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Une fête

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The walls started shaking,

The earth was quaking,

My mind was aching.

(ACDC)

Carmen se sentait excitée.

C’était un magnifique dimanche ensoleillé et elle rentrait de San José, où elle avait passé la veille son premier examen universitaire, obtenant la note maximale.

Elle s’était inscrite à la faculté de philosophie, plus pour ne pas décevoir son père que par réelle conviction, mais elle reconnaissait que les premiers mois de cours s’étaient révélés une agréable surprise.

Les matières étaient, de manière générale, intéressantes, mais les personnes qu’elle avait rencontrées constituaient la véritable raison pour laquelle elle n’avait pas regretté son choix.

Elle se rappelait souvent les mots de sa mère qui, bien que n’ayant jamais beaucoup voyagé dans sa vie, aimait répéter que ce qui fait toute la différence dans une situation ce sont les personnes, indépendamment de l’environnement.

Elle passa le trajet en autobus qui la ramenait chez elle, de San José à Burgos, à envoyer des messages à ses amies et en postant des selfies joyeux sur Facebook.

Elle descendit à l’arrêt de la gare ferroviaire de Burgos et, pour profiter au maximum du premier jour de soleil après plus de deux semaines de pluie, elle décida de rallonger le chemin qui la ramenait chez elle, en longeant tranquillement le fleuve, accompagnée par la musique douce et enveloppante de Bon Iver. L’album For Emma, forever ago lui avait été conseillé par Ronald, l’un de ses nouveaux amis de la faculté, un garçon de San José vraiment intéressant, avec lequel s’était créée une véritable complicité, dès le départ.

Qu’il s’agisse de l’album de Bon Iver ou de son nouvel ami Ronald, Carmen éprouvait les mêmes sensations intrigantes : elle en découvrait chaque jour de nouvelles nuances et tonalités, et à chaque occasion, elle trouvait différentes clés d’interprétation de la musique et de la personne, découvrant de nouvelles émotions intenses.

Les écouteurs dans les oreilles et le regard fixé sur l’écran du téléphone pour vérifier en temps réel les likes de ses amis sur ses précédents posts sur Facebook, elle s’engagea sur le chemin de terre à côté du fleuve, longeant la forêt de pins de Burgos, réputée pour son air sain.

Elle respira à pleins poumons et, pour mieux profiter de ce moment bucolique, elle décida de décrocher de son smartphone, en le rangeant tant bien que mal dans la poche arrière de son sac à bandoulière, déjà bourré de cahiers et de livres universitaires.

L’herbe humide amortissait ses pas.

Elle aimait cette sensation de légèreté, comme une promenade sur les nuages, amplifiée par l’impact chromatique du coucher de soleil rose et par l’air frais qui, émanant des dernières journées de pluie, caressait la peau de son visage.

Elle marchait insouciante, l’esprit léger et les yeux rêveurs ; pour cette raison peut-être, elle ne remarqua pas que son téléphone était tombé sur la pelouse, juste à côté d’un banc sur lequel un homme dormait sur le dos, avec une casquette de baseball posée sur les yeux et un journal déplié sur le ventre et les jambes.

Elle arriva chez elle juste à temps pour le dîner, après une demi-heure de promenade, pendant laquelle elle laissa aller ses pensées librement ; mais, alors qu’elle venait de réaliser la perte de son téléphone après avoir posé son sac dans sa chambre, elle ne put savourer le picadillo [2] de pommes de terre à la viande, préparé d’une main de maître par Conchita. Elle mangea rapidement, sans pratiquement prononcer un mot ; une chose somme toute assez simple, quand Mar et Conchita étaient assises à table et pouvaient parler pendant des heures de la couleur de l’herbe.

Son père était cloué au lit avec une mauvaise grippe, ce qui était un événement assez rare. Sans lui, le repas était toujours moins joyeux.

Une fois son picadillo terminé, Carmen se rendit dans sa chambre pour prendre des nouvelles de sa santé.

« Salut Papa, comment ça va ? »

L’inspecteur Castillo, allongé sur le côté en direction de la fenêtre, par laquelle on apercevait une lune pâle et voilée de nuages bigarrés vagabondant indécis dans le ciel noir, eut bien du mal à se tourner vers sa fille.

« Mal, Carmen. J’ai presque quarante de fièvre et à mon âge, crois-moi, une température aussi élevée, ça n’est pas rien.

— Sais-tu que la grippe se dit aussi « Influenza ». Le terme « influenza » dérive de la forme latine médiévale influentia , qui signifie action des astres sur le destin humain ? »

L’inspecteur sembla se reprendre.

Entendre sa fille citer des mots anciens en latin le remplissait de fierté. « Bien...et qui te l’a dit ? », demanda-t-il sur un ton volontairement provocateur, avec pour seul objectif de poursuivre la conversation.

« C’est toi qui m’as obligée à m’inscrire en philo, non ? »

Le clin d'œil de Carmen fit immédiatement chuter le niveau de tension que l’inspecteur Castillo avait atteint presque instantanément : le choix de l’université était un point sensible, apportant son lot de discussions interminables avec Carmen, qui ne voulait pas continuer ses études après le lycée.

Il l’avait emporté, finalement.

« Alors ma grippe est due à une mauvaise conjonction astrale ? Elle est bien bonne celle-là. Mais moi, plus qu’à l’étoile de Sirius et à l’étoile Polaire - qui sont les deux seules que je connaisse - je crois surtout à ce maudit vent glacial qui a soufflé ces derniers jours ! Tu n’as qu’à le dire à tes profs de philo ! »

L’éclat de rire de Carmen fut accompagné d’une caresse sur la main de son père.

« C’est la première fois que je te vois dans cet état, Papa...

— Ça devait bien arriver un jour, tu sais, ma fille. Mais ne t’inquiète pas, avec un peu de repos, je serai même plus en forme qu’avant. Raconte-moi plutôt ta journée. »

Le récit de la journée était une habitude que l’inspecteur Castillo avait réussi à maintenir avec Carmen ; Mar, elle, s’en était libérée depuis quelques années, fatiguée d’avoir à raconter le moindre détail de son emploi du temps à son inspecteur de père.

« Hier, j’ai passé mon premier examen universitaire, Papa ! »

La voix de Carmen résonna dans la pièce, fière et joyeuse.

« Comment ?! », dit l’inspecteur « Je n’étais pas au courant ! De quel examen s’agit-il ? Combien de temps ça a duré ? Quelles questions t’a-t-on posées ? Raconte-moi tout, tout de suite !

— Je voulais te faire une surprise ! », répondit la jeune femme en souriant, décrivant ensuite avec une profusion de détails l’examen d’histoire de la philosophie, expliquant avec précision les questions posées, les réponses fournies, les commentaires de ses amis, la satisfaction au moment de recevoir la note.

Castillo écouta la bouche entrouverte et la mâchoire inférieure sur le point de tomber à tout moment.

Il avait l’émotion facile quand il s’agissait de sa fille.

Mais l’humeur de la soirée changea du tout au tout quand Carmen, après avoir terminé le récit de sa journée universitaire, relata son trajet de retour.

« Malheureusement, ce soir il m’est arrivé un truc pas terrible.

— Quoi donc ? »

Cette fois, Castillo se redressa avec peine sur le lit, en s’appuyant sur ses coudes, avec un air préoccupé.

« J’ai perdu mon téléphone.

— Ouf...ça aurait pu être pire. Mais il est passé où, nom d’un chien ? » Le mouvement nerveux de la main de son père n’échappa pas à Carmen.

« Papa, si je le savais, il ne serait pas perdu. Je suis sûre que je l’avais quand je suis sortie du bus... »

Castillo commença à transpirer.

« Et ensuite ? Qu’est-ce que tu as fait ? Tu parles bien de ce beau téléphone, qu’on t’a offert à Noël, qui fait les photos et les vidéos, qui va sur Internet et toutes ces choses qui ne me servent à rien, à moi, mais qui t'intéressent tellement ?

— Exact, Papa. Je dois l’avoir perdu pendant le trajet que j’ai fait en traversant le parc. Mince alors...c’était une si belle journée.

— Écoute Carmen, retourne en arrière, refais le parcours en sens inverse, tu le trouveras sûrement par terre, non ? Tu sais combien il nous a coûté ce téléphone ?

— Papa, tu connais le quartier du parc de la gare, c’est pas génial, il est neuf heures passées et il fait noir dehors ! »

Castillo se tourna vers la fenêtre pour vérifier.

Le croissant de lune confirmait l’affirmation de Carmen.

L’obscurité enveloppait Burgos et, vu le balancement des branches des peupliers qui longeaient la route sur laquelle donnait la chambre de l’inspecteur, le vent s’était aussi levé.

« Ça va, Carmen, si tu ne t’en sens pas le courage, laisse tomber. Mais ne crois pas que tu auras un autre téléphone comme celui-là, avec ce qu’il nous a coûté ! Tu sais bien que... », mais Carmen ne le laissa pas terminer, l’interrompant en chantonnant, « ...que ta mère et moi nous faisons toujours tout ce que nous pouvons pour vous mais nous ne pouvons pas, et nous voulons pas, nous permettre de vous acheter des choses inutiles. »

Les regards du père et de la fille se croisèrent et Carmen perçut l’effort que son père faisait pour rester sérieux.

« Amen », ajouta-t-elle alors, lui donnant le coup de grâce et réussissant à le faire sourire, avant de l’embrasser pour lui dire au revoir.

Elle retourna à la cuisine en lui souhaitant une bonne nuit de sommeil, qui n’arriva pas plus de dix minutes plus tard : l’inspecteur, fiévreux, s’endormit lourdement.

« Tout va bien ? », demanda distraitement Mar, remuant le café fumant que Conchita avait tout juste préparé.

La réponse de Carmen fut devancée par la sonnerie du téléphone de la maison.

Les jeunes femmes se regardèrent étonnées : depuis que toute la famille avait un téléphone portable, le téléphone fixe n’était plus utilisé que par des parents lointains et âgés pour les vœux de Pâques et de Noël.

Conchita souleva le combiné sous le regard attentif des deux sœurs.

« Oui, un instant, je l’appelle tout de suite. Bonne soirée à vous, monsieur ».

Carmen et Mar se regardèrent pendant un instant avec un air moqueur, jusqu’à ce que la voix de Conchita n’interrompe cette scène de western spaghetti.

« Carmen, c’est pour toi. Ronald, si j’ai bien compris. »

Carmen se leva d’un bond de sa chaise, se cognant le genou contre la table ; le contrecoup renversa la tasse de café sur Mar, seulement partiellement protégée par sa serviette. Le commentaire acide de sa grande sœur ne se fit pas attendre. « Regarde, il suffit d’un coup de téléphone de n’importe quel imbécile pour la rendre folle. J’ai vraiment une sœur empotée ! »

Carmen avait déjà volé vers le téléphone, l’arrachant des mains de sa mère, excitée par ce coup de fil inattendu.

C’était la première fois que Ronald l’appelait, jusqu’à ce jour il s’était simplement fréquentés à l’université, s’échangeant quelques messages sur WhatsApp et quelques likes sur Facebook, mais aucun des deux n’avait jamais téléphoné à l’autre.

« Salut, Carmen, ça va ? Désolé de te déranger, mais je t’ai envoyé un message important il y a quelques heures et j’attendais ta réponse...j’ai essayé de te joindre sur ton téléphone portable mais il sonne dans le vide, alors j’ai failli m’inquiéter. Finalement, j’ai décidé de t’appeler chez toi, j’espère vraiment que je n’ai pas dérangé ta famille...

— Salut Ronald ! Ne t’inquiète pas, aucun problème. Il ne m’est rien arrivé de grave, j’ai juste perdu mon smartphone dans le parc en rentrant chez moi ce soir. Voilà pourquoi je ne t’ai pas répondu. C’était pourquoi ? C’est urgent ?

— J’aime donner des acceptions édulcorées au concept d’urgence, souvent utilisé de façon exagérée dans notre société, demoiselle. »

Carmen adorait les réponses de Ronald, presque des aphorismes qui laissaient à l’interlocuteur l’impression de devoir accélérer le rythme de son cerveau pour réussir à suivre le cheminement mental de ce type étrange. Car Ronald était vraiment étrange.

Grand, très maigre, l’air continuellement négligé avec ses cheveux lisses rassemblés en une longue queue de cheval, ses lunettes à la John Lennon et une petite barbe mal entretenue poussant de façon désordonnée, délaissant les joues pour se concentrer sur le menton et les pattes.

Il ne passait pas inaperçu, ce garçon.

Ronald reprit le fil de la conversation.

« Nelly et Alexandra organisent une fête ce soir, on est invités, tu veux venir ?

— Wow ! Une fête ce soir ? Super ! Et ça se passe où ?

— Les parents de Nelly ont une résidence secondaire juste à côté du cimetière de Burgos, en pleine campagne, on peut y être en moins de vingt minutes en voiture depuis chez toi.

— Mmm...À la campagne ? Ce soir ? Sans téléphone ? Au dernier moment ? Avec mon père cloué au lit par une grippe terrible ?

— C’est ça. À la campagne. Ce soir. Avec mon téléphone. En te prévenant une heure à l‘avance. Avec ton père cloué au lit par une petite grippe. »

La lucidité de Ronald était enviable dans ces circonstances.

Carmen s’efforça d’évaluer la situation le plus rapidement possible ; tout compte fait, il ne semblait pas y avoir de contre-indication particulière à l’idée de participer à cette fête et le fait d’être accompagnée par Ronald rendait la chose encore plus excitante.

Son père devait déjà être en train de dormir, affaibli par la fièvre ; sa mère se mettrait au lit d’ici peu, fatiguée par sa journée et Mar commençait à l’instant ses dernières révisions, qui dureraient presque toute la nuit, avant son examen du lendemain.

La voie était libre.

Son visage s’illumina d’un splendide sourire. Elle répondit à son ami :

« Ok, Ronald, c’est bon. Tu passes me prendre ?

— Bien sûr, je passe vers dix heures. Je te fais sonner quand je suis en bas.

— Et qui va te répondre ? J’ai perdu mon téléphone ! Laisse tomber, et ne m’appelle pas non plus sur le fixe. Ils seront déjà tous au lit ou en train de réviser. C’est moi qui descendrai à dix heures. À tout à l’heure !

— Ah bien sûr, c’est vrai, j’avais oublié. Alors je t’attends et c’est tout, à l’ancienne, hein ? À tout à l’heure ! »

Clic.

Clic.

En se dirigeant vers la salle de bain, Carmen sentit une agréable sensation de chaleur envelopper son ventre.

***

À dix heures précises, Carmen descendit rapidement les escaliers situés devant la porte de chez elle, en passant une main dans ses cheveux pour tenter de replacer au dernier moment une mèche rebelle qu’elle n’avait pas réussi à maîtriser avec son sèche-cheveux.

Le vent du soir avait chassé les nuages et leurs averses de l’après-midi ; l’air était vivifiant et la pleine lune, qui semblait recouverte d’une peinture phosphorescente, dominait solitaire le ciel.

Ronald attendait assis dans sa voiture, une Deux-chevaux orange, avec une grosse bosse sur le pare-chocs arrière, qui avait bien vécu.

Son bras gauche était appuyé sur la fenêtre baissée et il fumait un cigarillo foncé de mauvaise qualité, dont l’odeur (non, on ne pouvait vraiment pas parler de « parfum ») avait saturé l’air de l'habitacle dès les premières bouffées.

Il portait une chemise à carreaux blanc et bleu, par-dessus un t-shirt en coton blanc avec une improbable image de drapeau du Royaume-Uni, un jean troué et, aux pieds, une paire de Converses vert kaki.

Carmen l’embrassa sur les deux joues, puis monta dans la voiture et commença à tousser.

« Mais c’est quoi cette odeur horrible ? », demanda-t-elle d’un ton volontairement acide, qu’elle édulcora immédiatement d’un sourire qui mit en évidence ses fossettes.

« Un truc de famille, Carmen, un truc de famille. Mais de la super came. C’est un cigarillo de mon grand-père, il en a fumé vingt par jours depuis l’âge de douze ans.

— Et quel âge il a maintenant ?

— Maintenant ? Il est mort. À quarante ans, d’une tumeur aux poumons. Je ne l’ai jamais connu. »

Il y eut un instant de silence, pendant lequel Ronald aspira profondément une bouffée de fumée.

« Tu plaisantes, n’est-ce pas ? », demanda Carmen à voix basse.

« Non, c’est vrai qu’il est mort, mais je suis certain qu’il a vécu heureux, notamment grâce à ces délicieux cigarillos ...tiens, tu veux essayer ?

— Jamais de la vie, Ronald ! Allez, démarre. J’ai envie de bouger un peu. Et arrête de te moquer de moi, imbécile que tu es... ». Ronald mit le moteur en route, fit une manœuvre pour sortir du parking et avança tranquillement, en allumant la radio.

La musique de Coldplay enveloppa les pensées légères et parallèles des deux jeunes gens, qui ne parlèrent pas beaucoup pendant le trajet, tous deux absorbés par les mots de Chris Martin et par sa voix parfois grave, parfois aigüe.

En moins d’un quart d’heure, ils arrivèrent à la fête.

Nelly, la maîtresse de maison, attendait les invités en se dandinant un chandelier à la main devant le grand portail de la propriété, derrière lequel on pouvait entrevoir le majestueux jardin de la résidence secondaire de la famille.

Au centre du jardin, les jets d’une vieille fontaine ronde, illuminés d’en bas par des projecteurs colorés, s’élevaient dans le ciel, dépassant la statue placée au centre de cette même fontaine, un Éros improbable mal copié sur celui de Piccadilly Circus.

Dans la partie extérieure, située devant le portail, se trouvait un pré verdoyant que les invités déjà arrivés n’avaient pas hésité à utiliser comme parking, chose que fit également Ronald, en entrant en marche avant dans l’espace libre mais étroit entre une Clio amarante et une Volvo bleue de grosse cylindrée.

« Merci Ronald, mais là, je ne peux pas ouvrir », dit Carmen, après avoir tenté d’ouvrir la portière avec le plus de délicatesse possible, pour éviter d’abîmer la Volvo voisine.

« Moi non plus. », répondit-il, « Mais ne t’inquiète pas, la Deux-chevaux est une voiture aux ressources infinies ! ».

Il commença à tourner une manivelle qui pendait de la capote, près du miroir du rétroviseur et le toit de la voiture s’ouvrit tout doucement.

« Génial ! En voilà une voiture moderne ! », s’exclama Carmen qui, sans se faire prier, sauta avec agilité sur les sièges arrières et depuis ces derniers, atterrit en un clin d'œil sur le gazon, imitée par Ronald.

« Une façon stylée d’arriver à une fête, non ? »

Nelly s’était approchée, le chandelier toujours allumé entre ses mains pour éclairer le gazon. Elle affichait un sourire radieux, qui était le fruit de cinq années de soins d’orthodontie et d’une somme non négligeable dépensée par son père.

« Salut Nelly ! Quelle idée splendide cette fête ! On peut déjà entrer ? », demanda Carmen, en embrassant sur les deux joues son amie et se dirigeant vers le chemin d’accès avant même de recevoir une réponse.

« Bien sûr, vous passez la fontaine et vous continuez sur la droite. Ensuite vous suivez les lumières, vous ne pouvez pas vous tromper, ok ?

— No problem ! J’ai fait des choses bien plus compliquées dans ma vie », répondit Ronald avec son habituelle ironie.

Ils s’engagèrent dans le jardin en suivant le son de la musique, diffusée par le DJ à un volume assourdissant, plutôt que les lumières indiquées par Nelly ; les seuls voisins de la propriété étant les occupants du cimetière tout proche, il n’y avait aucun risque qu’ils se plaignent du bruit.

Misjudged your limits

Pushed you too far

Took you for granted

I thought that you needed me more more more!

« Boys don’t cry ! Fantastique ! ».

L’émotion de Carmen surprit Ronald, qui avait pour la musique un simple intérêt superficiel.

« Comment fais-tu pour connaître une chanson qui date d’il y a trente ans à partir de deux strophes entendue de loin ? », demanda-t-il en la regardant droit dans les yeux, comme pour souligner son sentiment de surprise.

Carmen répondit avec nonchalance sans se tourner vers lui.

« C’est une passion que mon père m’a transmise. Il a une culture musicale infinie et il nous a éduquée ma sœur et moi au pain et au rock depuis l’enfance. Et quand nous étions petites, il nous disait le titre et l’auteur d’une chanson, et la chantait dans son anglais approximatif, ce qui nous permettait cependant de suivre le texte beaucoup plus facilement en écoutant les versions originales, tu comprends ?

— Bien sûr. Je comparerais cela à une forme de bilinguisme. Vous avez absorbé presque inconsciemment sa culture musicale, comme les enfants, dont les parents ont deux nationalités différentes, apprennent gratuitement les langues de leur père et de leur mère, sans aucun effort. Une sorte d’apprentissage par osmose, voilà.

— Plus ou moins... », répondit Carmen sans trop de conviction, juste avant d’apercevoir, après une légère courbe du sentier sur la droite, l’entrée du salon où se déroulait la fête.

La musique était forte et l’installation diffusait les basses avec une puissance singulière, qui semblaient rebondir dans le ventre des jeunes. Carmen et Ronald se jetèrent sur la piste, illuminés par un stroboscope des années soixante-dix qui lançait par intermittence des rayons de différentes couleurs, dans le plus pur style des épées Jedi de la Guerre des étoiles.

Carmen prit au passage un shot de vodka citron posé sur le plateau d'un serveur qui déambulait dans la foule et le but par petites gorgées rapides, sans s’arrêter de danser.

Il lui sembla que le stroboscope augmentait progressivement la fréquence des coups d’épées Jedi et cette image la fit sourire ; un sourire qui après cette dose de vodka devint rapidement un éclat de rire.

Un autre serveur avec des petites moustaches qui semblaient peintes sur son visage passa rapidement près d’eux et Carmen ne laissa pas échapper le verre de téquila qu’il transportait et qu’elle avala d’un trait sans même y penser.

« Vas-y doucement, Carmen, tu n’es pas habituée à boire », cria Ronald, sans s’arrêter de suivre le rythme au centre de la piste, essayant de couvrir avec sa voix les décibels de la musique.

Mais Carmen ne sembla pas entendre et, petit à petit, elle disparut dans la cohue dansante, absorbée par l’enthousiasme des fêtards.

***

Le taxi arriva sur la place située devant le grand portail de la villa peu avant onze heures.

À l’entrée, les allées et venues n’avaient pas cessé, bien que la majorité des invités se soit déjà dirigée vers la piste de danse et vers le bar adjacent, où l’alcool coulait à flot et, surtout, gratuitement.

La formule, barra libre [3] dans les fêtes privées, garantissait un pourcentage de personnes ivres bien supérieur aux normes des fêtes universitaires.

Un homme de taille moyenne descendit du taxi, paya sans demander son reste et s’approcha sans attendre de la grille.

Il savait que son arrivée serait vue par la majorité comme un fait pour le moins étrange, ou peut-être le craignait-il, mais il s’efforça de se comporter de la façon la plus naturelle possible.

Il portait un t-shirt en coton bleu avec une petite étoile blanche au dos, un jean foncé moulant et des bottes noires à lacets blancs.

Sur sa tête, était posée une curieuse casquette rouge de baseball.

Nelly eut beaucoup de mal à masquer sa surprise.

« Père Juan ! Quel plaisir ! Quel bon vent vous amène ? »

Elle était certaine de ne pas l’avoir invité. Il ne manquerait plus que ça, inviter un prêtre à une fête étudiante à la campagne.

Qui sait comment il avait eu connaissance de la fête, et qui sait comment lui était venue l’idée d’y participer.

Nelly remarqua l’embarras affiché sur le visage de son interlocuteur et pour faire passer ce moment de gêne, elle préféra lui expliquer immédiatement le chemin pour arriver au salon.

« Tu passes la fontaine, tu suis le sentier sur la droite, et juste après tu trouveras la fête, ok ? J’arrive dans quelques instants, il est déjà onze heures, je crois que les invités sont tous arrivés maintenant. Et j’ai une envie folle de me jeter sur la piste moi aussi ! »

La jeune femme lui lança un regard dénué de toute malice, recevant pour seule réponse un sourire fuyant, tout juste esquissé.

L’homme s’alluma une cigarette et se lança, légèrement vouté, sur le sentier illuminé par de petites torches parfumées.

Son arrivée dans le salon principal de la fête fut pour lui comme un coup de poing dans l’estomac.

Volume de la musique très élevé.

Au milieu de la salle, des jeunes avec des rastas frappant violemment sur des bidons métalliques, en totale symbiose avec le rythme de la musique diffusée par les caissons de basse à deux mille watts, qui semblait vouloir se frayer un chemin à coups de coudes dans les viscères de chacun des participants.

Les rayons de lumière émanant du stroboscope suspendu au centre du salon et le parfum de l’après-rasage mélangé à l’odeur de sueur de la foule.

Des serveurs dans des tenues visiblement informelles, mais portant tous un nœud papillon blanc comme signe distinctif, qui se déplaçaient sans cesse dans la salle brandissant sur une main placée en hauteur, juste au-dessus des têtes des invités, des plateaux argentés recouverts de boissons alcoolisées et d’alcools forts, qui étaient vides quelques minutes seulement après avoir été remplis.

Il décida de rester en marge de la cohue, appuyé au montant de la gigantesque baie vitrée, qui dans les méandres de sa mémoire le ramena quelques années auparavant lorsqu’il étudiait la conception de l’architecture organique de Wright : elle garantissait la continuité essentielle entre le grand salon et le parc adjacent.

Observant la situation à la dérobée, il remarqua des personnes sortir parfois du cercle infernal pour prendre l’air dans l’immense parc de la propriété, où des groupes de garçons et de filles se formaient avec une rapidité surprenante et se défaisaient avec autant de rapidité, submergés par l’appel de la musique, trop intense pour rester trop longtemps dans le jardin à discuter.

Il leva les yeux au ciel et remarqua un long nuage gris qui commençait à voiler la pleine lune qui, jusqu’à ce moment-là, avait incontestablement dominé cette nuit tiède costaricienne.

« Faisons un petit tour », pensa-t-il, se dirigeant à pas rapides vers le grand escalier de marbre blanc qui, partant du fond du couloir, s’élevait, magistral derrière la salle de bal.

L’escalier l’emmena au premier étage, exactement au-dessus du salon où se déroulait la fête ; lorsque les percussionnistes redoublaient de fougue, il pouvait sentir le sol vibrer.

Il remarqua deux portes en bois massif, l’une sur la droite et l’autre sur la gauche, tandis qu’en face des escaliers, après un salon ovale, une autre grande baie vitrée, en tout point identique à celle du rez-de-chaussée, permettait de profiter d'une vue imprenable sur le jardin.

La douce moquette bleue amortissait ses pas et cela lui donna envie de retirer ses bottes, ce qu’il fit, poursuivant déchaussé son petit tour d’exploration.

Il traversa la pièce et profita pendant dix bonnes minutes du panorama, enveloppé par l’obscurité, savourant calmement une cigarette tout juste allumée et s’amusant de temps en temps à observer la fumée monter vers le plafond incurvé.

Le nuage décoloré aperçu quelques minutes auparavant, avait entre-temps terminé son opération de couverture de la lune.

Ce fut pendant l'un de ces moments d'observation qu’eut lieu, de façon inattendue, la panne d’électricité ; les amplis du DJ étaient dignes d’un concert de U2 et l’installation électrique de l’édifice n’était pas conçue pour assumer une telle charge.

Le silence inopiné le prit par surprise, mais cela ne l’empêcha pas de percevoir une sorte de râle provenant de l’une des pièces qui donnaient sur le salon.

Il devait s’agir d’une jeune femme faisant un rêve ; le son semblait guttural mais il ne comprenait pas s’il s’agissait d'un gémissement de plaisir ou de douleur.

Il décida de rester immobile, tendant l’oreille et ne pouvant s’empêcher de se sentir comme un setter qui cherche fiévreusement à localiser la source des sons perçus.

Le silence l’enveloppa et, accompagné par la nuit noire, il provoqua en lui une sensation d’inconfort.

Il récupéra ses bottes, s’approcha de la porte en bois massif d’où provenait le bruit qu’il avait entendu et il baissa délicatement la poignée en laiton, qui n’opposa aucune résistance.

Il ouvrit la porte et se trouva dans une grande pièce, dans laquelle, sur un grand lit, deux types en caleçons semblaient s’acharner sur une femme bâillonnée, nue, attachée par les mains et les chevilles à la tête et aux pieds du lit, où les vêtements des hommes avaient été entassés.

L’un des deux était penché sur le nombril de la malheureuse, tandis que l’autre semblait la caresser avec vigueur sur le visage.

Il eut l’impression qu’il s’agissait, plutôt que des caresses, de tentatives pour lui faire tourner la tête et l’embrasser.

Elle résistait, bien que semblant totalement à bout de forces, émettant des gémissements confus dans un état de choc évident.

La pièce était faiblement illuminée par des bougies éparpillées ça-et-là desquelles s’échappait un intense parfum de vanille, qui se mélangeait à l’odeur de marijuana que deux autres hommes étaient en train de fumer, affalés sur de vieux fauteuils recouverts de velours vert.

Le courant fut rétabli quelques minutes plus tard, inondant la pièce de musique, dans laquelle personne ne semblait s’être rendu compte de son entrée.

Les deux jeunes à moitié nus continuèrent de harceler la jeune femme, entre gloussements et regards entendus, tandis que les deux autres, les yeux mi-clos, se passèrent le joint en faisant un « check » de leur main libre.

Il croisa le regard de la jeune femme et il eut l’impression qu’elle était sur le point de pleurer, bien que son expression soit totalement vide au point d’être difficilement intelligible.

Il ne put s’empêcher d’admirer le corps nu de la femme.

Sa peau était très blanche, ses jambes musclées.

Ses longs cheveux lisses caressaient ses épaules et couvraient partiellement son visage, décoiffés par les mains des deux jeunes au-dessus d’elle. Il tira une dernière bouffée de cigarette, jeta le mégot par la fenêtre ouverte et s’assit sur le lit, en lui caressant les jambes.

Ce fut seulement à cet instant que les deux hommes fumant de la marijuana se rendirent compte de son entrée et, presque étonnés de cette approche inattendue, commencèrent à battre le rythme avec les mains, en criant « du sexe, du sexe ! ».

Les deux autres, sans se presser, retirèrent leur caleçon, se frottant sur la fille au rythme des battements de mains de leurs amis.

Retirant ses vêtements, il se joignit à eux, commençant à caresser le corps de la malheureuse, dont les yeux humides commencèrent à libérer de fines larmes salées.

Dehors, la lune de la nuit costaricienne se perdit définitivement, occultée totalement par les nuages.

L’orgie dura moins de dix minutes mais, pour lui, c’était suffisant ; l’excitation effrénée, amplifiée par l’effet de la marijuana, le conduisit en très peu de temps à un orgasme sauvage et haletant, qu’il atteignit en mordant les draps froissés du lit à baldaquins et en serrant en extase le bord d’un oreiller.

Puis, il se releva, arrangea ses cheveux, ramassa ses vêtements au pied du lit, et tira une dernière fois sur le joint avant de sortir de la pièce.

Assommé, le regard embrumé, le salon du premier étage de la villa sembla tourner sur lui-même ; cependant, il entrevit dans la pénombre, non loin du grand escalier, un garçon qui soutenait la tête d’une amie, dont le corps semblait dénué de toute force sur la moquette.

Il se tourna immédiatement de l’autre côté, pour éviter les ennuis, espérant ne pas se faire remarquer.

Mais le jeune homme, qui semblait nerveux, lui demanda de l’aide, et leurs regards se croisèrent pendant un bref instant, imperceptible mais concret, juste avant qu’il descende l’escalier, sans daigner répondre, se dirigeant d’un pas assuré vers la sortie de la propriété et passant de temps en temps les doigts dans ses cheveux encore trempés de sueur.

Il se rendit compte qu'il avait oublié sa casquette de baseball dans la chambre ; elle aurait été bien pratique pour couvrir son visage, mais il décida de ne pas la récupérer pour éviter de rencontrer à nouveau ce type et sa belle endormie, qui s’était probablement évanouie.

Il traversa le parc en vitesse, le regard baissé, faisant tout son possible pour éviter de croiser les regards des gens, arrivant au parking avec le cœur battant plus vite que d’habitude, encore chargé de la montée d'adrénaline provoquée par sa toute dernière expérience.

De nombreux taxis attendaient les rescapés de la fête ; il monta dans le premier disponible et, une fois à l’intérieur, il renifla ses mains encore imprégnées de l’odeur du sexe de la jeune femme mélangée à celle de la marijuana, et finalement il se détendit, s’efforçant d’inscrire dans sa mémoire cette orgie mémorable. « Calle del Tesoro , merci », dit-il d’une voix rauque au chauffeur, restant ainsi les yeux fermés et les doigts près des narines, pendant quelques minutes, assis sur le siège arrière et bercé par les échos de la musique de la fête, désormais lointain fond sonore d’une soirée unique, se laissant porter vers son destin.

Il avait un rendez-vous qui, sous peu, allait changer le cours de sa vie, mais il ne le savait pas encore.

***

Depuis la coupure d’électricité, la confusion avait gagné le rez-de-chaussée.

Nelly se décrochait la mâchoire pour demander aux participants de rester tranquilles, tout en affirmant que la panne serait réparée rapidement.

Les invités, bercés par l’euphorie de la fête, en avaient profité pour entonner des chansons et s’adonner à toute sorte de danse, s’amusant de la situation, heureux et insouciants.

Ronald avait saisi l’occasion pour se dégager de l’étreinte verbalement tentaculaire de l’une de ses admiratrices qui l’ennuyait depuis presque une demi-heure, l’empêchant de partir à la recherche de Carmen.

Il s’était élancé dans le jardin et avait commencé à l’appeler, tentant vainement de couvrir le volume des chants des fêtards éméchés.

Il avait même essayé d’amplifier sa voix en s’aidant de ses mains, placées autour de sa bouche tel un mégaphone, mais les résultats n’avaient pas été meilleurs ; il avait alors tenté de l’appeler sur son téléphone, oubliant que ce dernier avait été égaré pendant l’après-midi.

Entre temps, la pluie s’était mise à tomber, à la grande satisfaction des rescapés du bal, transpirants et débraillés, enfumés et alcoolisés, qui profitèrent de l’averse pour prendre une douche rafraîchissante à ciel ouvert, improvisant des rondes et des chants de bistrot, sans jamais arrêter de boire.

Il était rentré dans la maison et, en traversant la salle de bal désormais presque vide, il s’était dirigé vers l’escalier de marbre blanc, qu’il avait grimpé en courant, sautant les marches deux à deux, prenant garde à ne pas trébucher dans l’obscurité.

Il était arrivé dans le grand salon avec le tapis bleu et avait aperçu Carmen, appuyée au montant d’une porte.

Ses genoux ne semblaient pas réussir à soutenir son poids ; elle serrait dans l’une de ses mains une bouteille de vodka vide et elle chantait à tue-tête, les yeux fermés, une chanson en anglais qu’il ne parvenait pas à déchiffrer.

Elle ne s’était pas rendu compte de l’arrivée de son ami, qui s’était empressé de lui prendre la tête entre les mains, s’adressant à elle avec vigueur.

« Carmen, Carmen ! Tu es ivre morte ! Je t’emmène tout de suite, allez, tu ne peux pas rester ici dans cet état ! »

Il avait parlé d’une voix stridente, enchaînant les mots, bégayant presque : sous l’emprise du stress, l’aplomb de Ronald, qui plaisait tant à Carmen, s’évanouissait misérablement.

La jeune femme s’était immobilisée quelques secondes, puis s’était laissée aller tout à coup, s’abandonnant dans les bras de son ami, qui l’étendit inconsciente sur le tapis.

Finalement, le courant était revenu et la musique avait repris, inattendue et explosive, elle augmentait sans cesse, surmontée des cris alcoolisés des personnes rassemblées au rez-de-chaussée.

Ronald laissa Carmen un instant et courut en bas pour trouver un peu d’eau ; en entrant sur la piste de danse, il eut l’impression que les murs tremblaient, que le sol se soulevait, que sa tête était transpercée par la lame glacée d’une épée, mais il trouva malgré tout la force de traverser la cohue des personnes qui avaient recommencé à danser. Puis il atteignit le barman, auquel il demanda une bouteille d’eau fraîche.

Il remonta en vitesse auprès de Carmen, qui était toujours étendue sur le tapis dans l’angle du salon. C’est à cet instant qu’il vit un homme grand et frisé sortir d’une pièce, l’air négligé et visiblement essoufflé.

Cet homme semblait véritablement pressé, mais il était le seul à qui Ronald pouvait s’adresser dans ce moment de nécessité.

Nerveusement, il lui demanda de l’aide, croisant son regard fuyant, mais il ne reçut aucune réponse de l’homme, qui descendit rapidement les escaliers, disparaissant dans la confusion du rez-de-chaussée.

« Connard ! » lui cria Ronald, bien que sa voix fût couverte par le volume de la musique, avant de focaliser à nouveau son attention sur Carmen, lui versant doucement de l’eau fraîche sur le visage et la forçant de temps en temps à en boire quelques gorgées.

La jeune femme se réveilla en toussant, s’appuyant avec peine sur les épaules de son ami pour réussir à redresser le dos, et cherchant l’air à pleins poumons.

« Carmen, réveille-toi, je t’en supplie ! ».

Les mains de Ronald tremblaient en raison de la tension qui s’était emparée de lui et sa voix semblait se répercuter sur le plafond haut du salon, malgré les échos de la musique diffusée par le DJ, qui arrivaient du rez-de-chaussée.

Carmen battit des paupières dans un état de semi-conscience, avant de relever le dos tout à coup et de vomir sur le tapis persan.

Ronald fit un bond en arrière pour ne pas être sali, retenant lui aussi un haut-le-cœur, tout en essayant de ne pas lâcher sa tête, qui semblait pouvoir se détacher d’un moment à l’autre, tellement le corps de la jeune femme était exempt de force.

« Ramène-moi chez moi, Ronald. S’il te plaît », fut la supplique de Carmen, bafouillée entre ses dents, le front perlant de sueur, les cheveux trempés et en désordre.

« Bien sûr, Carmen. Je te ramène tout de suite. »

Il souleva son amie à bout de bras, tout en soutenant sa nuque, puis il descendit lentement les escaliers, sentant augmenter le volume de la musique provenant du bas.

Il traversa la salle de bal du rez-de-chaussée le plus rapidement possible et il poursuivit fermement sur le sentier du parc, arrivant au parking épuisé et haletant.

Par chance, la Volvo qui, à l’arrivée, avait empêché Carmen de sortir était déjà repartie.

Il ouvrit la portière arrière de la Deux chevaux en grand, plaça délicatement Carmen sur le siège mouillé - le toit de la voiture était resté ouvert pendant toute la durée de l’orage. Puis, il conduisit en direction de la maison de la jeune femme, lui demandant à voix basse de ne pas salir sa voiture, dans la mesure du possible.

À l’arrière, Carmen répondit par l’affirmative, d’un simple signe de tête, avant de s’endormir d’un coup avec un sourire étrange sur le visage, ivre comme elle ne l’avait jamais été de toute sa vie.

Une fois arrivée à destination, accompagnée jusque sur le seuil par Ronald, elle réussit à grand peine à rentrer dans l’appartement, enveloppée dans le silence de la nuit, avant de s’écrouler dans son lit encore toute habillée.

Mar, penchée sur ses livres dans la chambre d’à côté, ne se rendit compte de rien.

Elle s’abandonna à des rêves agités, dont elle ne garderait aucun souvenir le lendemain.


Deux. Impair

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