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LES DEUX BILLETS DE CÉSAR.

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Il y avait alors à Rome, sur le mont Tarpéien, une sombre prison.

Depuis quelque temps, une femme errait continuellement autour de cette affreuse demeure; ses vêtements étaient en lambeaux, le désespoir le plus profond se lisait sur son beau visage, dont l’âge n’avait point encore altéré les traits; ses pieds nus, enflés, sanglants et meurtris témoignaient des fatigues d’un long voyage.

Vainement cette pauvre étrangère s’était déjà présentée suppliante aux portes de la prison, elle avait toujours été brutalement repoussée. Mais, un jour, elle y accourut plus vite qu’à l’ordinaire; elle tenait un parchemin à la main. Elle frappa à la porte de la prison, un homme vint ouvrir.

— Tenez, dit-elle en donnant son parchemin à l’homme.

Celui-ci lut tout haut

«Laissez passer la mère de Vercingétorix.

«Signé CÉSAR.»

A ce même instant, trois hommes se présentaient à la même porte; l’un deux tenait aussi à la main un parchemin signé César, et au-dessus de ce nom était tracée cette ligne:

«Laissez étrangler Vercingétorix.»

Le geôlier lut ces deux ordres avec le même son de voix et la même tranquillité.

— Mon billet vous a été remis le premier, je dois passer la première, dit Chamora.

— C’est juste, dit le geôlier, passez.

Alors, il fit conduire cette femme dans le cachot où, depuis six ans, gisait le malheureux Vercingétorix.

Tout ce que souffrit cette pauvre mère dans le trajet qu’elle parcourut pour aller voir ce fils, qui de ses bras devait passer dans ceux du bourreau, est impossible à décrire.

Lorsque la porte du cachot s’ouvrit et que Chamora cria: «Mon fils!» Vercingétorix ne reconnut qu’à la voix celle dont il se rappelait l’éclatante beauté, et il regardait dans une douloureuse surprise cette vieille femme que ses cheveux blancs enveloppaient comme d’un voile funéraire.

Quant à Chamora, bien que treize années eussent passé sur la tête de son fils, il était encore si beau, que ce fut presque avec orgueil qu’elle s’agenouilla sur son lit de paille, et qu’elle baisa les fers qui meurtrissaient ses pieds et ses bras.

— O ma mère! puisque je vous vois, mes malheurs vont finir.

Le cœur de Chamora se serra péniblement... En voyant son fils, elle avait tout oublié, tout, jusqu’au bourreau qui devait venir.

— Oui, mon fils, lui dit cette mère courageuse, tes malheurs vont finir, l’heure de ta liberté va bientôt sonner.

Lorsque Chamora fut remise, elle dit en baissant la voix:

— Tu m’attendais depuis longtemps, n’est-ce pas? et cependant je suis partie à l’heure même où ton message est arrivé ; mais les routes sont longues et pénibles, je suis arrivée à Alise la veille du jour où cette ville a été prise, je me suis présentée aux portes, je me suis vainement nommée, j’ai dit vainement que j’étais la mère du roi des Gaules. «Du roi des Gaules? m’a-t-on répondu, il n’y en a plus; celui qui portait ce titre est prisonnier dans son propre palais et gardé à vue par ses propres soldats. Si vous voulez entrer dans la ville, attendez que la nuit soit venue, car les habitants doivent en ouvrir les portes, non pour y faire entrer quelqu’un, mais pour en sortir avec leurs femmes et leurs enfants.» J’ai fait ce qu’on m’a dit, j’ai attendu la nuit; mais, une heure avant le moment fixé par les habitants pour ouvrir leurs portes, j’ai vu des troupes s’avancer et entourer toute la ville, j’ai vu des soldats monter à l’assaut, j’ai entendu les cris des habitants que l’on égorgeait; et si cette nuit-là je ne suis pas morte d’épouvante et d’horreur, c’est que je te cherchais, mon fils, je te cherchais parmi les morts et les combattants, parmi les victimes et les héros.

— On vous a dit la vérité, ma mère, reprit le prisonnier; les habitants d’Alise, las de la longueur du siége, avaient résolu d’abandonner la ville, de sorte que le matin, César, en voyant les portes ouvertes, y serait entré et n’aurait plus trouvé que moi et quelques autres chefs trahis aussi, et enchaînés avec moi dans mon palais. Mais il n’en a pas été ainsi: cette nuit où les habitants, occupés de leurs préparatifs de voyage, étaient presque tous sans armes, César avait médité son attaque, et l’exécutait comme vous l’avez vu; et le lendemain matin, de prisonnier des Gaulois que j’étais, je suis devenu prisonnier des Romains.

J’ai cru qu’une aussi illustre capture adoucirait le chef des Romains, et je n’ai voulu lui rendre son captif qu’environné de l’éclat d’une royauté vaincue.

Alors, j’ai demandé mon cheval de bataille magnifiquement harnaché, j’ai revêtu mes plus belles armes, et, suivi des autres chefs gaulois, à cheval comme moi, mais désarmés, je me suis présenté devant César.

J’ai mis pied à terre, j’ai détaché mes armes, je les ai déposées aux pieds du vainqueur, je m’y suis prosterné moi-même, espérant, je l’avoue, que la vue d’un ennemi jeune et vaincu toucherait le cœur de César et qu’il me rendrait mes armes et ma liberté ; mais je me suis trompé : couvert de chaînes, j’ai été conduit à Rome, où j’ai servi à orner le triomphe de mon vainqueur, puis jeté dans ce cachot, depuis six ans j’y prie nos dieux pour ma mère.

Ainsi j’ai attendu ce moment, que je ne pourrais trop payer au prix de ma vie.

Comme Vercingétorix achevait de parler, le cachot fut subitement éclairé par un grand nombre de torches. Chamora reconnut les trois messagers de mort de César. La pauvre mère jeta ses bras autour de son fils bien-aimé, comme pour disputer à la mort cette tête jeune et belle; mais lui, écartant doucement sa mère et se tournant vers les bourreaux:

— Que venez-vous m’annoncer? leur dit-il.

— La mort, répondit un des trois hommes.

— Faites, dit le prisonnier avec calme et majesté ; mais avant, ajouta-t-il, éloignez ma mère.

— Mon fils, s’écria Chamora d’un accent déchirant et sublime à la fois, à ce moment suprême et solennel n’éloigne pas de toi celle qui t’a donné la vie.

— Aurez-vous ce courage, ma mère? demanda Vercingétorix.

— Ne songe pas à ta mère, répondit la Gauloise.

Et si Chamora ne mourut pas pendant cette affreuse exécution, c’est qu’il lui restait à remplir un devoir sacré et terrible.

Elle embauma de ses mains le corps de son fils et l’entoura de bandelettes parfumées, secret que les druides avaient appris des Égyptiens, puis elle déposa le corps de ce fils bien-aimé sur un chariot traîné par des bœufs, et elle reprit ainsi le chemin de la patrie.

Un matin, des bergers qui habitaient sur les bords de la Loire trouvèrent, sur la route qui conduisait à la ville de Chartres, un chariot attelé de deux bœufs qui broutaient, libres et paisibles, l’herbe des champs. Dans le chariot était le corps d’un jeune homme mort, et contre les roues était étendu le corps d’une femme morte aussi. Les pâtres creusèrent une fosse et y enterrèrent les deux corps; puis, après avoir rempli ce pieux devoir, ils dételèrent les bœufs qu’ils emmenèrent avec eux, et laissèrent le chariot à l’abandon.

Plus tard, en touillant la terre, on découvrit au doigt du jeune homme mort un anneau d’or. Alors seulement on sut que cette tombe était celle de Vereingétorix et de sa mère.

Je voudrais qu’il fût encore en mon pouvoir de faire grâce à son père.


Courage et résignation: Contes historiques dédiés à la jeunesse

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