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IV

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Dans le vieux salon fané, un salon Louis XVI aux boiseries grises, madame la comtesse de Quinsac était assise près de la cheminée, à sa place habituelle. Elle ressemblait singulièrement à son fils, la figure longue et noble, le menton un peu sévère, avec de beaux yeux encore, sous la neigé des cheveux fins, coiffée à la mode surannée de sa jeunesse. Et, dans sa froideur hautaine, elle savait être aimable, d'une bonne grâce parfaite.

Elle reprit après un long silence, avec un petit geste de la main, en s'adressant au marquis de Morigny, assis à l'autre coin de la cheminée, où il occupait le même fauteuil depuis tant d'années:

—Ah! mon ami, vous avez bien raison, le bon Dieu nous a oubliés dans une abominable époque.

—Oui, nous avons passé à côté du bonheur, dit-il lentement, et c'est votre faute, c'est sans doute la mienne aussi.

Elle le fit taire d'un nouveau geste, avec un triste sourire. Et le silence retomba, pas un bruit ne venait de la rue, dans ce sombre rez-de-chaussée, au fond de la cour d'un vieil hôtel, situé rue Saint-Dominique, presque à l'angle de la rue de Bourgogne.

Le marquis était un vieillard de soixante-quinze ans, de neuf ans plus âgé que la comtesse. Petit et sec, il avait pourtant grand air, avec sa face rasée, aux profondes rides correctes. Il appartenait à une des plus antiques familles de France, et il restait un des derniers légitimistes sans espoir, très pur, très haut, gardant sa foi à la monarchie morte, dans l'écroulement de tout. Sa fortune, estimée encore à des millions, se trouvait comme immobilisée, par son refus de la faire fructifier, en la mettant au service des travaux du siècle. Et l'on savait qu'il avait aimé discrètement la comtesse, du vivant même de M. de Quinsac, et qu'il s'était offert, après la mort de celui-ci, lorsque la veuve, âgée au plus de quarante ans, était venue se réfugier dans cet humide rez-de-chaussée, avec une quinzaine de mille francs de rente, sauvés à grand'peine. Mais elle adorait son fils Gérard, alors dans sa dixième année, d'une santé délicate. Elle lui avait tout sacrifié, par une sorte de pudeur de mère, par une crainte superstitieuse de le perdre, si elle remettait une autre tendresse et un autre devoir dans sa vie. Et le marquis, qui s'était incliné, avait continué à l'adorer de toute son âme, lui faisant la cour comme au premier soir où il l'avait vue, empressé et discret après un quart de siècle de fidélité absolue. Il n'y avait jamais rien eu entre eux, pas même un baiser.

A la voir si triste, il craignit de lui avoir déplu, il ajouta:

—Je vous aurais voulue plus heureuse, mais je n'ai pas su, et la faute n'en est sûrement qu'à moi... Est-ce que Gérard vous donnerait des inquiétudes?

Elle dit non de la tête. Puis, tout haut:

—Tant que les choses resteront où elles en sont, nous ne saurions nous en plaindre, mon ami, puisque nous les avons acceptées.

Elle parlait de la liaison coupable de son fils avec la baronne Duvillard. Toujours elle s'était montrée faible pour cet enfant qu'elle avait eu tant de peine à élever, sachant elle seule l'épuisement, la lamentable fin de race qui se cachait en lui, sous le beau dehors de sa mine fière. Elle tolérait sa paresse, son oisiveté, le dégoût d'homme de plaisir qui l'avait écarté des armes et de la diplomatie. Que de fois elle avait réparé des sottises, payé des petites dettes, en les taisant, en refusant l'aide pécuniaire du marquis, qui n'osait même plus offrir ses millions, tant elle s'entêtait à vivre héroïquement des débris de sa fortune! Et c'était ainsi qu'elle avait fini par fermer les yeux sur le scandale des amours de son fils, se doutant bien comment les choses s'étaient passées, par abandon, par inconscience, l'homme qui ne sait se reprendre, la femme qui le tient et le garde, en se donnant. Le marquis, lui, n'avait pardonné que le jour où Eve s'était faite chrétienne.

—Vous savez, mon ami, que Gérard est si bon, reprit la comtesse. C'est ce qui fait sa force et sa faiblesse. Comment voulez-vous que je le gronde, quand il pleure avec moi?... Il se lassera de cette femme.

M. de Morigny hocha la tête.

—Elle est encore très belle... Et puis, il y a la fille. Ce serait plus grave, il l'épouserait.

—Oh! la fille, une infirme!

—Oui, et vous entendez ce qu'on dirait: un Quinsac épousant un monstre pour ses millions.

C'était leur terreur à tous deux. Ils n'ignoraient rien de ce qui se passait chez les Duvillard, l'amitié émue entre la disgraciée Camille et le beau Gérard, l'idylle attendrissante sous laquelle se cachait le plus atroce des drames. Et ils protestaient de toute leur indignation.

—Oh! ça, non, non, jamais! déclara la comtesse. Mon fils dans cette famille, non! jamais je ne donnerai mon autorisation!

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