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I.

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A la fin de septembre dernier, je quittai Naples sur le bateau à vapeur l’Eurotas, qui venait d’arriver de Marseille: il avait été forcé de repartir à l’instant à la place du Minos, dont la chaudière s’était dérangée au moment de quitter le port.

Dès que l’Eurotas eut dépassé Micène et Procida, je me sentis indisposé et voulus me coucher en plein air pour prévenir le mal de mer. Comme je tirais à moi le matelas de mon cadre pour l’étendre sur le pont, je fis tomber à mes pieds un gros rouleau de papier négligemment serré par un cordon, et, probablement, oublié sous l’oreiller par celui qui m’avait précédé.

Après m’être assuré que cette liasse n’appartenait à aucun des voyageurs présents, je dénouai le cordon, et je parcourus quelques feuilles. Elles ne contenaient que des notes fort difficiles à déchiffrer, assez incohérentes et remplies de ratures. Le capitaine m’apprit que ce cadre no8avait été occupé par un jeune homme, pâle, mélancolique, et probablement souffrant; car il avait la tête enveloppée d’une espèce d’appareil, et portait à la joue droite des traces d’une assez forte contusion. Depuis Marseille, il n’avait pas cessé d’écrire et ne s’était couché qu’à la hauteur de Gaëte. Aussi avait-il fallu le réveiller lorsque tout le monde était déjà débarqué depuis longtemps. Du reste, le capitaine ne put rien m’apprendre de plus, attendu que la liste des passagers venus de Marseille était restée à Naples, suivant la règle, et que celui-là n’avait parlé à personne, même pendant les repas, tant il était préoccupé de son sujet.

Dans les courts moments de répit que me laissa la mer, je parcourus quelques-unes de ces feuilles volantes, et bientôt elles piquèrent ma curiosité. Désirant les débrouiller plus à mon aise, je priai le capitaine de me les confier. Comme il me connaissait, il y consentit volontiers, à condition que, à la première réquisition, je rendrais à qui de droit jusqu’aux plus petits morceaux de papier qui tenaient aux pages principales par des épingles ou des pains à cacheter.

Depuis ce temps, je n’ai plus entendu parler du pâle et mélancolique jeune homme à la tête fêlée... et je ne suis pas homme à garder le bien d’autrui.

Mais à qui rendre un objet perdu, quand le propriétaire est inconnu, quand personne ne réclame? Évidemment, c’est au destinataire, comme on dit en droit. Je me décide donc à rendre ces notes au public; car je dois supposer qu’elles lui étaient destinées, et, dans le doute, c’est encore à la communauté que doit revenir ce qui n’appartient à personne. Il est d’ailleurs tant d’âmes en peine qui auraient besoin du hachych pour se consoler du présent par la perspective de l’avenir!!! Je ne dois pas leur laisser ignorer les extases fantastiques dont peuvent jouir ceux qui en usent avec des intentions pures.

Enfin, ne faisant pas partie de la société des gens de lettres, et n’ayant pas même l’honneur d’être homme de lettres, j’engage chacun à prendre ce qui lui conviendra dans cette restitution publique.

Quoique ces notes aient été jetées à la hâte sur le papier, et Dieu sait sur quel papier! par un rêveur à peine éveillé, je veux les faire imprimer telles qu’elles sont, autant qu’il sera possible de se retrouver au milieu des ratures et des renvois, sans y permettre aucun changement, aucune addition ou soustraction, sous quelque prétexte que ce soit. J’aime mieux qu’une phrase reste incorrecte, une idée obscure, un sens incomplet, même tout à fait suspendu, que de permettre à personne d’y mettre du sien. Je ne serai jamais le cousin d’un mutilateur de manuscrit, eût-il d’ailleurs d’excellentes excuses.

Maintenant, lecteur perspicace, c’est à vous de briser l’os médullaire, comme dit le malin curé de Meudon «afin d’en extraire la mouelle quintessentielle, cet aliment précieux élabouré en perfection de nature.»

Cette publication pouvant soulever quelques réclamations de la part de l’auteur ou de ses héritiers, voici mon nom et mon adresse:

rue Paradis, 20, à Marseille.

Le hachych

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