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CHAPITRE PREMIER

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Les Bombelles dans l'histoire. – Le marquis tuteur de ses sœurs. – Henriette-Victoire, comtesse de Reichenberg, épouse morganatique du landgrave de Hesse-Rheinfels. – M. de Bombelles à Ratisbonne. – Les instructions du comte de Vergennes. – Mlle de Schwartzenau. – Jeanne-Renée de Bombelles projette de marier son frère à Mlle de Mackau. – L'éducation des jeunes filles et les mariages dans la noblesse. – La sous-gouvernante des Enfants de France et la jeunesse de Madame Élisabeth. – Intimité de la princesse avec Angélique. – Lettres de Mlle de Mackau au marquis de Bombelles. – L'empereur Joseph II à Versailles. – Eléonore d'Olbreuse et ses descendants. – Mariage d'Angélique.

Aucun des écrivains ayant eu à retracer la vie de Madame Élisabeth n'a négligé de prononcer le nom de la marquise de Bombelles, née Angélique de Mackau. On sait qu'avec la marquise de Raigecourt, née Causans, et la vicomtesse des Monstiers Mérinville, née La Briffe, elle fut l'amie de cœur de la sœur de Louis XVI, et les nombreuses lettres si affectueusement incorrectes que lui a adressées Madame Élisabeth ont sauvé son nom de l'oubli4. Par malheur les renseignements que nous ont transmis Ferrand dans son Éloge de Madame Élisabeth (1795), Feuillet de Conches dans son Introduction aux Lettres de Madame Élisabeth, et l'éditeur des Mémoires de la baronne d'Oberkirch sont erronés sur bien des points.

Quant au marquis de Bombelles, hormis dans les livres documentaires sur l'émigration, où d'ailleurs on le confond souvent avec un de ses frères, il n'est guère parlé de lui5. Histoire générale et mémoires ont l'air de l'ignorer. Il est donc nécessaire d'expliquer en peu de mots ce qu'étaient sa famille et celle de sa femme.

La famille de Bombelles fixée au XVIIIe siècle en Alsace, dans les fiefs de Worck, d'Achenheim et de Reishoffen, descendait de Salmon de Bombelles, docteur en médecine, natif de Senes au comté d'Asti, qui, attaché au service du duc d'Orléans (Louis XII), reçut des lettres de naturalité du roi Charles VIII6. Il est retrouvé trace de cette maison plus ancienne qu'illustre, à la cour des ducs de Lorraine; elle est couchée sur les listes de pension pour officiers et loyaux serviteurs de ces princes; après l'annexion à la France des duchés de Lorraine et de Bar, il est question de démêlés judiciaires entre le comte de Bombelles, lieutenant général et l'administration des duchés au sujet du fief de Reishoffen appartenant naguère au grand-duc de Toscane et échangé contre d'autres terres.

Ce Henri-François de Bombelles, lieutenant général, gouverneur de Bitche, commandant de la frontière de la Lorraine Allemande et de la Sarre, est le père de Marc-Henri. Officier de valeur et de services éclatants7 (les lettres du maréchal de Belle-Isle, du prince de Nassau, du maréchal du Muy, de Paris-Duverney, conservées aux Archives de Seine-et-Oise, témoignent en quelle estime le tenaient ses chefs ou les administrateurs de l'armée8), il conquit une situation prépondérante comme gouverneur de Bitche, poste qu'il conserva de nombreuses années et jusqu'à sa mort survenue en 1760, au moment où l'on songeait à lui donner le bâton de maréchal de France.

M. de Bombelles s'était marié deux fois. Du premier lit, il laissait un fils et une fille. Celle-ci était entrée dans un couvent de Saverne et les portes du cloître se sont, à ce point, fermées sur elle, que c'est à peine si, parmi tous ces papiers de famille, son nom est prononcé. L'aîné de la famille, appelé le comte de Bombelles, marié à Mlle B. de la Vannerie, et vivant, à cause du caractère difficile de sa femme, fort en dehors de ses frères et sœurs de père, se souciera fort peu de ses devoirs de chef de famille. Il accomplira une carrière militaire honorable, deviendra maréchal de camp, chevalier de l'Ordre de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel.

Du second mariage avec Marie-Suzanne de Rassé, sont nés quatre enfants, deux fils et deux filles. Le deuxième des fils, Basile, comme ses frères, commandera une compagnie du régiment de Berchenyi; de grandes folies de jeunesse pèseront sur toute sa vie; il sera enfermé à Metz pour dettes et donnera les plus grands ennuis aux siens9. Après avoir servi en Allemagne, on le retrouve en 1792 maréchal de camp à l'armée de Condé.

Le vrai chef de la famille c'est Marc-Henri, marquis de Bombelles, second fils du lieutenant général. Ce marquisat venait d'un fief masculin situé en Palatinat, concédé par le prince héréditaire de Hesse-Darmstadt, reconnu par l'empereur et pour lequel régularisation a été consentie en France10.

Pour l'administration des finances très exiguës de la famille, pour l'éducation de ses deux sœurs, le marquis de Bombelles s'est tout à fait substitué à son frère aîné, et, d'un commun accord, c'est lui qui dirige, ordonne tout. Par sa raison pondérée, ses goûts d'économie, l'affection toute paternelle qu'il porte à ses sœurs – il s'est privé du revenu du fief pour leur éducation – il se montre à la hauteur de son rôle et digne d'éloges sans réserves. Ceci n'était pas toujours l'avis de sa belle-sœur, la comtesse de Bombelles, jalouse de cette influence et qui excitait continuellement son mari contre son frère. Après la mort de son aîné en 1785, le marquis eut des démêlés particuliers avec sa belle-sœur. Il répondit assez justement: «Mon frère tirait une grande vanité d'être le chef de sa famille et ne pouvait pas se dissimuler que, sans lui en disputer le titre, j'en acquittais les charges11…» et l'incident fut clos.

Né le 6 octobre 1744, à Bitche, capitale de la Lorraine allemande dont le comte de Bombelles, son père, était le gouverneur, Marc-Henri entra fort jeune, comme page, dans la maison du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XV, et le jeune prince témoignait la plus grande amitié à son compagnon de jeu. De complexion délicate le duc de Bourgogne était souvent souffrant, et chacun de l'entourer et d'essayer de le distraire12. On dut l'opérer d'une tumeur à la hanche, mais on ne le guérit point. Pendant cette maladie aux alternatives de mieux et de cruelles souffrances, les courtisans commençaient à ralentir leurs visites et entraient de préférence chez le duc de Berry (le futur Louis XVI). Un jour que le malade se trouvait dans une solitude presque complète, il fit signe à son page qu'il voulait lui parler; des paroles qu'il prononça on a établi ce mot «historique» qui semblerait un peu étonnant pour un enfant de dix ans, si l'on ne savait, d'autre part, que ce petit martyr royal, dont la fin fut si courageuse et édifiante, en était bien capable. «Bombelles, dit-il, sais-tu pourquoi nous ne voyons personne, tandis que la foule se porte chez mon frère?

C'est qu'ici, c'est la chambre de la douleur, et chez Berry, c'est la chambre de l'espérance13

Après la mort du prince, Marc-Henri de Bombelles entra au service, dans les mousquetaires, se distingua à l'armée du maréchal de Broglie, fut blessé à Forbach, fit brillamment les campagnes de 1761 et 1762 comme aide de camp du marquis de Béthune. Il commanda ensuite une compagnie du régiment de Berchenyi jusqu'au jour où il la céda à son frère Basile. Il était parvenu au grade de colonel lorsque, appuyé par le baron de Breteuil, alors ministre à Naples, il demanda à faire partie de la légation. Pendant son absence de plusieurs années M. de Bombelles confiait Henriette-Victoire et Jeanne-Renée à Mme d'Offémont, née Françoise de Bombelles, sa tante, qui, veuve depuis longtemps d'un officier au régiment de Condé-Infanterie, vivait retirée dans sa terre d'Offémont (Ile-de-France)14.

Excellent cœur mais tête folle, Henriette-Victoire avait voué une affection ardente au frère qui avait veillé sur son enfance, payé son entretien au couvent et qui même, de Naples, continuait à s'occuper d'elle avec une sollicitude constante. Par les lettres de la jeune fille conservées aux Archives de Seine-et-Oise on voit quelle place un peu encombrante Mlle de Bombelles occupait dans les pensées… et les calculs financiers du secrétaire d'ambassade.

Pas jolie, fantasque, exubérante et surtout sans aucune fortune, Mlle de Bombelles était fort difficile à marier. Les partis se présentaient peu: le hasard devait amener celui auquel on aurait pu le moins songer. Un prince souverain allemand, père de la princesse de Bouillon, avait rencontré Henriette-Victoire pendant un voyage en Bavière, auprès de son frère devenu ministre à Ratisbonne. Séduit par le bavardage étourdi de cette jeune fille de dix-huit ans, le landgrave Constantin de Hesse Rheinfels demanda sa main. Il avait soixante ans; par son premier mariage il était père de plusieurs princes et princesses qui supporteraient mal une telle mésalliance. M. de Bombelles put hésiter longtemps avant d'accepter pour sa sœur une union plus brillante en apparence qu'en réalité; devant l'insistance de Henriette-Victoire, qui ne voyait qu'une chose: être princesse, il céda, et le mariage eut lieu en 1776.

Malgré la loi sur les mariages inégaux qui régnait en Allemagne, Mlle de Bombelles se berçait de l'illusion qu'elle obtiendrait le droit d'être traitée en princesse et de compenser par là la disproportion des âges. Elle ne devait pas réussir; elle porta le nom de comtesse de Reichenberg et, malgré tous les efforts de son mari en Allemagne, et de ses parents en France, elle ne put jamais obtenir d'être qualifiée princesse. Après deux années tristement passées dans les châteaux gothiques du vieux landgrave nous la retrouverons veuve d'abord et, contre toute vraisemblance, inconsolable, puis, au bout de très peu de temps, désireuse de se remarier à tout prix et épousant contre le gré des siens, le plus mauvais sujet du royaume, le marquis de Louvois.

L'autre sœur du marquis, Jeanne Renée, nous la suivrons également au cours de cette étude: d'abord jeune fille, vivant tantôt auprès de son frère à Ratisbonne, tantôt à Versailles, où la comtesse de Marsan, la baronne de Mackau ou Mme de Bombelles, sa belle-sœur, lui donnent tour à tour l'hospitalité; ensuite, après un projet d'union manquée avec le chevalier de Naillac, mariée au marquis de Travanet: c'est une femme gracieuse et spirituelle, assez instruite, d'un commerce agréable et très aimée dans l'entourage de Madame Élisabeth; elle est l'auteur de la romance célèbre «Pauvre Jacques», dont nous parlerons à son heure.

Quant à Angélique de Mackau elle se présente trop bien elle-même avec son charme exquis, sa «sensibilité», pour que nous ne lui laissions pas la parole le plus souvent possible. Avec elle nous allons entrer dans l'intimité de Madame Elisabeth; nous connaîtrons de nouveaux traits de bonté de l'intéressante princesse. La cour de Marie-Antoinette nous apparaît sans voiles avec ses compétitions rivales, ses clans opposés les uns aux autres. Les Polignac, les Rohan, leurs différentes coteries, surtout l'un peu énigmatique comte Valentin d'Esterhazy dont l'influence sur la Reine ne peut sembler douteuse, se projettent en pleine lumière… bien d'autres encore restés jusqu'ici au second plan faute de renseignements.

Depuis le printemps de 1775, le marquis de Bombelles était chargé, en remplacement du baron de Mackau, de la légation de France auprès de la Diète de Ratisbonne15. En face des projets ambitieux de Joseph II sur la Bavière, la situation du ministre de France près des princes germaniques s'offrait rien moins que facile. Le rôle de M. de Bombelles consistait avant tout à ne pas s'ingérer dans les affaires des petits souverains avec leurs puissants voisins. Pour remplir utilement un emploi de conciliation et d'effacement, un diplomate de carrière patient, sachant vivre simplement et presque à l'écart des intrigues «grouillantes» de Ratisbonne était nécessaire. Le plénipotentiaire allait se tirer avec honneur d'un poste délicat, et, s'en tenant à la lettre de ses instructions, il mériterait les éloges du Ministère français; il n'en devait pas être de même du Cabinet autrichien qui, ne trouvant pas en lui un serviteur aveugle de l'Empereur, se plaindra à Paris; de là une série de griefs accumulés sur sa tête et dont la reine Marie-Antoinette lui tiendra bien longtemps rigueur, quand plus tard il sera question de donner au diplomate un avancement mérité.

Le marquis s'était créé des intimités dans quelques familles; très attiré chez Mme de Schwartzenau, femme du ministre de Prusse, il s'était cru épris de la fille de la maison et avait songé à demander sa main. Certaines hésitations de dernière heure, peut-être aussi des obstacles de fortune ou de caractère que des lettres postérieures nous font deviner l'avaient fait renoncer à son projet. La jeune fille, plus désireuse que lui, sans doute, de contracter cette union, s'était montrée mortifiée de l'abandon du marquis, et la rupture n'alla pas sans récriminations et sans aigreur. Débarrassé d'un poids qui l'étouffait, M. de Bombelles n'eut plus qu'une idée: se marier en France. Il était âgé de trente-trois ans, muni d'un poste diplomatique important, il n'avait plus à se préoccuper que du sort de sa jeune sœur qui alors vivait avec lui à Ratisbonne…

Ce fut justement Jeanne Renée qui persuada à son frère que, s'il voulait épouser Mlle de Mackau, fille d'une des sous-gouvernantes des Enfants de France, il n'avait qu'à formuler une demande. L'année précédente, le marquis tombé malade à Versailles s'était vu soigner comme un fils par la baronne de Mackau avec laquelle, depuis toujours, il avait entretenu les liens de la plus étroite intimité. Une jeune fille rieuse et raisonnable à la fois, de «caractère enchanteur» et d'éducation parfaite, cette Angélique, que depuis son enfance il suivait pas à pas, avait charmé la convalescence du diplomate; de longues causeries sous les ombrages des parcs appartenant à la princesse de Guéménée et à la comtesse de Marsan16 devaient laisser dans l'esprit de l'un et de l'autre de durables impressions… Ils ne le savaient pas peut-être jusqu'au jour où la correspondance de Mlle de Bombelles avec la baronne de Mackau vint raviver de charmants souvenirs, faire entrevoir la possibilité d'une union entre deux cœurs qui avaient déjà cheminé dans les sentiers de l'amitié.

De part et d'autre, il était écrit qu'on s'accorderait vite. Mme de Mackau était sans fortune, dans le marquis de Bombelles, diplomate d'avenir, elle trouvait un bon parti pour sa fille. Loin d'élever des objections contre la différence d'âge, elle encouragea sa fille, à peine âgée de seize ans, à répondre aux sollicitations dont son amie, Mlle de Bombelles, se faisait l'interprète. De son côté, Marc-Henri n'était que peu en état par lui-même de donner une brillante situation à celle qui deviendrait sa femme; mais il escomptait volontiers, outre les espérances de carrière, la protection destinée à devenir efficace de la jeune sœur du Roi.

Si jeune qu'elle fût, en effet, Mlle de Mackau jouait un petit rôle dans la cour intime des Enfants de France. Sa mère, femme fort capable, s'était appliquée à lui donner une instruction sérieuse; la vie modeste qu'elle et ses enfants menaient à Strasbourg n'avait pu que fortifier les excellentes qualités d'Angélique. La jeune fille n'avait pas connu les dangers d'une existence trop mondaine soit dans l'intérieur familial, soit dans les couvents à la mode, lesquels préparaient si bien à la vie de cour et si mal à la vie conjugale.

A cette époque, la femme appartenant à la société se tient dans le monde comme sur un théâtre. Elle sent sur elle les regards du public, elle apprend un rôle très difficile à porter. Aussi l'apprentissage commence-t-il de bonne heure. La vie de famille d'alors peut nous paraître étrange, tant elle est différente de celle que mènent la plupart des jeunes filles d'aujourd'hui.

On a formé l'enfant dès le berceau aux belles manières. Elle s'est habituée à se promener d'un air grave; on juge de ce que peuvent être ses jeux de prime jeunesse en corps de baleine et en paniers; sauter et courir voilà de fort sottes occupations pour une fille noble destinée à tenir un rang dans la société, surtout à la Cour, but de toutes les aspirations. Elle voit fort peu sa mère, tant les multiples occupations mondaines, le théâtre, la Cour, les petits salons où l'on cause, où l'on joue, où l'on soupe, où l'on médit, prennent son temps, accaparent exclusivement son esprit. Passer des heures avec l'enfant dont l'intelligence s'éveille peu à peu, jouer avec elle en un charmant abandon, livrer les profondeurs naïves de sa tendresse maternelle, se montrer petite et simple pour mieux insuffler son amour, se faire aimer à force d'abdication du moi, à force d'oubli des préoccupations et des soucis extérieurs, reprendre peu à peu et savoir garder la place qu'ont occupée les «remplaçantes», voilà ce que tant de femmes – appartenant même à la société la plus absorbée par les devoirs mondains, la plus en proie aux suggestions frivoles – savent quotidiennement faire aujourd'hui. C'était autrefois une fort rare exception. Quelle intimité peut exister entre une mère qui à peine quelques minutes par jour s'informe de la santé, de la conduite et des progrès de sa fille, et une enfant qui, sitôt le devoir solennel accompli, remonte dans les combles de l'hôtel avec sa gouvernante? Aucune. Au respect filial, se mêle une bonne dose de crainte et, dans l'amour, il est comme une hésitation, un désir d'obéir plus qu'un besoin de répondre à un sentiment naturel. Les parents n'ont pas plus que ceux d'aujourd'hui au fond du cœur une grande dureté, mais il va de leur dignité de garder cette hauteur qui écarte les familiarités, met un frein aux attendrissements, conserve les distances.

Cette première vie de famille un peu sommaire ne suffit pas pour l'éducation d'une fille. La mode n'est pas venue encore des institutrices à demeure, mais il est de grandes maisons de tenue religieuse17 et d'allure mondaine à la fois où se retirent des femmes de tout âge, où l'on se dispute ces enfants de la noblesse suivant leur rang et leur fortune: Fontevrault, Panthémont18, rue de Grenelle, les Dames de Sainte-Marie de la rue Saint-Jacques, Saint-Louis de Saint-Cyr pour un noyau restreint, portes ouvertes à deux battants sur le monde dont les bruits, les nouvelles, les caquets arrivaient sans retard. A ces veuves, prises d'accès de dévotion passagère, à ces femmes en instances de séparation judiciaire, à celles qui fuyaient la société trop bruyante par raison ou par tristesse ou simplement parce que la petite vérole les avait maltraitées, il fallait ces distractions, ces effluves de la Cour et de la Ville… Les jeunes filles élevées dans un bâtiment séparé prenaient contact, aux longues heures de récréation, avec celles qui peuplaient les parloirs, elles s'imprégnaient de l'air du siècle, cependant qu'on leur enseignait le chant, le dessin et la danse, tous les talents de la bonne compagnie et surtout l'art de plaire19.

Elle sait se tenir, marcher, faire sa partie dans un menuet; elle sait causer de mille riens, baragouiner l'anglais ou l'italien, se moquer et critiquer; elle a appris la généalogie de sa famille et un peu celle des Bourbons; elle a cet esprit naturel qui est instinctif aux castes qui, ne prenant pas le temps d'approfondir les sujets et n'ayant pas à se préoccuper des difficultés de l'existence, cueillent la fleur au vol… Elle ne sait rien de la vie et de ses devoirs, rien des plaies sociales qui, sans qu'elle s'en doute, l'entourent et qu'elle peut être appelée à secourir… Elle n'a qu'un but, qu'un désir, que son éducation particulière a fait croître, surchauffé au point d'en faire une obsession: se marier très jeune, suivant les convenances de rang et de fortune. Les parents arrangent tout d'avance: les futurs conjoints se voient une ou deux fois, le mariage est décidé avant qu'ils n'aient le temps de se connaître. Parfois elle a treize ou quatorze ans, lui seize ou dix-sept ans20; dans ce cas, le soir des noces les deux enfants sont séparés, le mari pour faire son apprentissage aux armées21, elle pour rentrer pour deux ou trois ans dans son couvent ou dans un autre.

On l'appelle madame, elle a le droit de recevoir quelques visites, elle continue à se perfectionner dans les arts d'agrément, les livres sont presque complètement fermés; la petite mariée ne songe qu'au jour où il lui sera permis de paraître sur la première scène du monde, à être présentée à la Cour et à se mêler à la société brillante. Elle envisage la nouvelle vie qui va lui être faite; elle entrevoit diamants, beaux atours, berline, comédie, fêtes et soupers.

Tout un prisme de joies aveugle ses yeux. Elle ne pensait guère qu'à cela en allant à l'autel, et voilà le moment arrivé. Le mariage sera consommé dans une terre familiale. Puis la jeune femme accourra à Paris, se montrera dans quelques salons, recueillera sourires et compliments, et couverte de bijoux, en grand habit, elle paraîtra le vendredi à l'Opéra dans la première loge du côté de la Reine. Voilà les mariages dans la noblesse au XVIIIe siècle.

Si les buts à atteindre sont souvent les mêmes de nos jours pour de très jeunes épousées, il faut confesser que l'état de la jeune fille actuelle est plus enviable. N'a-t-elle pas le droit d'avoir place au banquet des plaisirs, de jouer son rôle dans le mouvement mondain? jusqu'à un certain point ne lui est-il pas possible d'étudier ceux parmi lesquels elle choisira ou laissera choisir son mari? Du moins ne la force-t-on pas comme jadis à prononcer des vœux religieux afin que par le sacrifice des filles et des cadets traités en branches parasites s'épanouisse en pleine sève le principal rejeton.

De là ces religieuses, ces abbés sacrifiés «par ordre», et l'ancien évêque d'Autun pourra écrire: «Dans les grandes maisons, c'était la famille que l'on aimait bien plus que les individus et surtout que les jeunes individus que l'on ne connaissait pas encore». Contre ces abus de puissance paternelle qui réglait cruellement le sort de quelques-uns en faveur du seul qui dût en profiter, il avait été protesté dès le Concile de Trente, mais ces menaces n'avaient produit aucun effet; après comme avant, les parents continuèrent à régler eux-mêmes et suivant leur fantaisie le sort de leurs fils ou de leurs filles. Si l'on ne peut nier que le droit d'aînesse, tel qu'il a pu se conserver en Angleterre, tel que la constitution des majorats pouvait, dans une certaine mesure, le remplacer chez nous, devait et doit encore s'offrir comme l'unique moyen de garder intacts non seulement les terres patrimoniales, mais le rang auquel ont droit certains noms illustrés au service de l'État, on ne saurait s'indigner assez haut contre cette habitude mise en vigueur aux XVIIe et XVIIIe siècles de froquer tout ce qui était jugé inutile. Parcourez Saint-Simon: la liste est longue des grandes familles qui procédaient ainsi. C'est le premier duc de la Rochefoucauld qui fait prêtres le deuxième et le quatrième de ses fils, force cinq filles sur cinq à se faire religieuse. Le second duc eut trois chevaliers de Malte et un prêtre parmi ses cinq fils. Les Rohan, les Matignon, les Mailly usaient des mêmes procédés envers les cadets de leurs fils et filles. Forcée aussi Mlle de Mortemart qui, «faisant de nécessité vertu», devint l'irréprochable abbesse de Fontevrault. Forcée Mlle de Tencin… dont les aventures sont connues. Forcés tous ces petits abbés de cour, écrivains licencieux, de Chaulieu à Grécourt, de La Châtre à Voisenon qui se vengèrent par le scandale de leurs livres et de leurs mœurs de la violence qu'ils avaient dû subir. Quand Fléchier arrive en Auvergne, avec les juges des Grands Jours, il est informé qu'un certain nombre de religieuses se sont évadées de leur couvent, et que d'autres s'adressent aux représentants du roi, pour être rendues à la liberté; et l'évêque de constater: «Je ne m'en étonnai pas. On les contraint pour des intérêts domestiques, on leur ôte par des menaces la liberté de refuser. Les mères les sacrifient avec tant d'autorité qu'elles sont contraintes de souffrir sans se plaindre.»

Rapprochons-nous de l'époque qui nous occupe. Il y a toujours des chevaliers de Malte pris par ordre parmi les cadets de vieille souche et plus ou moins bien lotis, des prêtres forcés, des abbesses nées parmi les plus grandes maisons… Nécessité familiale devant laquelle on s'incline. Il est un clan où le chapeau de cardinal se passe d'oncle en neveu, les Rohan sont un instant plusieurs à porter la pourpre et on les distingue par le nom de Guéménée et de Soubise, tandis que le senior garde le nom de Rohan. Plût au Ciel que la source de ces cardinaux se fût tarie, avant l'avènement du trop célèbre Louis, grand-aumônier de France… l'homme du Collier!..

Il y a toujours de tout jeunes gens qu'on marie sans les consulter comme on avait marié le prince Charles-Joseph de Ligne et le duc de Fronsac. Il y a toujours des jeunes filles élevées dans des couvents très mondains où l'on apprend les révérences et l'art de se comporter à la Cour, il y a toujours aussi Saint-Cyr où la règle est plus sévère, l'éducation plus sérieuse, mais là ce n'est plus un couvent uniquement de luxe; n'y entrent et sur places libres, que les jeunes filles nobles et de famille militaire qu'a désignées la faveur du Roi… Celles-là auront une dot minuscule et un trousseau pour faciliter leur établissement, et c'est pourquoi la noblesse pauvre recherche tant pour ses filles l'institution de Saint-Louis. Le temps n'est plus où Racine faisait chanter les chœurs d'Esther, devant la Cour, par les protégées de Mme de Maintenon: les dames de Saint-Cyr sont des religieuses augustines et les exhibitions mondaines ont cessé.

Angélique de Mackau, de famille noble et sans fortune, se trouvait bien dans les conditions voulues pour entrer dans cette maison recherchée. Il s'en fallut de peu qu'elle n'y complétât son éducation… Mais la jeune princesse dont elle était devenue la compagne la réclamait pour elle-même et, devant sollicitation si impérieuse, toutes considérations s'étaient tues.

Comment s'était conclu cet arrangement, Mme de Bombelles l'a conté elle-même en 1795 à M. Ferrand, tout en expliquant de quelle façon, quelques années auparavant, sa mère était devenue sous-gouvernante de cette enfant volontaire et indisciplinée, mais d'une grâce et d'une sensibilité charmante qui était Madame Élisabeth.

La première éducation de la petite princesse ne s'était pas faite sans difficulté. Orpheline à trois ans22, elle n'obéissait à personne. Les témoignages contemporains la montrent à l'âge de six ans comme une petite sauvage, avec un air déterminé et doux en même temps, avec je ne sais quoi d'entier et de rebelle qui ne se laissait pas aisément apprivoiser. Elle offrait des aspérités, des disparates bizarres de caractère; elle passait volontiers d'un extrême à l'autre: tantôt sensible et charmante, tantôt fière et hautaine. Ses inégalités rappelaient le duc de Bourgogne23.

La comtesse de Marsan24, gouvernante des Enfants de France, eut fort à faire pour mater cette nature indépendante. A l'encontre de Madame Clotilde, sa sœur, âgée de cinq ans, qui s'offrait très souple, désireuse d'apprendre et de se plier à ce qui lui était commandé, Madame Élisabeth se montrait entêtée dans ses caprices, opiniâtre dans ses révoltes, orgueilleuse et hautaine avec ceux qui la servaient; dans l'exagération de sa morgue princière elle ne souffrait pas non seulement qu'on lui tint tête, mais même qu'on pût tarder à exécuter ses désirs. A ses débutantes études, elle n'apportait ni grâce ni bon vouloir et, malgré l'exemple de sa sœur, toujours mis devant ses yeux, – à sa grande jalousie, d'ailleurs, – elle proclamait qu'elle n'avait besoin ni de se fatiguer, ni d'apprendre, «puisqu'il y avait toujours près des princes, des hommes qui étaient chargés de penser pour eux».

Une circonstance fortuite devait amener un premier changement dans l'humeur fantasque de l'enfant. Elle était tombée malade. Clotilde demanda avec instance à la soigner, obtint que son lit fût apporté dans la chambre de sa sœur. S'il ne lui fut pas permis de la veiller la nuit, du moins ne la quitta-t-elle pas dans le jour, et de cette intimité de chaque instant, de ces soins apportés avec touchante affection devaient naître de probants résultats. Clotilde donna d'excellents conseils à sa sœur et, de plus, se fit sa vraie première institutrice; bientôt Élisabeth, qui s'y était refusée jusqu'alors, consentit à épeler ses mots; au bout de peu de temps, elle prenait goût à la lecture.

La marquise de la Ferté-Imbault, fille de la célèbre Mme Geoffrin et femme philosophe des plus instruites, avait été priée par Mme de Marsan de l'aider dans sa tâche, en attendant que fût nommée une sous-gouvernante capable de diriger effectivement les jeunes princesses25. Mme de la Ferté-Imbault se mit à la besogne, choisit dans son vaste répertoire philosophique les morceaux les plus délicats et qu'elle jugeait les mieux propres à influencer de jeunes esprits. On demeure étonné des auteurs élus dans ce but. Nourrie surtout dans l'antiquité, la marquise fit apprécier à ses élèves des fragments d'Aristote, elle ne leur épargna ni Zoroastre, ni Confucius, elle fit surtout pour elles des «arrangements» inspirés des Hommes illustres de Plutarque. Le livre où Mme Roland raconte en ses Mémoires avoir puisé son enthousiasme pour la République était-il bien à la portée de princesses aussi jeunes? Mme de Genlis en aurait douté, elle qui proclamait que tous livres étaient dangereux à laisser lire seuls à des enfants de sept à quinze ans. C'est pourquoi Mme de la Ferté-Imbault s'était donné la peine de faire elle-même les extraits.

Sans doute Plutarque devenu l'instituteur de leur bas âge avait dicté aux princesses, comme à Henri IV, «beaucoup de bonnes honnêtetés et maximes excellentes». Déjà elles suivaient les leçons de physique de l'abbé Nollet, les leçons d'histoire de Guillaume Le Blond; l'abbé de Montaigu succédant à l'abbé Lussins était chargé de l'instruction religieuse. On verra avec quelle élévation il devait comprendre sa vraie mission. Mais c'est à sa nouvelle éducatrice d'un mérite tout particulier qu'il faut avant tout reporter la transformation en qualités des défauts de la jeune Madame Élisabeth.

Marie-Angélique de Fitte de Soucy, baronne de Mackau, veuve d'un ministre du roi à Ratisbonne26, vivait tout à fait modestement à Strasbourg, lorsque Louis XV, à l'instigation de Mme de Marsan et sur les témoignages rendus par les dames de Saint-Louis (elle avait été élevée à Saint-Cyr), laissant les meilleurs souvenirs l'appela près de ses petites-filles en qualité de sous-gouvernante.

L'arrivée de Mme de Mackau, escortée de sa fille Angélique, devait faire bonne impression sur la petite princesse.

«Mme de Marsan, a raconté Mme de Bombelles, reçut ma mère comme si elle eût eu à la remercier d'avoir accepté l'emploi qu'elle lui avait confié. Elle voulut me voir et me présenter à Mesdames. Madame Élisabeth me considéra avec l'intérêt qu'inspire à un enfant la vue d'un autre enfant de son âge.

Je n'avais que deux ans de plus qu'elle, et étant aussi portée qu'elle à m'amuser, les jeux furent bientôt établis entre nous et la connaissance fut bientôt faite. Ma mère, n'ayant point de fortune, pria Mme de Marsan de solliciter pour moi une place à Saint-Cyr. Elle l'obtint, et je m'attendais à être incessamment conduite dans une maison pour laquelle j'avais déjà un véritable attachement. Cependant Madame Élisabeth demandait sans cesse à me voir; j'étais la récompense de son application et de sa docilité; et Mme de Marsan, s'apercevant que ce moyen avait un grand succès, proposa au Roi que je devinsse la compagne de Madame Élisabeth, avec l'assurance que, lorsqu'il en serait temps, il voudrait bien me marier. Sa Majesté y consentit. Dès ce moment je partageai tous les soins qu'on prenait de l'instruction et de l'éducation de Madame Élisabeth. Cette infortunée et adorable princesse, pouvant s'entretenir avec moi de tous les sentiments qui remplissaient son cœur, trouvait dans le mien une reconnaissance, un attachement qui, à ses yeux, tinrent lieu des qualités de l'esprit; elle m'a conservé sans altération des bontés et une tendresse qui m'ont valu autant de bonheur que j'éprouve aujourd'hui de douleur et d'amertume…» Si façonnée par l'auteur de l'Éloge de Madame Élisabeth que nous apparaisse cette note, elle est bien, aux efforts de style près, l'expression de ce que ressentait Mme de Bombelles auprès de Madame Élisabeth.

Par cela même qu'elle était la compagne plus âgée de la princesse, dans ses jeux comme dans ses études, et compagne choisie non subie, Angélique devait exercer utile influence, aider puissamment Mme de Mackau à faire triompher son programme de femme de haute piété et d'opiniâtre persévérance. Là où Mme de Marsan, plus indolente, n'avait pas pleinement réussi, Mme de Mackau fut assez rapidement victorieuse. D'une enfant vaniteuse et personnelle elle ne devait pas tarder, avec l'aide de l'abbé de Montaigu, à faire une princesse éprise et respectueuse de ses devoirs; dès l'époque de sa première communion27, qui devait de si peu précéder le mariage de la princesse Clotilde avec le futur roi de Sardaigne, elle avait compris, suivant l'éloquente parole d'un de ses panégyristes28, non l'un des moindres, «qu'une partie de la religion consiste à ne pas faire porter aux autres le fardeau de nos imperfections et de nos caprices, mais, au contraire, à servir nos semblables, s'il se peut, ou du moins à leur témoigner de la bienveillance, ce qui n'est jamais difficile aux grands». Sa tendance originelle à l'orgueil fit bientôt place à la douceur et à l'affabilité, et ce qu'elle avait de trop ardent et de trop personnel s'atténua sensiblement et ne fut plus que de la franchise et de la fermeté.

Quand, le 20 août, Madame Clotilde, mariée par procuration, partit pour le Piémont, ce fut pour sa sœur un cruel déchirement. Ce qu'étaient, à l'époque, ces mariages à l'étranger des Filles de France, on le sait: adieu suprême à la famille, à la patrie, à toutes les affections, à toutes les intimités de l'enfance et de la jeunesse. Elles n'avaient plus même, ces princesses, pour épancher leur cœur, cette consolation des correspondances intimes qui entretiennent les liens des parents et des élus de l'amitié. Toute lettre était obligée de subir l'estampille officielle, de suivre le canal diplomatique; souvent elle passait au crible des agents secrets des Gouvernements: la confiance, l'abandon disparaissaient de cet échange de pensées; il fallait user de subterfuges pour faire passer des lettres qui exprimaient autre chose que des phrases protocolaires. Madame Clotilde sera autorisée à venir de temps à autre jusqu'à Chambéry pour y recevoir des membres de sa famille. Elle aura l'occasion de revoir ses frères, mariés eux-mêmes à des princesses de Piémont, elle ne reverra jamais la jeune sœur dont elle avait protégé l'enfance et qui professait pour elle une si tendre et sincère affection.

Les onze ans de Madame Élisabeth n'avaient pas encore la force de dissimuler ce qu'elle ressentait amèrement: elle se laissa aller, se sentant orpheline pour la seconde fois, à la violence de son désespoir. L'éclat de cette douleur fit impression à la Cour où ce genre de manifestations s'éteint d'ordinaire sous les règles de l'étiquette et la banalité des conventions: devoirs ou plaisirs. Marie-Antoinette s'en attendrit et, sous l'empire de cette émotion, elle put écrire à l'impératrice Marie-Thérèse: «Depuis le départ de la princesse de Piémont, je connais beaucoup plus ma sœur Élisabeth, c'est une charmante enfant qui a de l'esprit, du caractère et beaucoup de grâce. Elle a montré au départ de sa sœur une sensibilité bien au-dessus de son âge.»

Si intéressante que soit la jeune princesse, il ne nous est pas permis de la suivre jour par jour dans le cours de ses études et de ses distractions29. Nous nous la figurons pourtant dans tous les déplacements de Cour, à Compiègne, à Fontainebleau, jouant comme précédemment les charades qu'a composées Mme de Marsan, la vicomtesse d'Aumale30, une des sous-gouvernantes, remplissant le rôle de souffleur, Mme de Mackau présidant aux répétitions. A ses côtés nous voyons toujours Angélique, compagne de jeux et compagne de «classe». Elle était le sourire quand, pour mieux se faire obéir, Mme de Mackau se croyait obligée de prendre le front sévère; elle représentait l'émulation et le goût au travail quand la jeune princesse avait le regard «absent». Elle la suivait dans ces courses de botanique, dont Madame Élisabeth se montrait si friande sous l'égide de Lemonnier, médecin des Enfants de France ou d'un autre savant, Dassy, médecin habitant Fontainebleau, elle l'accompagnait aux soupers de la famille royale où, dès sa douzième année, la sœur de Louis XVI est admise.

Quand Mme de Marsan, peu après le départ de Madame Clotilde, eût donné sa démission et passé son «gouvernement» à la princesse de Guéménée, celle-ci voulut modifier la direction si sage jusqu'alors donnée. Dans la vie de Cour elle comprenait surtout les côtés brillants. La simplicité des goûts de Madame Élisabeth l'étonnait, et elle s'employa à lui donner toutes les distractions possibles, reprochant à sa tante, Mme de Marsan, «d'avoir formé la princesse pour la pauvreté du couvent, au lieu de l'avoir élevée pour occuper un des trônes d'Europe».

La vérité est que Madame Élisabeth avait une prédilection pour la maison de Saint-Cyr. La comtesse de Marsan y conduisait volontiers ses élèves, les religieuses que ne gâtaient plus guère de visites royales accueillaient avec empressement les petites princesses, et c'était toujours une vraie joie pour Madame Élisabeth quand il lui était permis de passer une journée au milieu de ses chères orphelines. Elle aimait à leur répéter: «Je suis comme vous une enfant de la Providence», faisant allusion aux malheurs de son enfance; elle prenait part aux jeux, à la promenade et au goûter des jeunes filles, puis elle recevait à leurs côtés la bénédiction du Saint-Sacrement. Le silence conventuel était un instant rompu, les jeunes entretiens voletaient et se raquetaient de cour en cour au point d'étonner les mânes de la Fondatrice. L'austère maison de Saint-Louis s'illuminait de lueurs d'allégresse.

Pas de semaine, quand elle est à Versailles, et cela non seulement jusqu'aux Journées d'octobre, mais même jusqu'au dernier séjour à Saint-Cloud, où Madame Élisabeth ne se précipite à Saint-Cyr. Comme de plus, dans la suite, la jeune princesse ne montrera que peu de goût pour le mariage et se dérobera le plus qu'elle pourra à la vie bruyante de Cour, il sera remarqué que sa piété sincère et sans ostentation, sa propension à la vie d'intimité, son penchant pour les œuvres charitables pourraient un jour la déterminer à entrer au couvent. Elle aimera aussi rendre de nombreuses visites aux Carmélites de Saint-Denis où s'est retirée Madame Louise. Louis XVI lui fera des observations sur la fréquence de ces visites: «Je ne demande pas mieux que vous alliez voir votre tante, mais à la condition que vous ne l'imiterez pas… j'ai besoin de vous.»

En somme, la princesse Élisabeth ne songea jamais sérieusement à se cloîtrer; si les mariages avec des princes étrangers ne lui sourirent pas, c'est qu'elle entendait rester en France, se consacrer au Roi qu'elle chérissait, à la famille royale à qui elle se sentait utile, et aussi à cette grande famille qu'elle s'était créée et qui s'étendait de ses amies d'élection à ses pauvres, les siens et ceux qu'on lui amenait. Il est des vies d'abnégation qui valent des existences monastiques, il est des actes qui surpassent les silences imposés, il est des piétés indulgentes aux autres qui passent avant toutes les austérités conventuelles. L'empreinte morale et religieuse donnée par Mme de Mackau allait résister à l'impulsion mondaine tentée par la princesse de Guéménée, et même après ses quatorze ans, lorsque sa maison eut été montée, Madame Élisabeth ne devait pas sensiblement changer ses idées. Son caractère solidement établi ne se modifierait que peu avec l'âge. Chez elle, les idées primesautières faisaient bon ménage avec les principes moraux les plus sévères, la piété avec la riante gaieté, une vraie «sensibilité» dont elle ne cherchait pas à atténuer les effets s'alliait, à un moment donné, à une rare énergie.

Nous la verrons passer au milieu du monde de la Cour ne cherchant pas le mal et ne le voyant qu'à la dernière limite, se mêlant le moins possible aux intrigues qui fourmillaient jusqu'autour d'elle, donnant les meilleurs exemples de tenue et de bienveillance, aimant la vie retirée au milieu de la Cour agitée, ce qui ne l'empêchera pas d'accomplir ses devoirs de sœur du Roi.

Maintenant que nous avons renouvelé connaissance avec la charmante princesse qui illumine cette biographie d'une de ses plus tendres amies, nous nous hâtons de retourner vers notre héroïne principale qui attend impatiemment l'heure où le oui solennel l'aura unie au mari choisi par sa mère et, par elle-même, adopté avec enthousiasme.

Le mariage devait s'arranger avec d'autant plus de facilité qu'entre le marquis et sa belle-mère l'accord était complet depuis longtemps. Il n'était pas rare que Mme de Mackau, écrivant à Naples à M. de Bombelles, l'appelât son cher gendre31, lui demandant conseil pour toutes choses, réclamant son appui et sa direction morale pour son fils dont le marquis eut à protéger les débuts, plus tard à tempérer le caractère.

Angélique, douce, raisonnable – très raisonnable toujours malgré un soupçon d'enfantillage de forme plus que de fond – bonne, affectueuse et désireuse d'affection, très séduisante avec ses traits fins, ses grands yeux bons respirant la franchise, son accueil amène et bienveillant, était aimée de tous ceux qui l'entouraient. Chacun prenait intérêt à son avenir conjugal: elle ne faisait pas en somme qu'un mariage de raison inespéré, en épousant un homme d'intelligence et de valeur, ministre plénipotentiaire à trente-trois ans et appelé à devenir ambassadeur. Elle aimait comme un frère très aîné cet ami de la famille, et elle trouvait tout simple, en s'alliant à un homme sérieux, de dix-sept ans plus âgé qu'elle, de se donner un protecteur en même temps qu'un mari.

C'est par lettres que l'union a été décidée, c'est par lettres qu'ils se sont promis l'un à l'autre. M. de Bombelles a encore auprès de lui sa sœur Jeanne-Renée qui se porte garant du charme de Mlle de Mackau, et l'un et l'autre, sans s'être revus, semblent tout disposés à se déclarer épris. Les lettres d'Angélique témoignent d'un contentement parfait, du désir de rendre son mari heureux, de la volonté d'être heureuse par lui.

Cette union était-elle prédestinée? On le croirait à la façon dont Mlle de Mackau a gardé le souvenir des années d'enfance «où ils jouaient ensemble», où elle l'appelait «son mari», sans savoir ce qu'elle disait, ajoute-t-elle, mais elle se hâte de faire comprendre qu'elle a réfléchi à cette appellation d'abord inconsciente: «Je vous assure que je vous ai toujours aimé depuis ce temps et la raison qui succède à l'enfance, au lieu de détruire la tendre amitié que j'avais pour vous, n'a fait que l'augmenter. Non, ce n'est pas un rêve, je puis avec assurance vous dévoiler mon cœur, puisque mon sort va s'unir au vôtre… Jamais votre âge ne m'a effrayée, ce serait bien plutôt à vous de vous effrayer du mien. J'ose me flatter que vous me connaissez assez pour être persuadé de ma confiance en vous et, en suivant vos avis et ceux de maman, je puis vous assurer que vous ne souffrirez jamais des inconvénients de mon âge; comme vous dites fort bien, le cœur n'en a point, le mien sera toujours uni au vôtre, et le désir que j'ai de vous plaire vous dédommagera des défauts que vous pourriez trouver chez moi.»

Voilà de l'amitié et de la tendresse en attendant de l'amour, et cette jeune fille de seize ans sait graduer les sentiments. N'est-elle pas aussi bien raisonnable pour son âge lorsqu'elle écrit: «Je suis bien persuadée que vous serez toujours le même avec moi, je vous juge par moi-même; je sais bien que, lorsqu'on vit continuellement ensemble, l'on ne peut pas toujours être en commerce de galanterie, mais la tendre et constante amitié y succède, et l'une vaut bien l'autre.»

De si bonnes dispositions pour l'avenir de son ménage ne sauraient aller sans de profonds sentiments de famille. Aussi Angélique est-elle reconnaissante à son futur mari de sa «façon de penser sur son adorable mère». C'est avoir gagné le cœur de sa fille que de dire du bien de Mme de Mackau.

Qu'il ne s'exagère pas surtout les charmes de sa figure. Elle n'a nullement embelli depuis qu'il l'a vue, et sa belle-sœur a eu bien tort de la vanter. Là où Mlle de Bombelles n'a pas exagéré c'est en répétant sans cesse sa façon de penser. La jeune fille s'excuse sur sa gaucherie à écrire et termine ainsi sa lettre: «Adieu, mon cher marquis, c'est sous l'autorité de la plus respectable des mères que je vous jure que jamais autre que vous ne sera uni au sort d'Angélique.»

Nous sommes là en pleine comédie de Sedaine! Mais ne rions pas, ces sentiments étaient sincères. Le nom de Mme de Mackau a été invoqué; celle-ci prend aussitôt la plume et ajoute, d'abord gaiement: «Franchement, je crois pourtant ma pataraphe nécessaire pour donner une certaine validité à l'engagement ci-dessus. Il est bien certain que celle qui l'a écrit a fait suivre à sa plume le chemin de son cœur; quoi qu'il en soit, comme le mien est à l'unisson, je confirme une promesse qui, en faisant le bonheur d'une fille chérie, fera aussi celui de sa mère et de toute sa famille.»

La gaucherie même de la lettre de sa fille doit plaire au marquis, Mme de Mackau le sent, et elle le dit à son futur gendre: «Elle met son âme à découvert et la laisse aller à son aise; je n'ai pas voulu m'en mêler ni en corriger un mot… Cette petite fille aime l'affirmatif et je ne serais pas étonnée qu'à l'autel, elle dise: Oui, oui.»

Mme de Mackau aborde ensuite un point délicat que M. de Bombelles n'a pas cru devoir taire à sa fiancée. Le marquis avait aimé, on vient d'y faire allusion, une jeune fille, Mlle de Schwarzenau, et avait été payé de retour; la rupture toute récente s'était offerte fort pénible, la blessure était encore ouverte, et «l'infortunée qui lui avait été chère» méritait des égards et des ménagements. Cette fausse position, ce cœur brisé de femme, le remords qu'entraînait sans doute une rupture soudaine, et le devoir qu'il restait à remplir, M. de Bombelles avait exposé tout cela à Mlle de Mackau, lui demandant loyalement son amitié pour la délaissée, sûr d'être compris de celle qui le sauvait d'une union qui ne lui plaisait plus.

Avec son bon cœur, Angélique avait lu entre les lignes, et comme sa mère et sa tante32, après lui avoir communiqué la lettre délicate, épiaient les impressions sur son visage, elle n'avait pas eu un moment d'hésitation: «Ah! pour ça oui, en vérité, s'était-elle écriée avec sa charmante franchise, j'y pensais ce matin, et j'avais formé le plan de le lui proposer, la pauvre enfant! Ah! je sens trop son malheur pour ne pas tâcher de l'adoucir?»

A ce trait, Mme de Mackau s'était attendrie. «Sa tante et moi, l'avons prise dans nos bras; nous étions aussi affligées que nos cœurs nageaient dans la joie… Ainsi soyez tranquille, votre dernier devoir sera partagé de bien bon cœur par celle qui s'occupe d'avance de remplir tous ceux qui peuvent contribuer à votre bonheur.»

Que Mme de Mackau, déjà séparée de son fils dont le caractère indécis l'effraie, regrette par moments la nécessité de se séparer de «son Angélique qui faisait sa consolation», dont «l'heureux naturel, de ses jours les plus tristes, faisait souvent des jours de bonheur», cela se conçoit. Seule la certitude que le gendre de son choix fera le bonheur de sa fille peut lui rendre courage et sécher ses pleurs. Quand le moment du «dernier sacrifice» sera venu, «la victime sera gaie et contente, la prêtresse ne lui montrera pas une douleur qui serait injuste puisqu'elle ne tiendrait qu'à son personnel».

Avant de clore sa lettre sentimentale, Mme de Mackau se rappelle qu'elle remplit une fonction de Cour et donne des détails sur le séjour de l'empereur Joseph II, arrivé le 18 avril à Paris sous le nom de comte de Falkenstein. «Je débuterai demain la reprise de mon service par l'opéra Castor et Pollux qu'on donne à l'Empereur. Je voudrais bien pouvoir y céder ma place à votre petite femme qui est très affligée de n'y pas aller… Il faut pourtant que ma lettre parle d'un prince qui, dans ce moment-ci, fixe toutes les attentions. Sa manière d'être «si peu commune avec les personnes de son rang» a étonné la Cour. Cette simplicité qui «adoucit la Majesté sans la voiler», cette affabilité, cette «honnêteté» lui gagnent tous les cœurs. Comment ne serait-il pas adoré dans son pays?»

Au seuil de ce récit, nous ne pouvons nous arrêter autant qu'il conviendrait au voyage familial et politique à la fois du frère de Marie-Antoinette. Il serait impardonnable de n'en point dire quelques mots.

Grâce aux récits contemporains nul n'ignore que l'Empereur se posa en mentor de la Reine, dont il était l'aîné de quatorze ans, qu'il lui parla très sérieusement et lui laissa des Instructions écrites33, qui produisirent un effet… momentané. Il affecta de se montrer sévère et critique au milieu des cajoleries dont l'entoura sa sœur, mais il jouait un rôle dont on pouvait deviner les dessous. Il blâmait le luxe, le goût pour les plaisirs que manifestait la Reine. Comme il s'était attaqué précédemment à la princesse de Lamballe, il s'attaqua aux Polignac. Il s'occupa spécialement du jeu effréné, qui se jouait dans l'entourage de Marie-Antoinette, et Mercy rapporte comment il s'emporta au sujet de la princesse de Guéménée, dont il appelait la maison «un tripot».

En ce qui touchait le jeu et l'exagération des plaisirs, Joseph II avait raison. Était-il doué d'un esprit assez supérieur et pondéré pour tout morigéner et critiquer sans apporter le remède? Ce que l'on sait de lui ne le prouverait pas entièrement: s'il a laissé en Allemagne la réputation d'un philanthrope utopiste à la recherche du bien et rempli des meilleures intentions, on ne saurait faire de lui un Marc-Aurèle ou un saint Louis.

Esprit curieux, mais mal équilibré, entêté plutôt que ferme, ayant plus de vivacité que de bon sens, concevant de vastes plans, mais ne les mûrissant pas, passionné pour les petites choses et se noyant dans les détails, «gouvernant trop, mais ne régnant pas assez», a dit le prince de Ligne, parlant en libéral, mais agissant en souverain absolu, le prince philosophe gâtait de vraies qualités par d'indiscutables travers. «Les questions, confesse le baron de Gleichen, avaient l'air de chercher un conseil, mais il ne cherchait ordinairement que d'en trouver un qui s'accordât avec son avis.»

Qu'en dehors de la Cour, Joseph II ait obtenu de vrais succès, qu'il ait inspiré un vif intérêt même aux personnes les moins disposées à se laisser imposer par la grandeur, ceci n'est pas douteux; c'est une petite bourgeoise orgueilleuse et destinée à jouer un rôle quelque vingt ans plus tard qui le confessera. Dans une lettre à Sophie Cannet, la future Mme Roland, écrivait à cette époque: «L'Empereur est bien fait, doux, simple et noble, ressemblant à la Reine (la petite Phlipon ne disait pas encore insolemment: Antoinette); grand sans excès, bien campé, blond sans être roux. Il annonce la bonté et a tout à la fois l'air digne et tant soit peu timide. Il va partout, quelquefois sans suite, à pied ou en fiacre. Il visite les hôpitaux, les monuments, il se rend toujours là où il n'est pas attendu, et saisit ainsi la vérité avant qu'on ne lui mette des voiles.» Voilà une phrase qui fleure son Jean-Jacques et nous donne un avant-goût de ces «flambeaux de la vérité» et de ces «masques de l'imposture», dont s'émailleront les discours des rhéteurs de la Révolution. Mais Marie-Jeanne à cette heure d'une visite impériale ne songe guère à revendiquer des améliorations sociales, ni à sacrifier sur l'autel de la Liberté, elle admire un souverain absolu dans la simplicité de son allure, dans son maintien, dans sa manière de s'intéresser à toutes choses. «Il donne des preuves de son goût et de sa bienfaisance par ses remarques, ses questions et ses largesses34… Tout est conséquent chez lui. Il ne fait pas comme ces princes qui, venant incognito, ne laissent pas que de traîner avec eux tout leur faste. Il garde son incognito et en jouit parfaitement.» Jusqu'à sa mise qui se trouve en conformité avec son programme voulu de simplicité: un habit puce avec un bouton d'acier, de petites bottines, une seule boucle à la frisure. Avec Mme Roland on conviendra que c'était là un costume modeste bien en rapport avec le rôle de conseiller somptuaire qu'a assumé le frère de Marie-Antoinette.

En fait, Joseph II est venu en France avec un double but: sous couvert de s'informer du ménage de sa sœur et de donner à Marie-Antoinette des conseils paternels, il tient à se rendre compte à la fois des intentions des conseils du Roi dans le cas d'une rupture avec la Prusse lors de la succession prochaine de Bavière, et de l'état des forces de la France. Il venait de visiter le pays en observateur sagace, et cela au moment même où les comtes de Provence et d'Artois faisaient, à travers la France, des voyages dispendieux et destinés à augmenter l'impopularité de la Cour: «Ils voyagent, écrit la comtesse de La Marck, comme ces gens voyagent, avec une dépense affreuse et la dévastation des postes et des provinces.»

En recevant les Instructions, le premier mouvement de Marie-Antoinette avait été un mouvement d'humeur, puis elle s'était montrée raisonnable et avait pris des résolutions. Elle cessait de faire des promenades à Paris, d'assister au jeu de la princesse de Guéménée. Elle semblait avoir pris goût à la lecture, s'entretenait avec des personnes sérieuses, choisissait plus judicieusement les personnes admises à lui faire la cour… Tout cela ne dura guère que quelques semaines. Quand le comte d'Artois revint de son voyage dans l'Est, il fut plus en faveur que jamais, et entraîna la Reine à une nouvelle série de plaisirs et de distractions.

L'Empereur partira enchanté de sa sœur qui a fait maintes promesses… Reviendra-t-il? Le bruit qui a couru qu'il songeait sérieusement à épouser Madame Élisabeth recevra-t-il une sanction?

Mme de Mackau a rencontré l'Empereur chez Madame Élisabeth, et, de là, mille projets caressés, repoussés, repris encore. Pourquoi ne pas le dire, même si c'est impossible? L'Empereur a semblé frappé de l'aménité et du charme de Madame Élisabeth35, sa physionomie indiquait qu'il était fait pour la rendre heureuse, «et, dans le vrai, il ne pourrait faire une chose plus convenable, car il est impossible d'être plus aimable que cette jeune princesse». Et ce beau projet, que d'autres ont entrevu et qui sera repris plus tard, hante Mme de Mackau. Elle craint pourtant qu'il s'envole en fumée: «Les gens de ce haut parage, ajoute-t-elle en moraliste pratique, ne se marient pas pour le bonheur; ils ne sont pas aussi heureux que nous, n'est-ce pas? Plaignons-les sur cet article et réjouissons-nous de l'usage que nous allons faire de notre bon sens en préférant le bonheur aux grandeurs et à l'opulence.»

Une réponse de M. de Bombelles que nous ne possédons pas a témoigné la joie ressentie à Ratisbonne au reçu de la lettre de Mlle de Mackau. Notre diplomate, comme on le verra, en bonne veine d'humeur, aime les vers, ceux des autres et même les siens, hélas! car ses lettres sont souvent inondées de ces lignes plus ou moins badines, à peu près rimées, qu'au XVIIIe siècle on appelait de petits vers. Il s'est contenté cette fois de citer quelques vers classiques et, comme il suppose Angélique peu experte en la matière, il a souligné la citation: les vers étaient de Boileau, il était bon de le rappeler.

Très sérieusement, Mlle de Mackau a commencé sa lettre du 28 mai, datée de Montreuil où elle est au régime du lait pour enrayer une grippe opiniâtre. Elle a remercié le marquis de ces promesses d'avenir; elle lui est reconnaissante des arrangements pris pour sa mère. «Il ne m'est plus permis de douter de tout ce que vous m'assurez et, quoique je ne comprenne pas encore bien comment vous ferez, je tiens cela presque aussi assuré que si je le voyais.»

Voici l'épigramme qui n'est vraiment pas mal pour une pensionnaire: «Vous prenez un grand empire sur mon esprit, et j'ai peur que bientôt je finisse par croire tout ce que vous me direz. C'en est au point qu'en lisant avec plaisir les deux lignes et demie de vers que vous me citez, j'ai été tout étonnée de les trouver dans l'Enfant Prodigue de M. de Voltaire, trouvant très extraordinaire qu'ils ne fussent point de Boileau, puisque vous le disiez. Je me suis persuadée que M. de Voltaire les avait volés à Boileau et que vous étiez initié dans ce petit secret.»

La pointe railleuse achevée, la petite personne raisonnable qu'est Angélique passe à d'autres sujets: les affaires de sa mère que le marquis prend à charge, le chagrin de Mlle de Schwartzenau que sa rivale heureuse plaint de tout son cœur. «Quant à ma façon de penser sur Caroline, je serais indigne de vous si cela était autrement. Une personne malheureuse est toujours un objet intéressant pour une âme sensible; d'ailleurs cette jeune personne aura toujours un attrait près de moi; il ne dépendra pas de moi d'adoucir ses malheurs et elle trouvera toujours en moi une véritable amie.»

Elle lit, elle travaille dans «son petit château36» de Montreuil, elle tâche de se rendre digne de son «savant mari». Et de la carrière de ce mari dont dépendra la tranquillité de tous les siens, elle s'occupe déjà. Sa mère a vu le ministre, M. de Vergennes, et M. Gérard de Rayneval, premier commis des Affaires étrangères; ils ne sont pas d'avis que M. de Bombelles prenne un long congé pour aller à Vienne voir son ancien chef, le baron de Breteuil. Une absence de deux mois pendant que la Diète le réclame, ce n'est pas possible: quinze jours tout au plus. «Autrement vous feriez très mal et je serais fâchée tout rouge.»

Si elle donne des conseils de carrière, la petite ambitieuse, elle accepte volontiers des avis conjugaux, et la fin d'une de ses lettres de juin est pénétrée d'une soumission qu'elle s'efforce de faire paraître relative, mais que l'on sent, malgré les réticences, prête à se montrer entière. «La raison vous guidera sûrement dans ce que vous me ferez faire, aussi je suis parfaitement tranquille. Je suis bien aise que vous ayez marqué un trait noir sur tous les je veux des maris; ils sont bien désagréables pour une femme. Vos prières seront toujours des ordres pour moi, et je serai toujours bien aise de vous faire plaisir. Mais je vous avoue que je ne ferais jamais une chose volontiers lorsque vous m'auriez dit je veux, et il n'y a que ce vilain mot qui pourrait me donner un peu d'humeur.»

Bien que ne devant être célébré qu'en janvier le mariage est annoncé, et Mlle de Mackau entre en relations suivies avec sa nouvelle famille. C'est la comtesse de Reichenberg qui écrit d'Allemagne plusieurs lettres plus tendres les unes que les autres; c'est la comtesse de Bombelles, femme du frère du marquis, qui fait un effort pour paraître aimable. «Elle m'aime beaucoup, dit Angélique un peu sceptique, je lui ferai bien ma cour pour qu'elle m'aime davantage.» Le monde de la Cour se met aussi en frais pour l'amie de Madame Élisabeth; la princesse de Guéménée la mène à l'Opéra voir un nouvel opéra, Evrelingue. La Reine ayant la fièvre tierce, il n'y a pas de séjour à Compiègne; Angélique s'en console aisément, car «Compiègne l'ennuie», et elle s'est dit: «A quelque chose malheur est bon.»

A la fin de l'automne, il est question de former la maison de Madame Élisabeth. La comtesse de Reichenberg mande aussitôt la nouvelle qui l'intéresse particulièrement à son frère: «Mme de Brancas est dame d'honneurs, et Mme de Canillac dame d'atours. Je sais bien que Mme de Mackau conserve le titre de sous-gouvernante des Enfants de France et les appointements, mais cela l'éloigne de Madame Élisabeth.»

Si la nouvelle était vraie, c'eût été peut-être un changement dans la situation de sa future belle-sœur. Puisque son frère avait d'avance fait le sacrifice de la laisser trois ans à Versailles, pourquoi ne pas faire nommer sa femme «dame de compagnie» pendant ce temps. Par intérêt de famille, Mme de Reichenberg observe: «Il serait bien désirable qu'il y eût une femme de notre nom à la cour, à cause des enfants. Non sans raison, elle ajoute: «Notre chère petite belle-sœur connaît bien sa princesse et sûrement serait mieux auprès d'elle qu'aucune de ces dames.»

A la fin de cette lettre de novembre, où elle annonçait prématurément au marquis la constitution de la maison de Madame Élisabeth, se trouve rappelé un fait historique qui a déjà frappé quelques écrivains et qui mérite d'être noté en passant.

Mme de Reichenberg, s'ennuyant à Waldeck, s'est plongée dans la lecture de l'histoire d'Allemagne. Elle y a lu, écrit-elle, une anecdote qui pourra peut-être lui servir un jour. Il s'agit, comme on va le voir, d'un mariage inégal et elle prévoit ce qui pourrait arriver à la mort du landgrave; or ce mariage inégal intéresse l'histoire européenne. Le fait est connu dans sa donnée générale, il l'est moins dans ses détails.

Le point de départ est celui-ci: en 1693, le duché d'Hanovre fut érigé en électorat par l'Empereur Léopold, en faveur de la branche cadette de Brunswick. Cette maison de Brunswick était divisée en trois branches: la première s'appelait Brunswick-Lunebourg, la deuxième Zell, et la troisième Hanovre. Il était naturel de penser que les deux branches aînées s'opposeraient à l'érection d'un neuvième électorat en faveur de la branche cadette; le prince de Brunswick se contenta de formuler son opposition; quant au duc de Zell, voici la raison qui semble l'avoir engagé à donner son consentement: «Il avait épousé une demoiselle d'Orbreuse, fille d'un gentilhomme du Poitou, d'abord de la main gauche; ensuite il avait obtenu de l'Empereur Léopold, que la duchesse jouirait des mêmes prérogatives que si elle eût esté épousée de la main droite, en sorte que, si de ce mariage, il fût provenu des enfants mâles, ils auraient succédé légitimement et sans contradictions.»

Les deux époux en mourant ne laissèrent qu'une fille qui épousa ce même Ernest-Auguste, évêque d'Osnabruck, duc d'Hanovre et nouvel électeur; ainsi le duc de Zell, ne pouvant rien désirer de plus avantageux que de faire sa fille électrice ne s'opposa point à ce que fût érigé un nouvel électorat: «De cette électrice descend toute la maison de Hanovre qui règne aujourd'hui en Angleterre, et par conséquent les trois enfants du landgrave de Cassel, puisque sa femme était la sœur du feu Roi d'Angleterre.» Mme de Reichenberg en tire des conséquences toutes personnelles que nous la verrons rappeler au cours de ce récit, et c'est pourquoi nous y insistons: «De cette anecdote, dit-elle à son frère, vous savez ce que nous devons conclure, et je ne croirai plus les personnes, qui me diront que l'Empereur ne peut pas rendre à une femme les prérogatives que les préjugés lui ont ôtées, surtout lorsqu'elle ne peut ni ne veut faire aucun tort à la succession.» Si l'on envisage la question à un point de vue d'histoire générale, elle offre un intérêt: la généalogie donnée par l'historien allemand est vraie. De cette duchesse de Zell descendent les familles royales d'Angleterre et les Hohenzollern. Son nom seul est estropié; la demoiselle du Poitou s'appelait Éléonore Dexmier d'Olbreuse et appartenait à la famille de Jean V Dexmier d'où descendent également les Dexmier d'Archiac représentés aujourd'hui par le comte d'Archiac. A cette dernière branche se rattachaient la célèbre Madame Davasse de Saint-Amaranthe (en réalité Saint-Amarand) et sa fille Émilie de Sartine qui tenaient sous la Terreur un salon assez mélangé et furent guillotinées dans la fameuse fournée des Chemises rouges37.

Le marquis de Bombelles se préoccupait-il à ce moment de généalogies princières qui devaient fournir à sa sœur un précédent pour se faire reconnaître princesse? C'est fort peu probable. Les prétentions dont Mme de Reichenberg le harcèlera sans cesse, surtout l'année suivante quand elle sera veuve, il s'en souciait fort peu en novembre 1777. Il s'apprêtait à revenir à Paris pour hâter les préparatifs d'une union désirée avec ardeur des deux côtés.

Le mariage eut lieu le 23 janvier 1778, à l'église Saint-Louis, à Versailles, quatre jours après le contrat qu'avaient signé le Roi et la Reine38. Madame Élisabeth avait obtenu de Louis XVI pour son amie une dot de 100.000 francs, une pension de 1.000 écus et la promesse d'une place de dame pour accompagner auprès de sa personne, quand sa maison serait formée. La manière dont elle annonça cette faveur à Mlle de Mackau peint le cœur de la princesse: «Enfin! tu seras à moi. C'est un lien de plus entre nous, et rien ne pourra le rompre39

4

Nous l'avons dit plus haut: grâce à M. M. de la Rocheterie, on connaissait la correspondance pendant l'émigration des Raigecourt avec la marquise de Bombelles.

5

Sauf dans Feuillet de Conches (Louis XVI, Marie-Antoinette, etc.), pour la période qui se rapporte à sa mission en Russie, et récemment dans la Correspondance du comte de Vaudreuil avec le comte d'Artois (2 volumes publiés par M. Léonce Pingaud).

6

Archives de Seine-et-Oise, E. 231.

7

A Fontenoy, à Raucoux, il se distingua particulièrement; comme gouverneur de la Lorraine allemande qu'il a fortifiée et rendue praticable par des chemins militaires, il a droit également aux éloges, comme le témoigne l'importante correspondance militaire qui lui est adressée.

8

Arch. de Seine-et-Oise, E. 233, 234.

9

Arch. de Seine-et-Oise, E. 387, E. 391.

10

Lettre du 6 avril 1758 du prince héréditaire de Hesse Darmstadt au lieutenant général de Bombelles.

11

Lettre du 13 avril 1786.

12

Le duc de Bourgogne mourut le 22 mars 1761. Voir les pages émouvantes consacrées à ce charmant prince dans: la Mère des trois derniers Bourbons, par Casimir Stryienski, Paris, 1902, et l'Eloge de Lefranc de Pompignan.

13

Anecdote contée par Alissan de Chazet: Mgr de Bombelles, dans Mémoires, Souvenirs et Portraits (t. II).

14

Les Gobelin d'Offémont descendaient de Jean Gobelin, seigneur de la Tour en 1516. Baltazar Gobelin, seigneur de Brinvilliers, président en la chambre des Comptes, fit ériger sa terre en marquisat pour son fils Antoine. Celui-ci fut, en 1668, marié à Marie-Madeleine Dreux d'Autray, fille d'Antoine, seigneur de Villiers et d'Offémont. C'est la célèbre empoisonneuse, marquise de Brinvilliers. Claude Antoine de Gobelin porta le nom de comte d'Offémont. Son fils, Nicolas-Louis, était le mari de Françoise de Bombelles. D'où le comte d'Offémont, né le 3 novembre 1774 (Dossier 234). Le château d'Offémont appartient aujourd'hui à M. de Sancy de Parabère, ancien officier supérieur de cavalerie.

15

Les instructions du comte de Vergennes pour M. de Bombelles, établissaient notamment certains points politiques qui devaient, quelques années plus tard, être opposés aux calculs ambitieux de Joseph II sur la Bavière: «Le roi, y était-il dit, ne négligera rien pour resserrer et rendre plus inviolables les liens qui assurent le repos de l'Allemagne; mais, en remplissant ses engagements à cet égard. Elle (sic) ne se croit pas déchargée de ceux qu'elle a formés bien plus anciennement avec le corps germanique par la garantie du traité de Westphalie… Sa Majesté n'a cessé de recommander à son ministre auprès de la Diète aussi bien qu'à tous ses autres ministres résidant près des princes de l'empire de déclarer que son alliance avec la maison d'Autriche était fondée sur les traités de Westphalie et sur les constitutions germaniques; qu'elle regardait comme une de ses premières maximes de ne pas permettre d'y porter atteinte; que, bien loin de vouloir servir d'instrument aux projets d'oppression que la Cour impériale pourrait former, Sa Majesté se prévaudrait plutôt de l'alliance comme d'un moyen de plus pour servir la cause des Etats.» (Le comte de Vergennes au marquis de Bombelles, 10 avril 1715. – Arch. de Seine-et-Oise, E. 453).

16

La princesse de Guéménée, née Rohan-Soubise, était propriétaire de ce domaine de Montreuil, qui deviendra l'habitation aimée de Madame Elisabeth. La comtesse de Marsan occupait rue Champ-la-Garde une grande maison dont le parc pouvait communiquer avec celui de sa nièce. Derrière la propriété de Mme de Guéménée, avec son entrée sur la rue Champ-la-Garde, se trouvait la petite maison prêtée à Mme de Mackau, et que lui donna plus tard Madame Elisabeth.

17

«L'usage de ce temps aimable et frivole, écrit la vicomtesse de Noailles (Vie de la princesse de Poix) était de confier l'éducation des filles au couvent depuis l'enfance jusqu'au mariage. Personne n'avait, ou ne croyait avoir le temps d'élever ses enfants: d'ailleurs, sur plusieurs filles, il y en avait toujours quelqu'une destinée à entrer en religion, et, par conséquent, il fallait l'éloigner du monde avant qu'elle pût le regretter.» La dernière phrase est-elle bien juste? Ce n'est pas toujours dans ces couvents-là qu'on plaçait les jeunes filles destinées au voile.

18

L'abbaye de Panthémont était située là où est maintenant le temple protestant, 108, rue de Grenelle. C'était le couvent le plus élégant et le plus mondain de Paris. Les princesses Bathilde d'Orléans et Louise de Condé y passèrent plusieurs années, cette dernière jusqu'à sa vingt-cinquième année. Les deux princesses avaient leur appartement à part, leur train de vie à part, leur table particulière, une dame d'honneur, plusieurs femmes de service. Elles donnaient à dîner et recevaient toute une petite cour. (Voir la Dernière des Condé, par le marquis P. de Ségur; – et comte Ducos, la Mère du duc d'Enghien. – Voir aussi la Femme au XVIIIe siècle des Goncourt, et les charmants Portraits de Jules Soury.)

19

Ces maisons où l'éducation est si frivole font naturellement penser à ce couvent de Terceire dans les Açores, où firent halte les officiers français revenant d'Amérique. Lauzun, Broglie, Ségur y remportèrent de faciles succès. L'abbesse qui n'y voyait pas de mal adressait aux jeunes conquérants des compliments que Ségur paraphrasa ainsi: «Ces jeunes personnes auxquelles je vous laisse offrir vos hommages, s'étant exercées à plaire, seront un jour plus aimables pour leurs maris, et celles qui se consacreront à la vie religieuse, ayant exercé la sensibilité de leur âme et la chaleur de leur imagination, aimeront plus tendrement la divinité.»

20

Mariées à quatorze ans: Mlles de Bouillon, de Luynes, de Noailles d'Ayen; à treize ans et demi: Mlles de Montmorency, de Polignac; à douze ans, Mlle de Nantes, Mlles de Brézé, du Lude, d'Arquien; à onze ans, Mlles de Noailles, de Boufflers et la fille de Samuel Bernard; à dix ans et demi, Mlles de Mailly, Colbert, etc. Un duc d'Uzès se maria à dix-sept ans avec une fille du prince de Monaco qui en avait trente-quatre; le prince de Turenne, le duc de Fitz-James, le duc de Fronsac se mariaient aux mêmes âges. Le duc de la Trémoille se mariait à quatorze ans, la même année que Louis XV qui en avait quinze… Il en est bien d'autres dont les Mémoires du duc de Luynes et de Saint-Simon nous donnent les noms. Charles-Gaspard de Rohan Rochefort aura seize ans quand il épousera sa cousine, Louise-Josèphe de Rohan-Guéménée, de six mois plus âgée que lui. Le fils du comte de Berchenyi, à seize ans, épousera une enfant de neuf ans. (Voir infra). – Voir aussi l'excellent livre de M. Fernand Giraudeau, les Vices du jour et les Vertus d'Autrefois.

21

Qui n'a présent à l'esprit le mariage du jeune duc de Bourbon, âgé de quatorze ans et demi, avec la princesse Bathilde d'Orléans. Celui qui, depuis, devait faire si mauvais ménage avec sa femme, commença par l'enlever le soir des noces. Ce petit scandale amusa la cour, et Laujon en fit une pièce qu'il appela l'Amoureux de quinze ans (Voir la Mère du duc d'Enghien, par le comte Ducos; – et nos Fantômes et Silhouettes, Emile Paul, 1903).

22

Elisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France, née le 3 mai 1764, baptisée le même jour en présence de la famille royale, par l'archevêque de Reims, et tenue sur les fonts par le duc de Berry, son frère aîné, le futur Louis XVI, au nom de l'Infant Don Philippe, et par Madame Adélaïde, sa tante, au nom de la reine d'Espagne douairière. Le dauphin mourut en 1765; la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, deux ans après.

23

Comte Ferrand, Eloge de Madame Elisabeth.

24

Marie-Louise Geneviève de Rohan-Soubise, veuve de Jean-Baptiste Charles, comte de Marsan, prince de Lorraine, mort à vingt-trois ans sans enfants, en 1743. La comtesse de Marsan, très «Rohan» et très «Lorraine», portait au plus haut degré l'orgueil des maisons qu'elle représentait. Elle embrassa les prétentions des Rohan de passer avant les ducs et pairs, comme descendants des rois de Bretagne et des rois de Navarre. Ils réclamèrent le titre d'Altesse quand Elisabeth Godfried, de Rohan Soubise, épousa le prince de Condé (Voir les lettres d'elle publiées dans Fantômes et Silhouettes, Émile-Paul, 1903). On connaît la carrière militaire, plus fastueuse que glorieuse, du maréchal de Soubise, qui dut l'exagération des faveurs versées sur sa tête par Louis XV à son dévouement absolu au roi, à la perfection de ses manières, à sa complaisance pour les favorites et à la finesse de son esprit de courtisan. La comtesse de Marsan était gouvernante des Enfants de France depuis 1754. Elle avait été l'ennemie acharnée de Choiseul. Mme de Pompadour la détestait. (Cf. les Mémoires de Mme du Hausset, et les Mémoires de Choiseul, tout récemment publiés par M. Fernand Calmettes.)

25

Sur Mme de la Ferté-Imbault, consulter le Royaume de la rue Saint-Honoré, par le marquis Pierre de Ségur.

26

Les Mackau appartenaient à une noble et ancienne famille irlandaise. Au XIXe siècle le nom fut illustré par l'amiral de Mackau, une des gloires de la marine française. Il était le petit-fils de la baronne de Mackau, mère d'Angélique, et le père du vaillant champion des Droites à la Chambre, député de l'Orne depuis trente ans.

27

Le 13 août 1775.

28

Mgr Darboy, Préface à la Correspondance de Madame Elisabeth, publiée par Feuillet de Conches.

29

Voir la Vie de Madame Elisabeth, par M. de Beauchesne, et Madame Elisabeth, par Mme la comtesse d'Armaillé.

30

C'était aussi une ancienne élève de Saint-Cyr. Elle était douce et gaie et s'était fait aimer de Madame Elisabeth.

31

Nombreuses lettres conservées aux archives de Seine-et-Oise.

32

La marquise de Soucy.

33

Les Réflexions à la Reine de France sont un véritable examen de conscience où l'empereur présentait à la jeune princesse ses devoirs sous deux aspects: 1o comme épouse; 2o comme reine. (Voir Marie-Antoinette, par M. de la Rocheterie, où cette instruction est donnée en grande partie, p. 351 et suivantes.)

Voici quelques-uns des paragraphes du questionnaire impérial:

– Employez-vous tous les soins à plaire au Roi? Etudiez-vous ses désirs, son caractère pour vous y conformer? Tâchez-vous de lui faire goûter votre compagnie et les plaisirs que vous lui procurez, et auxquels, sans vous, il devrait trouver du vide?

Votre seul objet doit être l'amitié, la confiance du Roi.

Comme Reine, vous avez un emploi lumineux: il faut en remplir les fonctions.

Votre façon n'est-elle pas un peu trop leste?..

Plus le Roi est sérieux, plus votre Cour doit avoir l'air de se calquer après lui. Avez-vous pesé les suites des visites chez les dames, surtout chez celles où toute sorte de compagnie se rassemble, et dont le caractère n'est pas estimé?

Avez-vous pesé les conséquences affreuses des jeux de hasard, la compagnie qu'ils rassemblent, le ton qu'ils y mettent?

… Daignez penser un moment aux inconvénients que vous avez déjà rencontrés aux bals de l'Opéra.

… Gardez-vous, ma sœur, des propos contre le prochain, dont on fait tout l'amusement… Par des méchancetés dites sur le prochain… on évite les honnêtes gens…

L'Empereur recommandait aussi à sa sœur de conserver l'étiquette, de bien penser à sa situation et à sa nation «qui est trop encline à se familiariser et à manger dans la main».

Or, lui-même donnait l'exemple de la simplicité outrée. On peut s'étonner de voir l'Empereur philosophe recommander à sa sœur de se montrer «dévote et recueillie à l'église», ajoutant que le plus grand impie devrait l'être par politique. Il était mieux dans son rôle en signalant l'inconvénient de la société des jeunes gens, et de l'accueil trop facile fait aux étrangers, surtout aux Anglais dont les usages et les mœurs devenaient alors fort à la mode, au grand déplaisir du Roi. – Joseph II à Léopold, 11 mai 1777, et Mercy à Marie-Thérèse.

34

Il avait passé en revue les manufactures et les arsenaux, rendu visite à Geoffrin et à l'Institut, à Mme du Barry et à Buffon (avec le grand naturaliste, il avait à réparer une bévue de son frère Maximilien refusant maladroitement un exemplaire de luxe de l'Histoire naturelle); il avait causé avec économistes et savants. Il avait voulu tout voir, se rendre compte de tout, peut-être sans grand esprit de suite. Ce séjour, comme l'écrivait Louis XVI à Vergennes, devait donner une furieuse jalousie au roi de Prusse. Et, d'ailleurs, c'était vrai.

Dans ce concert de louanges, il pouvait se produire des notes discordantes.

Joseph II, en effet, se montra plus que froid avec Choiseul, qui pourtant était le promoteur de l'Alliance autrichienne, qui avait valu la Dauphine à la France.

Le duc était venu à Versailles le jour de la cérémonie des cordons bleus et au jeu de la Reine, «mais il n'y a rien eu de bien remarquable dans l'accueil qu'il lui a fait, l'ayant connu personnellement à Vienne, écrit le comte de Viry, si ce n'est que le Roi Très Chrétien a laissé apercevoir de nouveau, à cette occasion, ses dispositions peu favorables pour cet ex-ministre qui est retourné mardi dernier à la campagne.»

Joseph II avait traversé la Touraine sans s'arrêter à Chanteloup.

Avec M. de Vergennes, l'Empereur attaqua de front la question brûlante. L'entrevue se passa ainsi, d'après la dépêche du comte de Viry, ministre de Sardaigne.

«Bien des gens, lui dit ce prince, sont surpris de l'inaction de la France dans les circonstances actuelles.

« – Je le sais, a répondu le secrétaire d'Etat; mais le conseil du Roi a pensé sagement qu'il ne fallait pas qu'un Roi de vingt-deux ans signalât le commencement de son règne par une guerre d'ambition. Nous connaissons tous les avantages de notre position, mais nous ne voulons pas nous embarquer dans une guerre qui pourrait causer un incendie général. – La France, répliqua l'Empereur, n'a rien à craindre, tant que durera notre alliance. Quant à moi, je me trouve dans des positions plus épineuses; il me sera bien difficile de toujours conserver la paix… – J'ose vous assurer, monsieur le Comte (l'Empereur voyageait sous le nom de comte de Falkenstein), dit alors M. de Vergennes, que la maison d'Autriche n'a rien à craindre, tant que durera notre alliance. – Cette réponse, placée avec esprit et à propos, a fait sentir finement à l'Empereur, combien l'on pensait à Versailles que cette alliance lui était avantageuse. Aussi le prince a-t-il coupé court à ces matières…»

[Au marquis d'Aigueblanche, 6 juin 1777 (Recueil Flammermont.)]

Paris l'avait séduit, la nation ne lui déplaisait pas, malgré sa légèreté, et, s'il avait une fort mince opinion de ceux qui gouvernaient, malgré les belles phrases dont il les avait bernés, il conservait une haute idée des ressources de la monarchie, si le gouvernail était aux mains de plus habiles.

Il redoutait le retour de Choiseul au pouvoir. «Si le duc de Choiseul avait été en place, disait-il, – à la satisfaction du Roi, et au vrai déplaisir de la Reine, sa tête inquiète et turbulente aurait pu jeter le royaume dans de grands embarras.»

Par contre, l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, lui avait laissé une haute idée de sa capacité (Mercy, t. III, p. 70).

Sur chacun il avait une opinion: le comte d'Artois était «un petit-maître», Mesdames de France étaient «nulles». Avec Louis XVI, il s'était ouvert sur bien des questions, et il avait semblé goûter sa conversation. En revanche, il écrivait à Léopold son impression intime: «Cet homme est un peu faible, mais point imbécile; il a des notions, il a du jugement, mais c'est une apathie de corps comme d'esprit. Le fiat lux n'est pas encore venu, et la matière est encore en globe.»

Joseph II, qui prétendait tout savoir et morigénait tout le monde à fleur de jugement, était jugé par plus fin que lui. «L'Empereur, écrivait le comte de Provence à Gustave III, est fort cajolant, grand faiseur de protestations et de serments d'amitié; mais, à l'examiner de près, ses protestations et son air ouvert, cachent le désir de faire ce qui s'appelle tirer les vers du nez et de dissimuler les sentiments propres, mais en maladroit; car avec un peu d'encens, dont il est fort friand, loin d'être pénétré par lui, on le pénètre facilement. Ses connaissances sont très superficielles.» (Gustave III et la Cour de France, t. II, 390.)

35

«L'Empereur, écrit le comte de Viry, ministre de Sardaigne, n'ignorant pas tous les bruits qui ont couru du projet de mariage qu'on lui supposait avec Madame Elisabeth, a affecté de dire à Leurs Majestés très chrétiennes, à toute la famille royale, qu'il ne pensait pas à se remarier.» (Au roi de Sardaigne, 25 avril 1777. Dans Correspondance diplomatique publiée par Flammermont.)

36

«Ce petit château», on l'a déjà dit, était une modeste maison donnant sur la rue Champ-la-Garde et dont le jardin communiquait avec le parc de la princesse de Guéménée. La maison de la comtesse de Marsan était un peu plus loin dans la même rue.

37

Voir comte Horric de Beaucaire, Une Mésalliance dans la maison de Brunswick; – un article de M. Depping dans la Revue bleue, 1896; – Paul Gaulot, les Chemises rouges: – G. Lenôtre, le Baron de Batz, 1896; – le Carnet de 1901 sur Mlle d'Olbreuse, et un livre récent de M. H. d'Alméras, Emilie de Saint-Amaranthe.

Il est question aussi des Chemises rouges dans l'aimable ouvrage de M. Jacques de la Faye, la Princesse Charlotte de Rohan et le duc d'Enghien (Émile-Paul, 1905).

38

Gazette de France, 19 janvier 1778 et jours précédents.

39

Comte Ferrand, Eloge de Madame Elisabeth. Notes de Mme de Reichenberg.

Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles

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