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LE COPRIS LUNAIRE. — L’ONITIS BISON

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Inférieur de taille au Copris espagnol et moins exigeant que lui en douceur de climat, le Copris lunaire (Copris lunaris Lin.) va nous confirmer le dire du Sisyphe sur le rôle du concours du père dans la prospérité de la famille. Nos pays n’ont pas son égal en bizarrerie des atours masculins. Corne sur le front ainsi que l’autre; au milieu du corselet, promontoire à double crénelure; aux épaules, pointe de hallebarde et profonde entaille en croissant. Le climat de la Provence et la parcimonie des vivres dans les garrigues du thym ne lui conviennent pas. Il lui faut des régions moins arides, à pâturages où les galettes bovines lui fournissent copieuse provende.

Copris lunaris.


Ne pouvant compter sur les rares sujets que l’on rencontre ici de loin en loin, j’ai peuplé ma volière avec des étrangers envoyés de Tournon par ma fille Aglaé. Le mois d’avril venu, elle se livra, sur ma demande, à d’infatigables recherches. Rarement tant de bouses de vache ont été soulevées du bout de l’ombrelle; rarement, avec telle affection, doigts délicats ont rompu les tourtes des pacages. Au nom de la science, merci à la vaillante!

Le succès répondit au zèle déployé. J’étais possesseur de six couples, immédiatement installés dans la volière où l’année précédente avait travaillé le Copris espagnol. Je sers le mets national, l’opulente fouace fournie par la vache de ma voisine. Aucun signe de nostalgie parmi les dépaysés, qui bravement se mettent à l’ouvrage sous le mystérieux couvert du gâteau.

Au milieu de juin, première fouille. Je suis ravi de ce que met à nu, petit à petit, ma lame de couteau, abattant la terre par tranches verticales. Dans le sable, chaque couple s’est creusé une salle superbe, comme jamais le Scarabée sacré ni le Copris espagnol ne m’en ont montré d’aussi spacieuse et d’aussi hardie en portée de voûte. Le grand axe mesure un décimètre et demi et au delà ; mais le plafond, très surbaissé, n’a guère que cinq à six centimètres de flèche.

Le contenu répond à l’exagération du logis. C’est une pièce digne des noces de Gamache, une tourte de l’ampleur de la main, d’épaisseur médiocre et de contour variable. J’en trouve d’ovalaires, de courbées en rein, d’étoilées en courtes digitations, d’allongées en langue de chat. Caprices de mitron que ces menus .détails. L’essentiel, l’immuable, c’est ceci: dans les: six boulangeries de ma volière, les deux sexes sont toujours présents à côté du monceau de pâte qui, malaxée suivant les règles, maintenant fermente et mûrit.

PL. II


Que prouve cette longue durée de la vie en ménage? Elle prouve que le père a pris part à l’excavation de la crypte, à l’emmagasinement des victuailles cueillies sur le seuil de la porte brassée par brassée, au pétrissage de tous les lopins en un bloc unique, mieux apte à se bonifier. Un encombrant désœuvré, un inutile, ne resterait pas là ; il remonterait à la surface. Le père est donc un collaborateur assidu. Son concours semble même devoir se prolonger encore. Nous verrons.

Bonnes bêtes, ma curiosité vient de troubler votre ménage; mais vous en étiez aux débuts, vous appendiez, comme on dit, la crémaillère. Peut-être est-il dans vos moyens de refaire ce que je viens de saccager. Essayons. L’établissement est remis en état avec des vivres frais. C’est à vous maintenant d’excaver de nouveaux terriers, d’y descendre de quoi remplacer le gâteau que je vous ai dérobé, et de subdiviser après le bloc, amélioré par le repos, en rations convenables aux besoins des larves. Le ferez-vous? Je l’espère.

Ma foi dans la persévérance des ménages éprouvés n’a pas été déçue. Un mois plus tard, au milieu de juillet, je me permets une seconde visite. Les celliers sont renouvelés, aussi spacieux qu’au début. En outre, ils sont à l’heure actuelle capitonnés d’un molleton de bouse sur le plancher et une partie des parois latérales. Les deux sexes sont encore présents; ils ne se quitteront qu’à la fin de l’éducation. Le père, moins bien doué en tendresse familiale, ou peut-être plus craintif, cherche à se dérobe? par le couloir de service à mesure que la lumière pénètre dans la demeure effractionnée; la mère ne bouge pas, accroupie sur ses chères pilules, pruneaux ovoïdes semblables à ceux du Copris espagnol, mais un peu moindres.

Connaissant la modeste collection de ce dernier, je suis tout surpris de ce que j’ai maintenant sous les yeux. Dans la même loge, je compte jusqu’à sept et huit ovoïdes, rangés l’un contre l’autre et dressant en haut leur bout mamelonné, à chambre d’éclosion. Malgré son ampleur, la salle est encombrée; à peine le large reste pour le service des deux surveillants. On dirait le nid d’un oiseau garni de ses œufs, sans place vide.

La comparaison s’impose. Que sont, en effet, les pilules du Copris? Ce sont des œufs d’un autre genre, où l’amas nutritif de l’albumen et du vitellus est remplacé par une boîte de conserves alimentaires. Ici le bousier rivalise avec l’oiseau, le dépasse même. Au lieu de puiser en lui, par le seul travail occulte de l’organisation, de quoi fournir au développement avancé du jeune, il fait acte d’industrie et alimente par artifice le vermisseau qui, sans autre secours, atteindra la forme adulte. Il ne connaît pas les longues fatigues de l’incubation; le soleil couve pour lui. Il n’a pas les continuels soucis de la becquée, qu’il prépare à l’avance et distribue en une seule fois. Il ne quitte jamais le nid. Sa surveillance est de tous les instants. Père et mère, vigilants gardiens, n’abandonnent la demeure que lorsque la famille est apte à sortir.

L’utilité du père est manifeste tant qu’il faut creuser un logis et amasser du bien; elle est moins évidente lorsque la mère taille sa miche en rations, façonne ses ovoïdes, les polit, les surveille. Est-ce que le galant participerait, lui aussi, à ce délicat travail, qui semble réservé aux tendresses féminines?

Sait-il, du tranchoir de la patte, détailler la fouace, en détacher le volume requis pour la subsistance d’une larve et arrondir la pièce en une sphère, ce qui abrégerait d’autant l’ouvrage, repris et perfectionné par la mère? Connaît-il l’art de calfeutrer les fissures, de réparer les brèches, de souder les crevasses, de ratisser les pilules et d’en extirper les végétations compromettantes? A-t-il pour la nitée les soins que prodigue la mère isolée dans les terriers du Copris espagnol? Ici les deux sexes sont ensemble. S’occupent-ils l’un et l’autre de l’éducation de la famille?

J’ai essayé d’obtenir la réponse en logeant un couple de Copris lunaires dans un bocal voilé d’un étui de carton, qui me permettait à volonté et rapidement le jour ou les ténèbres. Surpris à l’improviste, le mâle était juché sur les pilules presque aussi souvent que la femelle; mais, tandis que la mère bien des fois persistait dans ses méticuleuses occupations de nourricerie, polissage avec le plat de la patte et auscultation des pilules, lui, plus poltron et moins absorbé, se laissait choir, aussitôt le jour fait, et courait se blottir dans un recoin de l’amas. Nul moyen de le voir à l’ouvrage, tant il est prompt à fuir la lumière importune.

S’il a refusé de me montrer ses talents, sa présence sur le pinacle des ovoïdes à elle seule les trahit. Il n’était pas pour rien dans cette posture incommode, peu propice aux somnolences d’un désœuvré. Il surveillait donc comme sa compagne, il retouchait les points avariés, il écoutait à travers les parois des coques les progrès des nourrissons. Le peu que j’ai vu m’affirme que le père rivalise presque avec la mère dans les soins du ménage jusqu’à la finale émancipation de la famille.

A ce dévouement paternel, la race gagne en nombre. Dans le manoir du Copris espagnol, où la mère seule séjourne, se trouvent quatre nourrissons tout au plus, souvent deux ou trois, parfois un seul. Dans celui du Copris lunaire, où les deux sexes cohabitent et se viennent en aide, on en compte jusqu’à huit, le double de la plus forte population de l’autre. Le père laborieux a là magnifique témoignagne de son influence sur le sort de la maisonnée.

Outre le travail à deux, cette prospérité exige une condition sans laquelle le zèle du. couple ne saurait suffire. Avant tout, pour se donner famille nombreuse, il faut avoir de quoi la nourrir. Rappelons le mode d’approvisionnement des Copris en général. Ils ne. vont pas, à l’exemple des pilulaires, cueillir çà et là un butin qui se conglobe en sphère et se roule ensuite au terrier; ils s’établissent directement sous le monceau rencontré, et s’y taillent, sans quitter le seuil de la demeure, des brassées emmagasinées une par une jusqu’à suffisante récolte.

Le Copris espagnol exploite, du moins dans mon voisinage, le produit dur mouton. C’est de qualité supérieure, mais peu copieux, même lorsque le fournisseur est dans les meilleures dispositions intestinales. Aussi le tout est-il enfourné dans l’antre de l’insecte, qui désormais ne sort plus, retenu sous terre par les soins du ménage, n’y eût-il à surveiller qu’un seul nourrisson. Le chiche morceau ne peut habituellement fournir de la matière que pour deux ou trois larves. La famille est donc réduite, faute de vivres disponibles.

Le Copris lunaire travaille dans d’autres conditions. Son pays lui permet la tourte bovine, grenier d’abondance où l’insecte trouve, sans l’épuiser, de quoi subvenir aux besoins de lignée florissante. A cette prospérité concourt l’ampleur du logis, dont la voûte, exceptionnelle de hardiesse, peut abriter un nombre de pilules incompatible avec le terrier moins spacieux du Copris espagnol.

Faute de large à la maison et de huche bien garnie, ce dernier se modère dans le nombre des fils, parfois réduit à un seul. Serait-ce pauvreté des ovaires? Non. Dans une étude antérieure, j’ai montré qu’avec de la place libre et du pain sur la planche, la mère peut doubler, et au delà, l’habituelle nitée. J’ai dit comment aux trois ou quatre ovoïdes je substituais une miche pétrie de ma spatule. Par cet artifice, qui donnait du large dans l’étroite enceinte du bocal et fournissait nouvelle matière à modelage, j’ai obtenu de la pondeuse une famille totale de sept. Résultat superbe, mais bien inférieur à celui que me vaut l’expérimentation suivante, mieux conduite.

Cette fois, je soustrais les pilules à mesure, moins une, afin de ne pas trop décourager la mère par mes rapts. Ne trouvant sous la patte rien des produits antérieurs, elle se lasserait peut-être d’un travail sans résultat. Lorsque la miche, son ouvrage, a reçu emploi, je la remplace par une autre de ma façon. Je continue de la sorte, enlevant l’ovoïde qui vient de se parachever, et renouvelant, jusqu’à refus de l’insecte, le bloc alimentaire épuisé.

Cinq à six semaines, avec une patience inaltérable, l’éprouvée recommence et persiste à peupler sa loge toujours vide. Enfin arrivent les jours caniculaires, rude période qui suspend la vie par son excès de chaleur et d’aridité. Mes miches sont dédaignées, si scrupuleuse qu’en soit la confection. La mère, que la torpeur gagne, se refuse au travail. Elle s’ensevelit dans le sable, à la base de la dernière pilule, et attend là, immobile, l’ondée libératrice de septembre. La persévérante m’a légué treize ovoïdes, tous modelés à perfection, tous munis d’un œuf; treize, nombre inouï dans les fastes du Copris; treize, dix de plus que la ponte normale.

La preuve est faite: si le bousier cornu restreint sa famille dans des limites étroites, ce n’est nullement par misère ovarienne, mais par crainte de famine.

N’est-ce pas ainsi que les choses se passent en notre pays, menacé de la dépopulation, à ce que dit la statistique? L’employé, l’artisan, le fonctionnaire, l’ouvrier, le teneur de boutique à modeste négoce sont chez nous multitude, chaque jour s’accroissant; et tous, ayant à peine de quoi vivre, se gardent, autant que faire se peut, d’appeler autour de la table si mal garnie un surcroît de convives. Lorsque la miche fait défaut, le Copris n’a pas tort d’en venir presque au célibat. De quel droit jetterions-nous la pierre à ses imitateurs? De part et d’autre, c’est prudence. Mieux vaut l’isolement qu’un entourage de bouches affamées. Qui se sent l’épaule assez forte pour lutter contre sa misère personnelle recule effrayé devant la misère d’un foyer populeux.

Au bon vieux temps, le remueur de glèbe, le paysan, assise fondamentale de la nation, trouvait accroissement de richesse dans une famille nombreuse. Tous travaillaient et apportaient leur morceau de pain au frugal repas. Tandis que l’aîné guidait l’attelage de labour, le plus jeune, étrennant sa première culotte, conduisait à la mare la couvée de canetons.

Ces mœurs patriarcarles se font rares. Ainsi le veut le progrès. Certes oui, c’est un sort digne d’envie que de gigoter sur une double roue avec des gestes d’araignée au désespoir; mais le progrès a son revers de médaille: il amène le luxe, il crée des besoins dispendieux.

Dans mon village, la moindre fille de fabrique, gagnant ses vingt sous par jour, se met, le dimanche, des vessies bouffantes aux épaules et des aigrettes à la coiffure comme les grandes dames; elle a ombrelle à poignée d’ivoire, chignon rembourré, souliers vernis ornés de rosaces à jour ainsi que des dentelles. Ah! gardeuses de dindons, je n’ose, avec ma veste de toile, vous regarder passer devant ma porte, sur la grande route, qui est votre promenade de Longchamps. Vous m’humiliez de votre pimpante toilette.

De leur côté, les jeunes gens sont assidus au café, autrement luxueux que l’antique cabaret. Ils y trouvent vermouth, bitter, absinthe, amer Picon, enfin la collection entière des drogues abrutissantes. De tels goûts rendent la terre trop basse, la motte trop dure. Les recettes n’étant pas proportionnelles aux dépenses, on quitte les champs pour la ville, mieux favorable, s’imagine-t-on, au pécule. Hélas! ici pas plus que là-bas l’épargne n’est possible. L’atelier, que guettent en foule les occasions de dépense, enrichit moins encore que la charrue. Mais il est trop tard: le pli est pris, et l’on reste miséreux citadin, redoutant la famille.

Magnifique de climat, de fertilité, de position géographique, le pays cependant est envahi par une avalanche de cosmopolites, aigrefins, exploiteurs de tout acabit. Autrefoîs il tenta le Sidonien, coureur des mers; le Grec pacifique, nous apportant l’alphabet, la vigne, l’olivier; le Romain, rude dominateur qui nous a légué des brutalités bien difficiles à extirper. Sur cette riche proie se sont rués le Cimbre, le Teuton, le Vandale, le Goth, le Hun, le Burgonde, le Suève, l’Alain, le Franck, le Sarrasin, hordes venues des quatre vents du ciel. Et ce mélange hétéroclite se fondit, absorbé par la nation gauloise.

Aujourd’hui l’étranger lentement s’infiltre parmi nous. Une seconde invasion de barbares nous menace, pacifique il est vrai, troublante toutefois. Notre langage, fait de clarté et d’harmonie, deviendra-t-il jargon nébuleux, à raucités exotiques? Notre caractère généreux sera-t-il déshonoré par de rapaces mercantis? Le pays des pères cessera-t-il d’être une patrie pour devenir un caravansérail? C’est à craindre, si le vieux sang gaulois n’est plus de force à submerger encore une fois cette invasion.

Espérons qu’il en sera ainsi. Écoutons ce que nous enseigne le bousier cornu. Famille nombreuse exige des vivres. Mais le progrès amène de nouveaux besoins, coûteux à satisfaire; et nos revenus sont loin de suivre la même progression. N’ayant pas assez pour six, ni cinq, ni quatre, on vit à trois, à deux, ou même on reste seul. Avec de tels principes, une nation, de progrès en progrès, s’achemine au suicide.

PL. III


Revenons donc en arrière, élaguons nos besoins artificiels, fruits malsains d’une civilisation surchauffée; remettons en honneur la rustique sobriété de nos pères; restons aux champs, où nous trouverons, dans la glèbe, nourrice suffisante si nos désirs sont modérés. Alors, et seulement alors, refleurira la famille; alors, affranchi de la ville et de ses tentations, le paysan nous sauvera.

Le troisième bousier qui m’a révélé le don de l’instinct paternel est encore un étranger. Il me vient des environs de Montpellier. C’est l’Onitis Bison ou, suivant d’autres, le Bubas Bison. Entre les deux noms génériques je ne choisirai pas, les subtilités de la nomenclature m’étant indifférentes. Je garderai le terme spécifique de Bison, qui sonne bien comme le voulait Linné.

Onitis Bison.


Je fis autrefois sa connaissance dans la banlieue d’Ajaccio, parmi les safrans et les cyclamens, gracieuse floraison printanière sous le couvert des myrtes. Viens ici, que je t’admire vivant encore une fois, bel insecte qui me rappelles mes enthousiasmes des jeunes années, sur les bords du magnifique golfe, si riche en coquillages. J’étais loin de soupçonner alors que j’aurais un jour à te glorifier. Depuis, je ne t’avais plus revu: sois le bienvenu dans ma volière et apprends-nous quelque chose.

Tu es râblot, court de jambes, ramassé en un rectangle massif, signe de vigueur. Tu portes sur la tête deux brèves cornicules pareilles au croissant d’un bouvillon; tu prolonges ton corselet en une proue émoussée qu’accompagnent, l’une à droite, l’autre à gauche, deux élégantes fossettes. Ton aspect d’ensemble, tes atours masculins te rapprochent de la série coprinaire. Les entomologistes, en effet, te classent immédiatement après les Copris, bien loin des Géotrupes. Ton métier est-il d’accord avec la place que te donne la systématique? Que sais-tu faire?

Autant qu’un autre, j’admire le classificateur qui, étudiant sur le mort la bouche, la patte, l’antenne, arrive parfois à des rapprochements heureux et sait, par exemple, assembler en un même groupe le Scarabée et le Sisyphe, si différents d’aspect, si ressemblants de moeurs. Mais cette méthode, qui néglige les hautes manifestations de la vie pour scruter de minutieux détails cadavériques, trop souvent nous égare sur le réel talent de l’insecte, caractère de bien autre valeur qu’un article de plus ou de moins aux antennes. Le Bison, après bien d’autres, nous crie casse-cou. Voisin des Copris par sa structure, il est bien plus voisin des Géotrupes par son industrie. Comme ces derniers, il comprime des saucissons dans un moule cylindrique; comme ces derniers, il est doué de l’instinct paternel.

Vers le milieu de juin, je visite mon unique couple. Sous un copieux amas fourni par le mouton, bâille, librement ouverte dans toute son étendue, une galerie verticale du calibre du doigt et plongeant à un pan de profondeur. Le fond de ce puits se ramifie en cinq branches divergentes, occupées chacune par un boudin semblable à celui des Géofrupes, mais moins long, moins volumineux. La victuaille, à surface noueuse, grossièrement arrondie, est excavée d’une chambre d’éclosion au bout inférieur. C’est une petite loge ronde, enduite d’un suintement demi-fluide. L’œuf est ovalaire, blanc et relativement gros, ainsi qu’il est de règle parmi les bousiers.

Bref, le rustique ouvrage du Bison est à peu près la reproduction de celui du Géotrupe. Je suis déçu: je m’attendais à mieux. L’élégance de l’insecte semblait faire foi d’un art plus avancé, expert dans le modelage des poires, gourdes, billes, ovoïdes. Encore une fois, gardons-nous de juger des bêtes, pas plus que des gens, sur les apparences. La structure n’instruit pas du savoir-faire.

Je surprends le couple dans le carrefour où s’ouvrent les cinq culs-de-sac à boudin. L’accès de la lumière l’a immobilisé. Avant le trouble de mes fouilles, que faisaient-ils en ce point, les deux fidèles associés? Ils surveillaient les cinq logis, ils tassaient la dernière colonne de vivres, ils la complétaient en longueur par de nouveaux apports de matière, descendue de là-haut et puisée dans le monceau qui fait couverture au puits. Ils se préparaient peut-être à en creuser une sixième chambre, si ce n’est davantage, et à la meubler comme les autres.

Du moins je reconnais que les ascensions doivent être fréquentes du fond du puits au riche entrepôt de la surface, d’où se descendent, entre les pattes de l’un., les trousses de matière méthodiquement comprimées par l’autre au-dessus de l’œuf.

Le puits, en effet, est libre dans toute sa longueur. En outre, pour prévenir les éboulements que ne manquerait pas d’amener la fréquence des voyages, la paroi est revêtue de stuc d’un bout à l’autre. Cet enduit est fait de la même matière que les boudins et dépasse un millimètre d’épaisseur. Il est continu et assez régulier, sans avoir un fini trop dispendieux en soins. Il maintient en place la terre environnante, et si bien qu’on peut enlever, sans les déformer, de larges fragments du canal.

Les hameaux alpestres crépissent la face méridionale des habitations avec de la bouse de vache qui, desséchée au soleil d’été, deviendra le combustible d’hiver. Le Bison connaît cette méthode pastorale, mais il la pratique dans un autre but: il tapisse de bouse sa demeure pour l’empêcher de crouler.

Le père pourrait bien être chargé de ce travail dans les intervalles de repos que lui laisse la mère, occupée à la délicate confection de son boudin, assise par assise. Le Géotrupe, nouveau trait de ressemblance industrielle, nous a déjà montré pareil revêtement de consolidation, moins régulier, il est vrai, et moins complet.

Dépossédé par ma curiosité, le couple Bison s’est remis à l’ouvrage et m’a fourni, au milieu de juillet, trois autres boudins. Total: huit. Cette fois, je trouve mes deux captifs morts, l’un à la surface, l’autre dans le soi. Serait-ce un accident? Ou plutôt le Bison ferait-il exception à la longévité des Scarabées, des Copris et autres, qui voient leur descendance et convolent même en secondes noces le printemps d’après?.

J’incline pour le retour à la loi générale des insectes, pour la. vie courte à qui est refusé de voir la famille, car dans la volière, rien, que je sache, n’est survenu de fâcheux. Si mon soupçon est juste, pourquoi le Bison, voisin cependant du Copris à verte vieillesse, périt-il promptement comme la vulgaire majorité, une fois la famille établie? Encore une énigme sans réponse.

Aux longues descriptions de mâchoires et de palpes, fastidieuse lecture, est préférable ici le rapide croquis. Je pense donc en dire assez sur le compte de la larve si je mentionne sa courbure en crochet, sa besace dorsale, sa prestesse à fienter et son aptitude à tamponner les brèches du logis, caractères et talents de règle générale parmi les bousiers. En août, lorsque le boudin consommé dans sa partie centrale est devenu une sorte d’étui délabré, elle fait retraite vers le bout inférieur, et là s’isole du reste de la cavité par une enceinte sphérique dont la besace à mortier fournit les matériaux.

L’ouvrage, gracieuse bille équivalant en volume à une grosse cerise, est un chef-d’œuvre d’architecture stercorale, comparable à celui que nous a montré autrefois l’Onthophage taureau. De légères nodosités, disposées en séries concentriques et alternant ainsi que les tuiles d’une toiture, agrémentent l’objet d’un pôle à l’autre. Chacune d’elles doit correspondre à un coup de truelle mettant en place sa charge de mortier.

Dans l’ignorance de son origine, on prendrait la chose pour le noyau ciselé de quelque fruit exotique. Une sorte de grossier péricarpe complète l’illusion. C’est l’écorce du boudin qui cerne le bijou central, mais sans difficulté s’enlève ainsi que le brou se sépare de la noix. L’énucléation faite, on est tout surpris de trouver ce magnifique noyau sous la rustique enveloppe.

Telle est la chambre édifiée en vue de la métamorphose. La larve y passe l’hiver dans la torpeur. J’espérais obtenir l’insecte adulte dès le printemps. A mon extrême surprise, l’état larvaire s’est maintenu jusqu’en fin juillet. Une année environ est donc nécessaire à l’apparition de la nymphe.

Cette lente maturité m’étonne. Serait-ce la règle dans la liberté des champs? Je le pense, car dans la captivité de la volière, rien, que je sache, n’est survenu de nature à provoquer pareil retard. J’enregistre donc le résultat de mes artifices sans appréhension d’erreur: inerte dans son élégant et solide coffret, la larve de l’Onitis Bison met douze mois à se mûrir en nymphe, lorsque celle des autres bousiers se transforme en quelques semaines. Quant à dire, à soupçonner même la cause de cette étrange longévité, c’est détail à laisser dans les limbes de l’inexplicable.

Ramollie par les ondées de septembre, la coque stercorale, jusque-là dure ainsi qu’un noyau, cède sous la poussée du reclus, et l’insecte adulte monte à la lumière pour y vivre en liesse tant que le permet l’atmosphère tiède de l’arrière-saison. Aux premières fraîcheurs, il prend ses quartiers d’hiver en terre, puis reparaît au printemps et recommence le cycle de la vie.

Souvenirs entomologiques : études sur l'instinct et les moeurs des insectes

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