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Intensité et brièveté de l'existence du Romantisme.—La littérature nouvelle.—Le calme dans les esprits.—Vie bourgeoise des écrivains nouveaux.—La tendance réaliste.—La génération romantique: Victor Hugo.—Réalisme anglais et espagnol.—La tendance des nationalités.—Le roman est par excellence la forme littéraire nouvelle.

En étudiant le Romantisme et en fixant sur lui un regard impartial, l'on voit clairement que Sainte-Beuve avait raison. Son existence fut aussi courte qu'intense et brillante. Depuis le milieu du siècle, il est mort, en laissant une nombreuse descendance.

La fin de la période romantique n'est pas due à la résurrection du Classicisme anémique et antiquaille d'autrefois.

Il n'y a pas de restauration de ce genre dans le domaine intellectuel. L'intelligence humaine n'est pas un panier qui se vide quand il est trop plein et où l'on met dessus ce qui était dessous, comme on peut le dire des modes.

Madame de Staël avait raison d'affirmer que ni l'Art ni la Nature ne récidivent avec une précision mathématique.

Seul, ce qui survit à la critique, ce qui passe à travers son fin tamis, se reproduit et revit: ainsi du Classicisme. Il renaît aujourd'hui les choses réellement bonnes et belles qu'il y eut en lui, ou qui pour le moins, si elles ne sont ni bonnes ni belles, sont en harmonie avec les exigences de l'époque présente et de l'esprit littéraire du jour.

Il en arrive de même pour le Romantisme. Il survit de lui tout ce qui mérite de survivre, tandis que les exagérations, les égarements et les folies passèrent comme un torrent de lave, qui embrasa le sol et laisse derrière lui d'inutiles scories.

Une littérature nouvelle, qui n'est ni classique ni romantique, mais qui tire son origine des deux écoles et tend à les équilibrer dans une juste proportion, s'empare de la seconde moitié du XIXe siècle et peu à peu la domine. Sa formule n'est pas un éclectisme qui se borne à emboîter des têtes romantiques sur des troncs classiques: ce n'est pas un syncrétisme qui mêle, comme des légumes dans un potage, les éléments des deux doctrines rivales. C'est un produit naturel comme le fils, en qui s'unissent en une seule substance le sang paternel et le sang maternel, donnant pour résultat un individu doté d'une spontanéité et d'une vie propres.

Il me semble oiseux d'insister sur cette démonstration de ce qui ne peut même pas se discuter, c'est-à-dire, qu'il existe des formes littéraires nouvelles, et que les anciennes sont en décadence et s'éteignent peu à peu. Ce serait une étude curieuse que celle de la diminution graduelle de l'influence romantique, et dans les lettres, et dans les mœurs.

Sans déchirer le voile qui couvre la vie privée, je crois facile de mettre en relief le changement notable qu'ont éprouvé les mœurs littéraires et l'état d'esprit des écrivains.

Voici quelques années, l'effervescence des cerveaux se calma, cette irritabilité maladive, ce subjectivisme qui tourmentaient tant Byron ou Espronceda s'apaisèrent, et nous entrons dans une période de sérénité et de calme plus grand.

Nos écrivains illustres, nos poëtes contemporains vivent comme le reste des mortels; leurs passions, si tant est qu'ils en éprouvent, demeurent cachées au fond de leur âme et ne débordent ni dans leurs livres ni dans leurs vers. Le suicide perd prestige à leurs yeux, et ils ne le demandent ni à l'excès des plaisirs désordonnés ni à aucune fiole de poison, ni à aucune arme mortelle. Par leurs vêtements, leur langage et leur conduite, ils sont semblables au premier venu, et celui qui rencontrerait dans la rue Nuñez de Arce ou Campoamor sans les connaître, dirait qu'il a vu deux messieurs de bonne mine, l'un tout blanc, l'autre un peu pâle, qui n'ont rien de saillant. Tout Paris connaît l'existence bourgeoise et méthodique de Zola, tout entier à sa famille, et si ce n'était toujours commettre une indiscrétion que de découvrir les choses intimes du foyer, si innocentes soient-elles, j'ajouterais sur ce point, au nom du romancier français, celui de quelques écrivains espagnols fort connus[1].

Cela ne veut pas dire que l'on en ait fini avec la tristesse vague, la contemplation mélancolique, le désir de choses autres que celles que nous offre la réalité tangible, le mécontentement, la soif de l'âme et les autres maladies qui n'atteignent que les esprits élevés et puissants, ou tendres et délicats. Ah, certes non! Cette poésie intérieure n'est pas tarie. Ce qui est proscrit, c'en est la manifestation importune, affectée et systématique. Les rêveurs agissent aujourd'hui comme ces moines et ces religieuses qui, en s'acquittant des besognes culinaires ou en balayant le cloître, savaient fort bien absorber en Dieu leurs pensées, sans qu'il parût extérieurement que leur attention fût tout entière à autre chose qu'au pot-au-feu et au balai.

Notre temps n'est pas aussi positif que l'assurent des gens qui le regardent de haut. Il n'y a pas de siècles où la nature humaine se change totalement et où l'homme enferme à double tour quelques-unes de ses facultés, en se servant seulement de celles qu'il lui plaît de laisser dehors.

La différence consiste en ce que le Romantisme eut des rites auxquels, à cette heure, nul ne se soumettrait, sans en rire lui-même aux éclats. Si à la Première du drame le plus discuté d'Echegaray, quelqu'un se présentait avec l'extravagant costume de Théophile Gautier à Hernani, il se pourrait faire qu'on l'envoyât dans un cabanon.

Fort bien! si le Romantisme est mort et si le Classicisme n'a pas ressuscité, c'est sans doute que la littérature contemporaine a trouvé de nouveaux moules, qui lui sont plus proportionnés ou plus amples. Je crois qu'il est à cette heure difficile de juger ces moules. Il est indubitablement beaucoup trop tôt. Nous ne sommes pas encore la postérité, et peut-être ne réussirions-nous pas à nous montrer impartiaux et sagaces.

Il est seulement permis d'indiquer qu'une tendance générale, la tendance réaliste, s'impose aux lettres, ici contrariée, parce qu'il existe encore un esprit romantique; là accentuée par le Naturalisme, qui est sa note la plus aiguë, mais partout vigoureuse et partout dominante, comme le prouve l'examen de la production littéraire en Europe.

De la génération romantique française, il ne reste plus debout que Victor Hugo, matériellement, puisqu'il vit; moralement, il y a beau temps qu'on ne le compte plus. On ne peut lire avec plaisir ses dernières œuvres, pas même avec patience, et les auteurs français dont la célébrité traverse les Pyrénées et les Alpes et se répand dans tout le monde civilisé, sont des réalistes et des naturalistes.

L'Angleterre a vu tomber un à un les colosses de sa période romantique, Byron, Southey, Walter-Scott, et une phalange réaliste d'un rare talent les remplacer: Dickens, qui se promenait des jours entiers dans les rues de Londres, notant sur son carnet ce qu'il entendait, ce qu'il voyait, les détails et les banalités de la vie quotidienne; Thackeray qui continua les vigoureuses peintures de Fielding; et enfin, pour couronner cette renaissance du génie national, Tennyson le poète du home, le chantre des mœurs simples et calmes de la famille, le chantre de la vie domestique et du paysage tranquille.

L'Espagne ... qui doute que l'Espagne, elle aussi, ne tende, peut-être pas aussi résolument que l'Angleterre, du moins avec assez de force, à recouvrer en littérature son naturel originel et original, plutôt réaliste qu'autre chose? Voici quelque temps qu'il s'est établi des courants de purisme et d'archaïsme qui, s'ils ne débordent point, seront très utiles et nous mettront en relation et en contact avec nos classiques, pour que nous ne perdions point le goût et la saveur de Cervantès, de Hurtado[2] et de sainte Thérèse.

Les écrivains délicats et un tantinet maniérés, comme Valera, et aussi ceux qui écrivent librement, ex toto corde, comme Galdos, époussettent, dérouillent et mettent en circulation des phrases surannées, mais précises, utiles et belles.

Ce n'est pas uniquement la forme, le style qui devient chaque jour plus national chez les bons écrivains, c'est le fond et l'esprit de leurs productions. Galdos, avec les admirables Episodes et les Romans contemporains, Valera avec ses élégants romans andalous, Pereda avec ses frais récits montagnards, mènent à terme une restauration, retracent notre vie psychologique, historique, régionale. Ils écrivent le poème de l'Espagne moderne. Alarcon même, le romancier qui conserve le plus les traditions romantiques, place en première ligne parmi ses œuvres un précieux caprice de Goya, un conte espagnol à tous crins, le Tricorne. La patrie se réconcilie avec elle-même par l'intermédiaire des lettres.

En résumé, la littérature de la seconde moitié du XIXe siècle, abondante, variée et complexe, présente des traits caractéristiques. Portrait de la société, nourrie de faits, positive, scientifique, basée sur l'observation de l'individu et de la société, elle professe le culte de la forme artistique et le pratique à la fois, non plus avec la sereine simplicité classique, avec abondance et avec recherche. Si elle est réaliste et naturaliste, elle est aussi raffinée, et comme aucun détail ne demeure caché à sa perspicacité analytique, elle les traduit prolixement, polit et cisèle le style.

On y remarque une certaine renaissance des nationalités, qui pousse chaque peuple à diriger ses regards vers le passé, à étudier ses écrivains illustres et à chercher chez vous ce parfum particulier et inexplicable, qui est à la littérature d'un pays ce que sont à ce même pays son ciel, son climat, son sol. En même temps, l'on observe le phénomène de l'imitation littéraire, l'influence réciproque des nationalités, phénomène qui n'est ni nouveau, ni surprenant, bien que par excès de patriotisme, quelques-uns le condamnent avec une sévérité irréfléchie.

L'imitation entre nations n'est pas un fait extraordinaire, ni si humiliant pour la nation qui imite qu'on a coutume de le dire. Laissons de côté les Latins qui ont calqué les Grecs: nous, nous avons imité les poëtes italiens; à son tour la France imita notre théâtre, notre roman. Un de ses auteurs les plus célèbres, admiré par Walter-Scott, Le Sage, écrivit le Gil Blas, le Bachelier de Salamanque, et le Diable Boîteux, en suivant les traces de nos écrivains picaresques. Dans la période romantique, l'Allemagne fut l'inspiratrice des Français qui à leur tour influencèrent notablement Heine, et cela se passa de telle sorte que si chaque nation devait restituer ce que lui prêtèrent les autres, toutes demeureraient sinon ruinées, au moins appauvries.

A propos d'imitation, Alfred de Musset disait avec sa grâce accoutumée:

Byron, me direz-vous, m'a servi de modèle,

Vous ne savez donc pas qu'il imitait Pulci?

Lisez les Italiens, vous verrez s'il les vole.

Rien n'appartient à rien, tout appartient à tous.

Il faut être ignorant comme un maître d'école

Pour se flatter de dire une seule parole

Que personne ici-bas n'ait su dire avant vous.

C'est imiter quelqu'un que de planter des choux.

L'évolution,—le mot ne me satisfait pas, mais je n'en ai pas de meilleur,—l'évolution qui s'accomplit dans la littérature actuelle et laisse en arrière le Classicisme et le Romantisme, transforme tous les genres.

La poésie se modifie, admet comme élément de beauté la réalité vulgaire. On le prouve aisément par le seul nom de Campoamor. L'histoire s'appuie chaque jour davantage sur la science et sur la connaissance analytique des sociétés. La critique a cessé d'être une magistrature et un pontificat, pour se changer en études et en observations incessantes. Le théâtre même, dernier refuge de la convention artistique, entr'ouvre ses portes, sinon à la vérité, du moins à la vraisemblance réclamée à grands cris par le public qui, s'il accepte et applaudit des bouffonneries, des féeries, des pantomimes et jusqu'à des fantoches comme simple passe-temps ou comme distraction des sens, dès qu'il voit une œuvre scénique prétendre pénétrer sur le terrain du sentiment et de l'intelligence, ne lui donne plus si facilement un passe-port.

C'est dans le roman que la réalité s'installe plus victorieusement, qu'elle est comme chez elle. Ce genre favori de notre siècle se substitue aux autres, adopte toutes les formes, se plie à tous les besoins intellectuels, justifie son titre d'épopée moderne.

Il est temps de nous attacher au roman, puisque c'est là que se produit le mouvement réaliste et naturaliste avec une rapidité extraordinaire.

[1] M. Perez Galdos est évidemment de ceux-là. (Trad.)

[2] Diego Hurtado de Mendoza, auteur de Lazarillo de Tormès et de la Guèrre de Grenade.

Le Naturalisme

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