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ОглавлениеD'autres, abandonnant le miracle de l'ordre physique, se retranchent dans le miracle d'ordre moral, sans lequel ils prétendent que ces événements ne peuvent être expliqués. Certainement, la formation du christianisme est le plus grand fait de l'histoire religieuse du monde. Mais elle n'est pas un miracle pour cela. Le bouddhisme, le babisme ont eu des martyrs aussi nombreux, aussi exaltés, aussi résignés que le christianisme. Les miracles de la fondation de l'islamisme sont d'une tout autre nature, et j'avoue [Pg l]qu'ils me touchent peu. Il faut cependant remarquer que les docteurs musulmans font sur l'établissement de l'islamisme, sur sa diffusion comme par une traînée de feu, sur ses rapides conquêtes, sur la force qui lui donne partout un règne si absolu, les mêmes raisonnements que font les apologistes chrétiens sur l'établissement du christianisme, et prétendent montrer là clairement le doigt de Dieu. Accordons même, si l'on veut, que la fondation du christianisme soit un fait unique. Une autre chose absolument unique, c'est l'hellénisme, en entendant par ce mot l'idéal de perfection dans la littérature, dans l'art, dans la philosophie, que la Grèce a réalisé. L'art grec dépasse tous les autres arts autant que le christianisme dépasse les autres religions, et l'Acropole d'Athènes, collection de chefs-d'œuvre à côté desquels tout le reste n'est que tâtonnement maladroit ou imitation plus ou moins bien réussie, est peut-être ce qui défie le plus, en son genre, toute comparaison. L'hellénisme, en d'autres termes, est autant un prodige de beauté que le christianisme est un prodige de sainteté. Une chose unique n'est pas une chose miraculeuse. Dieu est à des degrés divers dans tout ce qui est beau, bon et vrai. Mais il n'est jamais dans une de ses manifestations d'une façon si exclusive, que la présence de son souffle en un mouvement religieux ou philosophique doive être considérée comme un privilège ou une exception.
J'espère qu'un intervalle de deux années et demie écoulées depuis la publication de la Vie de Jésus portera certains lecteurs à s'occuper de ces problèmes avec plus de calme. La controverse religieuse est toujours de mauvaise foi, sans le savoir et sans le vouloir. Il ne s'agit, pas pour elle de discuter avec indépendance, de chercher avec anxiété; il s'agit de défendre une doctrine arrêtée, de prouver que le dissident est un ignorant ou un homme de mauvaise foi. Calomnies, contre-sens, falsifications des idées et des textes, raisonnements triomphants sur des choses que l'adversaire n'a pas dites, cris de victoire sur des erreurs qu'il n'a pas commises, rien ne paraît déloyal à celui qui croit tenir en main les intérêts de la vérité absolue. J'aurais fort ignoré l'histoire, si je ne m'étais attendu à tout cela. J'ai assez de froideur pour y avoir été peu sensible, et un goût assez vif des choses de la foi pour qu'il m'ait été donné d'apprécier doucement ce qu'il y a eu parfois de touchant dans le sentiment qui inspirait mes contradicteurs. Souvent, en voyant tant de naïveté, une si pieuse assurance, une colère partant si franchement de si belles et si bonnes âmes, j'ai dit comme Jean Huss, à la vue d'une vieille femme qui suait pour apporter un fagot à son bûcher: O sancta simplicitas! J'ai seulement regretté certaines émotions, qui ne pouvaient être que stériles. Selon la belle expression de l'Écriture, «Dieu n'est pas dans la tourmente». Ah! sans doute, si tout ce trouble aidait à découvrir la vérité, on se consolerait de tant d'agitation. Mais il n'en est pas ainsi; la vérité n'est pas faite pour l'homme passionné. Elle se réserve aux esprits qui cherchent sans parti pris, sans amour persistant, sans haine durable, avec une liberté absolue et sans nulle arrière-pensée d'agir sur la direction des affaires de l'humanité. Ces problèmes ne sont qu'une des innombrables questions dont le monde est rempli et que les curieux examinent. On n'offense personne en énonçant une opinion théorique. Ceux qui tiennent à leur foi comme à un trésor ont un moyen bien simple de la défendre, c'est de ne pas tenir compte des ouvrages écrits dans un sens différent du leur. Les timides font mieux de ne pas lire.
Il est des personnes pratiques, qui, à propos d'une œuvre de science, demandent quel parti politique l'auteur s'est proposé de satisfaire, et qui veulent qu'une œuvre de poésie renferme une leçon de morale. Ces personnes n'admettent pas qu'on écrive pour autre chose qu'une propagande. L'idée de l'art et de la science, n'aspirant qu'à trouver le vrai et à réaliser le beau, en dehors de toute politique, leur est étrangère. Entre nous et de telles personnes, les malentendus sont inévitables. «Ces gens-là, comme disait un philosophe grec, prennent avec leur main gauche ce que nous leur donnons avec notre main droite.» Une foule de lettres dictées par un sentiment honnête, que j'ai reçues, se résument ainsi: «Qu'avez-vous donc voulu? Quel but vous êtes-vous proposé?» Eh! mon Dieu! le même qu'on se propose en écrivant toute histoire, Si je disposais de plusieurs vies, j'emploierais l'une à écrire une histoire d'Alexandre, une autre à écrire une histoire d'Athènes, une troisième à écrire soit une histoire de la Révolution française, soit une histoire de l'ordre de Saint-François. Quel but me proposerais-je en écrivant ces ouvrages? Un seul: trouver le vrai et le faire vivre, travailler à ce que les grandes choses du passé soient connues, avec le plus d'exactitude possible et exposées d'une façon digne d'elles. La pensée d'ébranler la foi de personne est à mille lieues de moi. Ces œuvres doivent être exécutées avec une suprême indifférence, comme si l'on écrivait pour une planète déserte. Toute concession aux scrupules d'un ordre inférieur est un manquement au culte de l'art et de la vérité. Qui ne voit que l'absence de prosélytisme est la qualité et le défaut des ouvrages composés dans un tel esprit?
Le premier principe de l'école critique, en effet, est que chacun admet en matière de foi ce qu'il a besoin d'admettre, et fait, en quelque sorte, le lit de ses croyances proportionné à sa mesure et à sa taille. Comment serions-nous assez insensés pour nous mêler de ce qui dépend de circonstances sur lesquelles personne ne peut rien? Si quelqu'un vient à nos principes, c'est qu'il a le tour d'esprit et l'éducation nécessaires pour y venir; tous nos efforts ne donneraient pas cette éducation et ce tour d'esprit à ceux qui ne les ont pas. La philosophie diffère de la foi en ce que la foi est censée opérer par elle-même, indépendamment de l'intelligence qu'on a des dogmes. Nous croyons, au contraire, qu'une vérité n'a de valeur que quand on y est arrivé par soi-même, quand on voit tout l'ordre d'idées auquel elle se rattache. Nous ne nous obligeons pas à taire celles de nos opinions qui ne sont pas d'accord avec la croyance d'une portion de nos semblables; nous ne faisons aucun sacrifice aux exigences des diverses orthodoxies; mais nous ne songeons pas davantage à les attaquer ni à les provoquer; nous faisons comme si elles n'existaient pas. Pour moi, le jour où l'on pourrait me convaincre d'un effort pour attirer à mes idées un seul adhérent qui n'y vient pas de lui-même, on me causerait la peine la plus vive. J'en conclurais ou que mon esprit s'est laissé troubler dans sa libre et sereine allure, ou que quelque chose s'est appesanti en moi, puisque je ne suis plus capable de me contenter de la joyeuse contemplation de l'univers.
Qui ne voit, d'ailleurs, que, si mon but était de faire la guerre aux cultes établis, je devrais procéder d'une autre manière, m'attacher uniquement à montrer les impossibilités, les contradictions des textes et des dogmes tenus pour sacrés. Cette besogne fastidieuse a été faite mille fois et très-bien faite. En 1856[61], j'écrivais ce qui suit: «Je proteste une fois pour toutes contre la fausse interprétation qu'on donnerait à mes travaux, si l'on prenait comme des œuvres de polémique les divers essais sur l'histoire des religions que j'ai publiés, ou que je pourrai publier à l'avenir. Envisagés comme des œuvres de polémique, ces essais, je suis le premier à le reconnaître, seraient fort inhabiles. La polémique exige une stratégie à laquelle je suis étranger: il faut savoir choisir le côté faible de ses adversaires, s'y tenir, ne jamais toucher aux questions incertaines, se garder de toute concession, c'est-à-dire renoncer à ce qui fait l'essence même de l'esprit scientifique. Telle n'est pas ma méthode. La question fondamentale sur laquelle doit rouler la discussion religieuse, c'est-à-dire la question de la révélation et du surnaturel, je ne la touche jamais; non que cette question ne soit résolue pour moi avec une entière certitude, mais parce que la discussion d'une telle question n'est pas scientifique, ou, pour mieux dire, parce que la science indépendante la suppose antérieurement résolue. Certes, si je poursuivais un but quelconque de polémique ou de prosélytisme, ce serait là une faute capitale, ce serait transporter sur le terrain des problèmes délicats et obscurs une question qui se laisse traiter avec plus d'évidence dans les termes grossiers où la posent d'ordinaire les controversistes et les apologistes. Loin de regretter les avantages que je donne ainsi contre moi-même, je m'en réjouirai, si cela peut convaincre les théologiens que mes écrits sont d'un autre ordre que les leurs, qu'il n'y faut voir que de pures recherches d'érudition, attaquables comme telles, où l'on essaye parfois d'appliquer à la religion juive et à la religion chrétienne les principes de critique qu'on suit dans les autres branches de l'histoire et de la philologie. Quant à la discussion des questions purement théologiques, je n'y entrerai jamais, pas plus que MM. Burnouf, Creuzer, Guigniaut et tant d'autres historiens critiques des religions de l'antiquité ne se sont crus obligés d'entreprendre la réfutation ou l'apologie des cultes dont ils s'occupaient. L'histoire de l'humanité est pour moi un vaste ensemble où tout est essentiellement inégal et divers, mais où tout est du même ordre, sort des mêmes causes, obéit aux mêmes lois. Ces lois, je les recherche sans autre intention, que de découvrir l'exacte nuance de ce qui est. Rien ne me fera changer un rôle obscur, mais fructueux pour la science, contre le rôle de controversiste, rôle facile en ce qu'il concilie à l'écrivain une faveur assurée auprès des personnes qui croient devoir opposer la guerre à la guerre. A cette polémique, dont je suis loin de contester la nécessité, mais qui n'est ni dans mes goûts ni dans mes aptitudes, Voltaire suffit. On ne peut être à la fois bon controversiste et bon historien. Voltaire, si faible comme érudit, Voltaire, qui nous semble si dénué du sentiment de l'antiquité, à nous autres qui sommes initiés à une méthode meilleure, Voltaire est vingt fois victorieux d'adversaires encore plus dépourvus de critique qu'il ne l'est lui-même. Une nouvelle édition des œuvres de ce grand homme satisferait au besoin que le moment présent semble éprouver de faire une réponse aux envahissements de la théologie; réponse mauvaise en soi, mais accommodée à ce qu'il s'agit de combattre; réponse arriérée à une science arriérée. Faisons mieux, nous tous que possèdent l'amour du vrai et la grande curiosité. Laissons ces débats à ceux qui s'y complaisent; travaillons pour le petit nombre de ceux qui marchent dans la grande ligne de l'esprit humain. La popularité, je le sais, s'attache de préférence aux écrivains qui au lieu de poursuivre la forme la plus élevée de la vérité, s'appliquent à lutter contre les opinions de leur temps; mais, par un juste retour, ils n'ont plus de valeur dès que l'opinion qu'ils ont combattue a cessé d'être. Ceux qui ont réfuté la magie et l'astrologie judiciaire, au xvie et au xviie siècle, ont rendu à la raison un immense service: et pourtant leurs écrits sont inconnus aujourd'hui; leur victoire même les a fait oublier.»
Je m'en tiendrai invariablement à cette règle de conduite, la seule conforme, à la dignité du savant. Je sais que les recherches d'histoire religieuse touchent à des questions vives, qui semblent exiger une solution. Les personnes peu familiarisées avec la libre spéculation ne comprennent pas les calmes lenteurs de la pensée; les esprits pratiques s'impatientent contre la science, qui ne répond pas à leurs empressements. Défendons-nous de ces vaines ardeurs. Gardons-nous de rien fonder; restons dans nos Églises respectives, profitant de leur culte séculaire et de leur tradition de vertu, participant à leurs bonnes œuvres et jouissant de la poésie de leur passé. Ne repoussons que leur intolérance. Pardonnons même à cette intolérance; car elle est, comme l'égoïsme, une des nécessités de la nature humaine. Supposer qu'il se fonde désormais de nouvelles familles religieuses ou que la proportion entre celles qui existent aujourd'hui arrive à changer beaucoup, c'est aller contre les apparences. Le catholicisme sera bientôt travaillé par de grands schismes; les temps d'Avignon, des antipapes, des clémentins et des urbanistes, vont revenir. L'Église catholique va refaire son xive siècle; mais, malgré ses divisions, elle restera l'Église catholique. Il est probable que dans cent ans la relation entre le nombre des protestants, celui des catholiques, celui des juifs n'aura pas sensiblement varié. Mais un grand changement se sera accompli, ou plutôt sera devenu sensible aux yeux de tous. Chacune de ces familles religieuses aura deux sortes de fidèles, les uns croyants absolus comme au moyen âge, les autres sacrifiant la lettre et ne tenant qu'à l'esprit. Cette seconde fraction grandira dans chaque communion, et, comme l'esprit rapproche autant que la lettre divise, les spiritualistes de chaque communion arriveront à se rapprocher tellement qu'ils négligeront de se réunir tout à fait. Le fanatisme se perdra dans une tolérance générale. Le dogme deviendra une arche mystérieuse, que l'on conviendra de n'ouvrir jamais. Si l'arche est vide, alors, qu'importe? Une seule religion résistera, je le crains, à cet amollissement dogmatique; c'est l'islamisme. Il y a chez certains musulmans des anciennes écoles et chez quelques hommes éminents de Constantinople, il y a en Perse surtout des germes d'esprit large et conciliant. Si ces bons germes sont étouffés par le fanatisme des ulémas, l'islamisme périra; car deux choses sont évidentes: la première, c'est que la civilisation moderne ne désire pas que les anciens cultes meurent tout à fait; la seconde, c'est qu'elle ne souffrira pas d'être entravée dans son œuvre par les vieilles institutions religieuses. Celles-ci ont le choix entre fléchir ou mourir.
Quant à la religion pure, dont la prétention est justement de ne pas être une secte ni une Église à part, pourquoi se donnerait-elle les inconvénients d'une position dont elle n'a pas les avantages? pourquoi élèverait-elle drapeau contre drapeau, quand elle sait que le salut est possible à tous et partout, qu'il dépend du degré de noblesse que chacun porte en soi? On comprend que le protestantisme, au xvie siècle, ait été amené à une rupture ouverte. Le protestantisme partait d'une foi très-absolue. Loin de ]correspondre à un affaiblissement du dogmatisme, la Réforme marqua une renaissance de l'esprit chrétien le plus rigide. Le mouvement du xixe siècle, au contraire, part d'un sentiment qui est l'inverse du dogmatisme; il aboutira non à des sectes ou Églises séparées, mais à un adoucissement général de toutes les Églises. Les divisions tranchées augmentent le fanatisme de l'orthodoxie et provoquent des réactions. Les Luther, les Calvin firent les Caraffa, les Ghislieri, les Loyola, les Philippe II. Si notre Église nous repousse, ne récriminons pas; sachons apprécier la douceur des mœurs modernes, qui a rendu ces haines impuissantes; consolons-nous en songeant à cette Église invisible qui renferme les saints excommuniés, les meilleures âmes de chaque siècle. Les bannis d'une Église en sont toujours l'élite; ils devancent le temps; l'hérétique d'aujourd'hui est l'orthodoxe de l'avenir. Qu'est-ce, d'ailleurs, que l'excommunication des hommes? Le Père céleste n'excommunie que les esprits secs et les cœurs étroits. Si le prêtre refuse de nous admettre en son cimetière, défendons à nos familles de réclamer. C'est Dieu qui juge; la terre est une bonne mère qui ne fait pas de différences; le cadavre de l'homme de bien entrant dans le coin non bénit y porte la bénédiction avec lui.
Sans doute, il est des positions où l'application de ces principes est difficile. L'esprit souffle où il veut; l'esprit, c'est la liberté. Or, il est des personnes rivées en quelque sorte à la foi absolue; je veux parler des hommes engagés dans les ordres sacrés ou revêtus d'un ministère pastoral. Même alors, une belle âme sait trouver des issues. Un digne prêtre de campagne arrive, par ses études solitaires et par la pureté de sa vie, à voir les impossibilités du dogmatisme littéral; faut-il qu'il contriste ceux qu'il a consolés jusque-là, qu'il explique aux simples des changements que ceux-ci ne peuvent bien comprendre? A Dieu ne plaise! Il n'y a pas deux hommes au monde qui aient juste les mêmes devoirs. Le bon évêque Colenso a fait un acte d'honnêteté comme l'Église n'en a pas vu depuis son origine en écrivant ses doutes dès qu'ils lui sont venus. Mais l'humble prêtre catholique, en un pays d'esprit étroit et timide, doit se taire. Oh! que de tombes discrètes, autour des églises de village, cachent ainsi de poétiques réserves, d'angéliques silences? Ceux dont le devoir a été de parler égaleront-ils le mérite de ces secrets connus de Dieu seul?
La théorie n'est pas la pratique. L'idéal doit rester l'idéal; il doit craindre de se souiller au contact de la réalité. Des pensées bonnes pour ceux qui sont préservés par leur noblesse de tout danger moral peuvent, si on les applique, n'être pas sans inconvénient pour ceux qui sont entachés de bassesse. On ne fait de grandes choses qu'avec des idées strictement arrêtées; car la capacité humaine est chose limitée; l'homme absolument sans préjugé serait impuissant. Jouissons de la liberté des fils de Dieu; mais prenons garde d'être complices de la diminution de vertu qui menacerait nos sociétés, si le christianisme venait à s'affaiblir. Que serions-nous sans lui? Qui remplacera ces grandes écoles de sérieux et de respect telles que Saint-Sulpice, ce ministère de dévouement des Filles de la Charité? Comment, n'être pas effrayé de la sécheresse de cœur et de la petitesse qui envahissent le monde? Notre dissidence avec les personnes qui croient aux religions positives est, après tout, uniquement scientifique; par le cœur, nous sommes avec elles; nous n'avons qu'un ennemi, et c'est aussi le leur, je veux dire le matérialisme vulgaire, la bassesse de l'homme intéressé.
Paix donc, au nom de Dieu! Que les divers ordres de l'humanité vivent côte à côte, non en faussant leur génie propre pour se faire des concessions réciproques, qui les amoindriraient, mais en se supportant mutuellement. Rien ne doit régner ici-bas à l'exclusion de son contraire; aucune force ne doit pouvoir supprimer les autres. L'harmonie de l'humanité résulte de la libre émission des notes les plus discordantes. Que l'orthodoxie réussisse à tuer la science, nous savons ce qui arrivera; le monde musulman et l'Espagne meurent pour avoir trop consciencieusement accompli cette tâche. Que le rationalisme veuille gouverner le monde sans égard pour les besoins religieux de l'âme, l'expérience de la Révolution française est là pour nous apprendre les conséquences d'une telle faute. L'instinct de l'art, porté aux plus grandes délicatesses, mais sans honnêteté, fit de l'Italie de la renaissance un coupe-gorge, un mauvais lieu. L'ennui, la sottise, la médiocrité sont la punition de certains pays protestants, où, sous prétexte de bon sens et d'esprit chrétien, on a supprimé l'art et réduit la science à quelque chose de mesquin. Lucrèce et sainte Thérèse, Aristophane et Socrate, Voltaire et François d'Assise, Raphaël et Vincent de Paul ont également raison d'être, et l'humanité serait moindre si un seul des éléments qui la composent lui manquait.
[1] L'auteur des Actes ne donne pas directement à saint Paul le titre d'apôtre. Ce titre est, en général, réservé par lui aux membres du collége central de Jérusalem.
[2] Homélies pseudo-clémentines, xvii, 13–19.
[3] Justin, Apot. I, 39. Dans les Actes, règne aussi l'idée que Pierre fût l'apôtre des gentils. Voir surtout chap. x. Comparez I Petri, i, 4.
[4] I Cor., iii, 6, 10; iv, 14, 15; ix, 1, 2; II Cor., xi, 2, etc.
[5] Lettre de Denys de Corinthe, dans Eusèbe, Hist. eccl., II, 25.
[6] Les lecteurs français peuvent consulter, pour de plus amples détails sur la discussion et la comparaison des quatre récits, Strauss, Vie de Jésus, 3e sect., ch. iv et v (traduction Littré); Nouvelle Vie de Jésus, l. 1, § 46 et suiv.; l. II, § 97 et suiv. (traduction Nefftzer et Dollfus).
[7] L'Église l'admit de bonne heure comme évidente. Voir le canon de Muratori (Antiq. Ital., III, 854), collationné par Wieseler et restitué par Laurent (Neutestamentliche Studien, Gotha, 1866), lignes 33 et suiv.
[8] Luc, i, 1–4; Act., i, 4.
[9] Remarquez surtout Act. xvi, 12.
[10] On sait que, chez les, écrivains du Nouveau Testament, la pauvreté d'expression est grande, si bien que chacun a son petit dictionnaire à part. De là une règle précieuse pour déterminer l'auteur d'écrits même très-courts.
[11] L'emploi de ce mot, Act., xiv, 4, 14, est bien indirect.
[12] Comparez, par exemple, Act., xvii, 14–16; xviii, 5, à I Thess., iii, 1–2.
[13] I Cor., xv, 32; II Cor., i, 8; xi, 23 et suiv.; Rom., xv, 19; xvi, 3 et suiv.
[14] Act., xvi, 6; xviii, 22–23, en comparant l'épître aux Galates.
[15] Par exemple, le séjour à Césarée est laissé dans l'obscurité.
[16] Mabillon, Museum Italicum, I, 1o pars, p. 109.
[17] Col., iv, 14.
[19] Presque toutes les inscriptions y sont latines, ainsi qu'à Neapolis (Cavala), le port de Philippes. Voir Heuzey, Mission de Macédoine, p. 11 et suiv. Les remarquables connaissances nautiques de l'auteur des Actes (voir surtout ch. xxvii-xxviii) feraient croire qu'il était de Neapolis.
[20] Par exemple, Act., x, 28.
[21] Act., v, 36–37.
[22] Les hébraïsmes de son style peuvent venir d'une lecture assidue des traductions grecques de l'Ancien Testament et surtout de la lecture des écrits composés par ses coreligionnaires de Palestine, qu'il copie souvent textuellement. Ses citations de l'Ancien Testament sont faites sans aucune connaissance du texte original (par exemple, xv, 16 et suiv.).
[23] Act., xvii, 22 et suiv.
[24] Luc, i, 26; iv, 31; xxiv, 13. Comp. ci-dessous, page 18, note.
[25] Luc, i, 31, comparé à Matth., i, 21. Le nom de Jeanne, que Luc seul connaît, est bien suspect. Il ne semble pas que Jean eût alors de correspondant féminin. Cependant voyez Talm. de Bab., Sota, 22 a.
[26] Act., ii, 47; iv, 33; v, 13, 26.
[27] Act., ix, 22, 23; xii, 3, 11; xiii, 45, 50 et une foule d'autres passages. Il en est de même pour le quatrième Évangile, parce que, lui aussi, fut rédigé hors de la Syrie.
[28] Luc, x, 33 et suiv.; xvii, 16; Act., viii, 5 et suiv. De même dans le quatrième Évangile: Jean, iv, 5 et suiv. Opposez Matth., x, 5–6.
[29] Act., xxviii, 30.
[30] Voir Vie de Jésus, p. xvii.
[31] Luc, xxiv, 50. Marc, xvi, 19, offre un arrangement semblable.
[32] Act., i, 3, 9.
[33] Remarquez surtout Luc, i, 1, l'expression τῶν πεπληροφορημένων ἐν ἡμῖν πραγμάτων.
[34] Ch. x, xxii, xxvi.
[35] Le centurion Cornélius, le proconsul Sergius Paulus.
[36] Act., xiii, 7 et suiv.; xviii, 12 et suiv.; xix, 35 et suiv.; xxiv, 7, 17; xxv, 9, 16, 25; xxvii, 2; xxviii, 17–18.
[37] Ibid., xvi, 37 et suiv.; xxii, 26 et suiv.
[38] De semblables précautions n'étaient point rares. L'Apocalypse et l'épître de Pierre désignent Rome à mots couverts.
[39] Luc, i, 4.
[40] Act., i, 22.
[41] Voir Vie de Jésus, p. xxxix et suiv.
[42] Cela est sensible surtout dans l'histoire du centurion Corneille.
[43] Act., ii, 47; iv, 33; v, 13, 26. Cf. Luc, xxiv, 19–20.
[44] Act., ii, 44–45; iv, 34 et suiv.; v, 1 et suiv.
[45] I. Cor. xii-xiv. Comp. Marc, xvi, 17, et même Act., ii, 4, 13; x, 46; xi, 15; xix, 6.
[46] Comparez Act., iii, 2 et suiv. à xiv, 8 et suiv.; ix, 36 et suiv. à xx, 9 et suiv.; v, 1 et suiv. à xiii, 9 et suiv. v, 15–16 à xix, 12; xii, 7 et suiv. à xvi, 26 et suiv.; x, 44 à xix, 6.
[47] Dans un discours que l'auteur prête à Gamaliel, en une circonstance qui est de l'an 36 à peu près, il est question de Theudas, dont l'entreprise est expressément déclarée antérieure à celle de Juda le Gaulonite (Act., v, 36–37). Or, la révolte de Theudas est de l'an 44 (Jos., Ant., XX, v, 1), et en tout cas bien postérieure à celle du Gaulonite (Jos., Ant., XVIII, i, 1; B. J., II, viii, 1).
[48] Les personnes qui ne peuvent lire sur tout ceci les écrits allemands de Baur, Schneckenburger, de Wette, Schwegler, Zeller, où les questions critiques relatives aux Actes sont amenées à une solution à peu près définitive, consulteront avec fruit les Études historiques et critiques sur les origines du christianisme, par A. Stap (Paris, Lacroix, 1864), p. 116 et suiv.; Michel Nicolas, Études critiques sur la Bible. Nouveau Testament (Paris, Lévy, 1864), p. 223 et suiv.; Reuss, Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, l. VI, ch. v; divers travaux de MM. Kayser, Scherer, Reuss dans la Revue de théologie de Strasbourg, 1e série, t. II et III; 2e série, t. II et III.
[49] Pour la nuance de οὐ προσανεθέμην σαρκὶ καὶ αἵματι, comp. Matth., xvi, 17.
[50] C'est lui qui le déclara avec serment. Lire surtout les chap. i et ii de l'épître aux Galates.
[51] Act., xii, 1.
[52] Jos., Ant., XIX, viii, 2; B. J., II, xii, 6.
[53] La citation d'Amos (xv, 16–17), faite par Jacques conformément à la version grecque et en désaccord avec l'hébreu, montre bien, du reste, que ce discours est une fiction de l'auteur.
[54] Nous établirons plus tard que c'est là le vrai sens. En tout cas, le doute sur la question de savoir si Tite fut ou ne fut pas circoncis importe peu au raisonnement que nous poursuivons ici.
[55] Comp. Act., xv, 1; Gal., i, 7; ii, 12.
[56] I Cor., viii, 4, 9; x, 25–29.
[57] Act., xxi, 20 et suiv.
[58] Les ébionites surtout. Voir les Homélies pseudo-clémentines; Irenée, Adv. hær., I, xxvi., 2; Épiphane, Adv. hær., hær. xxx; saint Jérôme, In Matth., xii, init.
[59] Je sacrifierais cependant volontiers Ananie et Saphire.
[60] De divinatione, II, 57.
[61] Préface des Études d'histoire religieuse.