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PREMIÈRE PARTIE III

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Son père, dans son testament de mort, ne lui avait pas tout dit. Outre les moyens de parvenir, il lui en laissait la nécessité, car le comte de Camors était ruiné aux trois quarts. Le désordre de sa fortune datait de loin. C'était pour en réparer les brèches qu'il s'était marié; mais cette opération n'avait pas réussi. Un héritage considérable sur lequel il comptait pour sa femme, et qui avait déterminé son choix, était allé ailleurs. Un établissement de bienfaisance en avait profité. Le comte de Camors avait intenté un procès aux légataires devant le conseil d'État; puis il avait consenti à transiger moyennant une rente viagère d'une trentaine de mille francs, qui naturellement s'éteignait avec lui. Il jouissait encore de quelques grasses sinécures que son nom, ses relations de cercle et l'autorité de sa personne lui avaient fournies dans de grandes administrations financières. Ces ressources ne lui survivaient pas davantage. Il n'était que locataire de l'hôtel qu'il occupait, et le nouveau comte de Camors se trouvait réduit finalement à la simple dot de sa mère, qui, pour un homme de son rang et de ses goûts, était un pauvre viatique.

Son père lui avait, d'ailleurs, laissé entendre plus d'une fois qu'il n'aurait rien de plus à espérer après lui. Le jeune homme s'était donc dès longtemps habitué à cette perspective, et, quand elle se réalisa, il ne fut ni aussi surpris ni aussi frappé qu'il aurait dû l'être de l'imprévoyant égoïsme dont il était victime. Son culte pour son père n'en fut pas altéré, et il n'en lut pas avec moins de respect et de confiance le testament singulier qui figure en tête de ce récit. Les théories morales que ce document lui recommandait n'étaient pas nouvelles pour lui; elles étaient dans l'air, il les avait bien des fois agitées dans son cerveau fiévreux; mais jamais elles ne lui étaient apparues avec la force condensée d'un dogme, avec la netteté précise d'un système pratique, ni surtout avec l'autorité d'une telle voix et d'un tel exemple.

Un incident vint appuyer puissamment dans son esprit l'impression de ces pages suprêmes. Huit jours après la mort de son père, il était à demi couché sur le divan de son fumoir, le visage sombre comme la nuit et comme les pensées qui l'occupaient lorsqu'un domestique entra et lui remit une carte. Il la prit, et lut: Lescande, architecte. Deux points rouges tachèrent soudain ses joues pâles.

— Je ne reçois pas, dit-il.

— C'est ce que j'ai dit, répliqua le domestique; mais ce monsieur insiste si extraordinairement...

— Si extraordinairement?

— Oui, monsieur, comme s'il avait à parler à monsieur de choses très sérieuses.

— Très sérieuses? répéta de nouveau Camors en regardant le valet dans les yeux. — Faites monter.

Camors se leva et marcha dans la chambre. Un sourire d'une amertume douloureuse plissa ses lèvres, et il murmura:

— Est-ce qu'il va falloir le tuer maintenant?

Lescande fut introduit, et son premier geste démentit les appréhensions que ces paroles révélaient. Il se précipita et saisit les deux mains du jeune comte. Camors remarqua pourtant que ses traits étaient décomposés et que ses lèvres tremblaient.

— Assieds-toi, lui dit-il, et remets-toi.

— Mon ami, dit Lescande après un moment, je viens te voir bien tard... Je te demande pardon... mais j'ai été moi-même si malheureux!.. Tu vois, je suis en deuil...

Camors sentit un frisson traverser ses os.

— En deuil! dit-il, comment?

— Juliette est morte, dit Lescande.

Et il cacha ses yeux sous sa large main.

— Mon Dieu! dit Camors d'une voix sourde.

Il écouta un moment Lescande qui sanglotait. Il fit un mouvement pour lui prendre la main, et n'osa pas.

— Est-ce possible! reprit-il.

— Cela est arrivé si vite, dit Lescande, que cela me paraît un rêve... un rêve affreux... Tu sais, la dernière fois que tu es venu, elle souffrait... je te l'avais dit, je m'en souviens... Elle avait pleuré toute la journée... pauvre enfant! Le lendemain, quand je suis revenu, elle a été prise... Une congestion aux poumons... à la tête aussi... est-ce que je sais? enfin, elle est morte... que veux-tu!.. et si bonne, si aimante jusqu'au dernier instant, mon ami!.. Une demi-heure avant, elle m'a appelé... elle m'a dit: «Oh! je t'aimais tant! je t'aimais tant! je n'aimais que toi... vraiment que toi! Pardonne-moi!.. pardonne-moi!..» Lui pardonner... quoi, mon Dieu? De mourir probablement!.. car jamais elle ne m'avait fait un autre chagrin au monde... avant celui-là! Ô Dieu de bonté!

— Je t'en prie, mon ami...

— Oui, oui! j'ai tort, pardon! Tu as aussi tes douleurs, toi... mais on est égoïste, tu sais... Ce n'est pas de cela que je suis venu te parler, mon ami... Dis-moi... je ne sais ce qu'il y a de vrai dans un bruit qui s'est répandu... Tu m'excuseras si je me trompe... Je suis bien loin de songer à t'offenser, tu peux croire, mais enfin on dit que tu restes dans une situation de fortune difficile... Si cela était, mon ami...

— Cela n'est pas.

— Enfin, si cela était... je ne vais pas garder ma petite maison là-bas, tu comprends... à quoi bon maintenant?.. Quant à mon fils, il peut attendre, je travaillerai pour lui... Eh bien, ma maison vendue, j'aurai deux cent mille francs, j'en mets la moitié à ta disposition... tu me les rendras, si tu peux.

— Merci, mon ami, dit Camors... Véritablement je n'ai besoin de rien... Il y a bien ici quelque désordre... mais je reste encore plus riche que toi.

— Oui, mais avec tes goûts...

— De grâce!

— Enfin tu sauras toujours où me trouver... et je compte sur toi, n'est-ce pas?

— Oui.

— Adieu, mon ami... Je te fais du mal... je m'en vais... au revoir... Tu me plains, dis?

— Oui, au revoir.

Lescande sortit.

Le jeune comte était demeuré debout, immobile, les yeux fixés dans le vide. De légères convulsions passaient sur ses traits. Cette minute fut décisive dans sa vie. Il y a des moments où le besoin du néant se fait si violemment sentir, qu'on y croit et qu'on s'y jette. En présence de ce malheureux homme si indignement trahi, si brisé, si confiant, Camors, s'il y avait quelque chose de vrai dans la vieille morale spiritualiste, devait se reconnaître coupable d'une action atroce qui le condamnait à un remords presque insoutenable; mais, s'il était vrai que le troupeau humain fût le résultat purement matériel des forces de la nature, produisant au hasard des êtres forts et des êtres faibles, des agneaux et des lions, — il n'avait fait que son métier de lion en égorgeant son camarade. Il se dit, le testament de son père sous les yeux, qu'il en était ainsi, et se calma.

Plus il réfléchit ce jour-là et les jours qui suivirent, dans la retraite profonde où il s'ensevelit, plus il se persuada que cette doctrine était la vérité même qu'il avait tant cherchée, et que son père lui avait légué la vraie formule de la vie. Son âme épuisée de dégoûts et d'inertie, son âme vide et froide, s'ouvrit avec une sorte de volupté à cette lumière qui la remplit et l'échauffa. Il avait dès ce moment une foi, un principe d'action, un plan d'existence, tout ce qui lui manquait, et il n'avait plus ce qui l'oppressait, ses doutes, ses agitations, ses remords. Cette doctrine, d'ailleurs, était haute ou du moins hautaine: elle satisfaisait son orgueil et justifiait ses mépris. Pour conserver sa propre estime, il lui suffirait de rester fidèle à l'honneur, de ne faire rien de bas, comme le disait son père, et il était bien décidé à ne rien faire en effet qui eût à ses yeux ce caractère. Au surplus, il y avait des hommes — n'en avait-il pas rencontré? — profondément imbus du dogme matérialiste, et qui comptaient parmi les plus honnêtes gens de leur temps. Peut-être eût-il pu se demander si ce fait incontestable ne devait pas être attribué aux individus et non à la doctrine, et s'il n'y avait pas dans le mal comme dans le bien des hommes qui croient et qui ne pratiquent pas. Quoi qu'il en soit, à dater de cette crise, Louis de Camors fit du testament de son père le programme de sa vie.

Développer à toute leur puissance les dons physiques et intellectuels qu'il tenait du hasard, faire de lui-même le type accompli d'un civilisé de son temps, charmer les femmes et dominer les hommes, se donner toutes les joies de l'esprit, des sens et du pouvoir, dompter tous les sentiments naturels comme des instincts de servage, dédaigner toutes les croyances vulgaires comme des chimères ou des hypocrisies, ne rien aimer, ne rien craindre et ne rien respecter que l'honneur, tels furent en résumé les devoirs qu'il se reconnut et les droits qu'il s'arrogea.

C'était avec ces armes redoutables, maniées par une intelligence d'élite et par une volonté vigoureuse, qu'il devait rentrer dans le monde, le front calme et grave, l'œil caressant et implacable, le sourire aux lèvres, comme on l'a connu. Dès cet instant, il n'y eut plus un nuage ni dans sa pensée, ni sur ses traits, qui semblèrent même ne plus vieillir.

Il résolut avant tout de ne point déchoir et de conserver, malgré l'exiguïté présente de ses ressources, ses habitudes d'élégance et de luxe, dût-il vivre pendant quelques années sur son capital. La fierté et la politique lui en donnaient également le conseil. Il n'ignorait pas que le monde est aussi dur aux besoigneux qu'il est secourable à ceux qui ne manquent de rien. S'il l'eût ignoré, l'attitude première de sa famille après la mort de son père l'eût suffisamment édifié à cet égard. Sa tante de la Roche-Jugan et son oncle Tonnelier lui avaient, en effet, témoigné en cette circonstance la froide circonspection de gens qui peuvent soupçonner qu'ils ont affaire à un malheureux. Ils avaient même, pour plus de sûreté, quitté Paris, en négligeant de dire au jeune comte quelle retraite ils avaient choisie pour y cacher leur douleur. Il devait, au reste, l'apprendre bientôt. Pendant qu'il achevait de liquider la succession de son père et qu'il organisait ses projets de fortune et d'ambition, il éprouva par une belle matinée du mois d'août une assez vive surprise.

Il comptait parmi ses parents un des plus riches propriétaires fonciers de France, le général marquis de Campvallon d'Arminges, célèbre au Corps législatif par ses interruptions effrayantes. Il avait une voix de tonnerre, et, quand il disait de cette voix de tonnerre: «Bah!.. Allons donc!.. Assez!.. Ordre du jour!» l'hémicycle tremblait dans ses profondeurs, et MM. les commissaires du gouvernement bondissaient sur leurs sièges. C'était, d'ailleurs, le meilleur homme du monde, quoiqu'il eût tué en duel deux de ses semblables; mais il avait eu ses raisons. — Camors le connaissait peu; il lui rendait strictement les devoirs que la parenté et la politesse exigeaient, le rencontrait au cercle, faisait quelquefois son whist, et c'était tout. Il y avait deux ans que le général avait perdu un neveu qui était l'héritier direct de son nom et de ses biens, et il était assiégé en conséquence d'une foule de cousins et de collatéraux empressés, parmi lesquels madame de la Roche-Jugan et la baronne Tonnelier concouraient au premier rang. Camors était d'une humeur différente, et il avait depuis ce temps apporté dans ses relations avec le général une réserve particulière.

Il ne reçut donc pas sans étonnement le billet que voici:

«Mon cher parent,

»Vos deux tantes et leur famille sont chez moi, à la campagne. S'il vous était agréable de les rejoindre, je serai toujours heureux d'offrir une cordiale hospitalité au fils d'un vieil ami et d'un compagnon d'armes. Je me suis présenté chez vous avant de quitter Paris; mais vous étiez invisible. J'ai compris votre douleur. Vous avez fait une perte irréparable: j'y ai pris une vive part.

»Recevez, mon cher parent, mes meilleurs sentiments.

»Général marquis DE CAMPVALLON D'ARMINGES.

Château de Campvallon, voie de l'Ouest.

»Post-scriptum. — Il est possible, mon jeune cousin, que j'aie à vous entretenir d'un objet intéressant!»

Cette phrase finale et le point d'exclamation qui la suivait ne laissèrent pas de troubler un peu le calme impassible dont M. de Camors faisait en ce moment l'apprentissage. Il ne put s'empêcher de voir miroiter sous les voiles de ce mystérieux post-scriptum les sept cent mille livres de revenu foncier qui formaient le superbe apanage du général. Il se souvint que son père, qui avait servi quelque temps en Afrique, avait été attaché à la personne de M. de Campvallon en qualité d'aide de camp, et qu'il lui avait même rendu un service assez sérieux dans une circonstance difficile. Il sentit, d'ailleurs, parfaitement le ridicule de ces rêveries, et, voulant toutefois en avoir le cœur net, il partit le surlendemain pour Campvallon.

Après avoir subi pendant sept ou huit heures tous les agréments et tout le confortable que la ligne de l'Ouest a la réputation de réserver aux voyageurs, M. de Camors arriva le soir à la gare de ***, où une voiture du général l'attendait. La masse seigneuriale du château de Campvallon lui apparut bientôt sur une hauteur dont les pentes étaient couvertes de bois magnifiques qui descendaient avec majesté jusqu'à la plaine et s'y étendaient largement.

C'était l'heure du dîner; le jeune homme mit un peu d'ordre dans sa toilette, et gagna presque aussitôt le salon, où sa présence parut jeter un certain froid dans le sein de la famille. Le général, en revanche, lui fit un accueil chaleureux; seulement, comme il avait l'imagination courte, il ne trouva rien de mieux que de lui répéter, en lui secouant la main à la briser, les propres expressions de sa lettre: «Le fils d'un vieil ami! d'un compagnon d'armes!» Il accentua, d'ailleurs, ces mots de sa voix grasse et sonore, avec une telle énergie, qu'il en fut lui-même impressionné; car on pouvait remarquer que le général était toujours étonné et comme saisi des paroles qui sortaient de sa bouche, et qui semblaient lui révéler tout à coup à lui-même l'étendue de ses idées et la profondeur de ses sentiments. Pour achever son portrait, c'était un homme de taille médiocre, mais carré et corpulent, soufflant quand il montait les escaliers, et même en plaine; une face large comme celle d'un mascaron, et rappelant les Chimères qui jettent du feu par les narines; une épaisse moustache blanche en herse, et des petits yeux gris, toujours fixes comme ceux d'un enfant, mais terribles. Il marchait de loin sur vous, lentement, posément, l'œil direct et fascinateur, comme dans un duel à mort, et, en définitive, il vous demandait l'heure qu'il était.

Camors connaissait cette innocente manie de son hôte, et cependant il en fut dupe un instant dans le cours de la soirée. On sortait de dîner, et il se tenait mélancoliquement, une tasse de café à la main, dans l'embrasure d'une fenêtre, quand il vit le général s'avancer vers lui de l'extrémité opposée du salon avec une mine sévère et confidentielle qui paraissait annoncer une communication de la dernière importance. Le post-scriptum lui revint à la mémoire, et il crut pouvoir en attendre l'explication immédiate. Le général, arrivé à bout portant, le saisit par un de ses boutons, le fit reculer jusqu'au fin fond de l'embrasure, et, le regardant dans les yeux comme s'il eût voulu le pétrifier:

— Que prenez-vous le matin, jeune homme? lui dit-il.

— Du thé, général.

— Parfait! vous donnerez vos ordres à Pierre... comme chez vous!

Et, tournant sur ses talons avec une précision militaire, il alla rejoindre les dames, laissant Camors digérer comme il le put sa petite déception.

Huit jours s'écoulèrent. Deux fois encore le général prit son hôte pour objectif de ses marches formidables: la première fois, après l'avoir accosté et dévisagé, il se contenta de lui dire: «Eh bien, jeune homme?» et il s'en alla. La seconde fois, il ne lui dit rien, et s'en alla de même. Évidemment le général ne se souvenait pas qu'il eût jamais écrit le moindre post-scriptum. M. de Camors en prit son parti, mais il se demanda ce qu'il était venu faire à Campvallon, entre sa famille qu'il n'aimait guère, et la campagne qu'il exécrait. Heureusement, il y avait dans le château une bibliothèque fort riche et traités de jurisprudence, d'économie politique, de droit administratif et de droit international. Il en profita pour renouer le fil des sérieux travaux qu'il avait interrompus dans sa phase de découragement, et, plongé dans ces sévères études qui plaisaient à son intelligence active et à son ambition éveillée, il attendit assez paisiblement que la convenance lui permît de planter là le vieil ami et compagnon d'armes de son père.

Il montait à cheval le matin, donnait une leçon d'escrime à son cousin Sigismond, fils unique de madame de la Roche-Jugan, s'enfermait tout le jour dans la bibliothèque, et faisait le soir le bésigue du général, en observant d'un œil philosophique la lutte des convoitises qui s'agitaient autour de cette riche proie.

Madame de la Roche-Jugan avait imaginé une singulière façon de faire sa cour au général, c'était de lui persuader qu'il avait une maladie de cœur. Elle lui touchait le pouls à tout instant de sa main potelée, et tantôt le rassurait, tantôt lui inspirait une terreur salutaire, bien qu'il s'en défendît.

— Que diable! ma chère comtesse, disait-il, laissez-moi donc en repos! Je sais bien que je suis mortel comme tout le monde, pardieu! Eh bien, après?.. Ah! mon Dieu! je vous vois venir; allez, ma chère! je vous vois venir parfaitement! vous voulez me convertir!.. Ta ta ta!

Elle ne voulait pas seulement le convertir, elle voulait l'épouser et l'enterrer. Ses espérances à cet égard se fondaient principalement sur son fils Sigismond. On savait que le général regrettait vivement de n'avoir point d'héritier de son nom. Il n'avait, pour se délivrer de ce souci, qu'à épouser madame de la Roche-Jugan et à adopter son fils. Sans jamais se permettre aucune allusion directe à cette combinaison, la comtesse s'efforçait d'y amener l'esprit du général avec toute la ruse tenace d'une femme, toute l'ardeur avide d'une mère et toute la politique onctueuse d'une dévote.

Sa sœur Tonnelier sentait amèrement son désavantage. Elle n'était point veuve, et elle n'avait pas de fils; mais elle avait deux filles, toutes deux gracieuses, plus qu'élégantes, et vives comme la poudre. L'une, madame Bacquière, était la femme d'un agent de change; l'autre, madame Van Cuyp, d'un jeune Hollandais établi à Paris. Toutes deux entendaient gaiement la vie et le mariage, affolées d'un bout de l'année à l'autre, dansant, chevauchant, chassant, canotant, coquetant et chantant lestement les chansons gaillardes des petits théâtres. Camors, dans son temps de sombre humeur, avait pris formellement en grippe ces aimables petits modèles de dissipation mondaine et de frivolité femelle. Depuis que son point de vue avait changé, il leur rendait plus de justice.

— Ce sont, disait-il tranquillement, des animaux jolis qui suivent leur instinct.

Madame Bacquière et madame Van Cuyp, conseillées par leur digne mère, s'appliquaient à faire sentir au général tout ce qu'il y a de doux et de sacré dans les joies de la famille et du foyer domestique. Elles animaient extraordinairement son intérieur, éreintaient ses chevaux, tuaient son gibier et démolissaient son piano. Il leur semblait que le général, une fois habitué à ces douceurs et à cette animation, ne pourrait plus s'en passer, et que les délices de l'intimité lui deviendraient indispensables. Elles joignaient à ces adroites manœuvres des attentions délicates et familières propres à subjuguer un vieillard. Elles sautaient sur ses genoux comme des enfants, lui tiraient doucement les moustaches, et lui accommodaient à la dernière mode le nœud militaire de sa cravate.

Madame de la Roche-Jugan déplorait confidentiellement avec le général la mauvaise éducation de ses nièces, et la baronne Tonnelier, de son côté, ne négligeait aucune occasion de mettre en plein relief la nullité impertinente et sournoise du jeune comte Sigismond.

Au milieu de ces honorables conflits, une personne qui n'y prenait aucune part attirait à un haut degré l'intérêt de M. de Camors, d'abord par sa beauté et ensuite par son attitude. C'était une orpheline d'un grand nom, mais fort pauvre, dont madame de la Roche-Jugan et madame Tonnelier, ses cousines, avaient dû accepter la charge, qu'elles se partageaient. Mademoiselle Charlotte de Luc d'Estrelles passait chaque année six mois chez la comtesse et six mois chez la baronne. Elle avait alors vingt-cinq ans. Elle était grande, blonde, avec des yeux profonds, un peu à l'ombre sous l'arc proéminent de ses sourcils presque noirs. La masse épaisse de ses cheveux encadrait un front triste et superbe. Elle était mal mise ou plutôt pauvrement, n'ayant jamais voulu se vêtir des restes de ses parentes; mais ses robes de laine, faites de sa main, la drapaient comme un marbre antique. Ses cousines Tonnelier l'appelaient la déesse. Elles la détestaient, et elle les méprisait. Le nom qu'elles lui donnaient ironiquement lui convenait, d'ailleurs, à merveille. Quand elle se mettait en marche, on eût dit qu'elle descendait d'un piédestal. Sa tête paraissait un peu petite, comme celles des statues grecques; ses narines délicates et mobiles semblaient fouillées par un ciseau exquis dans un ivoire transparent. Elle avait l'air étrange et un peu sauvage qu'on suppose aux nymphes chasseresses. Sa voix était magnifique, et elle s'en servait avec goût. Elle avait, d'ailleurs, autant qu'on pouvait le savoir, un vif sentiment des arts; mais c'était une personne silencieuse dont on était forcé de deviner les pensées. Bien des fois avant cette époque, Camors s'était demandé avec curiosité ce qui se passait dans cette âme concentrée. Inspiré par sa générosité naturelle et aussi par son admiration secrète, il s'était toujours piqué de rendre à cette cousine pauvre les hommages qu'il eût rendus à une reine; mais elle avait toujours paru aussi indifférente aux attentions de son jeune parent qu'aux procédés tout opposés de ses bienfaitrices involontaires.

Son attitude au château de Campvallon était bizarre. Plus taciturne que jamais, distraite, étrangère, comme si elle eût médité quelque dessein profond, elle s'éveillait tout à coup, soulevait ses longs cils, promenait çà et là son regard bleu, et le posait soudain sur Camors, qui se sentait frissonner.

Une après-midi, comme il était dans la bibliothèque, on frappa doucement à la porte, et mademoiselle de Luc d'Estrelles entra. Elle était pâle. Il se leva un peu étonné et la salua.

— J'ai à vous parler, mon cousin, dit-elle de son accent pur et grave, légèrement précipité par une émotion évidente.

Il la regarda, lui montra un divan, et s'assit sur une chaise devant elle.

— Mon cousin, reprit-elle, vous ne me connaissez guère; mais je suis franche et brave: je viens tout droit à ce qui m'amène. Est-il vrai que vous soyez ruiné?

— Pourquoi, mademoiselle?

— Vous avez toujours été bon pour moi, et vous êtes le seul. Je vous en suis reconnaissante, et même je...

Elle s'arrêta, et une teinte rosée se répandit sur ses joues; puis elle secoua la tête en souriant, comme quelqu'un qui reprend difficilement son courage.

— Enfin, poursuivit-elle, je suis prête à vous donner ma vie. Vous me jugerez bien romanesque... mais je me fais de nos deux pauvretés réunies une image très douce... Je crois... je suis sûre que je serais une excellente femme pour un mari que j'aimerais... Si vous devez quitter la France, comme on me l'a dit, je vous suivrai... Je serai partout et toujours votre compagne fidèle et vaillante... Pardon! encore un mot, monsieur de Camors... ma démarche serait honteuse, si elle cachait une arrière-pensée... elle n'en cache aucune... Je suis pauvre... j'ai quinze cents francs de rente... Si vous êtes plus riche que moi, je n'ai rien dit, et rien au monde ne me ferait vous épouser.

Elle se tut et fixa sur lui, avec une expression d'attente, d'angoisse et de candeur extraordinaires, ses grands yeux pleins de feu.

Il y eut une pause solennelle. Entre ces deux êtres, nobles et charmants tous deux, il semblait qu'en cette minute une destinée terrible était en suspens, et que tous deux le sentaient.

Enfin M. de Camors lui répondit d'un ton grave:

— Mademoiselle, il est impossible que vous conceviez à quelle épreuve vous venez de me soumettre; mais je suis descendu en moi-même, et je n'y ai rien trouvé qui soit digne de vous. Faites-moi l'honneur de croire qu'il ne s'agit ici ni de votre fortune ni de la mienne; mais j'ai résolu de ne me marier jamais.

Elle soupira longuement et se leva.

— Adieu, mon cousin, dit-elle.

— Je vous en prie, restez encore... je vous en prie! dit le jeune homme en la repoussant doucement sur le divan.

Elle se rassit. Il fit quelques pas au hasard pour calmer son agitation; puis, s'asseyant à demi sur la table, vis-à-vis de la jeune fille:

— Mademoiselle Charlotte, vous êtes malheureuse, n'est-ce pas?

— Un peu, dit-elle.

— Je ne veux pas dire en ce moment... mais toujours?

— Toujours.

— Ma tante de la Roche-Jugan vous traite durement?

— Sans doute. Elle craint que je ne séduise son fils... Oh! grand Dieu!

— Les petites Tonnelier sont jalouses de vous?.. et mon oncle Tonnelier... vous tourmente, n'est-ce pas?

— Indignement, dit-elle.

Et deux larmes jaillirent de ses yeux comme deux diamants.

— Mademoiselle Charlotte, que pensez-vous de la religion de ma tante?

— Que voulez-vous que je pense d'une religion qui ne donne aucune vertu et qui n'ôte aucun vice?

— Ainsi vous êtes peu croyante?

— On peut croire à Dieu et à l'Évangile sans croire à la religion de votre tante.

— Ma tante vous pousse au couvent... Pourquoi n'y entrez-vous pas?

— J'aime la vie.

Il la regarda un moment sans parler, et reprit:

— Oui, vous aimez la vie, — le soleil, la pensée, les arts, le luxe, tout ce qui est beau comme vous... Eh bien, mademoiselle Charlotte, tout cela est sous votre main... Pourquoi ne le prenez-vous pas?

Elle parut surprise et comme inquiète.

— Comment? dit-elle.

— Si vous avez, comme je le crois, autant de force d'âme que vous avez d'intelligence et de beauté, vous pouvez échapper pour jamais à la sujétion misérable où le sort vous a jetée. Souverainement douée comme vous l'êtes, vous pouvez être demain une grande artiste, indépendante, fêtée, opulente, adorée, maîtresse de Paris et du monde.

— Et la vôtre, n'est-ce pas? dit l'étrange fille.

— Pardon, mademoiselle Charlotte... Je ne vous ai soupçonnée d'aucune pensée équivoque quand vous m'avez offert de partager mon incertaine pauvreté... Rendez-moi, je vous prie, la même justice en ce moment. Mes principes en morale sont fort larges, c'est vrai; mais je suis aussi fier que vous, et je ne vais pas à mon but par des voies souterraines. Quoique je vous trouve infiniment belle et séduisante, j'étais dominé par un sentiment supérieur à tout intérêt personnel. J'ai été profondément touché de votre élan sympathique vers moi, et je cherchais à vous en témoigner ma reconnaissance par les conseils d'une amitié véritable... Dès que vous me supposez l'honnête dessein de vous corrompre à mon bénéfice, je me tais, mademoiselle, et je vous rends votre liberté.

— Continuez, monsieur.

— Vous m'écoutez avec confiance?

— Oui.

— Eh bien, mademoiselle Charlotte, vous avez peu vu le monde; mais vous l'avez vu assez cependant pour le juger et pour savoir le cas que vous devez faire de son estime. Le monde, c'est votre famille et la mienne; c'est M. Tonnelier, madame Tonnelier, mesdemoiselles Tonnelier, madame de la Roche-Jugan et le petit Sigismond... Eh bien, mademoiselle Charlotte, le jour où vous serez une grande artiste, riche, triomphante, idolâtrée, buvant à pleine coupe toutes les joies de la vie, ce jour-là assurément mon oncle Tonnelier invoquera la morale outragée, madame Tonnelier s'évanouira de pudeur dans les bras de ses vieux amants, et ma tante de la Roche-Jugan lèvera en gémissant ses yeux jaunes vers le ciel... mais, en vérité, mademoiselle, qu'est-ce que cela peut vous faire?

— Vous me conseillez d'être une courtisane?

— En aucune façon. Je vous conseille uniquement d'être une artiste, une comédienne, en dépit de l'opinion, parce que c'est la seule carrière où vous puissiez trouver l'indépendance et la fortune. Il n'y a pas de loi, d'ailleurs, qui empêche une artiste de se marier et d'être une femme honorable comme le monde l'entend, vous en avez plus d'un exemple.

— Sans mère, sans famille, sans appui j'aurais beau faire, un jour ou l'autre, je serais une fille perdue... Est-ce que je ne vois pas cela!

M. de Camors ne répondit pas.

— Pourquoi ne dites-vous rien?

— Mon Dieu! mademoiselle, parce que nos idées sur ce sujet délicat sont fort différentes, que je ne puis changer les miennes, et que je désire vous laisser les vôtres... Moi, je suis un païen.

— Comment!.. pour vous le bien et le mal sont indifférents?

— Non, mademoiselle; mais pour moi le mal, c'est de craindre l'opinion des gens qu'on méprise, c'est de pratiquer ce qu'on ne croit pas, c'est de se courber sous des préjugés et sous des fantômes dont on connaît le néant; le mal, c'est d'être esclave ou hypocrite, comme les trois quarts et demi du monde; le mal, c'est la laideur, l'ignorance, la sottise et la lâcheté. Le bien, c'est la beauté, le talent, la science et le courage... Voilà tout!

— Et Dieu? dit-elle.

Il ne répondit pas. Elle le regarda fixement pendant une minute sans pouvoir rencontrer ses yeux, qu'il détournait. Elle laissa tomber sa tête avec une sorte d'accablement; puis, la relevant tout à coup:

— Il y a, dit-elle, des sentiments qu'un homme ne peut comprendre. Cette vie libre que vous me conseillez, j'y ai souvent songé dans mes heures d'amertume... mais j'ai toujours reculé avec horreur devant une pensée... une seule...

— Laquelle?

— Peut-être ce sentiment m'est-il particulier... peut-être est-ce un orgueil excessif... mais enfin j'ai un grand respect de moi, de ma personne: elle m'est comme sacrée. Quand je ne croirais à rien, comme vous, et j'en suis loin, Dieu merci!.. je n'en resterais pas moins honnête et pure, et fidèle à un seul amour, simplement par fierté... J'aimerais mieux, ajouta-t-elle d'une voix basse et contenue, mais saisissante, j'aimerais mieux profaner un autel que moi-même!

Elle se leva sur ces mots, fit de la tête un signe d'adieu un peu hautain, et sortit.

M. de Camors, à la suite de cet entretien, demeura quelque temps singulièrement préoccupé: il était étonné des profondeurs qu'il avait entrevues dans ce caractère; il était assez mécontent de lui-même, sans trop savoir pourquoi, et, par-dessus tout, il était violemment épris de sa cousine. Toutefois, comme il avait une faible idée de la franchise des femmes, il se persuada de plus en plus que mademoiselle de Luc d'Estrelles, lorsqu'elle était venue lui offrir son cœur et sa main, n'ignorait point qu'il était encore pour elle un parti très avantageux: il se dit que, quelques années auparavant, il eût pu être dupe de cette candeur perfide, il se félicita de n'être point tombé dans ce piège attrayant et d'avoir su vaincre un premier mouvement de crédulité et d'émotion sincère. — Il aurait pu s'épargner ces compliments. Mademoiselle de Luc d'Estrelles, ainsi qu'il devait le savoir bientôt, avait été dans cette circonstance, comme les femmes le sont quelquefois, parfaitement vraie, désintéressée et généreuse. Seulement, lui arriverait-il jamais de l'être encore à l'avenir? Cela était douteux, grâce à M. de Camors. Il n'est pas rare qu'en méprisant trop les hommes, on les corrompe, et qu'en se défiant trop des femmes, on les perde.

Une heure plus tard environ, on frappa de nouveau à la porte de la bibliothèque. Camors eut une légère palpitation. Il espéra secrètement voir reparaître mademoiselle Charlotte. Ce fût le général qui entra.

Il vint à lui à pas comptés en souillant comme un monstre des mers, et, le saisissant au collet:

— Eh bien, jeune homme? lui dit-il.

— Eh bien, général?

— Que faites-vous là?

— Je travaille, général.

— Parfait!.. Asseyez-vous donc!.. Non, non, asseyez-vous! (Le général prononçait: Asseyez-!)

Il se jeta alors lui-même sur le divan, à la place qu'avait occupée mademoiselle d'Estrelles, ce qui changeait la perspective.

— Eh bien? reprit-il après un long silence.

— Mais quoi donc, général?

— Quoi donc!.. quoi donc!.. Eh bien, est-ce que vous ne remarquez pas, depuis quelques jours, que je suis extraordinairement agité?

— Mon Dieu! général, non, je n'ai pas remarqué.

— Vous n'êtes guère observateur! — Je suis extraordinairement agité, cela crève les yeux! et c'est à tel point, qu'il y a des moments, ma parole d'honneur, où je suis tenté de croire que votre tante a raison et que j'ai quelque chose au cœur!

— Bah! général, ma tante rêve... vous avez le pouls d'un enfant.

— Vous croyez?.. Au surplus, je ne crains pas la mort... mais enfin c'est toujours ennuyeux!.. Eh bien, donc je suis trop agité... il faut que cela finisse, entendez-vous?

— Oui, général... mais qu'y puis-je faire, moi?

— Vous allez le savoir! — Vous êtes mon cousin, n'est-ce pas?

— En effet, général, j'ai cet honneur-là.

— Mais fort éloigné!.. J'ai trente-six cousins au même degré que vous!.. et, sacrebleu! en définitive, je ne vous dois rien!

— Mais je ne vous demande rien, général.

— Je le sais bien! — Vous êtes donc mon cousin fort éloigné... mais il y a autre chose... Votre père m'a sauvé la vie dans l'Atlas... Il a dû vous conter ça... Non?.. Eh bien, ça ne m'étonne pas... Il n'était pas bavard, votre père!.. C'était un homme! — S'il n'avait pas quitté l'épaulette, il avait un bel avenir... On parle beaucoup de M. Pélissier, de M. Canrobert, de M. Mac-Mahon, et cætera... Je n'en dis pas de mal: ce sont des jeunes gens instruits... du moins je les ai connus tels; mais votre père les aurait diablement distancés, s'il avait voulu s'en donner la peine... Enfin il ne s'agit pas de ça! — Voici l'histoire: nous traversions une gorge de l'Atlas... nous étions en retraite... je n'avais pas de commandement... je suivais en amateur, inutile de vous dire par quelle circonstance... Nous étions donc en retraite... il nous tombait de la lune une grêle de pierres et de balles... qui mettaient un peu de désordre dans la colonne... J'étais à l'arrière-garde... Paf! mon cheval est tué, et me voilà dessous!.. Il y avait sur un escarpement du défilé, à quinze pieds de haut, cinq brigands sales comme des peignes... que je vois encore... Ils se laissent glisser et tombent sur mon cheval et sur moi! Le défilé faisait un coude à cet endroit-là, de sorte que personne ne voyait mon embarras... ou que personne ne voulait le voir, ce qui revenait au même... Je vous dis qu'il y avait du désordre!.. Eh bien, je vous prie de croire qu'avec mon cheval et mes cinq Arabes sur le dos j'étais fort mal à mon aise, moi!.. j'étouffais... j'étais tout à fait mal à mon aise enfin... Ce fut alors que votre père accourut comme un gentil garçon et me tira de là... Je l'aidai un peu quand je fus relevé... mais n'importe, ça ne s'oublie pas! — Voyons, parlons net: auriez-vous une grande répugnance à jouir de sept cent mille francs de rente, et à vous appeler après moi le marquis de Campvallon d'Arminges. Répondez!

Le jeune comte rougit légèrement.

— Je m'appelle Camors, dit-il.

— Vous ne voulez pas que je vous adopte?.. Vous refusez d'être l'héritier de mon nom et de mes biens?

— Oui, général.

— Voulez-vous que je vous donne le temps d'y réfléchir?

— Non, général. Je suis sincèrement flatté et reconnaissant de vos intentions généreuses à mon égard; mais, dans les questions d'honneur, je ne réfléchis jamais.

Le général souffla bruyamment comme une locomotive qui lâche sa vapeur, il se leva, fit deux ou trois fois le tour de la galerie, les pieds en dehors, la poitrine effacée, et vint se rasseoir sur le divan, qui gémit.

— Quels sont vos projets? dit-il.

— Je compte d'abord, général, essayer d'accroître ma fortune, qui est un peu mince. Je ne suis pas aussi étranger aux affaires qu'on le pense. Les relations de mon père et les miennes me donnent un pied dans quelques grandes entreprises industrielles et financières, où j'espère réussir avec beaucoup de travail et de volonté. En même temps j'ai quelque idée de me préparer à la vie publique, et d'aspirer à la députation quand les circonstances me le permettront.

— Bien! très bien! il faut qu'un homme fasse quelque chose. L'oisiveté est la mère de tous les vices... J'aime le cheval comme vous; c'est un noble animal... Je prends un vif intérêt aux luttes du sport: elles améliorent la race hippique et contribuent puissamment à une bonne remonte de notre cavalerie; mais le sport doit être une distraction et non une profession... Hem! ainsi vous prétendez être député?

— Avec le temps, général.

— Parbleu! sans doute!.. Mais je puis vous servir, moi, dans cette voie-là. Quand le cœur vous en dira, je donnerai ma démission, je vous recommanderai à mes braves et fidèles électeurs, et vous prendrez ma place. Ça vous convient-il?

— À merveille, général, et je vous remercie de tout cœur; mais pourquoi donner votre démission?

— Ah! pourquoi, pourquoi! pour vous être utile et agréable d'abord, et puis ensuite parce que je commence à en avoir assez, moi, parce que je ne serai pas fâché personnellement de donner cette petite leçon-là au gouvernement. Je souhaite qu'elle lui profite!.. Vous me connaissez, je ne suis pas un jacobin; j'ai d'abord cru que ça marcherait... mais quand on voit ce qui se passe!

— Qu'est-ce qui se passe, général?

— Quand on voit un Tonnelier grand dignitaire... on voudrait avoir la plume de Tacite, ma parole! Lorsque je pris ma retraite, vers 48, — sur un indigne passe-droit qu'on m'avait fait, — je n'avais pas encore l'âge de la réserve, et j'étais encore capable de bons et loyaux services... J'aurais pu m'attendre peut-être dans un état de choses régulier à quelque dédommagement... Je l'ai trouvé, au reste, dans la confiance de mes braves et fidèles électeurs... mais enfin on se lasse de tout, mon jeune ami... Les séances du Luxembourg... je veux dire du Palais Bourbon, me fatiguent un peu... Bref, quelque regret que je doive éprouver en me séparant de mes honorables collègues et de mes chers électeurs, je me démettrai de mes fonctions quand vous serez prêt et disposé... N'avez-vous pas une propriété dans le département?

— Oui, général, une propriété qui appartenait à ma mère.. Un petit manoir avec un peu de terre autour, qui s'appelle Reuilly.

— Reuilly!.. à deux pas de Des Rameures!.. parfait!.. Eh bien, c'est le pied à l'étrier, cela!

— Oui, mais il y a un malheur: c'est que je suis forcé de vendre cette terre.

— Pourquoi diable?

— Général, c'est tout ce qui me reste. Cela rapporte une dizaine de mille francs. Pour me lancer dans les affaires, il me faut quelques capitaux, une mise de fonds, et je désire ne pas emprunter.

Le général se leva, et son pas martial et cadencé ébranla de nouveau le parquet de la galerie; après quoi, il se laissa retomber sur le divan.

— Il ne faut pas vendre votre terre! dit-il. Je ne vous dois rien... mais j'ai de l'affection pour vous... Vous ne voulez pas être mon fils adoptif; je le regrette, et je suis bien forcé de passer à d'autres projets... Je vous avertis que je passe à d'autres projets!.. Il ne faut pas vendre votre terre, si vous tenez à être député. Les gens du pays, et Des Rameures en particulier, ne voudraient plus de vous. Cependant, vous avez besoin d'argent. Permettez-moi de vous prêter trois cent mille francs. Vous me les rendrez quand vous pourrez, sans intérêts, et, si vous ne me les rendez pas, vous me ferez plaisir!

— Mais, en vérité, général...

— Voyons, acceptez... comme parent, comme ami... comme fils d'un ami, au titre que vous voudrez... mais acceptez, ou vous m'offenserez sérieusement!

M. de Camors se leva, prit la main du général, la serra avec émotion et lui dit d'un ton bref:

— J'accepte, monsieur, merci!

Le général, sur ces mots, se leva comme un lion en furie, la moustache hérissée, les narines ouvertes et fumantes; il regarda le jeune comte avec un air de véritable férocité, et, l'attirant soudain sur sa poitrine, il l'embrassa cordialement. Il marcha ensuite vers la porte avec sa solennité accoutumée, enleva une larme sur sa joue d'un doigt furtif, et sortit.

C'était un brave homme que le général, et, comme beaucoup de braves gens, il n'avait pas été heureux en ce monde. On pouvait rire de ses travers, on ne pouvait lui reprocher aucun vice. Il avait l'esprit un peu étroit, le cœur immense. Il était timide au fond, surtout avec les femmes. Il était délicat, passionné et chaste. Il avait peu aimé, et n'avait pas été aimé du tout. Il prétendait avoir pris sa retraite sur un passe-droit qu'on lui avait fait. Voici quel était en réalité ce passe-droit. Il avait épousé à quarante ans la fille d'un pauvre colonel tué à l'ennemi. Après quelques années de mariage, cette orpheline l'avait trompé, de complicité avec un de ses aides de camp. La trahison lui avait été révélée par un jeune rival, qui avait joué en cette occasion le rôle infâme de Iago. M. de Campvallon avait alors déposé ses épaulettes étoilées, et, dans deux duels successifs, dont on se souvient en Afrique, il avait tué à deux jours de distance le coupable et le dénonciateur. Sa femme était morte peu de temps après, et il était resté plus seul au monde que jamais. Il n'était pas homme à se consoler dans des amours vénales; un propos grivois le faisait rougir. Le corps de ballet lui faisait peur. Il n'eût osé l'avouer; mais ce qu'il rêvait à son âge avec ses moustaches menaçantes et sa mine terrible, c'était l'amour dévoué d'une grisette, aux pieds de laquelle il eût pu répandre sans honte et surtout sans défiance toutes les tendresses de son cœur héroïque et simple.

Dans la soirée du jour qui avait été marqué pour M. de Camors par ces deux épisodes intéressants, mademoiselle de Luc d'Estrelles ne descendit pas pour dîner. Elle fit dire qu'elle avait une forte migraine, et qu'elle priait qu'on l'excusât. Ce message fut accueilli par un murmure général et par quelques paroles aigres de madame de la Roche-Jugan, qui semblaient signifier que mademoiselle de Luc d'Estrelles n'était pas dans une situation de fortune à se permettre d'avoir la migraine. Le dîner n'en fut pas moins gai, grâce à madame Bacquière et à madame Van Cuyp, et aussi à leurs deux maris, qui étaient arrivés de Paris ce soir-là pour passer leur dimanche avec elles. Afin de célébrer cette heureuse réunion, ils se mirent tous les quatre à boire du vin de Champagne à flots, tout en parlant argot et en imitant les acteurs; — ce qui fit beaucoup rire les domestiques.

Quand on retourna au salon, madame Bacquière et madame Van Cuyp jugèrent délicieux de prendre les chapeaux de leurs maris, de mettre leurs pieds dedans, et de courir en cet équipage un petit steeple-chase d'un bout du salon à l'autre. Pendant ce temps, madame de la Roche-Jugan touchait le pouls du général et le trouvait extrêmement capricant.

Le lendemain matin, à l'heure du déjeuner, tous les hôtes du général étaient réunis dans ce même salon, à l'exception de mademoiselle d'Estrelles, dont apparemment la migraine se prolongeait. On remarquait aussi l'absence du général, qui était la politesse et l'exactitude mêmes. On commençait à s'en inquiéter, quand les deux battants de la porte s'ouvrirent tout à coup: le général entra, tenant mademoiselle d'Estrelles par la main. La jeune fille avait les yeux fort rouges et le visage fort pâle. Le général était écarlate; il s'avança de quelques pas comme un acteur qui va saluer le public, promena autour de lui des regards foudroyants, et poussa un hem! qui fut répété en écho par les cordes basses du piano.

— Mes chers hôtes et amis, dit-il alors d'une voix tonnante, permettez-moi de vous présenter la marquise de Campvallon d'Arminges!

Une banquise du pôle arctique n'est ni plus silencieuse ni plus froide que ne le fut le salon du général à la suite de cette déclaration. — M. de Campvallon, tenant toujours mademoiselle d'Estrelles par la main, gardait sa position centrale, et continuait de lancer des regards foudroyants sur l'assistance; mais ses yeux commençaient à s'égarer et à rouler convulsivement dans leurs orbites, tant il était étonné lui-même et embarrassé de l'effet qu'il avait produit.

M. de Camors vint à son secours, il lui prit la main et lui dit:

— Recevez tous mes compliments, général... Je suis sincèrement heureux de votre bonheur... et puis cela est digne de vous!

S'approchant ensuite de mademoiselle d'Estrelles, il s'inclina avec une grâce sérieuse et lui serra la main.

Quand il se retourna, il eut la stupeur d'apercevoir sa tante de la Roche-Jugan dans les bras du général. Elle passa de là dans ceux de mademoiselle d'Estrelles, qui craignit un instant, à la violence de ses caresses, qu'elle n'eût l'intention secrète de l'étouffer.

— Général, dit alors madame de la Roche-Jugan d'un ton plaintif, je vous la recommande, n'est-ce pas?.. je vous la recommande bien, n'est-ce pas?.. c'est ma fille... mon second enfant!.. Sigismond, embrassez votre cousine... Vous permettez, général? Ah! on ne connaît vraiment tout son amour pour ces êtres-là que quand on les perd... Je vous la recommande bien, n'est-ce pas, général?

Et madame de la Roche-Jugan fondit en larmes.

Le général, qui commençait à concevoir une haute opinion du cœur de la comtesse, lui protesta que mademoiselle d'Estrelles trouverait en lui un ami et un père. Sur cette douce assurance, madame de la Roche-Jugan alla s'asseoir dans un coin solitaire, à l'ombre d'un rideau, où on l'entendit pleurer et se moucher pendant plus d'une heure; — car elle ne put déjeuner, le bonheur lui coupant l'appétit.

La glace une fois rompue, tout le monde se montra convenable. Les Tonnelier, toutefois, ne s'épanchèrent pas avec autant d'effusion que la tendre comtesse, et il fut aisé de voir que madame Bacquière et madame Van Cuyp ne se représentaient pas sans amertume la pluie d'or et de diamants qui allait tomber sur leur cousine et consteller sa beauté. M. Bacquière et M. Van Cuyp en souffrirent naturellement les premiers, et leurs charmantes femmes leur firent entendre à diverses reprises dans la journée qu'elles les méprisaient profondément. Ce fut un triste dimanche pour ces messieurs.

La famille Tonnelier sentit, d'ailleurs, qu'elle n'avait plus rien à ménager, et elle partit le lendemain pour Paris après des adieux un peu secs.

La conduite de madame de la Roche-Jugan fut plus noble. Elle déclara qu'elle servirait de mère à sa Charlotte bien-aimée jusqu'au pied des autels et jusqu'au seuil de la chambre nuptiale, qu'elle s'occuperait de son trousseau avec enthousiasme, et que le mariage aurait lieu chez elle.

— Le diable m'emporte! ma chère comtesse, lui dit le général au comble du ravissement, il faut que je vous avoue une chose: vous m'étonnez!.. J'ai été injuste, cruellement injuste envers vous! Oui, ma foi! je m'en accuse, je vous croyais dure, intéressée, peu franche... Et bien, pas du tout: vous êtes une excellente femme, un cœur d'or, une belle âme. Ma chère amie, vous avez trouvé le vrai moyen de me convertir, puisque vous y tenez... J'ai quelquefois pensé qu'en fait de religion l'honneur suffisait à un homme, n'est-ce pas, Camors?.. Mais je ne suis pas un mécréant, ma chère comtesse... et, ma parole sacrée, lorsque je vois de parfaites créatures comme vous, j'ai envie de croire tout ce qu'elles croient, quand ce ne serait que pour leur être agréable!

M. de Camors, moins naïf, se demandait avec intérêt quel pouvait être le secret de la politique nouvelle de sa tante. Il n'eut pas besoin de beaucoup d'efforts pour le pressentir. Madame de la Roche-Jugan, qui avait fini par se convaincre elle-même de l'anévrisme du général, se flattait que les soucis du mariage pourraient accélérer les destins de son vieil ami. En tout cas, M. de Campvallon avait plus de soixante ans; Charlotte était jeune, et Sigismond aussi, Sigismond attendrait donc quelques années, s'il le fallait, et il ferait tout doucement sa cour à la jeune marquise, jusqu'au jour où il l'épouserait avec toutes ses dépendances, sur le mausolée du général. — C'était ainsi que madame de la Roche-Jugan, un moment écrasée sous le coup inattendu qui ruinait toutes ses espérances, avait soudain modifié ses plans et changé ses batteries, pour ainsi dire sous le feu de l'ennemi. — Voilà à quoi elle rêvait en pleurant et en se mouchant derrière son rideau.

Les impressions personnelles de M. de Camors à la nouvelle de ce mariage n'avaient pas été des plus agréables. Premièrement, il avait été forcé de reconnaître qu'il avait fort mal jugé mademoiselle d'Estrelles, et qu'au moment où il l'accusait de spéculer sur sa petite fortune elle lui sacrifiait les sept cent mille francs de rente du général. Il sentait donc avec ennui qu'il n'avait pas eu précisément le beau rôle dans cette affaire. En second lieu, il se voyait réduit à étouffer dès ce moment la secrète passion que cette belle et singulière personne lui inspirait. Femme ou veuve du général, dans le présent et dans l'avenir, il était clair que mademoiselle d'Estrelles lui échappait absolument; séduire la femme de ce vieillard et de cet ami dont il avait accepté les bienfaits, ou bien l'épouser un jour veuve et riche après l'avoir refusée pauvre, c'était une indignité ou une bassesse que l'honneur lui interdisait au même degré et avec la même rigueur évidente, si cet honneur dont il avait fait la seule loi de sa vie n'était pas un mot et une risée. M. de Camors n'hésita pas à le comprendre et à s'y résigner.

Pendant les quatre ou cinq jours qu'il passa encore à Campvallon, sa conduite fut parfaite. Les attentions délicates et réservées dont il entoura mademoiselle d'Estrelles, mêlées d'une dose convenable de mélancolie, lui témoignèrent à la fois sa reconnaissance, son respect et ses regrets. M. de Campvallon n'eut pas moins à se louer des procédés du jeune comte, qui entra dans la faiblesse de son hôte avec une bonne grâce affectueuse, lui parla peu de la beauté de sa fiancée et beaucoup de ses qualités morales, et lui laissa voir sur l'avenir de cette union la plus flatteuse confiance.

La veille de son départ, Camors fut mandé dans le cabinet du général.

— Mon jeune ami, lui dit M. de Campvallon en lui remettant un bon de trois cent mille francs sur son banquier, je dois vous déclarer, pour le repos de votre conscience, que j'ai informé mademoiselle de Luc d'Estrelles du petit avantage que je vous fais. Mademoiselle de Luc d'Estrelles, mon jeune ami, a beaucoup d'estime et d'amitié pour vous, sachez cela. Elle a donc accueilli ma communication avec un sensible plaisir. Je l'ai encore avertie que je ne prétendais tirer aucun reçu de cette somme, et qu'aucune réclamation ne devait être en aucun temps exercée contre vous à ce sujet. Mademoiselle de Luc d'Estrelles, qui doit être mon unique héritière, je ne vous le cache pas, s'est associée cordialement à mes intentions. Maintenant, mon cher Camors, rendez-moi un petit service. Pour vous dire le fond de ma pensée, je serais bien aise de vous voir donner suite immédiatement à vos projets de légitime ambition. Ma situation nouvelle, mon âge, mes goûts, ceux que je puis supposer à la marquise réclament tous mes loisirs et toute ma liberté d'action. Je désirerais, en conséquence, vous recommander le plus tôt possible à mes braves et fidèles électeurs tant pour le Corps législatif que pour le conseil général, que vous ferez bien d'enlever au préalable. Pourquoi différer? Vous êtes très instruit, très capable... Eh bien, quoi! portons-nous en avant! Commençons nos opérations! Voulez-vous?

— Général, j'aurais préféré mûrir un peu... mais ce serait une vraie folie et une ingratitude en même temps que de ne pas me prêter à vos bonnes dispositions... Que faut-il faire d'abord? Voyons!

— Mon jeune ami, au lieu de partir pour Paris demain, il faut partir pour votre terre... Reuilly, je crois, vous avez dit?.. Eh bien, il faut partir pour Reuilly et conquérir Des Rameures!

— Qu'est-ce que c'est que Des Rameures, général?

— Vous ne connaissez pas Des Rameures?.. Non, au fait, vous ne pouvez pas le connaître... Diable! diable! c'est fâcheux; Des Rameures est tout-puissant dans le pays... C'est un original, Des Rameures, mais un brave garçon... très brave garçon! vous le verrez... avec sa nièce, une femme très respectable! Dame, jeune homme, il faut leur plaire... votre succès est à ce prix... Je vous dis que Des Rameures est maître du pays! Moi, il me protégeait... sans ça, je serais resté en chemin, ma parole d'honneur!

— Mais, général, que faut-il faire pour lui plaire?

— À Des Rameures?.. Dame, vous le verrez... C'est un grand original. Il n'a pas été à Paris depuis 1823; il a horreur de Paris et des Parisiens... Eh bien, il faut flatter un peu ses idées là-dessus... il faut un peu de ruse en ce monde, jeune homme!

— Mais sa nièce, général?

— Ah diable! il faut plaire aussi à sa nièce... il l'adore, et elle fait de lui tout ce qu'elle veut, quoiqu'il se débatte quelquefois...

— Et quelle femme est-ce que cette nièce, général?

— Oh! une femme très respectable, parfaitement respectable... une veuve... un peu dévote... mais très instruite... beaucoup de mérite!

— Et comment m'y prendre pour plaire à cette dame?

— Ah! ma foi! vous m'en demandez trop!.. Je n'ai jamais su plaire à une femme, moi, ainsi! Je suis bête comme une oie avec elles... C'est plus fort que moi!.. Mais vous, mon jeune camarade, vous n'avez pas besoin d'être renseigné là-dessus... vous lui plairez, pardieu! vous n'avez qu'à être convenable et gentil... voilà tout!.. Enfin vous verrez tout ça, et vous vous en tirerez comme un ange, j'en suis sûr... Plaire à Des Rameures et à sa nièce, voilà le mot d'ordre!

Le lendemain dans la matinée, M. de Camors quitta le château de Campvallon, muni de ces renseignements incomplets, et, en outre, d'une lettre du général pour Des Rameures. Il se rendit en voiture de louage à son domaine de Reuilly, qui était situé dix lieues plus loin. Chemin faisant, il se disait que tout n'est pas rose dans la carrière de l'ambition, et qu'il était dur d'y rencontrer dès le début deux physionomies aussi inquiétantes que celles de Des Rameures et de sa respectable nièce.

Monsieur de Camors — Complet

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