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Les deux larrons. — L’antiquité inépuisable Les aléas du bibelotage

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Nous avons dit la soif d’antiquité manifestée par le public, alors que les trésors du passé fatalement s’épuisaient. Nous avons indiqué dans cet engouement les raisons mêmes de l’imitation, du truquage et autres pratiques frauduleuses. Mais il est une autre cause à cet artifice: le bon marché. Nous sommes dans l’ère de la pacotille, à l’époque du «toc». Nous désirons des chefs-d’œuvre, n’en y eût-il plus au monde, mais nous nous refusons à les payer à leur valeur.

Si, toujours et quand même,on doit pouvoir vendre de l’antiquité, il y a de l’antiquité fatalement à tout prix: voilà l’aveu et la justification, à la fois, du commerce frauduleux.

Le client indique «le coup à faire» au marchand; il est donc plus coupable que ce dernier,

Rationnellement il ne devrait y avoir vol, de marchand à client, que lorsque la somme déboursée serait proportionnée à la beauté, à l’importance de l’achat garanti, car, lorsque le client fait une excellente affaire sur le dos du marchand — cela arrive — il trouve cela tout naturel et fort honnête.

Le marchand surfait sa «camelote» parce que le client la marchande; des deux côtés la manœuvre est la même et se vaut. Le commerce des antiquités d’ailleurs, s’excuse, en quelque sorte, de l’idéal qui l’anime ou est censé l’animer. On «déniche» un bibelot, c’est une chance et, d’autre part la chance n’est pas moins grande pour le vendeur. Or, avoir la chance de dénicher, sous-entend une aubaine dont, singulièrement, se réjouissent à la fois, le client et le marchand.

L’amateur se flatte d’être «roublard», il est à «l’affût», il n’achète pas, il braconne: le marchand, de son côté, dispose soigneusement ses collets; c’est de bonne guerre. Dans tout collectionneur il y a un pillard qui sommeille. Voyez-le vous montrer une de ses merveilles — point de milieu — ou bien il l’a payée les yeux de la tête, ou bien il l’a eue pour une bouchée de pain. Et si, comme toujours, par vanité de collectionneur, il a fait une bonne affaire, c’est dire à demi-mot que toujours le marchand (d’autant mieux que le marchand se plaint toujours) a été refait.

FIG. 22. — Portrait de Mme de Lamballe, d’après la gravure précédente; pastiche du XVIIIe siècle exécuté par G. Déloye (1845-99).


Pour le collectionneur, le marchand est, fort injustement, ou bien un voleur ou bien un imbécile, au taux de la marchandise payée, et, que de fois, cependant, l’imbécile n’est pas celui qu’on pense!

Toujours est-il que les belles choses valent cher, on ne s’en doute pas assez; quant à les payer plus cher ici que là, c’est l’évidence même. Le luxe de la présentation fait partie de la beauté, on l’ajoute à la note. Mais aussi, quel collectionneur ne se flatte pas d’avoir son «petit» marchand!

Et ce petit marchand, à petit bénéfice, est une trouvaille! Figurez-vous ma chère...

Notez que ce n’est pas toujours chez le petit marchand que l’on fait les meilleures affaires, mais il y a l’illusion. Le petit marchand peut, certaines fois, ne pas s’y connaître, tandis que le grand, lui, est sûrement un malin — hypothèse gratuite, d’ailleurs.

Quant à l’erreur du marchand, à son détriment, de bonne foi, vous ne la ferez «avaler» à personne; pas plus que l’on ne vous fera accroire que votre goût est détestable; seulement, vous ne manquerez pas de crier: au voleur! si votre acquisition n’est point estimée à la valeur que vous lui donnâtes. Vous oubliez, cependant, à ce moment, que le marchand n’est que l’humble auxiliaire de votre goût propre qu’il flattera toujours, dans le sens de vos décisions, indifféremment.

Nous en revenons ainsi, à la responsabilité du client vis-à-vis du fraudeur. Si le client s’y connaissait, il commencerait d’abord par ne pas avoir de coupables exigences. «Je désirerais une belle commode Louis XVI, mais, vous savez, je ne veux pas dépasser cent cinquante francs.»

Une belle commode Louis XVI pour cent cinquante francs! Comment ne voulez-vous être «volé » Et ne le mériteriez-vous pas? Le marchand s’inclinera donc devant la commande, et il vous en donnera, logiquement, «pour votre argent». Si vos propositions étaient honnêtes, elles seraient acceptées en conséquence, et, d’ailleurs, vous avez tellement le sentiment de votre ladrerie que vous n’osez jamais avouer le bas prix de votre acquisition. Mi-honteux, mi-vaniteux — car vous avez aussi le cynisme de votre méfait — vous interrogez malicieusement: «Combien croyez-vous que j’ai payé cette belle commode Louis XVI? — Dites un chiffre? Non..., douze cents francs seulement!»

FIG 23. — Saint Sébastien, marlyr, par T.-A. Ribot (1823-91). musée du Luxembourg. Tableau de composition et d’effet sinon de facture, analogues à ceux de l’œuvre suivante.


L’occasion fait donc le larron, et il est vrai qu’il y a larron à tout prix, suivant l’importance du client et de ses exigences.

Nous avons dit, précédemment, que dans tout collectionneur un pillard (et même un recéleur) sommeillait. La complicité du collectionneur et de l’antiquaire va maintenant, fourbir des armes autrement redoutables.

Passe encore pour l’acheteur de «toc», consciemment il ne récrimine pas de voir son goût servi à la hauteur de ses moyens. Point de préjudice causé, ici, aucune cupidité n’est en jeu, le marchand «truque» ou fabrique et, de ce côté, les ressources sont inépuisables. En revanche, examinons la manœuvre du collectionneur riche et averti vis-à-vis de l’antiquaire.

Il s’agit, en principe, de deux personnages. Le

FIG. 24. — Le Christ au tombeau. par.J. Ribera. musée du Louvre. Voir la gravure précédente.


collectionneur possède une galerie et l’antiquaire est un pourvoyeur compétent, avisé, de la galerie.

Abandonnons donc à leur trafic sans importance, le client modeste, en principe non raffiné, et le marchand de bric-à-brac. Tout deux s’effacent devant le collectionneur et l’antiquaire.

«Il me faut, dira le collectionneur à son pourvoyeur habituel, une statue en bois, de tant sur tant, de pur style Renaissance.»

Cette fois, le mandat est impératif et la commande vaut son pesant d’or.

Mais où trouver la bienheureuse statue? J’en sais une au musée de Cluny, une autre au Louvre, énumère l’antiquaire... où y en a-t-il encore de cette époque, de cette dimension? Enfin, comme je ne suis pas pressé, tranche le collectionneur, lorsque vous aurez mon affaire, vous me préviendrez...

Et aussitôt commence la randonnée. L’antiquaire bat la province, parcourt l’étranger, promet partout dès commissions en échange de l’oiseau rare; il soulève en un mot, les appétits les plus dangereux. Car, s’il ne faut pas suspecter la loyauté ni la science de l’antiquaire, les rabatteurs qu’il emploie, sont fatalement douteux.

Nous ne nous ferons pas, ici, l’écho des racontars et des légendes: la Joconde dérobée au Louvre pour le compte de la galerie de X.; la châsse de saint Ferdinand volée dans l’église de Saint-Ferdinand, pour le plus grand ornement de la collection célèbre de tel Yankee, etc.

FIG. 25. — Méditation, par J Cavé. Œuvre de facture similaire a la suivante


Cependant, il résulte, on l’avouera, de la cupidité soulevée à prix d’or, des méfaits innombrables qui prêtent aux conjectures les moins généreuses, et les excusent.

Notez que le véritable collectionneur sourit, lorsqu’il ne s’enorgueillit pas, même, de ces conjectures. On fait de la réclame à son goût, on le proclame capable d’acquérir la beauté, coûte que coûte. On rend hommage, en somme, à son amour de l’esthétique.

Pour un peu, n’est-ce par patriotisme que X. aurait fait cambrioler telle cathédrale? Voyez, non seulement il ne lire aucun bénéfice de son larcin, mais il le léguera généreusement à son pays...

D’autre part, tout le monde sait que la galerie de X. est unique au monde, et les précieux bibelots dérobés doivent s’estimer bien heureux de figurer parmi des pièces uniques!

Bref, comme de son côté l’antiquaire ignore, par principe ou véritablement, l’origine de ses mandataires occasionnels, il se contentera au cas échéant, de les traiter de brigands et de porter plainte contre inconnu.

Il n’empêche que la curée des œuvres d’art menace notre magnificence nationale. Que d’inestimables beautés nous ont déjà été ravies, au bénéfice des particuliers ou bien de l’étranger, et toujours au détriment de l’agrément et de la richesse publics! Qui dira les dégradations, le vandalisme, de tous ces appétits déchaînés! Ici une délicieuse statue gothique manque à sa niche; là un inestimable bas-relief a été arraché à un autel, ou bien une admirable plaque ciselée à un meuble. Qu’est devenu ce tableau dont le cadre brisé gît à terre? El ce volet, à quel retable appartient-il? Et ces émaux, qui les extirpa odieusement de cette châsse? Et ces morceaux d’étoffe, et ces débris de vases, de statues, et ces panneaux et ces moulures, de quelle intégrale merveille se réclament-ils? L’audace des pourvoyeurs de beauté — ou des voleurs — est effarante.

FIG26. — Le jeune frère, par W. Bouguereau.


On achète une vieille maison, une vieille église, que l’on emporte, pièces par pièces, et si l’État n’y mettait pas le holà ! et si certaines municipalités avisées ne défendaient pas leurs antiquités, c’est à la physionomie de nos paysages, au pittoresque de nos villes, que l’on attenterait!

Déjà, le sot crayonne, grave honteusement sur les chefs-d’œuvre à la portée de sa main; lorsque, même il n’emporte point des petits morceaux de beauté «en souvenir». Et ce sont des dentelles de pierres usées au contact du toucher sacrilège, et ce sont de rares tissus maculés, autant de déprédations irréparables qui rejoignent les restaurations maladroites, les fâcheuses reconstitutions et autres copies et répliques, dans le domaine de la profanation.

Aussi bien, pour certain public, la satisfaction d’art n’est qu’une curiosité stupide. M. Prud’homme s’assied, le visage épanoui, sur le trône de Napoléon. «C’est là qu’il s’asseyait!» Dumanet passe avec admiration son doigt sur le fil du glaive de Charlemagne, M. Snob respire voluptueusement dans le cabinet de toilette de Marie-Antoinette.

FIG. 27. — Faux dessin à la plume de Raphaël, d’après l’original du musée du Louvre.

Épreuve de photogravure, au grain de résine, tirée sur vieux papier, couleur vieille encre; appartient au Musée du faux, fondé à New-York par M. Jacques Sellgamnn.


Bædecker, enfin, guide l’étranger à travers des nomenclatures, tandis que les libertins cherchent dans certaines gargouilles, dans certains détails de sculpture, dans des coins de tableaux, des grivoiseries célèbres.

Pour en revenir plus essentiellement à notre sujet, nous avons distingué, d’une part, les méfaits de la fausse antiquité, et, de l’autre, ceux plus néfastes encore, de la véritable. Du moins le grand antiquaire, complice du grand collectionneur, est-il plus redoutable que le petit bric-à-brac, marchand de curiosités, parce qu’il recherche (ou est censé rechercher) l’authencité, coûteusement, tandis que l’autre, économiquement, n’écoule guère qu’une camelote sans garantie à des connaisseurs improvisés.

On sait, enfin, le résultat déplorable de cette course au bibelot rare: nos musées, nos églises cambriolées, etc.

Nous en arrivons, fort heureusement, à douter, d’une manière générale, de l’authenticité elle-même. Cela nous consolera de tant de beautés disparues, de tant de merveilles saccagées, qui n’étaient peut-être bien que de vulgaires copies et truquages!

Entendez-vous d’ici l’éclat de rire réconfortant des faussaires? Ah! si les momies soi-disant antiques pouvaient crier leur âge!

Ah! si la voûte sacro-sainte des galeries pouvait, résonner sous la protestation des tiares de Saïlapharnès, des similis-Rembrandts, des émaux prétendus limousins, des bahuts Renaissance en rupture de faubourg Saint-Antome (fig. 16)!

FIG. 28. — Dessin dans le style ancien, par E. Bume-Jones (1833-98).


Une constatation générale au surplus, achèvera de calmer notre émoi dans une joyeuse allégresse. Antiquaires, marchands de curiosités, bric-à-brac, du plus grand au plus petit, grands et petits collectionneurs, véritables amateurs et amateurs à la manque, communient dans l’erreur. Réconcilions-nous donc, sur ce terrain, avec l’infaillibilité humaine et, même, avec la fraude supérieure.

Il est bien évident que lorsque l’art de tromper atteint à des sommets, on doit beaucoup lui pardonner. La bonne foi du marchand pouvant s’absoudre à la rigueur, d’être surprise, puisque le client se laisse prendre à de la beauté, quelle qu’en soit l’origine.

La mauvaise foi du marchand, d’autre part, équivalant à la qualité inférieure du connaisseur. L’expert enfin, garantissant avec une timidité qui n’a d’égale que celle avec laquelle il conteste.

Néanmoins, à tout seigneur tout honneur, les grands procès (comme les grands marchés) vont au grand antiquaire qui supporte justement la charge et le privilège de sa renommée. Les grands paient pour les petits, simplement parce qu’ils ont plus d’argent du fait qu’ils ont la clientèle la plus riche.

Mais, répétons-le, la bonne ou la mauvaise foi devant l’erreur et la fraude, est commune à tous les marchands, et nous ne redirons plus que le client prend la plus grande part de responsabilité dans cet état de choses.

FIG. 29. — Fausse gravure en couleurs du XVIIIe siècle, héliogravure.


Abordons maintenant l’examen de la fraude. Celle-ci est extraordinaire, aussi extraordinaire que la crédulité humaine. «La manie des antiquités a pris un tel développement que, pour satisfaire aux demandes, il a fallu faire fabriquer. Des usines de vieux-neuf se sont ouvertes chez nous et, à l’étranger, des usines à outillage perfectionné.

«Un Pérugin vous fait envie? Adressez-vous à Turin; il y a là, un artiste qui en fournira de superbes pour 4.000 à 5.000 francs. Les peintres flamands ou hollandais ont-ils vos préférences? Chez X..., à Bruxelles, vous trouverez votre affaire, et surtout des Ilobbéma et des Ruysdaël. Pour les Rembrandt, c’est à Hove, près d’Anvers, qu’il faut aller. Vous pouvez regarder: la toile ou le panneau est bien de l’époque; quant à la peinture, c’est une autre histoire.

«Les belles statues de pierre du xve siècle se sculptent à Reims. Bourges et Lyon vous enverront, sur demande, des mobiliers sculptés Renaissance, de l’école de Lyon ou de Bourgogne. Les amateurs de reliquaires, châsses, monstrances du xve siècle, n’ont qu’à venir rue Dufrénoy. Bibelots, bonbonnières anciennes, carnets de bal, tabatières, se fabriquent rue de Châteaudun; meubles et bronzes anciens encombrent un magasin, boulevard Beaumarchais; les cuivres anciens se cisèlent passage de l’Élysée-des-Beaux-Arts.

«Enfin, dans le XVIIIe arrondissement, à Paris, prospère un artiste qui exécute, à la perfection, les Largillière et le portrait du XVIIIe siècle.»

Le «Metropolitan Museum» de New-York, dit l’Intransigeant, réunit en ce moment divers échantillons de contrefaçons de l’art antique et moderne. Les terres cuites y sont généreusement représentées. On ne sait encore si notre Louvre collaborera à cette intéressante exhibition, d’autant mieux que les vitrines du pavillon Denon recèlent un nombre incalculable de fausses statuettes, tanagras et autres, si mal identifiées — et pour cause! — que des experts n’ont su dire si elles venaient de Smyrne, de Thrace, voire de Béotie!»

FIG. 30. — Martyre de saint Sébastien, par J. Callot (?).


Il eût été si juste de dire qu’elles venaient de Montmartre!

Mais ces notes amorcent simplement le vaste chapitre de l’artifice dont nous parlerons plus spécialement, au détail de chaque matière artistique.

Contentons-nous de dire, pour l’instant, que la baignoire «en sabot», dans laquelle mourut Marat, court les rues, comme les crânes de Voltaire, les musées; que plusieurs existences eussent élé nécessaires à Rembrandt, à Boucher, à Corot et tutti quanti, pour peindre toutes les toiles dont on les rend responsables; que, faute d’avoir duré plusieurs siècles, la Renaissance ne saurait, logiquement, endosser la paternité de tous les meubles et bibelots qu’on lui prête — on pourrait en dire d’ailleurs autant de toutes les époques; — que les chefs-d’œuvre enfin, grecs et romains, n’ont point de secret pour nos modernes artisans, non plus que les âges préhistoriques.

Il importe encore de savoir, par exemple, que le Grand-Moutrouge fabrique de parfaites momies égyptiennes «remontant à la plus haute antiquité », que le faubourg Saint-Antoine nous alimente à jet continu de mobiliers de style ancien; que la source des manuscrits les plus rares est intarissable, grâce à d’habiles trafiquants du Marais; que les vieilles étoffes ainsi que les costumes «du temps», tout comme les vieilles faïences, les armes et les armures, ont leurs usines, ici et là, partout.

FIG. 31. — Martyre de saint Sébastien, peinture prétendue de J. Callot, musée du Louvre. Voir la gravure suivante.


Usines en chambre, le plus souvent, où de modestes artisans — voire de grands artistes — travaillent dans l’ombre, parqués, rigoureusement surveillés par leurs employeurs.

Hélas! cette énumération, en gros, des artifices, qui s’augmente du cynisme des fausses signatures, des marques et poinçons de contrebande, semble l’excuse même de tant d’erreurs, que la mauvaise foi de certains marchands, que l’ignorance de certains experts, et celle, plus excusable, du plus grand nombre d’amateurs, ne saurait dissiper. En attendant que l’on se contente d’acheter de la Beauté, pour elle-même, au mépris et non en raison de son coût — ce qui serait la garantie la plus évidente — ; en attendant que l’on se pénètre de cette idée que les musées, les collectionneurs et les amateurs (sans oublier la vétusté, l’usure, causes de ruine et de disparition) suffisent à l’épuisement des restes du passé, il faudra se résoudre à naviguer entre le vrai et le faux.

Certes, le caprice de la mode, les besoins d’argent, mettent bien souvent en circulation des vieux bibelots dont on se débarrasse ou que l’on ne peut plus retenir; quelques occasions restent bien à faire, dans les campagnes notamment, mais encore nous verrons qu’il ne faut pas toujours se fier à ces dernières occasions. Il importe en effet, de se montrer logiquement sceptique à l’égard de cette quantité innombrable de meubles disponibles, se réclamant de l’antique. Méfions-nous donc des ventes soi-disant pour cause de départ, des foires et autres «marchés aux puces», des ventes à la campagne où l’on trouve des «occasions» souvent si décevantes, après coup; au surplus, nous développerons par la suite, ces conseils de prudence, et nous nous efforcerons de donner au lecteur les moyens les plus pratiques de n’être point trompé, ou, du moins, de l’être le moins facilement possible.

FIG. 32. — Martyre de saint Sébastien, gravure de J. Callot qui aurait servi à l’aire

la peinture précédente (calque inversé).


D’ores et déjà, il ne faut pas confondre la copie, le pastiche et le truquage. On copie plus ou moins bien un objet ancien, et on le vend pour tel. Le prix d’une copie dépend de la qualité d’exécution artistique. Une belle copie a sa valeur, mais elle n’est pas maquillée, on sent qu’elle est neuve, tandis qu’un truquage est un maquillage prétendant à l’antiquité. Un truquage vendu comme de l’ancien constitue un abus de confiance, en raison de son prix élevé proportionné à sa garantie, à sa rareté. Le pastiche, lui, a la franchise de la copie dont il partage souvent la beauté.

Il y a de beaux truquages, des truquages complets ou des demis, des quarts, des tiers de truquage, selon que l’objet d’art est entièrement neuf ou que plus ou moins d’authenticité préside à sa confection.

Or, dans ce dernier cas, il peut s’agir d’une «res tauration» et le prétexte est joli, puisque le moindre petit morceau de vérité suffit souvent pour faire «avaler » une importante pièce déclarée «ancienne».

FIG. 33. — Un véritable Rembrandt?


Le remède initial contre l’incertitude serait d’abord de s’y connaître, si l’on tient essentiellement à une beauté réellement ancienne, — mais rassurons-nous, les plus fins connaisseurs s’y trompent, — quitte à se consoler, en pensant que l’on a pris plaisir à acheter une œuvre qui ne saurait démériter par elle-même. Dans le cas contraire, on n’avait qu’à s’offrir franchement la copie d’une belle chose et, quant à se plaindre au marchand d’avoir été trompé, cela ne va pas sans ridicule. D’autre part, le marchand n’est point fatalement de mauvaise foi et enfin, si la question de prix intervient dans le marché, avouez que vos doléances et revendications seront mesurées à l’importance de la somme payée, appréciation qui n’est pas d’ordre artistique.

Nous sommes convaincu d’ailleurs, que si l’on vous vendait une antiquité pour une copie, vous ne réclameriez pas; mais, au fait, êtes-vous digne de reconnaître que, celte fois-ci, ce n’est plus le marchand qui est un fripon? Êtes-vous de force à jouir de l’aubaine? En raison même du principe — faux exceptionnellement en matière d’art et de tout ce qui s’y rattache — que «l’on en a toujours pour son argent», il faut d’abord que la qualité intrinsèque de la beauté domine le souci de la valeur commerciale. Puis, il importe d’estimer sincèrement que si la beauté est coûteuse par essence, on ne doit cependant l’évaluer qu’à la hauteur des sentiments esthétiques que l’on a. Ainsi toujours domine-t-on l’erreur.

FIG. 34. — Un faux paysage de G. Courbet.


En matière de «bibelotage», enfin, puisqu’il s’agit de glaner, de «dénicher», de courir des chances, des hasards, des occasions, les risques de faire une bonne ou une mauvaise affaire (aussi bien du côté amateur que du côté marchand) sont admis. Le tout est de se défendre, d’apprendre sinon à s’y connaître, du moins à se méfier, et, c’est à ce soin que nous allons tendre.

L'art de reconnaître les fraudes

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