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DES ORIGINES DE L'ART RUSSE
ОглавлениеDès le VIe siècle de l'ère chrétienne, les Slaves occupaient une grande partie de l'Europe, depuis la mer Baltique jusqu'à la mer Noire. Les historiens byzantins les dépeignent comme des peuples différant essentiellement des Germains et des Sarmates Caucasiens. Déjà du temps de Justinien, s'étant alliés aux Ougres et aux Antes, ils attaquent l'empire qui finit par acheter leurs services. Vers la fin de ce siècle, les Avars entrant en scène et, en 568, leur puissance s'étendait du Volga à l'Elbe.
Ces Avars étaient sous la conduite d'un Kan avec lequel la cour de Byzance fut obligée de traiter. Ils semblent avoir atteint un degré de civilisation assez avancé, car on trouve en Sibérie, au milieu de l'Altaï d'où ils étaient sortis, des tombeaux qui renferment quantité d'objets précieux.
Pendant les dernières années du VIe siècle, les Avars soumettent les Antes et les Slaves du sud. Ceux de Bohême se révoltent bientôt et recouvrent leur indépendance. Au VIIe siècle, on trouve les Slaves établis dans la Thrace, dans la Moesie et la Bulgarie actuelle, dans le Péloponnèse, en Bithynie, en Phrygie, en Dardanie et même en Syrie.
Ainsi formaient-ils autour de Constantinople des agglomérations, tantôt combattant, tantôt aidant l'empire.
En 635, les Avars du Danube sont chassés par les Slaves qui redeviennent possesseurs de leur ancien territoire.
Quant aux territoires de la Russie actuelle, des populations finnoises ou tchoudes les occupaient au nord, sous les dénominations de Mériens autour de Rostov; de Mouromiens, sur l'Oka, à son embouchure dans le Volga; de Tchérémisses, Mechtchères et Mordviens, au sud-est des Mériens; de Liviens, en Livonie; de Tchoudes, en Esthonie et à Test, vers le lac Ladoga; de Naroviens, sur le territoire de Narva; de Jamiens ou Emiens en Finlande; de Vesses sur le lac Bielo-Osero; de Permiens dans le gouvernement de Perm; de Yougres ou Ostiaks actuels de Bérézof sur l'Obi et la Sozva, et de Petchores sur la Petchora.
Ces populations, de mœurs douces, dépourvues d'initiative, abandonnèrent peu à peu les immenses territoires qu'elles occupaient, soit au nord de la Russie, soit en Norvège, aux races conquérantes Slaves et Varègues (Scandinaves).
Les Khosars ou Khasars, qui habitaient les côtes occidentales de la mer Caspienne et qui ravagèrent l'Arménie, l'Ibérie et la Médie sans que les empereurs d'Orient essayassent de s'y opposer, apparurent les armes à la main au commencement du VIIIe siècle sur les rives du Dnjeper et subjuguèrent les populations slaves Kiéviens[1], Sévériens[2], Radimitches et Viatitches[3].
Qu'étaient ces Khosars? Ils appartenaient à ces races hunniques, à ces Turks descendus de la région de l'Altaï, dans les plaines du Touran des Iraniens, et qui, du temps de Khosroès, étaient maîtres des contrées situées entre le nord-ouest de la Chine et les frontières de la Perse. Ils obéissaient au Khâ Kan ou Grand Khan des Turks[4].
Encore au temps de Constantin Porphyrogénète (911-959), les populations qui occupaient les rivages de la mer Noire, sur une grande profondeur, étaient les Petchenègues, les Khosars, les Ouses, les Ziches, les Alains et, derrière ces peuples, vers le nord, les Bulgares noirs ou Bulgares de la Kama[5].
Il ne paraît pas que les Khosars, les plus civilisés parmi ces nations, aient imposé un joug très-dur aux races slaves au milieu desquelles ils s'établirent. Les Novgorodiens et les Krivitches, au delà de l'Oka, conservèrent leur indépendance.
Mais, en 859, apparurent au nord les Varègues qui, traversant la Baltique, imposèrent des tributs aux Tchoudes, aux Slaves d'Ilmen, aux Krivitches et aux Mériens.
Suivant leur coutume, ces peuplades normandes paraissent s'être présentées d'abord plutôt en pirates qu'en conquérants.
Cependant, d'après l'annaliste Nestor, les Slaves, en proie aux discordes et à l'anarchie, auraient appelé, en 862, trois frères Varègues pour leur remettre le pouvoir. Ces trois frères s'appelaient Rurick, Sinéous et Trouvor[6].
Sans attacher à ces traditions plus d'importance qu'il ne convient, on constate cependant la présence des Varègues en Russie jusqu'au commencement du règne de Vladimir, comme mercenaires, alliés souvent gênants, parfois utiles; mais possédant une influence notable.
Le récit de Nestor rapporte à la seconde moitié du IXe siècle la conversion des Russes au christianisme, et, dès lors, les relations avec Constantinople deviennent de plus en plus fréquentes.
«Les Russes, dit le patriarche Photius dans ses lettres aux évoques d'Orient[7], si célèbres par leur cruauté, vainqueurs de leurs voisins, et qui, dans leur orgueil, osèrent attaquer l'Empire romain, ont déjà renoncé à leurs superstitions et professent maintenant la religion de Jésus-Christ. Naguère nos ennemis les plus redoutables, ils sont devenus nos fidèles amis; déjà nous leur avons donné un évêque et un prêtre et ils témoignent du plus grand zèle pour le christianisme[8].»
D'autre part, Constantin Porphyrogénète écrit que les Russes ne furent baptisés que du temps de Basile le Macédonien et du patriarche Ignace, c'est-à-dire vers l'an 867.
Cependant il fallut un temps assez long pour que la religion nouvelle pénétrât sur toute l'étendue de ce territoire occupé dès lors par les Russes, et les Varègues paraissent avoir persisté très-tard encore dans l'observation du culte Scandinave.
Au commencement du Xe siècle, un fait important est signalé par l'annaliste Nestor. Pendant les expéditions brillantes d'Oleg et ses conquêtes entreprises pour donner de la cohésion aux diverses provinces occupées par des populations vivant à peu près à l'état d'indépendance les unes envers les autres, la nouvelle capitale du prince russe, Kiew, vit dresser devant ses murs les tentes des Ougres[9] qui, sortis des rampes orientales de l'Oural, s'étaient établis pendant le IXe siècle dans la Libédie à l'orient de Kiew. Ces Ougres pendant leur longue migration, poussés par les Petchenègues, s'étaient divisés.
Une partie avait passé le Don, se dirigeant vers la Perse; l'autre se présentait devant les rives du Dnjeper.
Qu'ils aient traversé la province de Kiew de gré ou de force, le fait est qu'ils allèrent s'établir le long du Danube, dans la Moldavie et la Valachie.
Oleg, d'origine Scandinave, tolérait le christianisme dans les provinces russes soumises à son pouvoir, mais n'était pas chrétien. Suivant les habitudes de piraterie si chères aux peuplades scandinaves, il réunit les Novgorodiens, les Finnois de Bielo-Osero, les Mériens de Rostov, les Krivitches, les Polanes de Kiew, les Radimitches, les Doulèbes, les Gorvates et les Tivertses; il embarque son armée sur des bateaux légers qui descendent le Dnjeper, suivent les côtes du nord-ouest de la mer Noire et se présentent devant Byzance. L'empereur Léon effrayé, après avoir vu saccager les environs de sa capitale, achète la paix.
Cette expédition et ses conséquences ont des rapports trop intimes avec ce que les Normands de Scandinavie pratiquaient alors sur les côtes occidentales de l'Europe, pour que nous ne signalions pas ce fait.
Cette armée, très-nombreuse, embarquée sur dès bateaux transportés à bras pour franchir les cataractes du fleuve, bateaux qui côtoient le rivage que suit à cheval la cavalerie protégée par la flotte, mis à terre près de Byzance et montés sur des rouleaux, se convertissant ainsi en un camp: tous ces détails, donnés par l'annaliste Nestor, sont si conformes aux habitudes des Normands, connues d'ailleurs et par d'autres sources qu'on ne saurait en contester la réalité.
Si nous insistons sur ce fait qui s'était déjà présenté une fois, lorsque les Varègues de Kiew tentèrent une première expédition contre Byzance, vers 865, c'est qu'il concorde singulièrement avec les éléments d'art que nous rencontrons dominants à l'origine de la puissance russe, savoir: l'élément slave, l'élément byzantin et une trace scandinave.
Mais il nous faut définir clairement d'abord ce qu'était l'art byzantin à l'époque où les Russes se trouvaient en communication incessante avec la capitale de l'empire d'Orient, soit comme alliés, soit comme ennemis ou envahisseurs.
Des origines très-diverses ont composé ce que l'on est convenu d'appeler l'art byzantin. L'empire romain, en venant établir sa nouvelle capitale sur les bords du Bosphore, trouvait là une civilisation très-avancée, mélange de traditions orientales de l'Asie Mineure, modifiées par le génie grec. La dynastie des Arsacides avait porté la culture des arts chez les Perses à un haut degré de splendeur et Rome qui était toujours disposée à s'approprier les éléments d'art qu'elle trouvait chez les peuples conquis, tout en imposant les grandes dispositions commandées par ses habitudes administratives, n'hésita pas à se servir des méthodes de structure adoptées chez les nations au milieu desquelles l'empire s'établissait.
L'art byzantin, comme tous les arts, comprend deux parties distinctes, surtout s'il s'agit de l'architecture: 1° la pratique, la structure, le moyen matériel; 2° le choix de la forme, le style, l'apparence. Les Romains, pourvu qu'on remplit les programmes qu'ils imposaient, surtout à la fin de l'empire, se souciaient assez peu des moyens employés pour y satisfaire. Tous les modes de structure d'une voûte, par exemple, leur étaient indifférents, pourvu que la voûte se fît. Ce scepticisme s'étendait jusqu'à un certain point à la décoration, depuis que les traditions de la belle époque grecque, si fort prisées à la fin de la République, s'étaient effacées sous l'apport d'éléments orientaux de plus en plus nombreux et puissants, et que les Grecs eux-mêmes s'étaient emparés de l'art asiatique pour le diriger dans une voie nouvelle.
On sait aujourd'hui que la voûte était employée dans les constructions des Ninivites et des Babyloniens, c'est-à-dire chez les peuples assyriens qui jetèrent un si vif éclat; non-seulement la voûte en berceau, mais la coupole et la demi-coupole. Mais ce qu'on n'a peut-être pas assez étudié, ce sont les moyens pratiques employés pour élever ces voûtes. Encore aujourd'hui nous voyons dans tout l'Orient élever des voûtes sans le secours de cintres, et, en examinant les monuments anciens, c'est-à-dire qui datent de l'époque des Sassanides, on retrouve exactement l'emploi des mêmes procédés, tant l'Orient change peu.
Un jeune voyageur français, ingénieur, M. Choisy, envoyé depuis peu en Asie Mineure, a rapporté, sur la construction des voûtes dites byzantines et d'après les indications qu'il avait bien voulu nous demander, des renseignements d'une haute valeur, en ce qu'ils expliquent l'adoption de certaines formes qui se développent en Russie à dater du XIIe siècle, mais dont l'origine se trouve dans la structure byzantine proprement dite.
Les architectes byzantins des premiers siècles avaient donc, tout en conservant à peu près les apparences de la voûte romaine, substitué au mode de structure adopté par les Romains un mode de structure oriental et dont nous trouvons les éléments dans les ruines de Khorsabad; c'est-à-dire un mode de structure qui permettait de se passer de cintres en charpente. En effet, les égouts du palais de Khorsabad montrent des voûtes en berceau ogival, elliptique ou plein-cintre, composées de briques placées de champ, mais suivant un plan incliné, de telle sorte que ces voûtes présentent le diagramme ci-dessus (fig. 1 et 2).