfois il gagne beaucoup sur une affaire et parfois, peu; on n’a point toujours la main heureuse.
FIG. 21. — Portrait de Mme de Lamballe, d’après une gravure du temps.
Bref, nous poursuivrons, au chapitre suivant, en entrant toujours de plus en plus dans le détail, l’étude des connaissances qui nous occupent. Dès l’instant que quelque scepticisme s’est glissé dans l’esprit du lecteur, nous le supposons déjà pins averti, notre tâche ensuite, va s’efforcer de préciser son but.