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CHAPITRE II

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Table des matières

Samoëns (2,500 habitants; hauteur: 710 mètres; hôtels, pensions). — La ville nous apparait au milieu d’une opulente végétation, véritable bijou dans un écrin d’émeraude; l’exposition est ravissante. Depuis que chaque train y verse des flots de touristes, l’animation y a pris une extension considérable. Aussi la ville se met-elle, avec raison, en frais de coquetterie pour faire bon accueil et laisser l’impression la plus favorable aux légions d’étrangers qui se donnent rendez-vous dans ce quartier général d’innombrables et ravissantes excursions et de grandes ascensions.

L’histoire de Samoëns nous manquait. Elle est des plus intéressantes. Le beau livre dû à la plume élégante du savant historien de la vallée du Giffre, est venu heureusement combler cette lacune. Chacun voudra le lire et le posséder. — Nous ne pouvons nous dispenser de donner ici une esquisse topographique de la localité, en nous inspirant des monographies qui en ont été faites.

Chef-lieu d’un canton de cinq mille âmes, la commune de Samoëns a 2,500 habitants. Son vaste territoire, plus de 11,000 hectares, occupe deux versants que relie une jolie plaine où coule le Giffre. La vigne exceptée, toutes les productions de la région moyenne, dans la Savoie septentrionale, s’y rencontrent avec le froment, le noyer, les arbres à cidre, les riches prairies. De vastes et sombres forêts, épicéas et sapins, et une grande étendue de pâturages, couronnent les sommets. La vie agricole’ alterne avec l’industrie pastorale.

Assise au bas d’un mamelon rocheux couronné d’une chapelle, entre le Bérouze et le pittoresque hameau des Moulins, la ville regarde une superbe cascade et le coteau sévère de la rive gauche.

Les origines historiques de Samoëns sont assez obscures. Les monuments de l’époque gallo-romaine font défaut. «Si l’on considère, dit M. Tavernier (Mémoire historique. La confrérie de Saint-Nicolas à Samoëns et à Taninges), le type de race, certains noms de famille, plusieurs vocables topographiques, Vercland, les Allamands, Secoën, Samoëns lui-même, plus un cimetière burgonde, on peut conjecturer que Samoëns est un nom patronymiqne de l’époque burgonde, et que l’endroit aura été peuplé surtout à partir du Ve siêcle.»

Une autre version qui est moins certaine mais qui est plus poétique et plus flatteuse, en ce qu’elle rappelle Rome aux sept collines, fait dériver le nom de Samoëns de Septem montes, la ville aux sept monts, vallis septem montium (loù sa monts), des sept collines qui l’environnent, et dont la plupart sont, comme nous l’avons dit plus haut, des alpages et non, à proprement parler, des monts: Bostan, Fréterolle, Chardonnière, Odda, Follier, Vigny et Cuidex. Les figures du sceau de la ville, une montagnes à sept pointes, donnent une espèce de consécration à cette étymologie. Grillet rapporte que l’ancien inventaire des titres de la Maison de Faucigny désigne Samoëns et son château sous le nom de Castrum et Castellania Septimontii.

Enfin, le nom de Samoëns ne serait rien autre que pur celtique, comme le Clairon sur les rives duquel la ville est bâtie. La beauté, l’altitude et surtout l’admirable exposition au soleil des sept pâturages ou montagnes qne nous venons d’énumérer, et qui se trouvent toutes sur le parcours du Clairon ou de ses branches, ont dû fixer pendant une longue période des groupements de Celtes qui arrivèrent du Valais par la montagne de Couz. Quand les eaux qui couvraient le fond de la vallée se furent écoulées à mesure que le Giffre se creusait un lit plus profond aux défilés de Vers Ange et de la Serraz, cette peuplade descendit en se laissant guider par le Clairon (de clew-ren-nen, qui fait au prétérit, clew-run, la rivière qui guide)

C’est, sans doute, à cause de la situation de la ville, proche du Clairon et du Giffre, que la première colonie celtique qui vint s’établir dans cette vallée, nomma le lieu où elle se fixa Samoëns, du celte sa-amhuin, c’est-à-dire entre rivières (ALBANIS-BEAUMONT) .

Cette dernière version fait donc remonter Samoëns à la plus haute antiquité, antérieurement même à Mélan et à Taninges.

Samoëns était beaucoup plus considérable anciennement, à en juger par les fondements de murailles trouvés hors de son enceinte. Elle était jadis commandée par le vaste château Montanier (à tort appelé Tornelette par quelques-uns), castrum Montanerii, où, dans le Xe siècle, les barons de Faucigny venaient résider pendant l’été pour se procurer le plaisir de la chasse à l’ours et au chamois, au chevreuil et au bouquetin.

Ce château, dont il ne reste plus que quelques ruines, était situé sur le sommet du rocher qui domine la ville, Samoëns étant alors un des mandements qui composaient, au XIVe siècle, le petit état de ces souverains; de sorte que ce château date d’une haute antiquité. Là s’exerçait la juridiction civile et militaire pour le mandement. On le croit même bâti du temps du premier royaume de Bourgogne, par un des généraux ou gouverneurs de ces souverains, car il est avéré, comme on vient de le dire au sujet des tombeaux antiques, que les Bourguignons ont occupé la vallée, où ils se seraient retirés pour échapper aux Francs.

Quoiqu’il en soit, Samoëns était déjà considérable au XIIe siècle, puisqu’il existe une donation de la cure de ce bourg faite en 1167, par Arducius de Faucigny, évêque de Genève, à l’abbaye augustinienne de Sixt, fondée en 1144.

Sous les dauphins, barons de Faucigny, la paroisse englobant alors les villages de Verchaix et de Morillon, se partageait entre plusieurs fiefs et quatre à cinq maisons-fortes. A côté du fief du prince ou domaine, fief qui sera aliéné en 1699, en faveur de noble Philibert Salteur et érigé en titre de marquisat, se montraient divers fiefs de domaine privé, appelés, des noms de leurs titulaires respectifs, Bardonanche, de Saint Jeoire, de Menthon, de Lucinge, de Thoire, noms forts connus dans les annales de nos contrées. Ajoutons les fiefs de Vallon et de Gravernel. (TAVERNIER.)

Les habitants de Samoëns furent déclarés combourgeois de Cluses par leurs anciens souverains; ce qui leur fut confirmé en 1438 par Amédée VIII. Ce duc leur accorda en 1431 le droit d’élire quatre syndics; l’année suivante le même prince les relève de l’échute encourue pour certains biens emphythéotiques. Le bourg fut incendié deux fois, en 1476 et 1495, ruines qui ont occasionné dans l’histoire du pays de nombreuses et regrettables lacunes, par suite de la disparition des titres qui auraient pu éclairer les investigations.

Ses malheurs, sa situation aux portes du Valais, ses besoins de défense contre des voisins hostiles, sa fidélité envers la maison de Savoie, furent autant de circonstances qui amenèrent Jacques de Savoie-Nemours, baron de Faucigny, à s’intéresser vivement au sort de la bourgade. Ce prince lui concède, à son tour, des franchises municipales et des libertés commerciales fort étendues (1562).

Relevée peu à peu de ses ruines, elle vit refleurir dans son enceinte une ère de prospérité, et plusieurs de ses enfants s’illustrèrent et jetèrent un vif éclat dans l’Eglise, l’armée, les arts libéraux et la magistrature, de sorte que, si Samoëns est la patrie des grands monts, il est aussi celle de grands hommes.

Après avoir été pendant plus de quatre siècles administrée par les abbés de Sixt, la paroisse de Samoëns est sécularisée on y établit une collégiale sous Grégoire XIII, avec un chapitre de dix chanoines présidés par un doyen (1575-1581). La nouvelle dignité accordée à cette église honorait la communauté tout entière et donnait à ce petit pays de montagne un lustre particulier. Ce clergé allait se trouver en contact avec les notables de la bourgeoisie et former avec ceux-ci, pendant trois siècles, un groupe intellectuel qu’aurait pu envier une plus grande ville (Lire à ce sujet l’ouvrage cité plus haut, imprimerie Ménard, Chambéry). En 1753, les bourgeois de Samoëns s’affranchirent de toute redevance féodale, en remboursant au marquis les sommes qu’il avait versées au trésor.

«Par tant de souvenirs historiques, par l’originalité et l’âge de ses édifices, la ville, dont les rues fourniraient de piquants sujets de tableaux, est tout à fait digne de donner son nom à ce pays trop peu visité.» (F. WEY.)

Au milieu de la ville s’élève l’ancien château de la Tour, résidence des seigneurs de Gex, barons de Saint-Christophe, l’une des plus anciennes familles du Faucigny, connue autrefois, dit Albanis Beaumont, sous le nom de seigneurs de Vallon et de Couvette; elle obtint, le 28 janvier 1622, le titre de baron de Saint-Christophe en récompense de la vaillante résistance qu’avait faite Charles de Gex, lequel, durant la guerre qu’eurent à soutenir les ducs de Savoie contre les Berno-Genevois, leva à ses frais 500 hommes, avec lesquels, non seulement il soutint les efforts des ennemis qui voulaient forcer le passage de Saint-Jeoire et pénétrer dans la vallée, mais encore les battit, en leur faisant éprouver de grandes pertes, et les força à la retraite. Les vastes toitures qui coiffent élégamment le vieux manoir sont posées sur des murailles féodales.

«D’autres habitations, à l’entour, gothiques par la base, se terminent en chalets vers les toits; le chaume recouvre des encorbellements historiés: les maisons nobles sont devenues bergères.» F. WEY. Album de la Haute-Savoie.)

La rue principale qui traverse le bourg s’épanouit en une large place où s’élève l’église, d’un style remarquable et surmontée d’un clocher de forme byzantine. Ce monument, qui offre un échantillon de plusieurs styles, ne manque pas d’une certaine noblesse. Le portail, de 1555, à cintre suraigu, précédé d’un porche, suivi d’un pronaos; est orné de quatre colonnes torses reposant sur quatre lions accroupis. A droite et à gauche de l’entrée, le mur de la façade est décoré de panneaux d’armoiries, sculptés en 1786 par un habile ouvrier nommé Mugnier. Ces deux écussons commémoratifs sont consacrés, l’un au cardinal Hyacinthe-Sigismond Gerdil; l’autre à Jean-Pierre Biord, évêque de Genève: les deux plus illustres enfants dont s’honore Samoëns.

La large nef centrale de l’église aboutit à un chœur dont l’abside est éclairée par cinq fenêtres trilobées et en plein cintre, dans le goût de la Renaissance. Au bas de l’église est un beau bénitier en basalte, du XVIIe siècle. La porte des fonds baptismaux est dans le goût gothique flamboyant.

Les habitants de Samoëns sont actifs, industrieux et spirituels Nous savons que beaucoup se répandent à l’étranger où ils se distinguent par un talent dans l’art de bâtir, de façonner la pierre et de diriger les plus grandes entreprises. Saint-Quentin leur doit son beau canal.

La commune de Samoëns est l’une des plus riches en forêts, et les immenses pâturages qu’elle a reçus en emphytéose au XVe siècle sont d’un rapport très productif. Aussi Samoëns a-t-il donné un certain aspect à ses constructions publiques et avait-il lancé sur le Giffre un très beau pont couvert, qui, rappelant ceux du canton de Zurich, contribuait à accentuer la physionomie helvétienne de cet heureux territoire. Il a été remplacé par un pont plus moderne.

La maison de Martin, de qui Béatrix de Faucigny acheta les droits régaliens en 1269, celle de Listelley en 1500, de Montpithon, etc., ont habité Samoëns. Parmi les nombreux grands personnages qui y sont nés, citons:

DE LISTELLEY (Aimon), ministre et premier secrétaire d’Etat de Charles III, duc de Savoie. Il fut chargé des plus importantes négociations à la cour de France et auprès des cantons suisses. Il passa pour l’un des premiers politiques de son siècle.

DE SOUGEY (Pierre), docteur de Sorbonne, s’était acquis la réputation d’un homme de grand mérite. Mourut, le 15 mars 1717, doyen de la collégiale de Samoëns.

BIORD (Jean-Pierre), né en 1719, le 16 octobre, à Châtillon, quoique son père, Joseph Biord, et sa mère, Claudine de Thiolaz, eussent leur domicile ordinaire à Samoëns. Après avoir étudié à Thonon, à Dijon et pris ses grades en Sorbonne. il fut nommé curé de la Sainte-Chapelle de Paris par Mgr Christophe de Beaumont. Pourvu ensuite d’un canonicat à la cathédrale de Genève et du prieuré de Douvaine, il ne tarda pas à être nommé vicaire général du diocèse par l’évèque Deschamps de Chaumont, qui le désigna à la cour de Turin comme le prêtre le plus digne de lui succéder. C’est, en effet, ce qui eut lieu le 12 août 1794.

Il solennisa la canonisation de sainte Jeanne de Chantal, et obtint du pape, en 1771, l’église et le couvent des Cordeliers d’Annecy, qu’il pensa à faire décorer et agrandir pour ses successeurs. Notre évêque y fit faire à ses frais un maître-autel en divers marbres précieux que l’on admirait dans l’ancienne cathédrale d’Annecy. Les dessins en étaient de l’architecte Plaisance, qui avait été chargé du plan de la nouvelle ville de Carouge, ce joyau, et tant d’autres, dont ont hérité nos voisins, qui ont largement profité, aux dépens de notre frontière, de la période troublée de 1815.

Les écrits de l’évèque Biord sont nombreux, mais c’est surtout sa Correspondance et ses démêlés avec Voltaire qui l’ont fait connaître en France. L’origine de ces relations est assez singulière:

«Voltaire s’était avisé, en 1768, le jour de Pâques, de se rendre à la messe paroissiale de Ferney escorté de deux gardes armés de fusils et, là, de monter en chaire après l’évangile, et de prononcer un sermon contre le vol. Après quoi il s’était fait donner la communion. L’année suivante même parodie et communion en viatique, sans autre préparation qu’une profession de foi... peu canonique. Après lui avoir écrit à plusieurs reprises, pour lui démontrer l’énormité du scandale, son chef spirituel tenta de recourir à la répressive autorité des lois. Mais, sous le ministère qui relevait de Mme du Barry, et qui venait de tolérer le partage de la Pologne, l’impiété politique ne régnait pas seule, et l’exilé de Ferney avait plus de soutien que l’évêque de Genève... »

Outre Joseph Bardy, secrétaire intime des deux rois de Pologne de la maison de Saxe, Samoëns classe aussi, parmi ses illustrations, les frères de l’évêque Biord, l’un sénateur et légiste éminent, que Victor-Amédée III fit comte de Seynod et de Châteauvieux en 1776; l’autre, châtelain de Samoëns, sous lequel les procès furent bannis des terres soumises à sa juridiction. Il se distingua par ses lumières, son intégrité et sa bienfaisance.

Tout le monde connaît le cardinal GERDIL, qui représente en Savoie la philosophie comme de Maistre la politique. On a dit de lui, quand il était à Rome: Notus orbi, vix notus urbi; connu du moude entier, à peine connu dans la ville. Il passait pour y être la lumière du Sacré-Collège: Gloria e splendor del Consistorio santo. Ses œuvres complètes forment vingt-deux volumes in-octavo.

Gerdil (Hyacinthe-Sigismond), cardinal du titre de Sainte-Cécile, préfet de la Congrégation de Propagandâ fide, membre de l’Académie royale des Sciences de Turin, de la Société royale de Londres, de l’Institut de Bologne, de l’Académie de la Crusca, de Florence, de celle des Arcades, de Rome, etc., naquit à Samoëns le 23 juin 1718, du mariage de Pierre Gerdil, notaire, et de Françoise Perrier, de la Palud.

En quittant les écoles de Bonneville et de Thonon, où il commença ses premières études à l’âge de sept ans, il fut élevé chez les Barnabites d’Annecy, où il fit sa rhétorique et sa philosophie. Ses maitres ayant reconnu sa piété éminente, sa mémoire prodigieuse et les indices prématurés de son génie naissant, accueillirent favorablement l’intention qu’il leur manifesta de vouloir entrer dans leur congrégation. Il partit à l’âge de seize ans pour aller étudier la théologie à Bologne, où ses talents ne tardèrent pas à jeter un vif éclat. Gerdil fut connu de bonne heure par sa réfutation de Locke. Professeur à l’Université de Turin en 1749, il devint provincial des collèges de Savoie en 1764, puis fut désigné in petto pour le cardinalat par le pape Clément XIV.

Il fut élevé à la pourpre par Pie VI, en 1777, et, lors du conclave de Venise, en 1800, on tint un moment suspendue sur son front la tiare de Pie VII, à qui, depuis lors, il rendit de grands services à l’occasion du Concordat. «Critique érudit, théologien, philosophe et savant, le cardinal Gerdil a considérablement écrit en italien, en français et en latin. D’Alembert loue son Mémoire sur l’attraction et les tubes capillaires; Mairan, la portée de son esprit géométrique; Burke, son Traité de l’immortalité de l’âme. Sa réfutation de l’Emile, de Rousseau, fit e tour de l’Europe, et Jean-Jacques la consacra lui-même, en avouant que c’était l’unique écrit digne d’être médité que l’on eut publié contre lui.»

Le portrait du cardinal Gerdil a été gravé par Bossy, et sa médaille frappée par Marcandetti, célèbre graveur de Rome.

On voit dans l’église de Saint-Charles des Catinari, de Rome, un superbe mausolée en marbre, érigé au célèbre cardinal, avec son buste. On y lit une longue inscription latine qui contient le résumé de la vie, des œuvres, des grandes vertus et des profondes lumières de l’une des plus grandes gloires de la Savoie.

Le plus majestueux et l’un des plus vénérables monuments de Samoëns est, sans contredit, «cet arbre gigantesque et paternel, dont l’immense ombrage fait dans sa journée le tour de la ville.» Ce superbe édifice de verdure qui se dresse, entouré d’un banc de maçonnerie, au milieu de la place, mesure près de 8 mètres de tour, et balance sa cime colossale à plus de 20 mètres de hauteur.

«Le gros tilleul est si ancien, écrivait David Bertoloti, que probablement les vieillards du pays venaient causer à son ombre, à l’époque du retour d’Emmanuel-Philibert.

«Son beau feuillage se répand au loin sur la place; il a inauguré, vieux déjà, en 1662, la fête des maçons; il a servi de tente à saint François de Sales, et étendu comme un dais ses rameaux sur les processions des confréries de Saint-Nicolas. Son dôme énorme, îlot verdoyant que peuplent des essaims d’oiseaux, protégeait déjà l’église au temps de la Réforme. Il est né avec les franchises de la ville.»

Quand des champs des sept monts les pâtres désireux

De secouer le joug d’un dernier esclavage,

Firent au duc un jour parvenir un message,

Avec humble prière à leur puissant seigneur

D’octroyer à leur bourg une telle faveur.

On l’obtient. Peuples, clercs en habits solennels,

Se rendent dans le temple aux pieds des saints autels

«Prions Dieu, disent-ils. de bénir ces franchises

«A nos foyers heureux dorénavant acquises;

«Allons! Et pour laisser aux âges à venir

«De cet événement durable souvenir,

«Qu’un tilleul soit planté près de notre saint temple;

«Que la postérité l’admire et le contemple,

«De notre gratitude emblème et monument,

«Autel où l’on viendra déposer son serment.

«Du chêne des coteaux il vivra le grand âge,

«Et nos petits neveux en goûteront l’ombrage.»

Un jeune arbre, à ces mots, sur la place apporté,

Le premier de sa race, un dimanche d’été,

Par la main des vieillards, comme en terre sacrée.

Fut dressé dans la fosse en ce lieu préparée.

On l’entoure avec soin d’un duvet protecteur

De l’insecte et du froid repoussant les ravages;

Et, pour le préserver du vent et des orages,

De quatre pieds d’érable on lui fait un tuteur.

Puis le prêtre trois fois fait le tour de l’enceinte,

Et trois fois le bénit en répandant l’eau sainte.

Il grandit, et jamais les vents impétueux,

Jamais le feu du ciel n’ont profané sa tête,

Ni l’homicide acier, jamais, ni la tempête

N’ont entamé ses flancs majestueux.

Telle est du vieux tilleul l’authentique origine;

De l’ère féodale il marque la ruine;

La commune affranchie a pris droit de cité :

Religion, patrie, il a tout abrité.

Aussi dès lors a-t-il poussé racine

Plus que nul autre arbre de liberté !

Le magnifique poème, de vingt pages, du Gros-Tilleul, par M. l’avocat Tavernier (Chambéry, imprimerie du Gouvernement, 1856), porte une préface trop belle pour ne pas la reproduire; c’est une lettre d’un ami à l’auteur:

«Il existe quelque part, mon cher ami, un frais et riant sujet de poésie champêtre que j’ai longtemps caressé de mes vœux. Si ma muse était plus jeune, je l’aborderais sans rien dire. A toi d’y songer. Ne va point le chercher bien loin, il est ici, chez nous. C’est le gros tilleul. Il est, à mon avis, comme un symbole de patriotisme, un emblème de l’amour du pays natal. Il est de cette famille d’arbres séculaires, vrais patriarches des forêts. Tu sais qu’ils ont joué un rôle charmant dans l’histoire de la vie intime de l’homme. Peintures de l’artiste, rêveries du poète, douce mélancolie des âmes religieuses, ils ont tout inspiré.

«Sans parler du cèdre du Liban, vanté dans la Bible, du palmier de Syrie, du sycomore de Taygète, je vois s’élever le grand chêne druidique de la Gaule. Je me repose ensuite sous le hêtre, le sapin et le tilleul de la Savoie.

«Contemple ces phénomènes de la nature végétale. Bien des choses se sont passées aux pieds de leurs troncs vénérables. Dans le bon vieux temps, la fée capricieuse, les esprits-follets, les revenants, le diable enfin s’y donnaient rendez-vous. Aujourd’hui, on ne croit plus guère à ces histoires-là. Mais ce qui est resté, ce sont de jolies petites scènes de la vie de campagne, d’intéressants tableaux de mœurs pastorales.

«Quelques-uns sont plantés au centre d’un village ou d’un bourg, près des tombes, en face de l’église et du presbytère. Le vieillard s’y repose, l’enfant vient y jouer, la jeunesse vient y causer d’amour. Ils voient passer le berceau du nouveau-né qu’on porte au baptême, le cortège bruyant de la noce, le convoi silencieux de la sépulture. Affaires de la vie civile, cérémonies de la vie religieuse, ils président à tout.

«Tel est notre tilleul. J’ai vu plusieurs arbres magnifiques: le tilleul de Villars, dans le canton de Fribourg, le châtaignier de Neuvecelle, près d’Evian, et si tu veux, le beau fayard de la Rivière-En-verse; mais je n’en ai point rencontré qui réunit dans des proportions plus heureuses la grandeur, l’élégance et la beauté. Et sa situation, elle est unique! au milieu de superbes montagnes, dans un vallon délicieux, sur une belle place publique, tout près des monuments principaux du chef-lieu.

«Et lorsqu’arrive l’été, le voyageur l’admire en se reposant sur le banc de pierre qui protège son vieux tronc. Il exerce le crayon du peintre. Epris de ses charmes, plus d’un artiste en a emporté l’image dans ses tablettes précieuses.

«Peut-être aussi, son aspect a-t-il réveillé les échos de la muse bocagère? je n’en sais rien. Mais personne encore parmi nous ne l’a chanté.

«Fais-lui donc ce présent en témoignage d’amour filial.

«Allons, gravis le Pinde, enfant de la vallée. Que tes vers, répétés dans les hameaux, racontent ce qu’il a vu et ce dont il est encore témoin chaque jour. Tu n’oublieras pas de faire promener à son ombre les personnages qui ont fait honneur au pays.»

Le petit poème ne s’est pas fait attendre. En voici le prologue:

A MES COMPATRIOTES

Enfants du gros tilleul, qu’une même patrie

A nourris, vous et moi, sur les flancs des sept monts,

Comme un signe connu d’une mère chérie,

Cet arbre au souvenir rappelle nos vallons.

A jamais gardez-en l’indélébile image:

Nos ancêtres sous lui vinrent se réunir.

Qu’à nos derniers neveux il prête son ombrage,

C’est l’arbre du passé, l’arbre de l’avenir.

Samoëns-Sixt : vallées supérieures du Giffre, d'Annemasse à Sixt

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