Читать книгу Une fête de Noël sous Jacques Cartier - Ernest Myrand - Страница 4
PRÉFACE
ОглавлениеIl y a quelques années le bibliothécaire de l'Institut Canadien de Québec, donnant son rapport à l'assemblée générale des membres de cette institution littéraire, faisait cette déclaration remarquable:
Vous me permettrez, messieurs, d'exprimer un regret; les dix-neuf vingtièmes au moins des 7,000 volumes qui ont circulé parmi nos membres durant l'année qui vient de finir (1879-80), sont des ouvrages de littérature légère. C'est un véritable événement lorsque quelqu'un demande un livre sérieux. Nous comptons pourtant sur nos rayons un beau choix d'ouvrages sur les sciences exactes, l'histoire, la philosophie, la morale, mais presque personne ne vient secouer la poussière que s'y accumule. La lecture des meilleurs ouvrages de fantaisie ne sert qu'à délasser l'esprit, elle ne saurait ni nourrir l'intelligence, ni former le coeur; c'est une simple récréation dont il ne faut pas abuser.
Quatre ans plus tard, le bibliothécaire en exercice de la même institution confirmait le diagnostic du mal signalé par son prédécesseur.
Dans le cours de la présente année, disait-il (1883-1884), la circulation de nos livres s'est élevée à plus de 8,130 volumes.
Parmi ces nouveaux livres se trouvent un certain nombre d'ouvrages sur les sciences, et, si l'on en juge par la vogue qu'ils ont obtenue, on ne saurait trio engager le bureau de direction à augmenter la partie scientifique de notre bibliothèque qui a été fort négligée jusqu'aujourd'hui. Malheureusement, la circulation de nos livres fait voir que le goût des romans n'est que trop prononcé et le meilleur moyen de combattre la propagation de ces lectures, pour le moins frivoles, serait d'offrir à nos membres des ouvrages scientifiques qui les instruisent et les intéressent. N'est-ce pas là la mission de notre Institut, mêler "l'utile à l'agréable".
De cet état de choses, alarmant pour certains esprits pessimistes plutôt que sérieux, un fait consolant se dégage. La statistique prouve avec éclat, que la jeunesse de notre ville lit. Qu'elle lise un peu légèrement, cela peut s'avouer sans trop d'alarmes, qu'elle puisse mieux lire, cela ne compromettra personne de soutenir cet avis, un peu naïf, comme toutes les vérités découvertes par La Palisse. Le mieux est toujours et partout possible. Le point essentiel existe: la jeunesse de Québec lit; elle aime passionnément à lire, et chez elle ce délassement intellectuel prime de très haut dans le choix restreint de ses amusements et de ses plaisirs. L'essentiel est obtenu, que l'essentiel demeure.
Seulement, comme les gourmands, et les gourmets, la jeunesse préfère le dessert aux entrées du repas, la friandise et le bonbon à la soupe et au bifteck. Je connais plusieurs vieux de cet avis-là. Le moyen de faire goûter à la soupe et manger le rôti ne serait pas, à mon sens, de retrancher absolument le dessert, mais plutôt de servir une soupe excellente, un rôtit parfait.
Ce procédé d'art culinaire a été merveilleusement appliqué aux tables de lecture par les vulgarisateurs modernes de la science dans les oeuvres essentiellement littéraires. Ains, pour n'en nommer que deux célèbres, Jules Verne et Camille Flammarion se sont bien gardés de proscrire ou d'anathématiser le Roman. Loin de là; c'est à la faveur, au prestige, à l'influence bien exploitée de ce tout puissant, qu'ils doivent la meilleure part de leurs succès. Ça été la suprême habileté de ces bons courtisans de flatter de la sorte le Maître Souverain de notre littérature contemporaine et, avec lui, l'innombrable légion de ses fidèles adorateurs. Car, de quelque nom que les passions contraires le signalent, qu'on l'idolâtre comme un fétiche, ou qu'on l'exècre et le fuie comme un épouvantail, il n'y a que les maladroits qui osent rencontrer de front la popularité irrésistible de l'ennemi, popularité qui saisit, écrase, emporte et jette à l'abîme l'imprudent contradicteur. On ne détrône pas impunément un tel monarque, et mieux vaut, pour l'ennemi, entrer en éclaireur qu'en guérilla dans son royaume.
Jules Verne, Flammarion n'auraient pas réussi à faire accepter leurs ouvrages par une telle universalité de lecteurs si leurs cours scientifiques déguisés en romans, n'eussent revêtu l'éclatante livrée, parlé le langage charmeur, confessé le dogme infaillible de l'Imagination, cette vérité éternelle de l'éternel Roman.
*
* *
J'en appelle au plus froid critique, le Tour du Monde en Quatre-vingt jours eût-il jamais valu à son auteur fortune et renommée, si Verne l'eût intitulé simplement: Géographie Universelle? De même, son fameux roman-trilogie: Enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieus sous les mers, l'Île mystérieuse, aurait-il jamais eu chez les liseurs cet inouï succès de vogue, si l'éditeur eût sévèrement publié une Histoire naturelle en trois volumes? Et le Voyage au centre de la Terre, n'est-il rien autre chose qu'un admirable et merveilleux Cours de Physique et de Géologie? Essayez d'écouler à la faveur de ce dernier titre, un millier seulement de copies exactes du même ouvrage, et vous m'en viendrez dire des nouvelles.
Aussi Jules Verne, ce lecteur sérieux popularisant chez les liseurs de romans les notions premières des sciences positives et les données mathématiques des arts, se garde bien de prévenir, voire même d'éveiller, au cours du récit merveilleux, l'attention de son public. Public dangereux s'il en fut jamais, excessivement difficile à retenir et à fixer, public capricieux, changeant, mobile à l'extrême, s'abattant sur un livre nouveau avec la pétulance gourmande d'une volée de moineaux, s'enlevant de même à grands bruits d'ailes et des cris colères, sitôt que l'un des rongeurs s'est écrié: "livre d'études!"
L'auteur n'approche qu'avec une prudence extrême ce volage et farouche lecteur. Comme aux petits enfants que l'on veut guérir, il ne dit pas: "Voici le remède"; mais câlinement: "Qui veut du bonbon?" Tout aussitôt le lecteur mord à l'amorce, se prend à l'hameçon et se noierait au bout de la ligne plutôt que de lâcher l'appas. A travers l'intrigue du récit, comme avec un filet à mailles inextricables, l'auteur amène doucement, doucement, mais sûrement aussi, le lecteur frivole à sa barque, c'est-à-dire, à son avis. Jules Verne éblouit, captive, capture son lecteur avec l'éclat de style, tout comme l'autre, le pêcheur de poissons, amorce sa clientèle avec des mouches à corselet d'or et à plumes rouges. Un tel lecteur une fois pris ne lui échappe... qu'au dernier chapitre. Et encore le reprendra-t-il infailliblement à son prochain roman scientifique.
Pareils ouvrages instruisent leurs lecteurs qu'ils amusent, et l'excellence de leurs résultats est par trop évidente pour être signalée. Passe-Partout, Nemo, le capitaine Grant, sont de véritables professeurs de géographie, d'histoire naturelle, de physique, déguisés grimés convenablement en héros de romans. L'intrigue même du récit n'est le plus souvent qu'une thèse scientifique, exposée, développée, soutenue, établie au cours d'une aventure imaginaire autant qu'originale et raconté en un très beau style, qui fleurit, comme un jardin de rhétorique, les plaines arides du chiffre et les solitudes austères où les savants de toutes les langues parlent le mot exact du théorème et de l'équation.
Il est souvent advenu qu'un lecteur frivole, alléché par la description brillante mais précise d'un monument, d'une ville, d'un pays, intéressé par le détail inédit, mais toujours exact, des religions, des gouvernements, des langues, des moeurs, des costumes, des industries, des arts professés par les peuples de latitudes différentes, s'en est allé compléter (en même temps que vérifier) dans les ouvrages classiques de la science, les connaissances acquises à la lecture de Jules Verne. Ses romans auront fait alors, mieux et plus vite que les pédagogues et leurs sermons, un lecteur sérieux d'un lecteur frivole et reconquis à l'amour du savoir une intelligence perdue de romanesque et d'aventure.
Alors, dans les bibliothèques publiques comme au foyer de la famille, les livres sérieux occuperont une place d'honneur et de préséance, la seule d'ailleurs qu'ils doivent tenir dans la demeure d'un homme instruit. Alors ce ne sera plus, pour parler avec à propos le langage excellent du rapporteur de l'Institut Canadien de Québec, ce ne sera plus un véritable événement quand quelqu'un demandera au conservateur d'une bibliothèque publique l'usage d'un livre sérieux.
*
* *
Ce que Jules Verne a tenté avec un éclatant succès pour l'enseignement populaire de la géographie universelle; ce que Flammarion réalise avec un triomphe é en faveur des connaissances astronomiques; ce qu'enfin la Bibliothèque des Merveilles poursuit, en vulgarisant dans les foules les sciences exactes et les arts, je crois devoir aujourd'hui l'essayer en faveur des archives de notre Histoire du Canada.
A part ce que nous avons appris de force au collège, que savons-nous de l'Histoire du Canada? Combien d'entre nous ont eu la bravoure de compléter les notions rudimentaires des Abrégés suivis en classe, par la lecture entière de Ferland ou de Garneau? Quels rares étudiants, les érudits de l'avenir, sont allés vérifier après coup, dans les archives nationales, les données mêmes de l'histoire, ont remonté le cours des faits et retrouvé les sources, analysé ces eaux de vérité où les auteurs disaient avoir puisé la science, de crainte que le Mensonge ne les eut empoisonnées d'infâmes calomnies?
Et cependant, ce ne sont pas les archives précieuses, uniques, originales, qui manquant à Québec. L'inestimable bibliothèque de l'Université Laval, vaut, elle seule, en trésors archéologiques toutes les collections particulières ou publiques du pays.
Le travail archéologique se réduit maintenant à la peine de lire.
En effet, les chercheurs bibliophiles de notre Histoire du Canada, Fribault, Jacques Viger, Laverdière, Holmes, Papineau, Sir Lafontaine, parmi les morts, les abbés Bois, Raymond Casgrain, Tanguay, Verreault, Messieurs Joseph Charles Taché, Douglas Brymner, Benjamin Sulte, James Lemoine, parmi les vivants, ont taillé toute la besogne, parachevé la tâche avant même que nous jeunes gens, fussions sortis du collège.
Le vénérable doyen de notre littérature canadienne-française, l'Honorable M. Chauveau, a publié, dans son Introduction aux Jugements et Délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle France, une nomenclature aussi complète qu'intéressante des principales archives relevées au pays depuis quarante ans, et en particulier dans la province de Québec.
Hélas! les archives de notre histoire, nos belles et glorieuses archives, imprimées sur papier de luxe avec du caractère antique, reliées à grands frais, tranchées d'or ou de carmin, continuent aujourd'hui, sur les rayons de nos bibliothèques publiques, le sommeil de mort qu'elles dormaient autrefois dans la poussière des greniers ou l'humidité des caves, alors qu'elles étaient seulement de vieux manuscrits, des parchemins racornis, des bouquins noirs et luisants, livrés à la merci des ménagères qui les utilisaient à allumer le feu. 1
Note 1: Je me rappelle que ce fut dans le fond d'une boite à bois que l'on découvrit un des volumes du Journal des Jésuites, le seul qui ait échappé au même usage. L'autre ou les autres volumes ont eu l'honneur de griller les poulets ou mêler leurs cendres vénérables aux tisons moins historiques d'une bûche d'érable ou d'un rondin de merisier!
Pour atténuer, sinon excuser, notre criminelle incurie, il convient d'ajouter qu'en France aussi bien qu'au Canada, les archéologues se plaignent amèrement de ces désastreuses négligences. Ecoutez ce qu'en dit un archiviste célèbre:
Que de précieux documents ont allumé la pipe d'un goujat! Que de nobles parchemins, au bas desquels était la signature d'un roi, ont couvert les pots de conserves de femmes de préfets, bonnes ménagères qui les faisaient prendre dans les greniers de la préfecture... Je n'en dis pas davantage et je ne nomme personne; il n'est pas besoin d'autres exemples que ceux auxquels je fais allusion, et que je connais, pour montrer que les parchemins qui ont servi à faire des gargousses, et par cela même, à faire de l'histoire nouvelle, n'ont pas eu la destinée la plus triste.
Pierre Margry, Découvertes françaises, 40 et 41.
Une poussière d'oubli, froide et silencieuse comme la neige, tombe sur elles, tombe encore, tombe toujours, les recouvre, les ensevelit sous l'épaisseur ténébreuse d'un linceul et menace de les cacher à jamais aux regards des hommes, de les faire disparaître, comme des cadavres de voyageurs morts de froid, sous l'uniforme niveau, l'égalité fatale de la steppe.
Et cependant quel labeur colossal, quels argents, quelles études n'ont-elles pas coûté aux bibliophiles, aux chroniqueurs, aux archéologues, aux historiens qui ont eu l'héroïque courage, la patriotique vaillance de publier en éditions d'honneur, les manuscrits originaux, les annales primitives de la Colonie! Par contre, combien apparaissent mesquins désespérants, ironiques, misérablement petits, les résultats obtenus comparés à l'effort gigantesque apporté au parachèvement d'une aussi monumentale entreprise!
Nos archives nationales! Elles ont cependant porté bonheur aux littérateurs de la génération précédente. Elles ont porté bonheur au regretté Louis P. Turcotte, le vaillant auteur du Canada sous l'Union (1841-1867), au romancier Joseph Marmette, qui leur doit François de Bienville, son meilleur ouvrage; elles ont porté bonheur à notre érudit compatriote canadien anglais William Kirby, l'auteur du roman fameux Le Chien d'Or, merveilleuse légende canadienne française que les écrivains de la Province de Québec ont laissé échapper de leur répertoire... faute d'études archéologiques.
*
* *
Ce procédé, qui donne à l'histoire le coloris de la légende et l'intrigue du roman, n'est pas neuf: le Cinq Mars d'Alfred de Vigny en est un frappant exemple. Son autre célèbre ouvrage, Stello, n'est rien que la trilogie biographique des poëtes Gilbert, Chatterton et André Chénier. Mais, dans cette littérature apparemment légère par le titre et le mécanisme des moyens, quel butin de connaissances et de souvenirs historiques!
Ce procédé, les nouvellistes de notre littérature canadienne française l'ont employé avec un succès relativement considérable et de vogue et d'argent. L'histoire du Canada en a retiré un étonnant profit de vulgarisation. Les compositions de Marmette, de DeGaspé, de Bourassa, de Kirby, de Leprohon de John Lespérance, lui ont valu un peu de cette popularité que l'on envie, à juste titre, aux oeuvres artistiques, scientifiquement littéraires de Jules Verne, Arthur Mangin, Camille Flammarion et autres lettrés, partisans déguisés des sciences exactes auprès de la jeunesse frivole qui passe en badinant à travers un cours d'études.
Pour combien d'intelligentes et spirituelles lectrices la grande et martiale figure de Louis de Buade comte de Frontenac fût demeurée aussi inconnue qu'étrangère sans la lecture de Bienville? C'est un portrait coloré, si l'on veut, mais un portrait vivant, un portrait historique, saisissant de vérité photographique, lumineux de gloire comme l'époque à laquelle il appartient.
Combien encore, sans le roman-feuilleton du même auteur--l'Intendant Bigot,--combien, dis-je, des 14,000 abonnés du défunt Opinion Publique n'auraient jamais lu le savant, exact et patriotique récit de la première bataille des plaines d'Abraham?
Et cette autre description magistrale, merveilleusement empoignante de la Revanche du 13 septembre 1759, la victoire du 28 avril 1760, gagnée dans les champs de la vieille paroisse de Notre-Dame de Foye, sous les remparts mêmes de Québec avec son point stratégique légendaire, l'immortel moulin Dumont; où l'avons-nous lue, nous les jeunes?--Chez Garneau, Ferland, Laverdière?--Non pas; mais dans Les Anciens Canadiens de cet octogénaire littérateur Philippe Aubert DeGaspé, publiés en feuilletons dans la Revue Canadienne de 1860. Notre premier cours d'Histoire du Canada s'est donc fait dans un roman très canadien-français, et, disons-le à la gloire de son incontestable mérite, très historique, absolument historique.
*
* *
Dans Les Plaideurs de Racine, Petit Jean exposant son cas, dit, au troisième acte de la comédie:
"Ce que je sçay le mieux, c'est mon commencement."
Ça, mes lecteurs, la main sur la conscience, en pouvons-nous dire autant de notre Histoire du Canada? Pour être aussi vrais que sincères ne conviendrait-il pas de renverser ce vers-proverbe et de confesser en toute humilité de coeur et d'esprit:
"Ce que je sçay le moins, c'est mon commencement."
Et cependant, combien l'on sait d'autres choses! Oserai-je dire de préférence?
J'ai connu, quelque part, dans un séminaire classique, un écolier, véritable bourreau de travail, qui vous défilait toute la série chronologique des anciens rois de l'Égypte, de Mesraïm (2,200 ans avant Jésus-Christ), à Néchao, sans oublier un seul Pharaon! Sa prodigieuse mémoire se faisait un jeu de répéter ce tour de force pour chacune des nomenclatures royales des vieux empires de Syrie, d'Assyrie, de Perse, de Macédoine, toutes étiquetées par ordre de millésimes. Or, ce bachelier virtuose, cette vivante encyclopédie ne savait même pas l'humble successions, liste brusquement interrompue, de nos Vice-Rois, Lieutenants-Généraux, Gouverneurs, Grands Maîtres des Eaux et Forêts, Administrateurs, etc., etc., alors que notre patrie se nommait la Nouvelle-France, en Géographie comme en Histoire. Chacun son goût; mais, au mien, j'aime mieux savoir le rôle d'équipage de la flottille de Jacques Cartier allant à la découverte du Canada, que les noms et prénoms des Argonautes partis avec Jason, à la conquête de la Toison d'Or.--Que vous servira, en définitive, de connaître que Nemrod fonda Babylone; Cécorps, Athènes; Eurotas, Sparte; Salomon, Palmyre; et si vous ne savez pas que Samuel de Champlain fonda Québec; Laviolette, Trois-Rivières; De Maisonneuve, Montréal; De Tracy, Sorel; Frontenac, Kingston; De la Motte-Cadillac, Détroit; De la Galissonnière, Ogdensburg; De Contrecoeur, Pittsburg; d'Iberville, Mobile; De Bienville, la Nouvelle-Orléans? Saint Ignace ne dirait-il pas avec un meilleur à-propos: Quid prodest?
Il était donc rigoureusement logique, pour qui voulait populariser les archives canadiennes-françaises de commencer ce travail de vulgarisation suivant l'ordre des dates. Or la Relation du second Voyage de Jacques Cartier est sans contredit notre premier document historique puisque l'on y raconte la découverte du Canada. Il était difficile, le lecteur en conviendra, d'étudier un document authentique à la fois plus précieux et plus vénérable d'antiquité.
Non travail ne sera donc, à proprement parler, que la paraphrase littéraire du Second Voyage de Jacques Cartier.
Oeuvre d'imagination, dira-t-on, bagatelle! Oeuvre d'imagination si l'on veut, composition fantaisiste où cependant la folle du logis n'est qu'une esclave de la vérité historique. A ce point, qu'elle accepte les noms de personnes, les mots anciens de la géographie, et consent à suivre les événements, les faits, les circonstances dans leur ordre. Elle ne les combine pas, elle les regarde; elle se promène au milieu d'eux, les interroge, les critique, les admire, à la manière d'un voyageur intelligent, d'un connaisseur artiste étudiant les curiosités d'un musée ou les monuments d'une ville étrangère. Le travail d'Une Fête de Noël sous Jacques Cartier se compose d'une série de tableaux historiques peints sur nature, de vues exactes prises sur le terrain, photographiées à la faveur de la lumière que peuvent concentrer à cette distance (sept demi-siècles) les meilleurs instruments des archivistes et des archéologues.
Aussi le public instruit qui jugera l'épreuve sera-t-il d'autant plus sévère pour l'ouvrier, qu'il se trouvera toujours en mesure de comparer la copie à l'original. Car, la raison essentielle de ce travail étant de faire CONNAÎTRE ET LIRE NOS ARCHIVES, j'annote le récit littéraire du texte de la relation primitive2 non pas tant pour démontrer, par la vérité des événements, la vraisemblance de la fantaisie, que pour multiplier aux lecteurs les occasions de lire ce brief récit et succincte narration de la navigation faicte en 1535-36 par le capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada, Hochelaga, Saguenay et autres3. Occasion rare et précieuse, s'il en fut jamais, exceptionnelle bonne fortune de pouvoir déguster, comme un fruit d'exquise saveur, ce beau français du 16ième siècle, un français vieux, ou plutôt jeune comme l'âge de Rabelais et de Montaigne, exhalant en parfum la fraîcheur éternelle de l'esprit.
Forcément, l'attention des plus légers liseurs s'arrêtera sur ces passages empruntés à l'original unique--imprimés à dessein avec d'anciens caractères typographiques--- extraits bizarres, étranges comme un grimoire, où l'orthographe primitive des mots, le suranné des expressions, la latinisme des tournures de phraser, donnent un cachet de haute valeur archéologique.
Note 2: Je me suis servi pour mon travail de la "Réimpression figurée de l'édition originale rarissime de 1545 avec les variantes des manuscrits de la bibliothèque impériale."--Paris--Librairie Tross--1863--J'ai aussi consulté l'édition canadienne des Voyages de Jacques Cartier publiée en 1843 sous les auspices de la Société Littéraire et Historique de Québec.
Note 3: D'Avezac. Introduction historique à la Relation du Second Voyage de Jacques Cartier, page xvj.
Et de même que la lecture des romans de Jules Verne a développé le goût des études scientifiques, de même la paraphrase littéraire d'un document archéologique éveillera-t-elle peut-être, chez plusieurs jeunes gens instruits, l'idée de consulter nos archives, de les lire, et de se prendre, eux aussi, à leur savante et fascinante étude. Ce sera du même coup développer chez les lettrés le goût de l'histoire par excellence, celle de notre pays.
Tout le travail archéologique proprement dit est terminé maintenant, les manuscrits déchiffrés, copiés, collationnés, imprimés, se rangent aujourd'hui en beaux volumes sur les rayons de toutes nos bibliothèques. Il n'y a plus qu'à ouvrir le livre... et à le lire! Et on ne lirait pas? Je ne puis croire à cet excès d'indifférence ou de paresse!
*
* *