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DICÉOPOLIS.

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Tiens, tiens bien, esclave! que je retire la broche!…

Cette antithèse et ce contraste se développent pendant une cinquantaine de vers avec une verve étourdissante. Puis, l'un s'en va combattre, et l'autre banqueter. Et le chœur, qui reste toujours en scène, achève d'indiquer à l'imagination des spectateurs ce que l'on ne peut mettre tout à fait sous leurs yeux; quoiqu'on ne se gêne pourtant pas beaucoup, comme vous allez le voir bientôt; mais le chœur dit en attendant:

«Bien du plaisir à tous les deux, dans vos expéditions qui ne se ressemblent guère! l'un va boire, couronné de fleurs, avec une belle fille à ses côtés…; l'autre va geler et monter la garde pendant la nuit…»

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Après ce chœur, assez court,—mais dans le théâtre grec, soit tragique, soit comique, le temps marche au gré du poëte et de l'imagination des spectateurs, et il n'y a rien de plus chimérique que les prétendues unités de temps et de lieu imputées aux Athéniens,—voilà que l'on rapporte Lamachos blessé, estropié;—Dicéopolis arrive de l'autre côté, chantant à tue-tête, avec deux courtisanes, une sous chaque bras, et les caresse et se fait caresser par elles en plein théâtre, tandis que le chœur lui décerne l'outre réservée au meilleur buveur dans les fêtes de Dionysos[12].

Par là le poëte semblait présager le succès qu'obtint en effet sa pièce:

Aristophane, par cette comédie des Acharnéens, remporta le prix sur Eupolis et sur Cratinos.

Cet appareil si varié et si bizarre de guerre et de cuisine, de tribune et de marché, ces scènes courtes et vives, l'originalité de la mise en scène et des accessoires, les costumes et les évolutions du chœur, ses chants joyeux et gaillards «au dieu Phalès compagnon de Dionysos, ami des festins, coureur nocturne, patron de l'adultère, séducteur des jeunes garçons»; à travers tout cela, un dialogue naturel, rapide, étincelant, une abondance intarissable de plaisanteries, les unes bonnes, les autres mauvaises, toutes concourant à l'effet voulu; le mouvement, l'entrain scénique de ce dénoûment en action et en antithèse; les gaietés énormes de la dernière scène, entre Dicéopolis et les deux filles, tout cela enchanta le peuple d'Athènes et les juges du concours, qui n'étaient pas prudes comme on se pique de l'être aujourd'hui.

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Il est vrai que l'on peut, sans être prude, trouver tout cela un peu bien vif; mais les mœurs des Grecs n'étaient pas les nôtres et leurs bienséances étaient moins étroites. Il faut songer que les rôles de femmes étaient joués par des hommes. Cela rendait la licence plus aisée, mais cela diminue l'obscénité réelle.

Le bonheur de la paix, tel que le poëte nous le représente, est un peu matérialiste si vous voulez; mais, au théâtre et pour un grand public, il faut des choses qui frappent les sens. Le théâtre a des procédés qui lui sont propres, autres que ceux de la tribune et non moins puissants. Souvent le sens commun parlant le langage de la bouffonnerie convaincra mieux le peuple que la plus grave éloquence:

L'auteur de l'Esprit des Lois, désignant la nation française: «Laissez-lui traiter, dit-il, les choses frivoles sérieusement, et gaiement les choses sérieuses.» Et un peu plus loin: «On n'aurait pas plus tiré parti d'un Athénien en l'ennuyant, que d'un Lacédémonien en le divertissant.» Le difficile est de rendre intelligible, d'animer et de personnifier les idées qu'on veut mettre aux prises devant le peuple, afin qu'il soit juge du combat et qu'il prononce lui-même par le rire en faveur de ses intérêts, contre ce qui peut les menacer. Aristophane excelle en ce point.

Etudes sur Aristophane

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