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CORNEILLE ET RICHELIEU.
ОглавлениеIl y avait alors un grand ministre, que j'ai nommé plus haut, et qui, tout en s'occupant de toutes ses forces à rendre la France plus riche, plus forte et plus grande, s'inquiétait du sort des écrivains, et voulait qu'il y en eût beaucoup de bons en France, et qu'ils y fussent honorés et respectés. Il faisait précisément des pièces de théâtre lui-même, et, comme il n'avait pas le temps de les faire tout seul, il se faisait aider par un certain nombre de poètes qui s'y entendaient. C'était le cardinal Richelieu. Richelieu connaissait Pierre Corneille et l'estimait fort. Il l'appela auprès de lui, et le fit entrer dans cette compagnie d'écrivains qui travaillaient avec lui. Pierre Corneille y fit la connaissance d'un bon poète, qui était un homme de grand cœur, Jean Rotrou, qu'il aima tout de suite et dont il resta l'ami jusqu'à ce qu'il lui fût enlevé par la mort.
Corneille aimait fort aussi et honorait comme il devait le cardinal Richelieu. Mais celui-ci était peu accommodant, et habitué à se faire obéir ponctuellement, il n'aimait pas qu'on eût d'autres idées que les siennes. Il donnait à ses écrivains familiers des plans de travail, et il fallait écrire sur ces plans, sans y rien changer. Pierre Corneille qui, tout en respectant le grand génie de Richelieu dans les choses de la politique, se sentait plus de génie que lui pour les pièces de théâtre, changeait quelquefois. Richelieu s'en plaignit, puis se piqua, et enfin Corneille crut devoir se retirer d'auprès de lui.
Il eut raison; car il n'est pas bon à un homme de génie d'écrire sous la direction d'un autre. On est doué pour les choses de l'esprit, et alors il faut se livrer à ses inspirations et ne demander conseil qu'après avoir écrit, à des amis éclairés et sincères; ou bien l'on n'est pas capable de faire de belles œuvres, et alors il ne faut pas écrire du tout, une œuvre médiocre ne valant pas la peine d'être mise sur le papier.
Corneille se retira donc. Richelieu lui en voulut, et quand Corneille, un peu plus tard, fit paraître une très belle tragédie, dont je vais vous parler, et qui s'appelait Le Cid, il se joignit aux jaloux qui déclaraient la pièce mauvaise, et la fit critiquer aussi sévèrement qu'il put par l'Académie française, qu'il venait de fonder. Cela n'est pas très honorable pour Richelieu.
Cependant il faut dire qu'il n'en rendit pas moins de grands services à Pierre Corneille dans diverses circonstances, notamment dans l'affaire de son mariage. Le père de la jeune fille que Corneille désirait épouser hésitait à consentir, ne trouvant pas Corneille d'assez bonne famille. Richelieu fit conférer des titres de noblesse aux parents de Corneille, et conseilla au père de la jeune fille de ne pas s'opposer à l'union. Un conseil de Richelieu était plus qu'un conseil, et le père, si difficile au choix d'un gendre, dut céder, comme vous pensez bien. C'est une petite comédie en action que fit là Richelieu, et vous pouvez croire que c'est la meilleure qu'il ait faite.
Jaloux d'un côté, bienfaisant de l'autre, voilà ce qu'a été Richelieu pour Corneille, et il faut bien que ce soit la vérité, pour que Corneille, homme incapable de dire rien qui ne fût vrai, écrivît, à la mort du cardinal, une petite pièce de vers qui se terminait ainsi:
«Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal;
Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien.»