Читать книгу Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799) - Gaffarel Paul - Страница 12

VI

Оглавление

Table des matières

Il est vrai de reconnaître que, si Bonaparte se souciait peu de ménager les intransigeants Milanais, et si, d'un autre côté, il ne tenait pas grand compte des constitutions, il se préoccupait des réformes sociales. Son œuvre personnelle fut l'introduction en Italie de l'égalité par l'abolition des privilèges féodaux, de la dîme, des fidéicommis, des majorats, par la déclaration d'admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics. Pourtant, bien qu'il bouleversât si complètement l'ancien régime, il s'efforça de rattacher aux institutions nouvelles ceux qui en souffraient le plus, les nobles et les prêtres, car il se défiait de la foule, ou plutôt des meneurs de la foule. Par instinct il se ralliait au grand parti: conservateur il n'était révolutionnaire que par nécessité. Ses avances furent accueillies avec empressement. Grâce à cette habile modération, tous ceux qui par caractère ou par tradition eussent été les ennemis les plus acharnés de la jeune République, devinrent au contraire les premiers intéressés à la soutenir. Bonaparte espérait ainsi donner à ce nouvel état toutes les garanties de la stabilité, et lui assurer le bienfait des réformes sociales de notre Révolution, tout en lui épargnant les agitations qui avaient troublé la France depuis 1789.

Une question fort importante à régler était celle des frontières de la nouvelle République, et du nom qu'elle porterait. Il n'y avait aucune difficulté pour les anciennes provinces autrichiennes, Milanais et Mantouan. L'Autriche avait renoncé à tous ses droits sur ces provinces. Elles devaient donc appartenir, par le fait même de cette cession, à la nouvelle République: mais réduites à leurs seules forces, ces deux provinces n'auraient pas été capables de vivre ou tout au moins de se défendre, et les patriotes italiens, dans leurs aspirations unitaires, rêvaient déjà de faire de cet État comme le noyau de la future Italie, libre et indépendante des Alpes à l'Isonzo et à la mer Ionienne. Des annexions territoriales étaient donc nécessaires. Une petite République avait été formée aux dépens du duc de Modène et du Pape: la République Cispadane. Cette république conserverait-elle son autonomie, ou se fondrait elle avec la république Lombarde? Bonaparte connaissait l'égoïsme municipal des cités italiennes. Comme il ne se souciait guère de créer dans la péninsule un État trop puissant, il aurait voulu que la Cispadane vécût à part, et que la Lombardie formât une autre république également indépendante sous le nom de Transpadane. Mais à Milan, comme à Bologne, à Modène, on comprenait l'importance et la nécessité de l'union. Transpadans et Cispadans portaient le même uniforme, et se battaient sous le même drapeau. L'opinion publique se prononça avec tant de force que Bonaparte ne crut pas devoir s'opposer à cette manifestation patriotique. Il déclara donc, avec l'assentiment du Directoire, que les deux Républiques se fondraient en une seule, qui porterait le nom de République Cisalpine. On avait bien pensé à lui donner le nom de République Lombarde, mais les Lombards n'avaient jamais été que des usurpateurs. On avait également voulu lui donner le nom de République Italienne: c'était même le vœu le plus général: mais on était alors en paix avec les rois de Piémont et de Naples, avec le duc de Parme, avec la Toscane. On craignait, en ressuscitant ce nom, de réveiller trop de souvenirs, de soulever trop d'espérances, et on adopta la dénomination de République Cisalpine, qui ménageait toutes les susceptibilités.

Un nouvel et important accroissement de territoire fut donné à la Cisalpine aux dépens de Venise. Nous raconterons plus loin la chute et le partage de cette infortunée République, dont le seul crime fut de ne pas avoir été à la hauteur de sa vieille réputation, et qui fut sacrifiée aux convoitises de ses voisins, et aux implacables exigences d'une diplomatie sans ménagements et sans scrupules. Il nous suffira de rappeler ici que, lors du partage des dépouilles vénitiennes, la Cisalpine hérita de toutes les villes en deçà du Mincio, Bergame, Côme, Brescia, Peschiera, etc. Sa frontière orientale fut de la sorte portée au lac de Garde et au Mincio. Peu à peu la Cisalpine s'arrondissait et devenait importante.

Avant de quitter l'Italie, Bonaparte fit un dernier cadeau à l'État qu'il avait fondé, et qu'il semblait affectionner. Une petite vallée suisse, la Valteline, était à la merci de magistrats ignorants, les podestats, qui, ayant acheté leurs charges, ne cherchaient qu'a recouvrer avec usure l'argent qu'elles avaient coûté. Aussi la justice était-elle vénale, et les abus tolérés. On pouvait se racheter de tout crime, sauf d'homicide qualifié, et, comme les procès étaient une source de profits, les podestats non seulement cherchaient à découvrir des délits, mais encore à en faire commettre. Ils avaient à leur service de malheureuses créatures, qui pratiquaient la séduction et dénonçaient ensuite leurs complices. Ils provoquaient encore des tumultes, pour avoir occasion de confisquer des propriétés ou de prononcer des amendes.

Or la Valteline appartient géographiquement à l'Italie, car elle forme la vallée supérieure de l'Adda. Tout ce qu'il y avait dans le pays de citoyens honnêtes et instruits, dégoûtés de la tyrannie des podestats, voulait secouer le joug de la Suisse. Le voisinage de la Cisalpine acheva de provoquer un mécontentement général. Des troubles éclatèrent, et bientôt l'émeute prit le caractère d'une guerre sociale, car les paysans de la vallée avaient à se venger de plusieurs siècles de contrainte et d'humiliations. Les cantons suisses intervinrent pour rétablir leur domination. L'Autriche qui avait des partisans dans la vallée, entre autres la puissante famille des Planta, éleva des prétentions. Aussitôt Bonaparte, averti du danger par les amis héréditaires de la France, la famille de Salis, se fit appeler par les paysans en qualité de médiateur, et prononça en leur faveur contre les Grisons et indirectement contre l'Autriche. Seulement il outrepassa, suivant son habitude, les pouvoirs qui lui avaient été conférés, et, malgré le désir exprimé par ses protégés de continuer à faire partie de la confédération helvétique à l'état de canton libre, déclara qu'ils étaient annexés à la Cisalpine[83]. Il y eut quelques protestations, quelques soulèvements même, mais bientôt tout rentra dans le calme, car Murat avait été envoyé pour le rétablir à la tête d'une forte brigade et ces Cisalpins, de par la grâce de Bonaparte et sans volonté nationale, s'habituèrent à leur qualité de membres de la première République fondée par la France.

L'annexion de la Valteline reculait jusqu'aux Alpes la frontière septentrionale de la Cisalpine. Défendue à l'est par le lac de Garde, le Mincio et l'Adriatique, à l'ouest par les Apennins et le Tessin, au centre de la péninsule, maîtresse des plaines les plus riches et des vallées les plus fertiles, entourée d'états alliés ou sujets de la France, la Cisalpine semblait n'avoir rien à craindre. Ce fut alors qu'on la divisa en vingt départements, et un certain nombre de districts. Dans chaque district des municipalités librement élues administraient les affaires locales. Les affaires d'un intérêt plus général étaient confiées aux administrateurs des départements. Les départements furent ainsi dénommés: Olona (Milan); Tessin (Pavie), Lario (Côme), Verbano (Varèse), Montagne (Lecco), Serio (Bergame), Adda et Oglio (Sondrio), Mela (Brescia), Benaco (Desenzano), Mincio (Mantoue), Adda (Lodi), Crostolo (Reggio), Panaro (Modène), Alpes Apuanes (Massa), Reno (Bologne), Pô supérieur (Cento), Pô inférieur (Ferrare), Liamone (Faenza), Rubicon (Rimini).

Les institutions ne suffisaient pas. Il fallait encore et surtout retremper les caractères. Bonaparte espéra qu'en accoutumant les Italiens à la noble carrière des armes il leur inspirerait des sentiments d'honneur et l'amour de la gloire. Des gardes nationales furent partout organisées[84]. Des régiments de ligne se formèrent peu à peu. Les légions polonaises de Dombrowsky s'enrôlèrent sous les drapeaux de la nouvelle République et de nombreux officiers français obtinrent l'autorisation de mettre leur expérience militaire au service de la jeune armée Italienne. Dès ce jour les mœurs se modifièrent. L'esprit national se forma. On remarqua que les enfants, au lieu de jouer à la chapelle, eurent des jeux militaires, et que les jeunes gens fréquentèrent non plus les sacristies ou les boudoirs, mais les manèges et les salles d'armes. Le théâtre lui-même, qui longtemps avait tourné en ridicule la pusillanimité italienne, retentit de chansons guerrières et patriotiques, et les femmes, ces arbitres suprêmes de l'opinion, repoussèrent les hommages qui leur étaient offerts par d'autres que des patriotes éprouvés.

Heureux de ce changement dont il était en grande partie l'auteur[85], Bonaparte n'aurait pas voulu revenir en France avant de voir reconnue par l'Europe entière la nouvelle République. Visconti avait été nommé ambassadeur à Paris. Il fut reçu en audience publique le 27 août 1797, et adressa au Directoire un discours emphatique qui lui valut une réponse pompeuse et ampoulée. Les chefs du gouvernement lui promirent la protection de la France, et comme l'Autriche, qui n'avait pas encore signé le traité de Campo-Formio, montrait peu d'empressement et faisait mine de reprendre les hostilités, ils profitèrent de l'occasion pour lancer contre elle de retentissantes menaces. Marescalchi avait été envoyé comme ambassadeur à Vienne. L'Autriche différa sa reconnaissance. Elle prétendit que le traité définitif n'était pas encore signé, et que d'ailleurs la nouvelle République n'était pas encore libre, puisque son territoire était occupé par des soldats étrangers. Évidemment l'Autriche se réservait. Il fallut se contenter de ces mauvaises raisons, et attendre son consentement pour des jours meilleurs. L'Espagne, Parme, le roi de Naples, le grand-duc de Toscane, le roi de Sardaigne, la République Ligurienne et le Pape lui-même, liés à la France par des traités ou menacés par ses armées, s'inclinèrent devant le fait accompli, et envoyèrent leur reconnaissance. L'Angleterre et la Russie, qui n'avaient pas déposé les armes, protestèrent par leur silence.

La Cisalpine n'en était pas moins reconnue par la moitié de l'Europe et directement soutenue par la France. Elle occupait une solide position militaire. Tout semblait devoir annoncer à ces trois ou quatre millions d'Italiens, pour la première fois depuis des siècles libres et réunis, une ère nouvelle de prospérité et de grandeur. Déjà les patriotes italiens oubliaient les spoliations du début pour rêver un avenir glorieux. Peu à peu disparaissaient les mauvais souvenirs, les blessures se fermaient, l'ordre renaissait; l'université de Pavie avait rouvert ses cours longtemps interrompus[86]. Hélas! cette prospérité était trompeuse; ces jours de paix n'étaient qu'une trêve passagère. À peine Bonaparte était-il rentré en France que tous les abus recommençaient, et qu'à la période de l'organisation succédait la période de l'anarchie.

Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799)

Подняться наверх