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Fig. 10

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Toutes ces voûtes sont construites à l'aide d'une simple tige directrice, de bois ou de fer, sous-tendue par un fil et sans qu'il soit besoin de cintres.

Ce que nous voulons établir ici, c'est que, pour ce qui touche la construction des voûtes, objet si important dans l'architecture byzantine, l'influence orientale, asiatique ou iranienne est bien autrement puissante que n'est l'influence occidentale romaine. Il en est de même pour l'ornementation. La tradition de l'architecture romaine se perd, s'efface promptement à Byzance sous l'apport iranien. De même qu'à Rome les monuments étaient confiés le plus souvent à des artistes grecs, car les Romains n'ont jamais fourni d'artistes, de même, à Byzance, le gouvernement impérial s'adressait à des artistes asiatiques qui, depuis longtemps, possédaient leurs méthodes, leur art, dont il serait trop long d'énumérer les origines diverses, mais toutes issues du centre de l'Asie aux époques les plus reculées.

Il est évident, par exemple, que les chapiteaux les plus anciens de Sainte-Sophie de Constantinople ne rappellent guère les chapiteaux grecs et romains ioniques et corinthiens de l'époque des premiers Césars, mais qu'ils appartiennent à un autre art dont nous retrouvons les éléments en Asie et jusque dans l'extrême Orient. De même pour toute l'ornementation. Au lieu de dériver immédiatement d'une inspiration de la flore, comme dans l'architecture grecque des beaux temps et jusque sous les premiers empereurs de Rome, elle est toute empreinte d'un hiératisme vieilli, dont on a longtemps usé et abusé. On peut en dire autant de la peinture, des harmonies obtenues par la juxtaposition des tons: cela ne rappelle ni l'antiquité grecque, ni l'antiquité romaine, c'est asiatique.

L'art byzantin, quittant la voie tracée par l'antiquité grecque païenne dans la statuaire et la peinture, abandonnant cette recherche de plus en plus exacte de la nature qui penchait déjà, sous les Antonins, vers le réalisme, se rattache aux traditions archaïques de l'Asie. Il prétend immobiliser les types, suspendre le libre arbitre de l'artiste, l'astreindre à des formules invariables. En un mot, le propre de l'art byzantin, à un point de vue philosophique, est de quitter la voie occidentale ouverte par les Grecs, pour se rattacher entièrement à l'esprit asiatique porté vers l'immobilité en toutes choses.

Merveilleusement placé pour opérer cette transformation, le nouveau siège de l'empire était au centre des voies qui, de tous les points de l'Asie, aboutissaient au Bosphore pour communiquer avec l'Occident. Ajoutons à cela que l'Europe occidentale allait être sillonnée par les incursions des Barbares et que la vieille machine romaine se disloquait de toutes parts.

Byzance devenait donc le point central, comme le résumé de tous les éléments d'art du monde connu. Et c'était à cette capitale que, pendant des siècles, l'Europe devait recourir pour trouver ces éléments. Aussi l'influence de Byzance se faisait-elle sentir encore, au XIIe siècle, jusqu'aux limites de l'Occident, et les arts italiens, français, anglais, rhénans et germains se constituèrent à son école.

Les croisades et les rapports journaliers politiques qui en résultèrent avec Constantinople contribuèrent à activer ce mouvement. Toutefois, c'est précisément après cette sorte d'enseignement que l'Occident recueillait au centre de l'Empire d'Orient qu'il s'affranchit assez brusquement de l'influence byzantine pour prendre des voies différentes.

Mais ces nations occidentales possédaient encore, même au XIIe siècle, des traditions romaines, qui n'avaient cessé d'exercer leur action, puis des apports nouveaux appartenant aux populations barbares qui avaient sillonné l'Europe du Ve au VIIe siècle. Si faibles qu'ils fussent, ces apports ne laissaient pas moins des traces encore visibles de nos jours.

Ainsi, ne perdons pas de vue ce point important: l'art byzantin, dans sa constitution pratique aussi bien que dans sa forme, est un résumé d'éléments très-divers dont le régime impérial prétendit former un tout immuable, une formule hiératique soumise à des lois rigoureuses. Mais comme, en ce monde, ce qui ne se transforme pas atteint fatalement la décrépitude et la mort, l'art byzantin était condamné, après avoir jeté un vif éclat, à s'éteindre peu à peu et ses dernières expressions, bien que les écoles subsistassent, bien que les causes de production fussent entretenues, sont loin d'avoir la valeur de celles formées du Ve au VIIe siècle.

Quant au peuple Russe, composé d'éléments divers mais où dominaient les Slaves, au moment où ce vaste Empire commença de se constituer, sous les grands princes, au milieu de luttes incessantes, il était en communication trop directe avec Byzance pour n'avoir pas été soumis jusqu'à un certain point aux arts byzantins; mais cependant ces éléments n'étaient pas sans posséder chacun, des notions d'art qu'on ne saurait négliger.

Les Slaves, comme les Varègues, ne connaissaient guère que la structure de bois; mais, dès une époque reculée, ils avaient poussé assez loin l'art de la charpenterie, bien que dans des voies différentes.

Les Slaves (ainsi que le démontrent les traditions encore vivantes) procédaient par empilages dans leurs constructions de bois: les Scandinaves par assemblages. Aussi ces derniers avaient-ils atteint de bonne heure une grande habileté dans l'art des constructions navales.

Ces deux modes d'employer le bois dans les constructions se fondirent et persistent jusqu'à nos jours, ce qu'il est facile de constater en examinant les habitations rurales de la Russie.

Mais encore les Slaves, aussi bien que les Varègues, possédaient certaines expressions d'art que tous les jours les études archéologiques permettent de constater avec plus de certitude et qui dénotent une origine asiatique.

Ces Slaves, aussi bien que ces Scandinaves, n'étaient-ils pas sortis, comme la plupart des peuples qui occupent le continent européen, d'un tronc commun?

N'étaient-ils pas descendants des Aryas?

Les Scandinaves, arrivés tard au nord de l'Europe, établis d'abord sur les rivages de la Baltique, de la mer du Nord, puis sur le sol du Danemark actuel, de l'Islande, de la Normandie et enfin de l'Angleterre, ont laissé des traces de ces premières occupations; traces qui ont leur physionomie caractérisée, que l'on retrouve également sur les monuments les plus anciens de la Russie et que l'on ne saurait confondre avec les influences germaniques, non plus qu'avec les éléments turks et grecs byzantins.

Mais il y avait dans l'art byzantin même, en ce qui touche l'ornementation, des origines évidemment communes avec celles qui se faisaient sentir dans les arts slaves. Cela, au premier abord, peut passer pour un paradoxe; l'examen des monuments ne doit guère cependant laisser de doutes à cet égard. Et ces origines, on les retrouve dans le centre du continent asiatique.

Nous venons de démontrer que l'art byzantin, dans le domaine de la structure architectonique, n'a fait qu'adopter des méthodes et procédés appartenant à l'Asie, à cette belle civilisation des Assyriens, Perses ou Mèdes, comme on voudra les appeler, en y mêlant quelques éléments grecs et romains.

Mais les peuplades grecques qui s'étaient établies dès les derniers temps de l'empire en Asie Mineure et notamment sur cette route si fréquentée par les caravanes partant du golfe Persique pour aboutir à Antioche, et qui nous ont laissé des édifices religieux et civils si remarquables dans la Syrie centrale, possédaient une ornementation qui ne rappelle nullement l'ornementation grecque proprement dite, mais se rapproche des arts de l'Orient iranien, dont il faut aller chercher la source dans l'Inde supérieure.

Cette ornementation, composée d'entrelacs et d'une flore de conventions, sèche, découpée, métallique et qui fut adoptée à Byzance, où elle étouffa bientôt les derniers vestiges de l'art romain, apparaît aussi dans les monuments les plus anciens des Slaves et même dans les objets qu'en France on attribue aux Mérovingiens, c'est-à-dire aux Francs venus des bords de la Baltique.

Ainsi, la Russie allait prendre ses arts, au moins en ce qui touche l'ornementation, à deux rameaux fort éloignés l'un de l'autre par la distance et le temps, mais sortis d'un tronc commun.

Il n'existe, parmi les diverses races dont se compose l'humanité, qu'un nombre restreint de principes d'art, soit au point de vue de la structure, soit au point de vue de l'ornementation. Quant à la structure, il n'est que deux méthodes principales.

La première, et la plus ancienne très-probablement, consiste à employer le bois; la seconde comprend tous les systèmes d'agglutinage, méthode que l'on désigne sous le nom général de maçonnerie: brique crue ou cuite, pierre, moellon réunis par de l'argile ou un ciment.

La structure de bois comprend deux systèmes: l'un qui consiste à empiler des troncs d'arbres les uns sur les autres comme de longues assises, en les enchevêtrant à leurs extrémités et à former ainsi des murailles solides. L'autre, qui est proprement ce qu'on appelle la charpente, c'est-à-dire l'art d'assembler les bois de manière à profiter des qualités particulières à ces matériaux en les utilisant en raison même de ces qualités.

Le système de structure par agglutinage paraît avoir appartenu primitivement aux races jaunes; tandis que l'emploi du bois dans les constructions semble être l'attribut de la race âryenne.

Et ceci serait la conséquence, soit du génie propre à ces deux races, soit du milieu dans lequel primitivement elles se sont développées.

Les Aryas descendaient des hauts plateaux boisés du Thibet et de l'Himalaya.

Les Jaunes occupaient les vastes plaines de l'Asie, arrosées par de larges fleuves et ou les matériaux maniables, argile et roseaux, se trouvent en abondance.

Si un rameau de race âryenne s'établit dans les plaines du Tigre et de l'Euphrate, par exemple, les deux éléments peuvent se mélanger, mais on retrouve toujours la trace des influences originaires[15].

Un de ces rameaux occupe-t-il un territoire où le bois de construction, aussi bien que le limon, font défaut, comme est le territoire hellénique, mais où abondent les matériaux calcaires, la pierre de taille,—tout en se servant de ces matériaux, on distingue, dans leur emploi, les formes imposées par le système de structure de charpente. Le Grec dorien pousse si loin son aversion pour les éléments empruntés à d'autres races que les races âryenne et sémitique, qu'il n'emploie jamais le mortier dans ses constructions comme moyen d'agglutinage, bien qu'il le connaisse parfaitement, puisqu'il fait des enduits légers et d'une extrême finesse peur appliquer la peinture. En un mot, il bâtit toujours en pierre sèche. Et même le romain, lui, qui emploie les deux modes: il ne les mêle point, et s'il bâtit en pierre d'appareil, jamais il ne réunit par un ciment ces matériaux taillés; il les pose jointifs.

Sur quelque point du globe que ce soit, les constructions dérivent toujours de ces principes fondamentaux; soit de l'un ou de l'autre, soit des deux ensemble. Mais les origines sont d'autant plus apparentes qu'on remonte plus haut dans l'histoire des peuples. Cependant, jamais elles ne s'effacent entièrement.

Quant à l'ornementation, deux principes se trouvent également en présence chez les humains: l'ornementation géométrique et celle qui dérive d'une imitation des produits de la nature, faune et flore.

Il n'est peuplade si barbare qui ne possède certains éléments d'art, et c'est une illusion de croire que l'art se développe en raison du degré de l'état policé qu'aujourd'hui on appelle civilisation.

Un peuple de mœurs très barbares peut posséder, sinon un art très parfait, des éléments d'art susceptibles d'un grand développement. Et nous en avons la preuve tous les jours. Ces misérables Thibétains, qui vivent à l'état quasi sauvage, à notre point de vue européen, façonnent, cependant ces tissus merveilleux dont, à grand'peine, avec tous nos moyens de fabrication perfectionnés, nous imitons la composition et l'harmonie. Les pauvres chaudronniers hindous font avec des instruments élémentaires ces vases de cuivre repoussé et gravé dont le galbe et les dessins sont ravissants, et, chose étrange, les éléments de perfectionnement, qu'à notre point de vue nous apportons à ces artistes et artisans, ne font qu'altérer et détruire bientôt même leurs facultés créatrices, soit dans la composition, soit dans l'exécution. Les éléments d'art et d'industrie européens introduits en Chine et au Japon précipitent la décadence de l'art chez ces peuples avec une effrayante rapidité.

Il faut donc admettre que, dans un milieu barbare, des éléments d'art existent parfois et peuvent être assez puissants pour exercer une influence marquée dans le développement artistique de peuples relativement civilisés.

Ceci dit, nous devons considérer comment l'ornementation procède.

Les monuments d'art les plus anciens connus dans l'histoire de l'humanité sont certainement ces os d'animaux sur lesquels sont gravés des linéaments, monuments qui sont contemporains de l'âge de pierre primitif et se trouvent avec des débris de mammouths, de rennes et de l'ours des cavernes.

Jusqu'à présent on n'a découvert ces restes du génie primitif des humains que dans l'ouest de l'Europe[16] et on ne sait à quelle race les attribuer. Quoi qu'il en soit, ces gravures reproduisent habituellement des êtres animés: chevaux, mammouths, rennes, hommes, parfois des lignes dont on ne peut indiquer la signification, mais point de dessins géométriques, même rudimentaires.

Peut-être des fouilles dirigées avec intelligence dans d'autres parties du monde feront-elles découvrir des monuments contemporains de ceux-ci et où apparaîtrait le tracé géométrique.

Mais si on arrive à une époque plus rapprochée de nous, les dessins géométriques se montrent[17]: cercles, triangles, lignes croisées, entrelacées, parallèles, spirales.

Sur les armes de bois, de corne ou d'os appartenant aux races noires les plus sauvages, aujourd'hui comme jadis—car la plupart de ces races ne paraissent pas susceptibles de progrès—les dessins géométriques sont fréquents, et, relativement très supérieurs comme correction aux grossières imitations des objets naturels.

Si l'on atteint des temps encore plus rapprochés de nous, on peut constater des faits qui ne manquent pas d'importance.

Pendant que certains peuples conservent l'ornement géométrique en y mêlant la faune et la flore, comme les Égyptiens, les Sémites en général, d'autres abandonnent entièrement le tracé géométrique dans l'ornementation pour se consacrer exclusivement à l'imitation de la faune et de la flore.

Tels ont été les Grecs pendant l'antiquité, telle a été en Occident, pendant le moyen âge, l'école française.

Il faut dire que ce sont là des exceptions; car, à toutes les époques de l'histoire, en Asie et chez les nations où les arts de l'Orient et sémitiques ont exercé une influence, l'ornementation mêle sans discontinuité les combinaisons géométriques à l'imitation de la faune et de la flore, et, même chez les Sémites, le tracé géométrique dans l'ornementation l'emporte singulièrement sur la flore, puis l'imitation de la faune fait défaut.

Les Pélasges, les Hellènes, qui, dans l'état primitif de leur civilisation, ne semblent avoir eu d'autre art que l'art asiatique, où ce mélange entre le tracé géométrique et l'imitation de la faune et de la flore apparaît dès l'époque la plus ancienne, surent donc s'affranchir de ces traditions et furent les premiers peut-être à imiter les productions naturelles à l'exclusion du tracé géométrique, sans se départir de cette imitation, mais en la perfectionnant sans cesse.

Quant aux Romains, ils ne firent autre chose que de suivre la voie ouverte par les Grecs, en abandonnant les éléments étrusques, d'autant qu'ils n'employaient guère, sous l'empire, que des artistes grecs.

Et cependant, au déclin de l'empire, ces mêmes Grecs, influents sur le territoire asiatique, abandonnèrent la voie ouverte par leur grande école hellénique pour revenir aux compositions orientales. Ainsi apportèrent-ils ces compositions d'art à Byzance, en y mêlant quelques débris de l'art élevé si haut par eux à l'apogée de leur grandeur.

Un fait inverse se produit en France vers le Xe siècle. L'élément gallo-romain, qui dominait alors aussi bien dans la structure architectonique que dans l'ornementation, est étouffé peu à peu sous l'influence de l'art byzantin, dans le Midi particulièrement, et scandinave asiatique dans le Nord.

Ce que nous appelons le roman, en France, n'est, à tout prendre, qu'un apport asiatique sur un fonds romain. La structure quasi romaine subsiste avec une certaine persistance dans les provinces du Nord; mais dans l'Ouest la structure byzantine exerce une grande influence et modifie profondément l'architecture, pendant qu'au Nord, au Centre, à l'Ouest et au Midi, l'ornementation gallo-romaine disparaît presque simultanément. Les objets, les étoffes, les meubles rapportés de Byzance produisent dans l'ornementation de l'architecture méridionale française une véritable transformation. Cette ornementation va, par suite des relations fréquentes de la Provence avec la Syrie, chercher ses nouveaux modèles dans les édifices d'Orient, pendant que les apports asiatiques, francs, scandinaves, se mêlent aux traditions gallo-romaines et se rencontrent avec les éléments d'ornementation empruntés à Byzance.

La Russie se trouva, en ce qui touche l'ornementation, à peu près dans le même cas.

D'une part, elle avait l'art de Byzance, qui tendait à se vulgariser, au moins dans les provinces voisines de la cité impériale; d'autre part, des éléments slaves, peut-être aussi scandinaves.

L'art russe

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