Читать книгу Papety: d'apres sa correspondence, ses oeuvres, et les moeurs de son temps - Ferdinand Servian - Страница 4
I
ОглавлениеDès qu’il eut terminé ses études à l’École des Beaux-Arts, Papety partit pour Paris, malgré les objurgations paternelles qui ne tendaient à rien moins qu’à l’éloigner complètement d’une carrière pour laquelle il se sentait un penchant irrésistible. Son père eut préféré le voir, un jour, à la tête de sa fabrique de savons; mais l’homme propose et la vocation dispose.
A Paris, Léon Cogniet l’accueillit et, peu de temps après son entrée dans son atelier, lui fit exécuter des travaux dont l’importance ne laisse aucun doute sur la confiance qu’il avait su lui inspirer. L’auteur du Tintoret peignant sa fille morte le laissa, en effet, travailler à nombre de morceaux de ses tableaux, notamment La Patrie en danger, dont certaines parties essentielles sont dues à son pinceau.
Voici en quels termes Papety fait connaître à Aubert, alors directeur de l’École de Marseille, ses impressions en ce qui concerne l’enseignement de Cogniet et d’Ingres.
Paris, 27 août 1835.
En général, les élèves n’ont aucune idée de l’arrangement d’un tableau. Ce noble maître (M. Cogniet), ne nous en parle que rarement, de peur que cela ne nuise à la manifestation de la pensée qui doit être toute naturelle et jamais théâtrale. Il nous parle de cela comme de la dernière des choses; il veut, d’abord, que l’on comprenne parfaitement le sujet et surtout que l’on ne donne jamais des poses maniérées ou académiques.
Son système est tout différent de celui de M. Ingres, qui ne songe, dans ses compositions, qu’à bien coordonner à développer et à singer toutes les poses de l’Antique M. Ingres est un homme qui a beaucoup dessiné d’après l’antique et surtout d’après Raphaël; il s’est formé ainsi un dessin sévère et consciencieux. Je l’en loue très fort et j’aurais bien voulu être son élève. Cependant, lorsqu’il veut se livrer à une composition, toutes les études qu’il a faites sont présentes à sa mémoire et, au lieu de peindre une scène telle qu’elle a dû se passer, on ne voit que des réminiscences, des tours de corps, des ajustements que l’on a vus bien souvent. En un mot, sa peinture, loin d’être, comme la poésie, une émanation de son âme, n’est qu’un ramassis de ce qu’il a vu dans sa vie.
Élève de Cogniet, Papety brilla au premier rang et n’eut pas de peine à remporter le premier grand-prix de Rome, au mois de novembre 1836, tandis que Flandrin , âgé de six ans de plus que lui, n’obtenait que le second, ce qui fit dire à Ingres, s’adressant à celui qui avait porté sur lui un aussi dur jugement: «Soyez flatté d’avoir conquis le second rang après Papety.»
La nouvelle de son triomphe fut reçue avec enthousiasme dans sa ville natale, et dans le monde des arts on fut unanime à saluer en lui une future gloire de la peinture.
Un de ses meilleurs amis, le poète Joseph Autran, qui, lors de son départ pour Paris, au mois de janvier 1836, lui avait prédit ce succès, lui dédia une belle poésie qui se termine comme suit:
Et parfois viens revoir cette ville qui t’aime.
Quand Puget, le sculpteur qui porte un nom suprême,
Habitait l’Italie, en ses palais admis,
A Gênes, à Florence, à la Ville Éternelle,
Il s’arrachait souvent et revenait fidèle
A sa Marseille, à ses amis.
Le laurier de l’Institut allait enfin permettre au premier rêve de Papety de se réaliser. Il avait caressé le désir de parcourir Rome, de fouiller dans les vestiges de son glorieux passé l’aliment nécessaire à sa faim d’investigation et de s’assimiler, en les harmonisant à son génie propre, toutes les sensations esthétiques par lesquelles l’âme de l’Italie avait vibré pendant la Renaissance. Il partit donc en 1837, avec deux grands prix de Rome de la même année, l’un pour la musique, l’autre pour la sculpture; Boisselot, le compositeur marseillais si connu, et Ottin qui, bien que Parisien, conquit droit de cité à Marseille, grâce aux nombreux travaux qu’il y a effectués, tels, par exemple, les deux statues de la France et de Marseille, sous le péristyle du Palais de la Bourse, et les statues de Pythéas et d’Eutymènes sur la façade.
Arrivé à Rome, il se mit résolument à l’œuvre, comprenant combien le rôle qu’il était appelé à jouer dans l’histoire de l’art français devait être particulièrement prépondérant: «Jamais Papety n’a été élève, disait Ingres, qui dirigeait l’Académie de France à Rome; il lui a suffi de prendre le pinceau pour devenir un maître.»
C’est précédé d’une brillante réputation qu’il fait ses débuts à la Villa Médicis, et là encore il donne l’exemple d’un travail opiniâtre joint à une sagacité insatiable. Il charme ses loisirs par de nombreuses promenades à travers la ville, et s’il lui arrive de se rendre quelquefois au café Greco, qui est le rendez-vous de la jeunesse intellectuelle, c’est pour serrer la main d’un ami ou pour conduire un voyageur confié à sa bienveillance de cicerone improvisé. De ces nombreuses courses à travers la Ville Éternelle, il rapporte une ample moisson de notes, de dessins, de croquis, d’aquarelles représentant des types, des monuments, des places, des ruines, le tout pris sur le vif avec une grande acuité de vision et rendu avec une fidélité d’observation que ceux-là seuls qui en furent les confidents familiers pourraient attester. Ces témoins furent Farochon, graveur; Brian, le célèbre sculpteur avignonnais, et Ottin.
Voici le tableau enchanteur qu’il trace de la vie romaine:
Rome, 26 Juin 1838.
MON CHER MAITRE,
Que l’on est heureux d’être toujours dans cette belle Rome où l’on découvre à chaque instant de nouvelles beautés! C’est au point que l’on est plein de tout et que cela vous enlève l’envie de travailler. Il est si agréable de contempler tous ces spectacles! Rome! Jamais je n’aurais cru l’aimer comme je l’aime. Dernièrement, j’ai fait un voyage en Étrurie... J’ai vu des choses admirables dans le domaine de la Nature et de l’Art; j’ai vu des chefs-d’œuvre de toutes les époques... Eh bien! au bout d’une quinzaine de jours je soupirais après Rome, et quand j’y suis rentré, quand j’ai revu ses belles fontaines et son air riant, les larmes coulaient en abondance de mes yeux. Je ne sais vraiment pas comment je ferai pour quitter cet incomparable pays où l’on découvre tous les jours une foule de Maîtres dont on ne connaît même pas les noms en France et qui ont fait des choses adorables. Toutes les galeries en sont pleines: ce sont autant de musées parmi lesquels le Vatican domine. Voilà un endroit d’où on ne voudrait jamais sortir. Plus on voit ce sublime Raphaël, et plus on l’aime. Dès l’abord, je croyais lui trouver des défauts, mais maintenant j’avoue que je n’en vois plus du tout et que je l’adore comme on adore la perfection.
Cette lettre écrite avec naïveté ne constitue-t-elle pas un plaidoyer de plus en faveur du maintien de l’École de France à Rome?
Sa facilité à comprendre et à traduire est merveilleuse. On peut dire qu’il a écrit par le crayon une histoire anecdotique de Rome, tant il sut saisir la plupart des traits de son immortelle physionomie. Lorsque ses travaux le lui permettaient, il quittait Rome pour aller visiter quelque autre ville de l’Italie où il était sûr de trouver des notes précieuses destinées à enrichir ses cartons. Florence et Naples le captivèrent, l’une par son luxe architectural, l’autre par son pittoresque. Motifs d’architecture, pifferari originaux, lazaroni aux accoutrements hétérogènes, pêcheurs, chanteuses de rues, pochades enlevées à la diable sous la pression de l’actualité fugitive, esquisses prestement lavées, tout sollicitait son crayon et son pinceau, lorsqu’ils n’étaient pas retenus par quelque morceau plus important, comme l’intérieur de l’église de Santa-Croce, de Florence, ville où son meilleur ami, M. Sabatier, avait une demeure somptueuse et où Papety était allé passer une saison, à la suite d’une atteinte «d’aria cattiva». C’est dans ce sanctuaire qu’il avait recouvré le calme, comme autrefois à Paris, pendant les nuits d’angoisse, il avait entrevu l’espérance après s’être laissé tomber sur les marches de quelque église déserte...
Papety était poète dans toute la force expressive du mot. Nature ardente et impressionnable, esprit primesautier et pénétrant tout à la fois, rien n’échappait à ses facultés d’analyste, à son cosmopolitisme investigateur. Rêveur devant les spectacles de la campagne romaine, il devenait homme d’action dans le silence de l’atelier. Les mystères des soleils couchants, les féeries des nuits le pénétraient et jetaient dans son âme un trouble aussi étrange que celui qui s’emparait de lui à la pensée de la vie antique dont il chercha à envelopper les faits dans les lueurs du crépuscule. Le soir, il avait coutume de se promener sous les lauriers, dans les jardins de sa villa romaine du Pincio, devisant de ses projets d’avenir avec le compositeur François Bazin.
Une des plus belles soirées passées à Rome, fut sans doute celle, où, en compagnie de Joseph Autran, il parcourut toute la ville par une nuit de printemps, tandis que les étoiles éclairaient de leur divine clarté les éloquentes silhouettes de la ville et que le Tibre, déroulant son onde scintillante, leur racontait les fastes dont il avait été témoin. Ce ne sont à chaque pas qu’exclamations admiratives en face de cet immortel passé. Leur esprit et leur cœur battent à l’unisson. L’enthousiasme de la jeunesse s’y allie au lyrisme de la poésie. Ils s’avancent fiévreusement, ou plutôt ils courent, entraînés dans leur dithyrambique par l’élan de leur imagination de poète et d’artiste allant à la découverte de sensations étranges, s’abreuvant d’inédit.
Nous courions emportés par le vol de nos âmes, s’écrie Joseph Autran, en racontant dans un fort beau poème, sa Première nuit à Rome; et, de fait, c’est bien là l’impression que l’on ressent à la lecture de cette description où passent la colonne Trajane, le Capitole, le Forum, la Via Sacra, le Colysée, l’Arc de Titus, Saint Pierre, le Pantalin, le Tibre, qui arrachent aux deux artistes des cris d’admiration, leur donnent l’ivresse du souvenir et les élèvent pendant l’espace d’une nuit par delà les régions du rêve, loin du prosaïsme de la vie contemporaine.