Читать книгу Le Naturalisme - Emilia condesa de Pardo Bazán - Страница 5

SOMMAIRE

Оглавление

L'Emeute romantique.—L'Othello de de Vigny.—Le scandale du mouchoir.—La noblesse du style.—Réalisme et Romantisme.—Classiques et Romantiques.—La crise romantique en Europe.—La phalange romantique en France et en Espagne.—Les mœurs romantiques.—Le costume. —Le Réalisme naît du Romantisme.

En 1829, un écrivain délicat dont l'unique désir était de se renfermer dans une tour d'ivoire, pour éviter le contact de la foule,—le comte Alfred de Vigny, donna à la Comédie-Française une traduction, ou plutôt un arrangement de l'Othello de Shakespeare.

On connaissait alors, en France, ce drame, et les meilleurs du grand dramaturge anglais, par les adaptations de Ducis.

En 1795, Ducis avait remanié Othello d'après le goût du temps,—avec deux dénoûments différents, celui de Shakespeare et un autre à l'usage des âmes sensibles. Le comte de Vigny ne crut point que de telles précautions fussent nécessaires; mais en bien des passages, il atténua la crudité de Shakespeare.

Le public se montra donc résigné durant les premiers actes; et même de temps en temps il applaudit. Mais, arrivé à la scène où le More, fou de jalousie, demande à Desdémone le mouchoir brodé qu'il lui a donné en gage d'amour, le mot mouchoir, traduction littérale de l'anglais Handkerchief, amena dans la salle une explosion de rires, de sifflets, de trépignements et de rugissements. Les spectateurs attendaient une circonlocution, une périphrase alambiquée quelconque, quelque blanc tissu ou autre chose qui n'offensât point leurs oreilles de gens de goût. Quand ils virent que l'auteur prenait la liberté de dire mouchoir tout sec, ils soulevèrent un tel tumulte que le théâtre en branla.

Alfred de Vigny appartenait à une école littéraire, naissante à cette heure, qui venait innover et transformer de fond en comble la littérature. Le classicisme dominait alors, dans les sphères officielles, comme dans le goût et l'opinion de la foule, ainsi que le prouve l'anecdote du mouchoir.

Et comment une licence de si mince importance pouvait-elle soulever un tel émoi! Ce qui nous semble aujourd'hui si peu de chose était en 1829 de la plus haute gravité.

A force de s'inspirer des modèles classiques, de s'assujettir servilement aux règles des préceptistes, et de prétendre à la majesté, à la prosopopée et à l'élégance, les lettres en étaient venues à un tel état de décadence que le naturel était considéré comme un délit, que c'était un sacrilège d'appeler les choses par leur nom et que les neuf dixièmes des mots français étaient proscrits, sous prétexte de ne profaner point la noblesse du style. Aussi le grand poète, qui fut le capitaine du Renouveau littéraire, Victor Hugo, dit-il dans les Contemplations:

«Plus de mol sénateur! plus de mot roturier!

Je fis une tempête au fond de l'encrier,

Et je mêlai parmi les ombres débordées,

Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées;

Et je dis: Pas de mot où l'idée au vol pur

Ne puisse se poser, tout humide d'azur!»

Une littérature qui, comme le classicisme du début du siècle, appauvrissait la langue, éteignait l'inspiration et se condamnait à imiter par système, était forcément incolore, artificielle et pauvre. Les romantiques qui venaient ouvrir de nouvelles voies, mettre en culture des terrains vierges, arrivaient aussi à propos qu'une pluie longtemps désirée sur la terre desséchée par les ardeurs du soleil. Quoique le public protestât et se cabrât tout d'abord, il devait finir par leur ouvrir les bras.

Il est curieux que les reproches adressés au Romantisme débutant ressemblent, comme une goutte d'eau à une autre, à celles que l'on lance aujourd'hui contre le Réalisme. Lire la critique du Romantisme faite par un Classique, c'est lire la critique du Réalisme par un Idéaliste.

D'après les Classiques, l'école romantique recherchait tout spécialement le laid, remplaçait le pathétique par le répugnant, la passion par l'instinct, fouillait les égoûts, mettait en lumière les plaies et les ulcères les plus dégoûtants, corrompait la langue et employait des termes bas et populaires. Ne dirait-on pas que l'Assommoir soit l'objet de cet anathème?

Sans s'écarter de leur route, les romantiques continuaient leur formidable révolte.

En Angleterre, Coleridge, Charles Lamb, Southey, Wordsworth, Walter-Scott, rompaient avec la tradition, dédaignaient la civilisation classique et préféraient une vieille ballade à l'Enéide, le moyen-âge à Rome.

En Italie, la renaissance du théâtre procédait du romantisme par Manzoni.

En Allemagne, véritable berceau de la littérature romantique, elle était déjà riche et triomphante.

L'Espagne, lasse de poètes subtils et académiques, tendit volontiers ses bras au Carthaginois qui venait à elle les mains pleines de trésors. Nulle part, cependant, le Romantisme ne fut aussi fécond, aussi militant et aussi brillant qu'en France. Par cette éclatante et éblouissante période littéraire seule, nos voisins méritent la légitime influence qu'il n'est pas possible de leur dénier et qu'ils exercent dans la littérature de l'Europe.

Magnifique expansion, riche floraison de l'esprit humain! On ne peut la comparer qu'à une autre grande époque intellectuelle: celle de la splendeur de la philosophie scolastique. Et il est à remarquer qu'elle a été bien plus courte. Quoique le Romantisme fût né après le début du XIXe siècle, un grand critique, Sainte-Beuve, parla de lui, en 1848, comme d'une chose finie et morte, déclarant que le monde appartenait déjà à d'autres idées, à d'autres sentiments, à d'autres générations. Ce fut un éclair de poésie, de beauté et de lumineuse clarté, auquel on peut appliquer la strophe de Nuñez de Arce:

¡Que espontaneo y feliz renacimento!

Que pléyada de artistas y escritores!

En la luz, en las ondas, en el viento

Hallaba inspiracion el pensamiento,

Gloria el soldado y el pintor colores.


Quelle renaissance heureuse et spontanée!

Quelle pléiade d'artistes et d'écrivains!

Dans la lumière, dans les flots, dans le vent,

La pensée trouvait des inspirations,

Le soldat de la gloire et le peintre des couleurs[1].

Un membre de la phalange française, Dovalle, tué en duel à l'âge de vingt-deux ans, conseillait ainsi le poète romantique:

Brûlant d'amour, palpitant d'harmonie,

Jeune, laissant gémir tes vers brûlants,

Libre, fougueux, demande à ton génie

Des chants nouveaux, hardis, indépendants!

Du feu sacré si le ciel est avare,

Va les ravir d'un vol audacieux;

Vole, jeune homme ... Oui, souviens-toi d'Icare:

Il est tombé; mais il a vu les cieux!

Bien que nous distinguions dans le mouvement romantique français quelques-uns de ses représentants qui, comme Alfred de Musset et Balzac, ne lui appartiennent pas complètement, et sont à la rigueur les hommes d'une école différente, il lui reste une telle quantité de noms fameux qu'elle suffirait à faire la gloire, non pas seulement de quelques lustres, mais de deux siècles. Châteaubriand,—dédaigné aujourd'hui plus que de juste;—le doux et harmonieux Lamartine; George Sand; Théophile Gautier, d'une forme si parfaite; Victor Hugo, colosse qui se maintient encore sur pied; Augustin Thierry, le premier des historiens artistes, y suffiraient, sans compter les nombreux écrivains, secondaires peut-être, mais de valeur indiscutable, qui sont la preuve évidente de la fécondité d'une époque et qui pullulèrent dans le Romantisme français: Vigny, Mérimée, Gérard de Nerval, Nodier, Dumas, et, enfin, une troupe de douces et courageuses poétesses, de poètes et de conteurs dont il serait prolixe de citer les noms.

Théâtre, poésie, roman, histoire, tout fut créé, régénéré et agrandi par l'école romantique.

Nous gens d'au-delà les Pyrénées, satellites de la France,—malgré que nous en ayons,—nous nous rappelons aussi l'époque romantique comme une date glorieuse. Nous en ressentons encore l'influence et longtemps encore nous resterons à nous en affranchir.

Le romantisme nous donna Zorrilla qui fut comme le rossignol de notre aurore, en même temps que le mélancolique ver luisant de notre crépuscule. Mystiques arpèges, notes de guzla, sérénades moresques, terribles légendes chrétiennes, la poésie du passé, l'opulence des formes nouvelles, le poète castillan exprima tout avec une veine si inépuisable, avec une versification si sonore, une musique si délicieuse et que l'on entendait pour la première fois, que même aujourd'hui ... alors qu'elle est si lointaine! il semble que sa douceur nous résonne encore dans l'âme.

À côté de lui, Espronceda dresse son front hyronien; et le soldat poète Garcia Gutierrez cueille des lauriers prématurés qu'Hartzenbusch seul lui dispute. Le duc de Rivas satisfait aux exigenceshistorico-pittoresques dans ses romances. Larra, plus romantique dans la vie que dans ses œuvres, avec un humorisme piquant, avec une ironie badine, indique que la transition de la période romantique à la période réaliste.

Bien avant que cette transition commençât à s'accomplir.—quoique déterminée par la révolution littéraire française, la nôtre eut une originalité propre. Il ne nous manqua aucune note. Avec le temps, si nous ne possédâmes pas un Heine et un Alfred de Musset, il nous naquit un Campoamor et un Becquer.

Mais le théâtre du combat décisif, il importe de le répéter, ce fut la France.

Là, il y eut attaque impétueuse de la part des dissidents, résistance tenace de la part des conservateurs.

Baour-Lormian, dans une comédie intitulée Le classique et le romantique, établit la synonymie: classiques et gens de bien, romantiques et canailles. Suivant ses traces, sept écrivains d'un classicisme absolutiste remirent à Charles X une adresse dans laquelle ils le suppliaient d'exclure toute poésie contaminée de Romantisme du Théâtre-Français. Le roi répondit avec beaucoup d'esprit à cette demande qu'en matière de poésie dramatique il n'avait que l'autorité d'un spectateur et au théâtre d'autre rang que sa place au parterre.

A leur tour, les Romantiques provoquaient la lutte, défiaient l'ennemi et se montraient insociables et séditieux autant qu'il était possible. Us riaient à se démancher la mâchoire des trois unités d'Aristote; ils envoyaient promener les préceptes d'Horace et de Boileau,—sans s'apercevoir que beaucoup d'entre eux sont des vérités évidentes dictées par une logique inflexible et que le préceptiste ne put les inventer pas plus qu'aucun mathématicien n'invente les axiomes fondamentaux qui sont les premiers principes de la science. Ils s'amusaient à mystifier les critiques qui leur étaient hostiles, comme le fit ingénieusement Charles Nodier.

Cet élégant conteur qui était un savant philologue publia une œuvre intitulée Smarra. Les critiques, la prenant pour un enfant du Romantisme, la censurèrent avec amertume. Quelle ne dut pas être leur surprise en s'apercevant que Smarra se composait de passages traduits d'Homère, de Virgile, d'Horace, de Théocrite, de Catulle, de Lucien, de Dante, de Shakespeare et de Milton.

Jusque dans les détails du costume, les romantiques voulaient manifester de l'indépendance et de l'originalité; l'extravagance ne les effrayait point. Les chevelures de ce temps-là sont proverbiales, caractéristiques. Le costume avec lequel Théophile Gautier assista à la première d'Hernani est fameux. Le costume en question se composait d'un gilet de satin cerise, très collant, comme un justaucorps, d'un pantalon vert d'eau très pâle avec une bande noire, d'un habit noir à revers de velours, d'un pardessus gris doublé de satin vert et d'un ruban de moire autour du cou, sans que ni cravate ni col blanc se laissassent apercevoir. Pareil costume, choisi tout exprès pour choquer les bourgeois paisibles et les classiques atterrés, produisit presque autant d'émotion que le drame.

Le Romantisme ne s'arrêtait pas à la littérature: il s'élevait jusqu'aux mœurs. C'est un de ses signes particuliers d'avoir mis à la mode certains détails, certaines physionomies, les demoiselles pâles et bouclées, les héros désespérés, et, comme terme final, l'orgie et le cimetière.

L'idée que l'on avait de l'écrivain changea du tout au tout: à d'autres époques, c'était en général un homme inoffensif, paisible, menant une vie studieuse et retirée. Après l'avènement du Romantisme, ce devint un libertin misanthrope que les muses tourmentaient au lieu de le consoler et qui ne marchait, ne mangeait et ne se conduisait en rien comme le reste du genre humain, toujours entouré d'aventures, de passions, de tristesses profondes et mystérieuses.

Tout n'était pas fictif dans le type romantique. La preuve en est dans la vie hasardeuse de Byron, dans la satiété précoce d'Alfred de Musset, dans la folie et le suicide de Gérard de Nerval, dans les étranges fortunes de George Sand, dans les passions volcaniques et la fin tragique de Larra, dans les incartades et les ardeurs de Espronceda.

Il n'est pas de vin qui ne monte à la tête, si l'on en boit avec excès, et l'ambroisie romantique fut trop enivrante, pour ne pas troubler le cerveau de tous ceux qui la goûtaient dans la coupe divine de l'Art.

Temps héroïques de la littérature moderne! L'aveugle intolérance pourra seule méconnaître leur valeur et les considérer uniquement comme une préparation à l'âge réaliste qui commence. Et cependant, quand il appela à la vie artistique le beau et le laid indistinctement, quand il accorda à tous les mots leurs lettres de naturalisation dans les domaines de la poésie, le Romantisme servit la cause de la réalité. Victor Hugo protesta en vain, déclarant que des abîmes infranchissables séparent la réalité dans l'art de la réalité dans la nature. Cette restriction calculée n'empêchera pas que le Réalisme contemporain, et même le pur Naturalisme, se fondent et s'appuient sur des principes proclamés par l'école Romantique.

[1] Gritos del combate: A la muerte de D. Antonio Rios Rosas, p. 135.

Le Naturalisme

Подняться наверх