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Tariffe ou evaluation des partis sortables pour faire facilement les mariages.

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Table des matières

Pour une fille qui a deux mille livres en mariage, ou environ, jusqu'à six mille livres. Il luy faut un marchant du Palais, ou un petit commis, sergent, ou solliciteur de proces
Pour celle qui a six mille livres, et au dessus jusqu'à douze mille livres. Un marchand de soye, drappier, mouleur de bois, procureur du Chastelet, maistre d'hostel, et secrétaire de grand seigneur.
Pour celle qui a douze mille livres et au dessus, jusqu'à vingt mille livres. Un procureur en parlement, huissier, notaire ou greffier.
Pour celle qui a vingt mille livres et au dessus, jusqu'à trente mille livres. Un advocat, conseiller du trésor ou des eauds et forests, substitut du parquet et general des monnoyes.
Pour celle qui a depuis trente mille livres jusqu'à quarante-cinq mille livres. Un auditeur des comptes, trésorier de France ou payeur des rentes.
Pour celle qui a depuis quinze mil jusqu'à vingt-cinq mil escus. Un conseiller de la cour des aydes, ou conseiller du grand conseil.
Pour celle qui a depuis vingt-cinq jusqu'à cinquante mil escus. Un conseiller au parlement, ou un maistre des comptes.
Pour celle qui a depuis cinquante jusqu'à cent mil escus. Un maistre des requêtes, intendant des finances, greffier et secretaire du conseil, president aux enquétes.
Pour celle qui a depuis cent mil jusqu'à deux cent mil escus. Un president au mortier, vray marquis, sur-intendant, duc et pair.

On trouvera peut-estre que ce tariffe est trop succinct, veu le grand nombre de charges qui sont creées en ce royaume, dont il n'est fait icy aucune mention; mais, en ce cas, il faudra seulement avoir un extraict du registre qui est aux parties casuelles, de l'évaluation des offices, car, sur ce pied, on en peut faire aisément la réduction à quelqu'une de ces classes. La plus grande difficulté est pour les hommes qui vivent de leurs rentes, dont on ne fait icy aucun estat, comme de gens inutiles, et qui ne doivent songer qu'au celibat. Car ce n'est pas mal à propos qu'un de nos autheurs a dit qu'une charge estoit le chausse-pied du mariage, ce qui a rendu nos François (naturellement galands et amoureux) si friands de charges, qu'ils en veulent avoir à quelque prix que ce soit, jusqu'à achepter cherement des charges de mouleur de bois, de porteur de sel et de charbon. Toutefois, s'il arrive par mal-heur qu'une vieille fille marchande quelqu'un de ces rentiers, ils sont d'ordinaire évaluez au denier six, comme les rentes sur la ville et autres telles denrées; c'est à dire qu'une fille qui a dix mil escus doit trouver un homme qui en ayt soixante mil, et ainsi à proportion.

Il y en aura encore qui eussent souhaitté que ce tariffe eût esté porté plus avant; mais cela ne s'est pû faire, n'y ayant au delà que confusion, parce que les filles qui ont au delà de deux cent mille escus sont d'ordinaire des filles de financiers ou de gens d'affaires qui sont venus de la lie du peuple, et de condition servile. Or, elles ne sont pas vendues à l'enchere comme les autres, mais délivrées au rabais; c'est à dire qu'au lieu qu'une autre fille qui aura trente mille livres de bien est vendue à un homme qui aura un office qui en vaudra deux fois autant, celles-cy, au contraire, qui auront deux cens mille escus de bien, seront livrées à un homme qui en aura la moitié moins; et elles seront encore trop heureuses de trouver un homme de naissance et de condition qui en veuille.

La seule observation qu'il faut faire, de peur de s'y tromper, est qu'il arrive quelquefois que le merite et la beauté d'une fille la peut faire monter d'une classe, et celle de trente mille livres avoir la fortune d'une de quarante; mais il n'en est pas de mesme d'un homme, dont le merite et la vertu sont tousjours comptez pour rien. On ne regarde qu'à sa condition et à sa charge, et il ne fait point de fortune en mariage, si ce n'est en des lieux où il trouve beaucoup d'années meslées avec de l'argent, et qu'il achepte le tout en tâche et en bloc.

Mais c'est assez parlé de mariage: il faut revenir à Lucrece, que je perdois presque de veue. Ses charmes ne la laissoient point manquer de serviteurs. Elle n'avoit pas seulement des galands à la douzaine, mais encore à quarterons et à milliers; car, dans ces maisons où on tient un honneste berlan ou académie de jeu, il s'en tient aussi une d'amour, qui d'abord est honneste, mais qui ne l'est pas trop à la fin; ce qui me fait souvenir de ce qu'un galant homme disoit, que c'étoit presque mettre un bouchon, pour faire voir qu'il y avoit quelque bonne pièce preste à mettre en perce.

Ils venoient, comme j'ay dit, plûtost pour voir Lucrece que pour jouer; cependant il falloit jouer pour la voir. Tel, après avoir joué quelque temps, donnoit son jeu à tenir à quelqu'autre pour venir causer avec elle; et tel disoit qu'il estoit de moitié avec sa tante. Elle faisoit de son costé la mesme chose, et estoit de moitié avec quelqu'un qu'elle avoit embarqué au jeu; mais, apres avoir rangé son monde en bataille, elle alloit par la salle entretenir la compagnie, et sçavoit si bien contenter ses galands par l'égalité qu'elle apportoit à leur parler, qu'on eust dit qu'elle eust eu un sable pour régler tous ses discours.

Elle tiroit un grand avantage du jeu, car elle partageoit le guain qui se faisoit, et ne payoit rien de la perte qui arrivoit. Sur tout elle trouvoit bien son compte quand il tomboit entre ses mains certains badauts qui faisoient consister la belle galanterie à se laisser gagner au jeu par les filles, pour leur faire par ce moyen accepter sans honte les presens qu'ils avoient dessein de leur faire. Erreur grande du temps jadis, et dont, par la grace de Dieu, les gens de cour et les fins galans sont bien déduppez. Il est vray que les coquettes rusées sont fort aises de gagner au jeu; mais, comme elles appellent conqueste un effect qu'elles attribuent à leur adresse ou à leur bonne fortune, elles n'en ont point d'obligation au pauvre sot qui se laisse perdre, qu'elles nomment leur duppe, et qu'elles n'abandonnent point qu'apres leur avoir tiré la derniere plume. Et lors il n'est plus temps de commencer une autre galanterie, car elles n'ont jamais d'estime pour un homme qui a fait le fat, quoy qu'à leur profit. Aussi bien, à quoy bon chercher tant de destours? ne fait-on pas mieux aujourd'huy de jouer avec les femmes à la rigueur, et de ne leur pardonner rien, et, si on leur veut faire des presens, de leur donner sans cérémonie? En voit-on quantité qui les refusent et qui les renvoyent? Cela estoit bon au temps passé, quand on ne sçavoit pas vivre. Je croy mesme, pour peu que nous allions en avant, comme on se raffine tous les jours, qu'on pratiquera la coustume qui s'observe déjà en quelques endroits, de bien faire son marché, et de dire: Je vous envoye tel present pour telle faveur, et d'en prendre des assurances: car, en effect, les femmes sont fort trompeuses.

Mais, en parlant de jeu, j'avois presque écarté Lucrece, qui aymoit, sur tous les galands, les joueurs de discretions[22]: car, dans sa perte, elle payoit d'un siflet ou d'un ruban, et, dans le guain, elle se faisoit donner des beaux bijoux et de bonnes nippes. Elle n'estoit vétuë que des bonnes fortunes du jeu ou de la sottise de ses amans. Le bas de soye qu'elle avoit aux jambes estoit une discretion; sa cravatte de poinct de Gennes, autre discretion; son collier et mesme sa juppe, encore autre discretion; enfin, depuis les pieds jusqu'à la teste, ce n'estoit que discretion. Cependant elle joüa tant de fois des discretions, qu'elle perdit à la fin la sienne, comme vous entendrez cy-apres. Je vous en advertis de bonne heure, car je ne vous veux point surprendre, comme font certains autheurs malicieux qui ne visent à autre chose.

Le roman bourgeois: Ouvrage comique

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