Читать книгу Robert le Diable (Robert der Teufel) - Eugène Scribe - Страница 7
Introduction.
ОглавлениеLE CHŒUR.
Versez à tasse pleine,
Versez ces vins fumeux,
Et que l'ivresse amène
L'oubli des soins fâcheux.
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
Premier Chevalier, à droite, regardant Robert.
Quels nombreux écuyers! Quelles armes brillantes!
DEUXIÈME CHEVALIER.
Quel est cet étranger, ce seigneur opulent,
Dont les tentes élégantes
S'élèvent près de notre camp?
Qui l'amène en Sicile?
PREMIER CHEVALIER.
Il y vient, j'imagine,
Pour assister, comme nous, aux tournois
Que donne le duc de Messine.
Robert, le verre à la main, s'adressant aux chevaliers.
Illustres chevaliers, c'est à vous que je bois!
LE CHŒUR.
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
Scène II
Les Mêmes; un Écuyer de Robert, puis Raimbaut.
L'ÉCUYER, s'adressant à Robert.
J'amène devant vous un joyeux pèlerin
Qui, si vous le voulez, pourrait, par un refrain,
Égayer le repas de votre seigneurie.
Il arrive de France et de la Normandie.
ROBERT, vivement.
Quoi! de la Normandie?
BERTRAM, à voix basse.
Votre ingrate patrie!
Pendant ce temps est entré Raimbaut.
ROBERT, à Raimbaut.
Approche!
Lui donnant une bourse.
Prends; dis-nous quelques récits
RAIMBAUT.
Je vous dirai l'histoire épouvantable
De notre jeune duc, de ce Robert le Diable ...
TOUS.
Robert le Diable!
RAIMBAUT.
Ce mauvais garnement à Lucifer promis,
Et qui pour ses méfaits s'exila du pays.
Robert tire son poignard.
BERTRAM, le retenant.
Y pensez-vous! ...
Robert se retourne vers Raimbaut, et lui dit froidement.
Commence.
TOUS.
Écoutons, mes amis!
Ballade.
RAIMBAUT.
Premier couplet.
Jadis régnait en Normandie
Un prince noble et valeureux.
Sa fille, Berthe la jolie,
Dédaignait tous les amoureux,
Quand vint à la cour de son père
Un prince au parler séducteur;
Et Berthe, jusqu'alors si fière,
Lui donna sa main et son cœur.
Funeste erreur! Fatal délire!
Car ce guerrier était, dit-on,
Un habitant du sombre empire:
C'était ...oui, c'était un démon!
LE CHOEUR.
Ah! le conte est fort bon;
Comment ne pas en rire?
Quoi, c'était un démon?
RAIMBAUT.
Oui, c'était un démon!
Deuxième couplet.
De cet hymen épouvantable
Vint un fils, l'effroi du canton!
Robert, Robert, le fils du diable,
Dont il porte déjà le nom.
Semant le deuil dans les familles,
En champ clos il bat les maris,
Enlève les femmes, les filles,
Et s'il paraît dans le pays ...
Fuyez, fuyez, jeune bergère.
Car c'est Robert; il a, dit-on,
Les traits et le cœur de son père,
Et comme lui c'est un démon.
LE CHŒUR.
Ah! le conte est fort bon
Comment ne pas en rire
Robert est un démon?
RAIMBAUT.
Oui, c'est un vrai démon!
Robert, qui jusque-là a cherché à modérer sa colère, se lève à la fin du deuxième couplet.
C'en est trop! ... Qu'on arrête un vassal insolent!
Je suis Robert!
Raimbaut, tombant à genoux.
Miséricorde!
Pardon, mon doux seigneur!
ROBERT.
Une heure je t'accorde!
Fais ta prière, et puis qu'on le pende à l'instant.
RAIMBAUT.
Grâce! grâce! Je vous en prie!
J'arrive de la Normandie
Avec ma fiancée, et nous venons tous deux
Remplir auprès de vous un message pieux!
ROBERT.
Ta fiancée? ... Attends. Sans doute elle est jolie!
Je me laisse attendrir; allons, pour ses beaux yeux
Je te fais grâce de la vie ...
Mais elle m'appartient, qu'on l'amène en ces lieux.
Chevaliers, je vous l'abandonne.
RAIMBAUT.
Hélas!
ROBERT.
Tais-toi, vassal; quand ma bonté pardonne,
Oses-tu bien encor murmurer?
RAIMBAUT.
Malheureux!
ROBERT.
Ècuyers, versez-nous ces vins délicieux!
Robert et Les Chevaliers.
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
Scène III.
Les Mêmes; Alice, conduite par des pages de Robert.
ALICE.
Où me conduisez-vous? Par pitié, laissez-moi!
LES CHEVALIERS.
Qu'elle a d'attraits! Qu'elle est jolie!
Allons, calmez un vain effroi.
ALICE.
Grâce! grâce, je vous supplie!
Les Chevaliers, montrant Raimbaut.
Non, non, il faut qu'il soit puni!
Non, point de pitié pour vos larmes!
Notre vengeance a trop de charmes
Pour que vous obteniez merci!
ALICE.
Plus d'espoir! ô peine cruelle!
ROBERT, reconnaissant Alice.
Qu'entends-je? qu'ai-je vu? c'est elle!
Alice!
ALICE, se jetant aux pieds de Robert.
Ah! monseigneur, protégez-moi contre eux.
ROBERT.
C'est Alice; arrêtez! respectez sa faiblesse.
Le même lait nous a nourris tous deux;
Je ne l'oublierai pas.
LES CHEVALIERS.
Tenez votre promesse;
Avez-vous oublié notre refrain joyeux?
Ensemble.
LES CHEVALIERS.
Au seul plaisir fidèles,
Consacrons-lui nos jours.
Le vin, le jeu, les belles,
Voilà nos seuls amours.
ROBERT.
Non, je prends sa défense;
Calmez un vain transport;
Malheur à qui l'offense!
Il recevra la mort.
Craignez d'exciter ma vengeance,
A mon ordre il faut obéir;
Retirez-vous sans résistance,
Ou mon bras saura vous punir.
LES CHEVALIERS.
Partons, amis, point d'imprudence,
N'excitons point un vain courroux;
Retirons-nous sans résistance,
Et plus tard nous reviendrons tous.
Raimbaut et les chevaliers se retirent devant Robert qui les menace.
Scene IV.
Robert, Alice.
ALICE.
O mon prince! ô mon maître!
ROBERT.
Appelle-moi ton frère.
Banni par des sujets ingrats,
Je suis un exilé sur la rive étrangère.
J'ai cherché vainement la mort dans les combats;
Mais toi, près de Palerme, ici que viens-tu faire?
ALICE.
J'y viens pour remplir un devoir.
Avec mon fiancé j'ai quitté ma chaumière,
J'ai suspendu l'hymen qui devait nous unir ...
ROBERT.
Pourquoi?
ALICE.
Pour accomplir l'ordre de votre mère.
ROBERT.
Ma mère bien-aimée! Ah! parle, à son désir
Je m'empresserai de me rendre.
ALICE.
Vous ne devez jamais la revoir ni l'entendre.
ROBERT.
O ciel!
ALICE.
Elle n'est plus.
ROBERT.
Quoi! ma mère? ô tourment!
Romance.
ALICE.
Premier couplet.
Va, dit-elle, va, mon enfant,
Dire au fils qui m'a délaissée
Qu'il eut la dernière pensée
D'un cœur qui s'éteint en l'aimant.
Adoucis sa douleur amère,
Il ne reste pas sans appui:
Dans les cieux comme sur la terre,
Sa mère va prier pour lui.
Deuxième couplet.
Dis-lui qu'un pouvoir ténébreux
Veut le pousser au précipice;
Sois son bon ange, pauvre Alice,
Il doit choisir entre vous deux.
Puisse-t-il fléchir la colère
Du Dieu qui m'appelle aujourd'hui,
Et dans les cieux suivre sa mère,
Sa mère qui priera pour lui!
ROBERT.
Je n'ai pu fermer sa paupière!
ALICE.
Elle m'a confié sa volonté dernière.
Un jour, a-t-elle dit,
Quand il en sera digne, il lira cet écrit.
Alice se met à genoux et présenta à Robert le testament de sa mère.
ROBERT.
Non, je ne le suis pas! non, je me rends justice!
Plus tard ...Conserve encor ce dépôt, chère Alice.
Tout m'accable à la fois! En proie à la douleur,
Je nourris les tourments d'une ardeur inutile.
ALICE
Vous aimez?
ROBERT.
Sans espoir! Connais tout mon malheur:
De la princesse de Sicile
Les charmes ont touché mon cœur;
Je crus sa conquête facile,
Je la vis s'attendrir! ...mais troublé, mais jaloux,
Je voulus l'enlever; j'osai braver son père,
De tous ses chevaliers je défiai les coups!
ALICE.
O ciel!
ROBERT.
Je succombais, lorsque, dans la carrière,
Bertram, un chevalier, mon ami, mon sauveur,
Aux plus hardis fit mordre la poussière;
Je lui dus la victoire et perdis le bonheur.
ALICE.
Eh quoi! la princesse Isabelle ...
ROBERT.
Depuis je n'ai pu la revoir.
ALICE.
A ses premiers serments elle sera fidèle.
ROBERT.
Et comment le savoir?
ALICE.
Demandez-le vous-mêmes;
Écrivez!
ROBERT fait un signe; son chapelain sort de la tente et apporte ce qui est nécessaire pour écrire.
Tu le veux ...Mais qui remettra?
ALICE.
Moi! ...
L'esprit vient aisément quand on sert ceux qu'on aime.
ROBERT.
Mon ange tutélaire! Ah! comment envers toi
Pourrai-je m'acquitter? ...
Pendant le couplet d'Alice, il dicte un billet au chapelain.
ALICE.
Vous le pouvez sans peine.
De ce pauvre Raimbaut vous connaissez l'amour:
Souffrez qu'un saint homme en ce jour,
Près des rochers de Sainte-Irène
L'unisse avec moi sans retour!
ROBERT applique le pommeau de son épée sur le billet et le donne à Alice.
De grand cœur! Tiens.
Scène V.
Les Mêmes; Bertram qui vient d'entrer et s'approche de Robert.
ALICE, l'apercevant et faisant un geste de frayeur. – Bas à Robert.
Quel est ce sombre personnage?
ROBERT.
Le chevalier Bertram, mon plus fidèle ami;
Pourquoi d'un air d'effroi le regarder ainsi?
ALICE, tremblante.
C'est qu'il est en notre village
Un beau tableau représentant
L'archange saint Michel qui terrasse Satan,
Et je trouve ...
ROBERT.
Achevez! quel trouble est donc le vôtre?
ALICE, bas à Robert.
Qu'il ressemble ...
ROBERT, souriant.
A l'archange.
ALICE, de même.
Eh! non vraiment ... à l'autre.
ROBERT, bas.
Quelle folie
Haut.
Allez, et qu'un hymen heureux,
Ce soir, mes bons amis, vous unisse tous deux!
Alice baise la main de Robert et sort.
Scène VI.
Robert, Bertram.
BERTRAM.
Quoi! tous deux les unir! A merveille! courage!
Ta nouvelle conquête est fort bien avec toi ...
ROBERT.
Oui, par reconnaissance.
BERTRAM.
Ah! crois donc ce langage;
C'est le mot de tous les ingrats.
ROBERT.
Bertram, tu ne la connais pas!
Tais-toi, je crains ta funeste influence.
En moi j'ai deux penchants: l'un qui me porte au bien,
Naguère encor j'en sentais la puissance;
L'autre me porte au mal, et tu n'épargnes rien
Pour l'éveiller en moi.
BERTRAM.
Que dis-tu? Quel délire!
Quoi tu peux te méprendre au motif qui m'inspire?
Tu doutes de mon cœur?
ROBERT.
Non, non, tu me chéris;
Je le crois.
BERTRAM.
Oui, Robert, cent fois plus que moi-même.
Tu ne sauras jamais à quel excès je t'aime!
ROBERT.
Ne me donne donc plus que de sages avis.
BERTRAM.
A la bonne heure! Et tiens, pour bannir la tristesse,
Montrant les chevaliers qui rentrent.
Mêlons-nous à ces chevaliers.
Tente le sort du jeu, partage leur ivresse:
Nous avons besoin d'or, qu'ils soient nos trésoriers!
ROBERT.
Oui, le conseil est bon.
Scène VII.
Robert, Bertram, Chevaliers.
Finale.
BERTRAM, aux chevaliers.
Le duc de Normandie
A vos plaisirs veut prendre part.
ROBERT.
Aux tournois, chevaliers, nous nous verrons plus tard.
C'est au jeu que je vous défie.
LES CHEVALIERS.
Nous sommes tous flattés de tant de courtoisie;
Allons, voyons pour qui doit pencher le hasard.
ROBERT.
L'or est une chimère,
Sachons nous en servir:
Le vrai bien sur la terre
N'est-il pas le plaisir?
TOUS.
Commençons.
Pendant ce temps on a placé une table au milieu du théâtre, tous les joueurs l'entourent.
Sicilienne.
Ensemble.
ROBERT ET LES CHEVALIERS.
O fortune! à ton caprice,
Viens, je livre mon destin,
A mes désirs sois propice,
Et viens diriger ma main.
L'or est une chimère,
Sachons nous en servir:
Le vrai bien sur la terre
N'est-il pas le plaisir?
BERTRAM.
Fortune, ou contraire, ou propice,
Qu'importe ton courroux!
Je brave ton caprice
Et je ris de tes coups.
Pendant cet ensemble, on a commencé à faire rouler les dés.
ROBERT.
J'ai perdu; ma revanche! Allons, cent pièces d'or!
UN CHEVALIER.
A vous les dés.
ROBERT.
Quatorze! ah! cette fois, je pense,
De mon côté pourra tourner la chance.
Allons, allons, je perds encor!
BERTRAM.
Qu'importe? Va toujours!
ROBERT.
Nous mettons deux cents piastres!
BERTRAM.
Eh! ce n'est pas assez; cinq cents!
LES CHEVALIERS, à part.
Nous les tenons.
BERTRAM.
C'est ainsi qu'un joueur répare ses désastres.
Je suis sûr du succès!
ROBERT.
Ah! grand Dieu! Nous perdons.
BERTRAM.
Console-toi,
Fais comme moi,
Plus de dépit;
Car tu l'as dit:
L'or est une chimère,
Sachons nous en servir:
Le vrai bien sur la terre
N'est-il pas le plaisir?
ROBERT.
De son injustice cruelle
Je veux faire rougir le sort;
Contre vous tous je joue encor
Mes diamants et ma riche vaisselle.
LES CHEVALIERS.
Cela vraiment nous convient fort.
BERTRAM.
Il a raison: à quoi bon en voyage
S'embarrasser d'un semblable bagage?
ROBERT, suivant les dés.
O ciel! c'est fait de nous!
BERTRAM.
Console-toi,
Fais comme moi,
Plus de dépit;
Car tu l'as-dit:
L'or est une chimère,
Sachons nous en servir:
Le vrai bien sur la terre
N'est-il pas le plaisir?
ROBERT, frappant sur la table.
Et mes chevaux et mes armures!
C'est tout ce qui nous reste, et je veux l'exposer.
BERTRAM.
Et tu fais bien; le sort contre qui tu murmures
N'attend que ce moment pour nous favoriser.
ROBERT.
Seize!
BERTRAM.
Quel bonheur! Tu vois bien! ...
LES CHEVALIERS, amenant les dés.
Dix-huit!
ROBERT.
O ciel! je n'ai plus rien!
BERTRAM.
Ami, console-toi!
ROBERT.
Dans mon destin funeste
Je t'entraîne avec moi!
BERTRAM.
Notre amitié nous reste.
ROBERT, abattu.
Mes armes, mes coursiers ne m'appartiennent plus.
A Bertram.
Va leur livrer les biens que j'ai perdus.
Bertram sort avec quelques chevaliers.
Ensemble.
ROBERT.
Malheur sans égal
D'un sort infernal
L'ascendant fatal
Me poursuit, m'opprime;
Craignez mon courroux!
Je puis sur vous tous
Me venger des coups
Dont je suis victime.
LES CHEVALIERS.
Voyez son courroux:
Du destin jaloux
Il maudit les coups,
Il jure, il blasphème.
Modérez, seigneur,
Cette folle ardeur.
Craignez ma fureur,
Et tremblez vous-même.
BERTRAM, rentrant.
Console-toi,
Fais comme moi,
Plus de dépit;
Car tu l'as dit:
L'or est une chimère,
Sachons nous en servir;
Le vrai bien sur la terre
N'est-il pas le plaisir?