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UN CAUSEUR D'AUTREFOIS

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L'un de vos amis, me disait Laverdière, quelque littérateur à imagination brillante, écrira sans doute merveilles sur "Québec en l'an 2,000". Que prouvera son succès? Pour l'avoir traité avec un éclatant mérite, ce sujet en demeurera-t-il moins léger, capricieux, fantaisiste? Il me rappelle, par sa facilité d'exécution, ces dentelles amusantes, ces broderies au crochet, que l'on peut, à loisir, commencer, continuer, abandonner, reprendre ou terminer sans compter les mailles ou les points, ni même regarder aux dessins du patron.

C'est le genre préféré des talents faciles et paresseux. Pas d'études pour ceux-là, pas de recherches ardues, pas de contraintes historiques ou d'obstacles d'archéologie; il leur suffit de s'abandonner à la dérive, à la grâce du style et de l'imagination, au fil de la plume... le fil de l'eau, l'aval de la rivière. Et le tour est fait.

Mais, pour les vaillants du travail intellectuel, pour les archivistes, les chroniqueurs, les historiens, pour ceux-là qui remontent les rapides à la perche, refoulent les courants à coups d'aviron, font les portages longs et pénibles, reprennent enfin les explorations d'avant-garde hardiment risqués par les pionniers de la civilisation chrétienne, sur une route encore lumineuse, après trois cents ans, du passage de la gloire catholique française,--pour ceux-là, ce n'est pas le Québec chimérique et fantaisiste du vingtième siècle qu'ils cherchent, mais le Québec des âges héroïques, celui du 31 Décembre 1775, ou celui du 13 Septembre 1759; le Québec provoquant et fier du 16 Octobre 1690, ou le Québec affolé des nuits d'Octobre 1660; le Québec puritain du 20 Juillet 1629, avec le drapeau anglais flottant aux tourelles du Château St. Louis, ou le Kébec Fondé du 3 juillet 1608, le Kébecq se Samuel de Champlain, ou bien encore, ou bien enfin le Stadaconé de Donnacona, la sauvage et primitive capitale d'un royaume barbare, la bourgade algonquine, l'amas de cabanes indiennes blotties, come des poussins, sous une aile d'oiseau, 4 le Canada5 de Jacques Cartier, l'immortel découvreur de notre beau pays, aperçut, au matin du 14 septembre 1535, à sept demi-siècles de notre époque.

Note 4: "Suivant M. Richer Laflèche, ancien missionnaire (l'évêque actuel du diocèse des Trois-Rivières) Stadaconé dans la langue des Sauteurs signifie aile. La pointe de Québec ressemble par sa forme à une aile d'oiseau." Ferland, Histoire du Canada, Tome Ier, page 90.

Note 5: "Ils (les sauvages) appellent une ville: Canada". Voyage de Jacques Cartier 1535-36, verso du feuillet 48.

Ces retours au passé historique du Canada ne sont pas seulement un plaisir de l'esprit, un exercice de la mémoire, une satisfaction d'orgueil national, ils demeurent encore la préoccupation continue des âmes grandes, des coeurs bien nés dans la poitrine à la hauteur des faveurs reçues, et qui se font un devoir sacré, une religion sévère de leur souvenir; dans la crainte que les aïeux, que les ancêtres ne soient hélas! pour l'avenir, contraints de compléter la mesure de leurs inestimables bienfaits en en pardonnant l'ingratitude.

C'était le maître-ès-arts, Charles Honoré Laverdière qui me parlait ainsi, à Québec, la nuit du vingt-quatre Décembre, mil-huit-cent-quatre-vingt-cinq. Il pouvait être onze heures et demie du soir; conséquemment, pour parler le langage moderne, le style rapide du chemin de fer, nous n'étions plus qu'à trente minutes de Noël;--trente minutes, un temps égal à la distance qui nous séparait tous deux de la ville où nous allions rentrer.

Aussi fallait-il marcher très vite pour arriver à Notre-Dame au temps de la Messe de Minuit. Car nous étions encore loin, très loin même sur la route, la Grande Allée, la rue fashionable par excellence du quartier à la mode de notre actuelle cité, l'antique chemin du Cap Rouge, trois fois centenaire comme la mémoire de Jacques Cartier. L'incomparable beauté de la nuit, le besoin d'être seul, de penser librement, longuement, l'idée et la raison d'un livre m'avaient engagé à refaire une fois de plus, et certes sans regrets, la fascinante promenade du belvédère.

Or, Laverdière était mort le 11 mars 1873. Rien, comme la date précise de son décès et le quantième de son enterrement, n'était plus facile à relever dans les régistres de l'état civil. Je dis bien aux régistres de l'état civil, car, dans la chapelle du Séminaire des Missions Etrangères6, où le saint prêtre dormait enterré depuis douze ans, il n'y avait point de mausolée, de marbre funéraire, pas même une épitaphe gravée à son nom, qui rappelât à la mémoire distraite des vivants ce mort enseveli sous le parvis du sanctuaire. En cela, il n'était pas plus maltraité par l'ingratitude des hommes que son frère illustre d'études et de sacerdoce, Jean-Baptiste Antoine Ferland, couché, aussi lui, quelque part sous le choeur de Notre-Dame de Québec, moins oublié même que Messieurs de Frontenac, de Callières, de Vaudreuil, de la Jonquière 7, quatre des plus fameux gouverneurs de notre Canada Français, obscurément enfouis à la Basilique, sous je ne sais plus quelle chapelle latérale 8.

Note 6: Nous avons pris habitude d'appeler Séminaire de Québec, le Séminaire des Missions Etrangères à Québec.

Note 7: Ce fut en septembre 1796, que les cendres du comte de Frontenac, du chevalier de Callières, du marquis de Vaudreuil et du marquis de la Jonquière, furent transportées de l'Église incendiée des Récollets à la Cathédrale de Québec.

On agita l'idée d'élever dans la cathédrale un modeste marbre funéraire à chacun de ces grands noms et de ces grands chefs de notre race. La chose fut mis à l'étude, et ce bel et si bien, que quatre-vingt trois ans après la translation de ces ossements tout est encore à faire! Frontenac, Callières, Vaudreuil, La Jonquière dorment dans la ville qui a été le siège de leur gouvernement sans avoir même une épitaphe pour rappeler aux vivants où ils sont, et ce qu'ils étaient! Il est vrai que Champlain, le fondateur de notre ville, n'a pas encore de monument et que le chevalier de Mésy, autre gouverneur de la Nouvelle France, gît ignoré dans le cimetière des pauvres de l'Hôtel-Dieu de Québec!

Faucher de Saint Maurice--Relation des Fouilles faites au Collège des Jésuites, page 11.

Note 8: Très probablement la chapelle Notre-Dame de Pitié. L'Histoire du Canada par Smith, publiée à Québec en 1815, nous a conservé les inscriptions gravées sur les cercueils de ces quatre Gouverneurs de la Nouvelle France. Les voici:

I. M. DE FRONTENAC.--Cy gyt le Haut et Puissant Seigneur Louis de Buade, Comte de Frontenac, Gouverneur Général de la Nouvelle France, mort à Québec, le 28 Novembre 1698.

II. M. DE CALLIÈRES.--Cy gyst Haut et puissant Seigneur Hector de Callières, Chevalier de Saint-Louis, Gouverneur et Lieutenant Général de la Nouvelle France, décédé le 26 mai 1703.

III. M. DE VAUDREUIL.--Cy gist haut et puissant Seigneur Messire Philippe Rigaud, Marquis de Vaudreuil, Grand Croix de l'ordre militaire de Saint Louis, Gouverneur et Lieutenant Général de toute la Nouvelle France, décédé le dixième octobre 1525.

IV. M. DE LA JONQUIÈRE.--Cy repose le corps de Messire Jacques Pierre de Taffeneil, Marquis de la Jonquière, Baron de Castelnau, Seigneur de Hardaramagnas et autres lieux, Commandeur de l'ordre royal et militaire de Saint Louis, Chef d'Escadre des armées Navales, Gouverneur et Lieutenant Général pour le Roy en toute la Nouvelle France, terres et passes de la Louisiane. Décédé à Québec le 17 may 1752, à six heures et demie du soir, âgé de 67 ans.

En vérité j'aurais dû me rappeler que Laverdière était mort, et mort depuis douze ans, quand son fantôme m'adressa la parole, la nuit de Noël 1885. Quels motifs occultes, quelles raisons majeures, quelles urgences surnaturelles amenaient donc sur ma route ce revenant d'outre-tombe? Pourquoi, comment, et depuis quand Laverdière était-il là? Encore aujourd'hui ma mémoire ne donne à ces questions rétrospectives que de flottantes et tardives réponses. Par contre, ce dont je me souviens parfaitement est qu'il m'apparut si brusquement et me reconnut si vite, que, dans la joie première de notre mutuelle surprise, cette pensée de lui demander d'où il venait me manqua absolument.

Ce mot joie en étonnera plusieurs. Et cependant, je le dis sans vantardise, l'idée même d'avoir peur ne me vint pas, non par excès de courage, mais pour cette autre raison non moins singulière et rare que j'oubliai de me rappeler... que Laverdière était mort! Je n'ai pas encore eu de pire distraction.

La présence quotidienne de sa photographie, la lecture de ses oeuvres, l'habitude constante de les étudier, une discussion historique toute récente, où l'on avait longtemps et bien parlé de lui, m'avaient sans doute, et à mon insu, préparé doucement à cette rencontre, terrifiante é tous égards, mais qui, dans l'état actuel de mon esprit, me parut alors aussi naturelle que fortuite. Comme les organes corporels, les facultés de l'âme ont leurs torpeurs; torpeurs partielles et temporaires, si l'on veut, de la capricieuse mémoire, mais suffisantes cependant, et de mesure à expliquer autant qu'à produire ce bizarre phénomène cérébral.

Rien de fantastique d'ailleurs ne trahissait la présence du revenant chez le prêtre archéologue: ni le vêtement flottant sur la charpente du squelette, ni la démarche solennelle de silence glacial eu de sinistre gravité, ni l'accent sépulcral de la voix creuse, ni la pâleur jaunâtre du visage. Le vent ne faisait pas osciller son fantôme et les lumières oranges du gaz, ou les rayons bleu-acier des lampes électriques n'en traversaient pas le spectre à la manière du jour pénétrant une vitre, mais projetaient, au contraire sur la blancheur immaculée de la neige, l'ombre intense de son corps palpable.

Devinez d'où je viens? me dit-il Je lui avouai que je ne devenais pas du tout.

Je suis allé à Sillery, voir le monument que les citoyens de cette localité ont élevé à la mémoire du fondateur de leur paroisse9 et au premier missionnaire10 de la Nouvelle-France.11

Puis Laverdière me raconta le détail attachant de cette découverte historique dont il avait partagé l'honneur avec son frère d'études et de sacerdoce, l'abbé Raymond Casgrain.

De celle-ci il passa à une autre, puis à une autre, et de cette autre à une quatrième, toujours en remontant à travers les dates,--de Brûlart de Sillery, Commandeur de l'Ordre de Malte, au Chevalier de St. Jean de Jérusalem Charles Huault de Montmagny;--de Montmagny, à Brasdefer de Chasteaufort12;--de Chasteaufort, à Samuel de Champlain; de Champlain, à M. De Monts;--de M. De Monts, à M. De Chates;--De M. de Chates, à Chauvin;--de Chauvin, au marquis de la Roche;--du Marquis de la Roche, à Roberval;--de Roberval, à Jacques Cartier;--de Jacques Cartier au florentin Jean Verrazzano.

Note 9: Noël Brûlart de Sillery, fondateur de la résidence de Saint Joseph. Il a donné son nom à la paroisse actuelle de Sillery.

Note 10: Ennemond Massé, premier missionnaire jésuite au Canada.

Note 11: Ce fut à son voyage de 1524, que Jean Verrazzano, florentin au service de François Ier, prit possession du Canada au nom du Roi et lui donna, le premier, le nom de Nouvelle France.--Relation abrégée de quelques missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle France par Bressani--annotée par le Père Martin.--Appendice, page 295.

Note 12: Marc Antoine Brasdefer de Chasteaufort, administrateur jusqu'au 11 Juin 1636.

Aux clartés rayonnantes de cette intelligence d'élite, ces grands personnages de l'histoire Canadienne Primitive apparaissaient comme des acteurs rentrés tout à coup en scène et jouant, sur le théâtre même de leurs fameux exploits, les premiers rôles comme les premiers actes de notre héroïque épopée. Seulement, ils avaient tous la voix, l'harmonieuse voix de Laverdière; ce qui, selon moi, ne gâtait en rien l'expression de leurs sentiments les plus nobles et de leurs plus fières pensées.

Contraste étonnant! Plus l'évènement était vieux, plus il s'en allait à la dérive, au recul de cette irrésistible entraînement que nous appelons le passé--l'irrévocable Passé--et mieux la vaillante mémoire de l'archéologue historien l'arrêtait dans sa fuite lointaine, le fixait éclatant de sa propre lumière, le rajeunissait d'actualité, le sculptait, enfin en reliefs inoubliables sur l'épaisseur des ses propres ténèbres.

Laverdière s'arrêtait longuement, avec une complaisance d'artiste, à regarder ainsi passer devant lui les plus humbles figurants de notre belle patrie. Il les faisait à plaisir défiler sous mon regard en une procession interminable.

Ce ne sont que des figurants, me disait-il mais mon cher, quels figurants! Que serait devenue sans eux l'action même des premiers rôles? Qui l'aurait appuyée dans l'histoire, non pas cinq actes durant, comme au théâtre, mais pendant toute une vie d'homme? Qui l'aurait maintenue cent cinquante ans, solennelle et dramatique, au prix de silencieux dt pénibles travaux, d'obéissances obscures, fidèles, passives?

Vous méprisez les figurants! De toute évidence vous avez le préjugé des auditoires modernes et vous croyez que les applaudissements frénétiques, les ovations délirantes valent mieux pour le succès d'une pièce, que le travail caché des machinistes ou la voix discrète du souffleur. Rappelez-vous, ami, qu'ici, au Canada, nous avons donné une tragédie devant une salle vide, sans auditoire, c'est-à-dire sans témoins. Nous avons joué pour l'art, comme nous nous sommes battus pour la gloire, à la française. Une bonne manière, croyez-m'en! N'en cherchez pas de meilleure. Donc, pour l'Histoire qui n'assistait pas à cette représentation dramatique, il faut nommer tous les personnages en scène, figurants comme premiers rôles.

Aussi ne me parlait-il pas de Jacques Cartier, mais des compagnons de Jacques Cartier; et, sans une seule hésitation des lèvres du de la mémoire, il ne récitait, avec la volubilité du petit écolier qui apprend par coeur seulement, les soixante quatorze noms de marins inscrits à St. Malo, sur le rôle d'équipage, le trente-unième jour de Mars 1535.

Il ne me disait rien de Samuel de Champlain, mais causait avec un attachant intérêt d'Étienne Brûlé, de Champigny, de Nicolas Marsolet, de Rouen, le petit roi de Tadoussac, de Jean Nicollet, de François Marguerie, de Jean Godefroy, de Normanville, de Jacques Hertel, de Fécamp, de Jean Amyot, de Guillaume Cousture, tos interprètes du Fondateur de Québec,13 et qui lui avaient rendu l'inestimable service d'apprendre pour lui la lettre et l'esprit des langues sauvages.

Note 13: Benjamin Sulte: Histoire des Canadiens-Français--Tome Ier, page 149. Ferland: Histoire du Canada--Tome Ier, page 275.

A quoi bon, disait-il, vous parler de Jacques Cartier, de Samuel Champlain? Vous en savez suffisamment pour garder à leur mémoire un culte d'éternelle reconnaissance. Mais leurs obscurs compagnons d'armes et de vaisseaux, leurs frères de courages surhumains et d'héroïques misères ne méritent-ils pas eux, l'aumône d'un souvenir?

Croiriez-vous par exemple, que les missionnaires Jésuites aient seuls en ce pays donné des martyrs au Christ? Ignorance coupable qui ne rend pas justice à tous les témoins du Divin Maître! Ce n'est pas amoindrir la gloire immortelle de Brébeuf, de Lalemant, de Jogues, que d'en faire une part à Hébert, à Antoine de la Meslée, à Louys Guimont, à Pierre Rencontre, à Mathurin Franchetot,14 cinq paysans, cinq confesseurs de la Foi, cinq apôtres, qui Lui donnèrent le témoignage du sang. Cette terre vaillante du canada favorise ceux que l'aiment, et partage, entre les missionnaires qui l'évangélisent et les laboureurs qui l'ensemencent, l'honneur éternel du sacerdoce et le triomphe suprême du martyre!

Note 14: Relations des Jésuites--année 1661--pages 35 et 36.

Dites-moi, ami, croiriez-vous échapper à une accusation méritée d'ingratitude en vous rappelant seulement que Dollard des Ormeaux, le héros de Montréal, sauva la Nouvelle France en 1660?

Dollard ne mourut pas seul: ils étaient dix-sept à la tâche glorieuse; nous sommes aujourd'hui un million de Canadiens-Français pour nous en souvenir. Dix-sept! un chiffre jeune, tous des noms de jeunes gens, faciles à retenir pour des mémoires jeunes aussi, vivaces et sympathiques. Avec un peu de coeur cela devient aisé comme un jeu de l'esprit. Voyez plutôt:

Adam Dollard, sieur des Ormeaux, le chef de l'expédition, Jacques Brassier, l'armurier Jean Tavernier dit La Hochetière, le serrurier Nicolas Tillemont, Laurent Hébert dit LaRivière, le chaufournier Alonié de Lestres, Nicolas Josselin, Robert Jurée, Jacques Boisseau dit Cognac, Louis martin, Christophe Augier, Etienne Robin, Jean Valets, Réné Doussin, Jean Lecompte, Simon Grenet, François Crusson dit Pilote.15 Dites, m'avez-vous suivi? Avez-vous compté? J'ai bien mes dix-sept?

Note 15: Leurs noms, recueillis par M. Souart, curé de Ville-Marie, furent insérés, avant la fin de l'année 1660, au régistre mortuaire de la paroisse, le seul monument qui les ait conservés.

J'oubliai de lui répondre tant j'étais absorbé par la pensée accablante de ce qu'il avait fallu de temps, de travail ferme et de patient courage pour amener la Mémoire, cette grande Rebelle de l'intelligence, à un aussi merveilleux degré de souplesse et de docilité. Et devant ce miracle d'inflexible énergie, il me venait aux yeux, en regardant Laverdière, cette comparaison formidable du belluaire s'enfermant avec le tigre qu'il va dompter, qui barre la porte de la cage pour mieux enlever toute issue aux défaillances de la chair, rendre humainement impossibles la fuite ou le secours extérieur, compléter sciemment l'immense péril pour contraindre son coeur à ramasser tout son courage, préoccuper l'âme à ce point que la pensée même de la peur ne lui vienne pas au suprême élan du combat.

Laverdière continua: En justice pour tous les héros de cette expédition fameuse, il convient d'ajouter à l'immortel Palmare de notre histoire le nom de l'algonquin Metiwemeg et celui du huron Anahotaha. Car le courage est une vertu humaine universelle qui ne se reconnaît pas seulement à la couleur du sang ou à la nationalité d'un drapeau!

Laverdière dit encore: Je devrais ajouter, pour être complet, les noms de Nicolas du Val, Mathurin Soulard et Blaise Juillet, trois autres frères d'armes de Dollard qui périrent au début de l'expédition.

L'étrange mémoire que la mienne! remarqua le maître-ès-arts en se frappant le front. Ce n'est pas l'orthographe bizarre des mots ou leurs consonances singulières que la frappent, mais l'agencement, le nombre des chiffres. Ainsi, dans le cas présent, ce n'est point l'originalité de ce nom de famille Blaise Juillet qui l'émeut, l'impressionne, l'éveille, mais l'hiéroglyphe même, le profil serpenté du chiffre trois, 3, un chiffre vivant pour moi, qui se tord et se dénoue, qui remue, ondoie, frissonne, quand on le regarde fixement, comme les anneaux d'un reptile.

Vous ne sauriez imaginer quel essaim de souvenirs agréables cette pensée du chiffre trois fait lever dans mon intelligence. D'où provient ce phénomène? Je n'en sais rien. La raison comme le secret s'en rattachent peut-être à une lointaine habitude de ma jeunesse. J'avais extrême plaisir à chanter des chansons de marche. Vous savez les belles chansons de St. Joachim et vous vous rappelez sans doute avec quels élans de voix et de gaieté les disaient eux-mêmes, à l'âge d'or des vacances, Ernest Adette et Patrice Doherty.16

Note 16: Prêtres du Séminaire de Québec. Le dernier, Patrice Doherty, spirituel au superlatif, toujours gai et d'une amabilité inaltérable, était le boute-en-train de toutes les fêtes, l'âme de tous les plaisirs, la meilleure application du vers immortel du poète: Eia age, nunc salta, non ita musa diu!

L'abbé Doherty a certes bien fait d'écouter Virgile, il est mort à 34 ans!

Quand c'était mon tour je chantais tout le temps, et au couplet et au refrain. Or, vous avez dû remarquer, et cela comme malgré vous, combien de fois le chiffre trois entre en scène (si je puis m'exprimer ainsi) dans l'action ou le décor de nos chansons de marche. Ainsi par exemple:

Une fête de Noël sous Jacques Cartier

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