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LE CULTE DU MOLOCH CHEZ LES HÉBREUX DE L’ANTIQUITE
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— G. FRÉDÉRIC DAUMER (1842). —
Ce livre prouve:
1. Le Jéhovah et le Moloch n’étaient au commencement qu’un seul et même Dieu.
2. Le culte du Moloch n’a point été fondé par le grand roi Salomon parmi les Hébreux; ce culte était, au contraire, leur religion nationale et primitive, depuis le temps d’Abraham, et soutenue par Abraham, Moïse, Samuel, David, jusqu’à Salomon.
3. Le sacrifice de la chair humaine, immolée dans les flammes de l’autel ou autrement, était essentiel pour le Molochisme et Jéhovisme réunis. L’histoire biblique et le code des Hébreux disent avec beaucoup de franchise, que cette manière d’adorer le Dieu national était non-seulement permise, mais aussi rigoureusement ordonnée sous Moïse, sous les juges et sous le roi David.
4. Les Hébreux de l’antiquité, bien entendu, abattaient devant l’autel, ou jetaient tout vivans dans les flammes de cet autel jéhova-molochiste, leurs ennemis et des étrangers; de même des nationaux, et — remarquez-le bien — non-seulement des criminels, mais aussi des hommes innocens, quelquefois même leurs enfans, leurs souverains et leurs prêtres de première classe.
5. L’ancienne religion de Moïse, avant d’être radoucie, ordonnait de tuer sans exception, en l’honneur du Moloch-Jéhovah, les prémices du sexe masculin parmi les animaux et à plus forte raison parmi les hommes.
6. L’immolation d’enfans vivans, jetés dans les bras de la statue de bronze rougie par le feu, cette atrocité sans nom et qui ne peut s’expliquer que par la pathologie de l’esprit humain, a été déjà faite par Abraham sur la colline Moria, et par David dans l’Aravna; c’est là où Salomon faisait bâtir plus tard par des architectes phéniciens le temple de la ville de Jérusalem. Le fameux autel d’airain du temple de Moïse comme du temple de Salomon n’était que cette idole de bronze destinée à rotir et à réduire en cendres le corps vivant des enfans qu’on vouait à Jéhovah-Moloch, selon le culte hébreux, ou phénicien, ou cananéen; ces trois peuplades, appartenant à la même famille, avaient un culte commun.
7. De cette manière, on n’immolait que des enfans de la noblesse; ceux du menu peuple et les autres victimes humaines servaient après leur mort à remplir de leur chair et de leur sang les plats du banquet religieux; on n’en jetait dans le feu que leurs os, qu’on avait eu soin de garder intacts et sans les endommager.
8. A ce culte indigène des cannibales; culte bestial du Principe négatif, destructeur dans la nature, s’opposait de bonne heure un culte étranger, basé sur les religions humaines de l’Inde, de la Grèce et de la Germanie, avec lesquelles il offre des marques incontestables d’une parenté linguistique et mythologique; un culte qui adorait le Principe affirmatif, producteur, conservateur dans la nature. Ainsi, d’un côté le principe de la Douleur, de l’autre celui de la Joie; d’un côté, le culte du Feu et des Ténèbres, de l’autre celui de la Lumière et de l’Eau.
Le culte du Moloch exigeait des abstinences, des mutilations, des mortifications, des castrations, des tortures, des massacres en face de l’idole; le culte opposé promettait des jouissances, même des orgies. Ce culte doux et complaisant adorait le dieu Baal Péor ou Béor sous la forme d’un âne. Il faut se rappeler que les ânes de l’orient sont à peu près aussi grands, aussi forts, vifs et beaux que les chevaux; il n’y avait donc là rien qui aurait pu empêcher la nation de croire que le dieu s’était choisi pour forme matérielle celle d’un âne; les dieux innombrables de l’Inde et de l’Égypte avaient choisi mille autres formes animales bien moins nobles, bien moins belles; le Dieu-Créateur, dans le mithraïsme, prenait la forme du grand taureau Kalomortz, etc. Nous n’avons, par conséquent, point à nous récrier contre ce culte de l’âne.
9. C’est Biléam qui se montre le premier comme prêtre et prophète du culte de l’âne, dont l’importance s’est visiblement accrue sous les juges Jaïr, Abdon et Gidéon. Plus tard, ce culte, hiérarchiquement organisé, est toutefois opprimé par Samuel et David; en vain Saül et Absalom tirent le glaive pour défendre le culte humain contre le culte cannibale des anthropophages, le Moloch est vainqueur, Salomon l’intronise de nouveau. Après la mort de ce roi, la vieille scission entre les deux cultes éclate encore une fois et se transforme en scission politique.
10. Le veau d’or dans le désert, ou le veau adoré dans le royaume d’Ephraïm, n’est autre chose que l’âne déifié.
11. Ce n’est que quelque temps après la mort du roi Salomon, qu’un troisième culte se développe, un culte réformateur, également opposé au culte du Sang et du Feu, comme au culte de l’Eau et de l’Ane. Ce nouveau Jéhovisme est un culte de la Loi Morale; il renverse les idoles, et se met à reviser les livres historiques de la nation.
12. Cette révision des chroniques et des annales du peuple mosaïque va jusqu’à ce point, de changer l’histoire de son développement d’un bout à l’autre. Le produit littéraire de cette nouvelle rédaction, c’est l’Ancien-Testament tel qu’il nous est parvenu; la critique la plus savante, la plus rigoureuse, la plus pénétrante, la plus impitoyable est donc nécessaire pour y mettre ordre. Cela fait, nous trouvons que le réformatisme national après Salomon a soigneusement effacé, ou du moins voilé, les récits des atrocités de ses ancêtres, sans cependant faire cette opération avec une précaution complète. Nous rencontrons des pièces d’appui pour notre opinion surtout dans les écrits des prophètes.
13. Le culte de l’âne lui aussi exerçait une influence assez profonde pour rédiger de nouveau l’ancienne histoire nationale, et c’est lui qui changeait peu à peu Moïse, ce prophète du Moloch, en un prophète du Baal Péor; de là les ressemblances entre le mythe de Moïse et quelques mythes indiens, helléniques et même chrétiens.
14. La fête du Passah appartenait à l’ancien culte molochiste; c’était la grande fête universelle de l’immolation de la chair humaine, le banquet des cannibales mangeant la chair, buvant le sang des enfans sacrifiés, et jetant dans le feu les os non brisés des victimes.
Les rois Hiskia et Josia ordonnaient de remplacer la chair humaine par la viande d’une brebis, d’un agneau; c’était désormais le rôti de Pâques, coutume fort innocente, et qu’il était difficile sans doute de reconnaître pour avoir remplacé la plus atroce dont l’homme soit capable.
15. La fête des Bosquets (tabernacles) appartenait au culte de l’eau et de l’âne, ou si vous voulez, du veau: fête dionysiaque et aphrodisiaque, avec une prostitution dite sacrée des filles sinon des femmes, et avec des excès bachiques: bref, une orgie.
16. Après avoir adouci l’âpreté du caractère de cette fête, Néhémia et Esra l’incorporaient au Jéhovisme réformé.
17. Les idées des anciens Hébreux sur le Messie doivent être classées en deux parties: celles qui se rapportent au Molochisme sont éminemment grossières., celles du culte Baal Péor sont profondément spéculatives, métaphysiques. Le Messianisme du culte molochiste est assez égoïste et barbare pour condamner le grand héros national, le grand prêtre, c’est-à-dire le Messie, à devenir une victime humaine destinée à réconcilier son Dieu tourmenté par la soif du sang humain. Le Messianisme du culte Baal Péor proclame son Messie, Dieu lui-même, Verbe créateur, et sans s’arrêter à l’idée de la réconciliation d’un Dieu jaloux et furieux. Le Messie du culte Baal Péor s’est uni à celui du culte Moloch, mais non sans subir sa suprématie; la mythologie, le dogme, l’histoire du Christianisme, sont un mélange de ces deux élémens, dont malheureusement le vieux élément molochiste, sémitique, barbare a prévalu dans le développement du genre humain. Le dogme central du nouveau culte devenait ainsi cette affreuse idée de l’immolation de la chair humaine, qu’il avait trouvée dans le Passah de l’antiquité la plus reculée des Hébreux.
En effet, dit M. Daumer, le roi Salomon ne peut pas avoir été tel que l’Ancien-Testament nous le veut faire croire. On nous montre ce shah oriental comme un adorateur fervent du Dieu Jéhovah, comme un fils du roi David également jéhoviste chaleureux, comme un prince élevé dans le plus pur, le plus abstrait de tous les monothéismes, comme un croyant éclairé par un nombre considérable de révélations et d’inspirations divines, un sage auquel Jéhovah lui-même avait inculqué à plusieurs reprises de rester fidèle au vrai culte; et en tournant la page nous voyons ce Salomon subitement devenu adorateur de Moloch et sacrificateur d’enfans vivans (Livre des Rois, I, 3, 5; 9, 2; 10, 23. Chron. II, 1, 7; 7, 12). Ce fait ne saurait s’expliquer que par un accès momentané d’aliénation mentale de la nation entière; cherchons donc plutôt de nous convaincre de la fausseté de ce fait lui-même. Et d’abord, le Jéhovah des anciens Hébreux était une divinité des ténèbres, de la terreur, de la douleur physique et morale, du feu, appelé Kronos par les Hellènes, Baal et Moloch par les Cananéens et les Phéniciens; Moïse, I, 15, 12, parle de ce Dieu comme d’une nuit profonde, d’une terreur inouïe, d’un flambeau jetant des étincelles, d’un fourneau rougi par les flammes, et cela à propos d’un sacrifice qu’on lui offre, à l’occasion d’une alliance qu’Abraham conclut avec lui. Le dieu qui lutte contre Jacob dans le désert, lui crie de le laisser partir par ce que l’aube commence déjà à poindre (Moïse, I, 32, 27); absolument comme le démon malfaisant, Méphistophèles, dans le Faust de Gœthe, dit: «Mes coursiers frissonnent, le soleil va se lever, allons-nous-en;» absolument comme dans la mythologie indienne, les rakjas, les démons ennemis des dieux, qui sont surtout à craindre avant l’aurore (Bohlen, L’Ancienne Inde, I, 225, 263); l’endroit le plus sacré du temple de Jéhovah ne regarde point le levant, mais le couchant du soleil; ce Jéhovah se montre enveloppé dans les nuages les plus sombres: «Et Moïse s’approcha des ténèbres où Dieu était ( Moïse II, 20, 21; 19, 16; V, 4, 11).» — «Dieu descendit comme dans un bond, rapidement; à ses pieds il y avait des ténèbres; il entassa autour de lui les ténèbres, il fit sa tente en rassemblant de l’eau et des nuées épaisses (Samuel II, 22, 10,12. Psaumes 18, 10, 12).» — «Jéhovah a pris la résolution d’habiter dans les ténèbres ( Livre des Rois, I, 8, 12; Citron, II, 6, 1 ) .» Ainsi, ce Jéhovah aurait très bien pu être adoré sous la forme d’une statue noire, comme les Arabes idolâtres faisaient; ils lui offraient leurs sacrifices au jour de samedi, au jour de Saturne, jour sabath, absolument comme les Hébreux, et ils se prosternaient habillés de noir, dans une chapelle noire ( voyez les auteurs allemands: Winer, Diction. biblique, 2 445; Gésenius, Comment. de Jésaïe, 2, 344; Gœrres, Hist. des Mythes, 1, 290; Bohlen, Genesis, 231; Vatke, Religion de l’Anc.-Testam., 1835, Berlin, I, 196, 199). Ce Jéhovah ressemble au dieu Kemosch ou Chamos des Moabites et Amorites, adoré sous l’image d’une étoile noire selon la tradition judaïque; il ressemble aussi au dieu Tartak (de là peut-être le Tartaros des Hellènes?) chez les Awéens, car Tartak signifie héros des ténèbres ou profondes ténèbres ( voyez Winer).
Des analogies très frappantes se rencontrent chez les nations et les tribus plus ou moins barbares de l’Amérique septentrionale, centrale et méridionale; la race primitive des Amériques ressemble singulièrement à la race sémitique de l’Asie, et je prouverai plus tard que l’origne américaine des Hébreux n’est point invraisemblable (voyez Baumgarten, Hist. universelle des peuples américains; Rochefort, Hist. naturelle et morale des Antilles, 2 24; Orbigny, Voyage en Amérique; Alexandre de Humboldt, Voyage dans les pays équinoxiaux du nouveau continent 2, 113). Remarquez bien ce que disent les adversaires du prophète Jésaïe (28,15, 18; 5, 7, 9): «Nous autres, nous avons conclu une alliance avec la Mort, nous avons fait un traité avec le Monde Souterrain des Enfers; par conséquent le fléau quand il arrivera, ne nous touchera point;» à quoi ce noble réformateur répond: «Ah! votre alliance avec la Mort sera déchirée, votre traité avec le Monde Souterrain n’existe pas, et le fléau quand il arrivera, vous exterminera. » Le Pseudo-Jésaïe reproche aux Israélites ce qui suit: «Tu te rends auprès du Moloch avec de l’huile et tu prends beaucoup d’onguent (pour embellir l’idole), et tu dépêches tes envoyés au loin jusque dans les abîmes du Monde Souterrain.» Silius Italicus cite parmi les dieux de la ville de Carthage l’Érébos, dont l’autel était dans le grand temple de Dido; Philostrate dit que les habitans de Cadix, colonie phénicienne, ont des chansons en l’honneur de la Mort (Sil. Ital., 1 92; Vita Apollonii, de Philost. V, 4). Chez les Awéens on nomme, à côté du Tartak, le dieu Nibchas, le Seigneur des ténèbres, dont le trône atteint le niveau du Monde Terrestre, disent les livres religieux du sabéisme, et dont les pieds reposent snr les extrémités de l’abîme infernal (Livre des Rois, II, 17, 31; Gramberg, Hist. critique des idées religieuses dans l’Anc.-Testament, 1, 517). Le livre de Hiob nous montre le Dieu du monde souterrain comme Roi des Ténèbres et de la Terreur. Ce dieu ennemi du genre humain, ce principe personnifié de la destruction et de la mort, était le Moloch, Melech: Melech, c’est-à-dire le Roi par excellence. Sa demeure principale est la nuit de l’abîme, il se fait représenter à la voûte céleste par la planète la plus éloignée du soleil, la plus ennemie du soleil, c’est l’astre du Sabath, Saturne, le dernier jour de la semaine; le mot samedi, en allemand samstag, n’est rien autre chose que le jour de sanis, nom ordinaire de Saturne dans le sanskrit (Bohlen, 2, 248; Kanne, Système du Mythe indien, 334). Les classiques de l’occident appellent eux-mêmes l’étoile de Saturne une étoile dangereuse à l’homme: stella nocens, sidus triste, grave in omne caput (Properce, 4, 1; Juvénal, 6,569; Lucain, 1, 650); Servius ad Aene. 3, 141, assure que son influence, comme celle de la Lune, rend stérile; les anciens Arabes la désignèrent sous le nom de la grande infortune (voyez: l’évêque Munter, Religion de Carthage, Religion des Babyloniens; 1827; Movers Religions des Phéniciens, 1, 289; Gœrres, Hist. des Mythes, 1, 289).
Ce Saturne donc, comme l’effroyable Sivas de l’Inde portant trois yeux et la lance aux trois pointes, domine trois mondes à la fois: le terrestre, le céleste, le souterrain; il est comme l’affreuse Hécate es Hellènes, qui n’est pas seulement reine du monde infernal, mais aussi reine de l’océan, du continent et du firmament; elle a ainsi trois têtes ou trois corps réunis. Enfin, le résultat de toutes ces allégations, dont je pourrais facilement étendre la quantité , est que ce Molochisme cannibale des Sémites luttait contre les Hellènes, les représentans de l’Humanisme, de la civilisation occidentale. Voyez les combats des héros helléniques contre les monstres Chiméra, Cacus, Cerbère, Géryon, tous à trois têtes, à trois corps, et jetant des flammes. C’est au fond le Jéhovisme primitif.
Abraham voit dans un songe son Dieu comme le dieu de la Terreur, et ce type diabolique est bien celui sous lequel Jéhovah est dépeint dans l’Ancien-Testament d’un bout à l’autre. Les exemples abondent: on conseille au peuple israélite de ne point s’approcher trop du mont Sinaï, son Dieu pourrait le tuer (Moïse, II, 18, 21). Le roi David a peur d’installer la sainte arche dans la ville, parce que le dieu propriétaire de cette arche est un dieu qui tue, qui, en effet, tue le fidèle Usa, uniquement parce que celui-ci avait touché de ses mains l’arche pour l’empêcher de tomber par terre (Samuel, II, 6, 6); un Dieu cruel et raffiné dans sa cruauté, qui tue par une épidémie plus de 50,000 Bethsémites, dont le tort avait été de jubiler à l’aspect de l’arche (Samuel, I, 6, 13). Les psaumes le désignent sans façon par les mots: le Terrible, l’Atroce, l’affreux Schem, comme les Indiens appellent leur Sivas le Terrible, et les anciens Mexicains leur Huitzi Poxtli la Terreur (Ps. 89, 8; Moïse, V, 28, 58; Ps. 76, 12; Jésaïe, 8, 12). On l’appelle directement Schaddaï, le Destructeur, et Jéhovah (Hova, Howwa, la ruine, la destruction). Les Iroquois, dans l’Amérique du Nord, nomment la Mort ne Jawohye, et Jowahu, Jawahou est le nom du démon malfaisant chez les Américains de la Guiane (Clavigéro, Hist. du Mexique, 1, 358; Laskiel, Hist. des Missions). Les Américains du Nord ( dit M. Colton dans le rapport de son excursion chez les sauvages des grands lacs, et le Magasin des Missions protestantes, de la ville de Bâle, 1834, 561), prononcent fort souvent et distinctement, à ne pas s’y méprendre, les mots Alléluja, Jéhova, Élohim; par exemple, ils chantent devant l’autel où une victime est brûlée, les mots suivans: Jo-meschia, Hé-meschiha, Wa-meschiha, ou Schilu-jo, Schilu-hé, Schilu-wa, ce qui ressemble fort au Schem hamphorasch des Hébreux, au nom triplé de Jéhovah. Le mot meschia ressemble à maschiach, hébreu, le Souverain, et schilu peut être le fameux schilo, mot assez difficile pour les interprètes, le dominateur des nations promis dans la bénédiction de Jacob (Voyez Eisenmenger, Le Judaïsme découvert, 1,155; Moïse, I, 49, 10). Je reviendrai encore plusieurs fois à cette parenté surprenante, que je crois avoir observée entre les anciens Sémites et les Américains primitifs. — Ce qu’il est avant tout nécessaire de relever ici, c’est la signification du nom Samuel, Schemuel, Schmuel; Schmu ou Schem, en Égyptien Smy (Plutar., Isis et Osir., 62), le nom spécial du Typhon, du démon malfaisant; Schmuel est analogue avec Joël de Jéhovah, Jo; ce Schem est clairement, il me semble, désigné (Moïse, V, 28, 58): «afin que tu trembles devant le Schem, ce dieu grand et terrible, le Jéhovah, ton Dieu,» car il est fort mal à propos de traduire ici Schem par le nom. Remarquez en outre que ce Smy ou Typhon égyptien, auquel on sacrifie des taureaux et des hommes qui sont d’une couleur rouge, ce démon des rayons solaires destructeurs, ce démon des sables du désert faisant toujours irruption, du Côté de l’occident, dans les campagnes heureuses du Nil, ce démon du Nil fait lapider le fils d’un Égyptien et d’une Juive parce que celui-ci avait blasphémé le Schem judaïque (Moïse, I, 24); ce démon rougeâtre, rougi par le feu, s’appelle aussi Seth, selon Plutarque ( Isis et Osir., 41, 49, 62). Eh bien, les Hébreux parlaient précisément de Sem et de Seth, ou Schem et Scheth, comme de leurs ancêtres les plus vénérés, comme des deux héros d’où commence la généalogie nationale; Schem et Scheth, cela veut dire Moloch.
Le serpent de bronze, le fameux Saraph (c’est-à-dire brûler), que Moïse fait adorer par son peuple, et que nous rencontrons encore dans l’époque de Hiskia comme un objet du culte hébreu (Moïse IV, 21, 6 et Livre des Juges) ce fétiche naturel est fort répandu. Il se trouve en Grèce, à Epidaure et à Delphes, en Egypte, en Suède, en Amérique du Nord, sous la forme d’un agathodémon, d’un serpent bienfaisant. Il se trouve, au contraire, comme un kakodémon, un monstre cruel et hideux, chez les Chéroquais américains qui parlent de la terrible vallée brûlante où il n’y a ni animal, ni végétal, excepté plusieurs serpens à sonnettes de taille colossale, les grands rois de tous les serpens; il se trouve chez les Caraïbes de l’île Saint-Dominique comme un serpent gigantesque qui porte une couronne étincelante d’escarboucles d’une valeur immense; il se trouve chez les nègres de Widda, en Afrique, comme le serpent géant auquel on sacrifie parfois une vierge, soit en la faisant dévorer par ce reptile, soit — ce qui est plus probable — en la lui mariant. Les expressions sacrifice et mariage sont synonymes dans toutes les religions cannibales. Les crocodiles et les alligators des îles de Sandwich (Voyage autour du monde par M. de Kotzebue, 1821) jouissent de la même vénération; on leur expose parfois une jeune fille sur la rive, comme Hésione et Andromède, et cela s’appelle dans l’idiome insulaire indifféremment mariage et sacrifice. Le roi Salomon se sert du petit serpent Thola pour fendre des rochers et des montagnes quand il fait bâtir le temple (Castelli, Lexic. heptaglott. — Eisenmenger, 1, 351).
Le Moloch-Jéhovah des anciens est une flamme dévorante, qui détruit les autres peuples, Moïse V, 4, 24, Isaïe 33, 14: «Qui d’entre nous voudrait demeurer près de ce feu dévorant et rester dans la fournaise éternelle?» Il est un feu dévorant sur le Sinaï, qui en fume comme un fourneau, Moïse V, 9, 3, Moïse II, 24, 17, Moïse III, 19, 16, Moïse V, 4, 11; Moïse V, 4, 12; il fait entendre sa voix du milieu du feu; ses narines jettent de la fumée, les flammes pétillent de sa bouche, Samuel II, 22, 9, 13; Psaumes 18, 9, 13; Ezéchiel décrit la vision de feu et de flammes dans laquelle Jéhovah se montre. Les Talmudistes appellent Regjon ou Dinur le fleuve de feu qui vient de dessous son trône, Eisenmenger II, 346; son château est dans le septième ciel, dans la région de la planète Saturne, selon le livre Hénoch, et Jéhovah lui-même est décrit chez Hoffmann comme entouré de feu, de sorte que personne ne saurait le regarder, à peu près comme chez le prophète Daniel 7, 9:
«L’Ancien des Jours est assis sur un trône, son vêtement est blanc comme la neige, sa chevelure comme la laine (aussi blanche), son trône est une flamme, les roues de ce trône sont des flammes qui jettent des étincelles, un fleuve de feu sort de lui» ; description magnifique, mais qui nous rappelle presque involontairement le Moloch-Saturne-Kronos que la ville de Carthage adore sous le nom d e l’ncien des Jours, et dont le temple est au bout d’une avenue dans la Carthage romaine qui s’appelle la Rue du Vieillard, vicus senis, comme dit saint Augustin, de consensu; voyez Munter, Relig. de Carthag. La couleur de neige du Jéhovah du prophète Daniel est celle du dieu des Flammes dans l’Inde, où ce Siwas est souvent représenté d’une blancheur éclatante et avec le triangle la pointe en haut (Bohlen, L’ancienne Inde, I, 207). Le Saturne des Orientaux, chez les Arabes idolâtres, un dieu noir, se prête également à la couleur opposée; il est censé présider à la fois au feu et au froid, également délétaires pour l’homme (Gœrres, I, 291; Movers, les Phéniciens, 1841, et surtout Hoffmann, le Livre de Hénoch, 1833). Hénoch dit que dans le château fort où réside Jéhovah, il fait froid comme la glace en même temps qu’il y fait chaud comme le feu, et qu’il n’y a point de joie. Certes, ce Jéhovah est une divinité peu amie de l’homme; ainsi, la circoncision, du point de vue religieux, n’a jamais été autre chose qu’une castration adoucie, et cela précisément prouve en faveur de notre opinion. Le culte saturnin en Phénicie (voyez Movers) exige des castrations et des décapitations.
La célèbre arche, cette boîte plus ou moins volumineuse dans laquelle Jéhovah se renferme, est très vulgaire chez les adorateurs du Moloch et du Typhon; on en rencontre une, par exemple, chez Hérodot. 2, 63, qui nous dit que l’idole égyptienne du Paprémis, une variété du Typhon, renfermée dans une chapelle de bois doré en miniature, est promenée sur un char à quatre roues.
Le Livre des Rois (I, 8, 19) se hâte d’assurer que cette boîte a été parfaitement vide, à l’exception des deux tables de pierre que Moïse y avait déposées. Eh bien, c’est précisément cette assertion singulièrement empressée qui doit éveiller du soupçon; elle semble provenir de l’intention de se défendre contre certaine tradition, contre un terrible on dit, contre un reproche affreux. Je prie mes lecteurs, ici plus que jamais, de bien distinguer l’ancien Jéhovisme molochiste de cet autre Jéhovisme réformé, qui est parfaitement digne du respect dont on l’a entouré.
L’arche sainte s’appelle littéralement la maison de la loi, si nous traduisons par loi le mot obscur eduth, qui équivaut évidemment au mot Jéhovah (Moïse II, 16, 33): «et Moïse dit: Aron, prends un vase et mets-y un gomer de cette manne, et place cela devant Jéhovah. Aron fit comme Moïse avait dit, il le plaça devant les Tables de la Loi.» Ces tables auraient donc la valeur religieuse d’une idole, si nous ne préférons de faire dériver eduth de ed, chef, attud, conducteur du peuple, jathed, prince suprême. En ce cas, le mot se rencontre chez les Phéniciens, les Egyptiens et les Américains. Il ressemble beaucoup à Adod, Roi des Dieux chez les Phéniciens. Comme chez les sauvages de la Nouvelle-Zélande, le capitaine James Cook dans son troisième voyage découvrit une sainte arche ou boîte, du dieu Eatua, dans laquelle se trouva son idole ou son symbole: de même il me paraît préférable d’admettre qu’une idole, ou si vous voulez un symbole, avait été le véritable contenu de l’arche du Seigneur, et nullement le décalogue seul. Les dix commandemens (Bohlen, la Genèse XXXVIII) sont évidemment d’une rédaction très récente; jamais les prophètes, par exemple, ne les ont cités à propos de l’adultère ou de l’idolâtrie de leur peuple. Vatke (Histoire de la Religion de l’Ancien-Testament, I, 202) a très bien relevé la manière embarrassée dont le Pentateuque en fait mention.
La sainte ville de Troie, sous le gouvernement de Priame, avait une arche renfermant une idole donnée par Jupiter à Dardane; cette idole, qui s’appelait le maître, aïsymnetès, frappe d’aliénation mentale le héros Eurypyle qui vient d’ouvrir le couvercle. Une autre idole troïenne, la petite statuette de Minerve, le fameux palladium donné par Jupiter au fondateur de la ville, frappe de cécité impitoyablement celui qui vient de l’arracher à l’incendie du temple; cette idole, tout comme Jéhovah, ne pardonne les regards d’aucun mortel. Aux montagnes Rocheuses, les sauvages américains adorent une sainte arche, et celui qui voudrait la poser sur la terre ou la dépouiller de ses couvertures, perdrait sur-le-champ l’usage des yeux. Les ancêtres des Mexicains (Clavigero, I, 172) en descendant jadis dans le pays Mexicain, se firent conduire par une arche sacrée à leur dieu guerrier Huitzili Poxtli, absolument comme les Hébreux dans le désert.
Eusèbe (Prœp. evang., I) cite de l’histoire phénicienne de Sanchuniathon un passage qui dit: «Taautos, en inventant les lettres
«de l’alphabet, prit pour modèles la configuration des idoles du
«Kronos, du Dagon, etc.; la forme du Kronos fut embellie par
«quatre yeux, deux de devant, deux de derrière, et doucement
«fermés, quatre ailes aux épaules, deux levées comme pour voler,
«deux baissées; cela veut dire que Kronos dort les yeux ouverts
«et veille les yeux fermés, qu’il repose en mouvement et se ment
«en reposant. Aux autres dieux compagnons de Kronos, Taautos
«donna deux ailes seulement. Enfin, il donna à Kronos encore
«deux ailes à la tête, l’une pour signe de l’intelligence gouvernante,
«l’autre pour signe de la perception intellectuelle.» Ce tableau de l’idole phénicienne est identique avec la description qu’on lit de Jéhovah chez Ezéchiel; Jéhovah est ici égal à ce Kronos-Saturne, qui ne diffère point du Moloch.
Cette idole, renfermée dans la boîte sacrée, en fut retirée parfois et placée sur le couvercle, delà l’expression fort répandue dans l’Ancien-Testament: «L’arche sainte est l’escabeau des pieds de Jéhovah;» assise sur le couvercle, cette idole fut entourée des nuées d’encens et de fumée dont la Bible fait mention à chaque instant. Le prophète Jérémia, qui prêche un jéhovisme humanisé et directement opposé au cannibalisme ancien, dit (3, 14 — 3, 24 — 4,2) les paroles remarquables: «Revenez, ô mes fils apostats, je suis votre maître, je vous donnerai des pasteurs qui me plaisent, ils vous conduiront avec intelligence. Et... on ne parlera plus de l’arche, personne n’y pensera plus, personne ne la regrettera plus, personne n’en confectionnera une semblable. Au contraire, la ville de Jérusalem sera le grand trône de Jéhovah.» Ceci est clair, très clair, il me semble; Jérémia conseille à ses compatriotes de ne plus immoler, comme ils l’ont fait toujours, à Moloch-Jéhovah leurs bœufs, leurs moutons, leurs fils et leurs filles (3, 24), mais de s’incliner devant son Jéhovah réformé, ennemi de toute idolâtrie.
Movers prouve à peu près jusqu’à l’évidence que l’arche dorée des idoles molochistes fut remplie des cendres des enfans brûlés en l’honneur de ces idoles; cela admis, l’horreur éprouvée par les nobles prophètes hébreux devient ainsi parfaitement motivée. Le piédestal de la statue d’Apollon à Amyclé était censé, selon Pausanie, être le tombeau du jeune Hyakinthos tué par ce dieu; le nom Hyakinthos est celui de toute victime humaine immolée dans le temps cannibale à Apollon; on déposa dans l’intérieur de ce piédestal-autel une victime qui rappelle l’habitude molochiste, de remplir l’arche sainte des restes de la victime humaine consumée en majeure partie par les flammes du dieu cannibale.
L’Ancien-Testament parle souvent du chérem, ou de ce qui a été voué à Jéhovah; Moïse (III, 27, 28) dit: «Tout chérem est sacré, très sacré, soit en bétail, soit en hommes, soit en fruits de la campagne; le chérem ne peut jamais se vendre ni se racheter; le chérem doit être tué.» Et Winer (Dictionnaire de la Bible, I, 156) dit: «Une personne chérem était destinée à la mort;» Michaëlis (Droit de Moïse, 3, 145; 5, 246) le constate aussi. Le fameux passage (Moïse, V, 13,17) parle d’une ville chérem qui sera brûlée avec tout le butin qu’on y avait fait, brûlée en holocauste en l’honneur de Jéhovah. Vatke (la Relig. de l’Anc.-Testam., I, 278) le constate également.
Comme les anciens Mexicains, anthropophages malgré toute leur civilisation, avaient l’habitude de faire des guerres pour le service de la table de leurs idoles, c’est-à-dire pour immoler à celles-ci les prisonniers, de même les anciens Hébreux ont plus d’une fois tué, en l’honneur de Jéhovah, tout ce qui respire dans le pays de la peuplade ennemie, non-seulement les hommes et les femmes, les enfans et les vieillards, mais aussi les bœufs, les moutons, les ânes, les chameaux; ainsi le roi Saül n’ayant pas voulu exécuter cet ordre tout entier, se voit tout à coup abandonné du prophète Samuel, qui pousse le zèle du cannibalisme religieux à ce point de s’emparer du chef Agag, prisonnier de Saül, et de le couper en morceaux devant l’autel du Moloch-Jéhovah à Gilgal (Sam., I, 15, 3), d’où Léo (Hist. de l’État des Hébreux) conclut que les Hébreux se permettaient, aussi bien que les Carthaginois et les Phéniciens, de sacrifier des victimes humaines. En lisant Jérémie (46,10, et Isaïe, 34, 6), on croit vraiment rencontrer un chant cannibale des anciens Mexicains: «Ce jour-là est un jour où le seigneur Jéhovah Sébaoth se venge de ses ennemis, et voyez, le glaive dévore et se rassasie et s’enivre de leur sang, car le seigneur Jéhovah Sébaoth a un sacrifice, dans la contrée du nord près du fleuve Euphrate;» dont le pendant dans Isaïe: «Le glaive de Jéhovah est rempli de sang et repu de graisse, du sang des moutons et des agneaux, de la graisse des béliers, car à Bozra le Seigneur se fait un sacrifice, une grande tuerie dans le pays d’Edom. Et les buffles sauvages tombent avec eux, et les taureaux, et les bœufs, et leur sol boit le sang, et leur terre s’infiltre de la graisse; Jéhovah a sacré ce jour comme le jour de la vengeance, cette année comme l’année du talion, pour venger Sion.» Remarquons ici, soit dit en passant, la correction faite par un des rédacteurs qui ont revisé plus tard le texte (Sam., I, 15, 21). On veut nous faire croire que le prêtre encore tout dégouttant et fumant du sang et de la graisse des hommes et des animaux égorgés en masse et en détail, Samuel, aurait répondu au roi Saül: «Jéhovah a-t-il du plaisir en voyant des sacrifices et des holocaustes? au contraire, obéir à Jéhovah vaut mieux que de lui offrir des sacrifices, et faire attention à ses paroles vaut mieux que la graisse des béliers, etc.» Même une critique superficielle doit comprendre la complète fausseté de ce passage, qui jure si étrangement avec ce qui précède et ce qui suit (Moïse, IV, 3, 4; III, 10, 2; III, 9, 24; IV, 14, 36; Sam., II, 21, 9; Livre des Rois, II, 23, 20; I, 18, 40): nous y lisons les descriptions édifiantes d’une série d’exécutions de prisonniers, d’apostats, de prêtres samaritains, de rebelles hébreux.
Jetons maintenant un regard sur Moïse (IV, 20, 23; V, 32, 49, 50; V, 34, 5), où l’oracle du Jéhovah-Moloch dit à Moïse: «Va mourir sur le sommet de cette montagne... de même comme ton frère Aron, mort sur la montagne Hor.» En effet, Moïse y meurt sur l’ordre de Jéhovah; à peu près comme les rois-prêtres de l’île Meroë, qui, selon Diodore (III, 6), décédaient chacun à son tour avec une obéissance parfaite aussitôt que l’oracle des dieux l’avait commandé ; à peu près comme chez les Borusses, les anciens habitans de la Prusse Orientale au bord de la mer Baltique, où les Krivés, les rois-prêtres, avaient l’habitude de se brûler vifs pour le bonheur de la nation: Voyez Mone (Histoire du paganisme septentrional, I, 83, 92). La reine phénicienne Dido, adoratrice du Moloch-Saturne, se donne la mort. Le roi mexicain Chimalpopoca, imitant l’exemple de plusieurs de ses prédécesseurs héroïques, se fait spontanément sacrifier par les prêtres devant l’idole du Huïtzilopoxtli, comme raconte Clavigero (I, 222). Chez les anciens Toltèques mexicains le roi n’avait point le droit de règner au-delà de 52 ans, ce terme expiré il mourut devant l’autel; dans l’île mythologique d’Iambulos (chez Diodore, II, 58), les chefs âgés de 150 ans sont tenus à se donner la mort. Une critique sérieuse ne doit jamais mépriser d’entrer dans la voie des analogies historiques.
Quant à Abraham, auquel Jéhovah impose tout simplement de tuer son fils Isaac et de le brûler sur l’autel, il n’y a pas beaucoup à ajouter; la chose parle assez d’elle-même. Je dois toutefois faire observer ici la singulière ressemblance, qui existe entre ce fait biblique et le passage suivant des annales de la Phénicie par Sanchuniathon, qu’on rencontre chez Eusèbe (Prœp. Evang.): «Dans une grande épidémie, Kronos immola son fils unique qui n’était point bâtard, à son père Ouranos; puis il fit sa propre circoncision et força ses compagnons d’en faire autant; bientôt après il voua aux dieux le fils qu’il avait eu de Rhéa, le nom de ce fils était le Courage; en langue phénicienne, c’est la Mort, et en langue grecque, c’est Plouton.» Cette identité d’Abraham et du Kronos sabéen se retrouve aussi dans l’idolâtrie sabéenne des Arabes (Pococke, Specimen Histor. Arab., 680. Movers, Hist. des Phénic., I, 86): «Ils représentent notre vieillard, Abraham, par une idole qui porte des flèches au nombre de sept; pourquoi des flèches à la main de notre Abraham?» s’écrie Mahomet en renversant dans la Kaaba la statue de Kronos-Abraham.
On lit, Moïse 1, 15, 2, la fameuse immolation de la fille de Jephthé. Le vœu que ce chef judaïque avait fait, le vœu seul, dis-je, même s’il n’eût pas été suivi d’exécution, prouve d’une manière frappante que les sacrifices d’enfans ne répugnaient point aux anciens Hébreux; pas plus qu’à ce roi des Crétois, Idoménée, qui pendant une tempête fait le vœu de sacrifier ce qu’il rencontrera le premier après son retour; et il rencontre son fils. — Une anecdote caractéristique dit (Liv. des Rois II, 3, 27) que Mésa, le chef des Moabites, immole son fils aîné afin que son dieu lui vienne en aide; et le résultat est, qu’après avoir brûlé son fils sur le mur de la forteresse Kirhareseth, Mésa voit en effet les Hébreux lever le siége et se retirer avec consternation. Ce dieu Moloch des Moabites et le dieu Jéhovah des Hébreux ne font qu’un. Dans une insurrection, le chef des révoltés à Carthage ne trouve rien de mieux pour fléchir les dieux que de leur immoler son fils Carthalon, prêtre lui-même; ce fils, orné de ses habits pontificaux, se fait en effet attacher vivant à une croix d’une hauteur extraordinaire, pour ainsi être exposé aux yeux de toute la capitale (Justin. 18, 7 ); le père, après la défaite de l’insurrection, est puni de mort, il est vrai, mais non pour l’assassinat de son enfant et d’un ministre des dieux, mais tout simplement pour s’être arrogé la suprématie politique.
Les prophètes hébreux, surtout Jérémie (3,14; 11, 13, 32, 35) répètent abondamment la description des sacrifices d’enfans des deux sexes, brûlés dans la vallée d’Hinnom sur l’autel du Moloch Baal; et Amos dit que les Israélites, dans le désert pendant quarante ans, au lieu de s’incliner devant Jéhovah, ont adoré le Saturne-Kijun comme leur véritable maître ou Moloch.
Ce passage curieux (Amos, 5,25) le voici: «Est-ce que vous m’avez fait des sacrifices, à moi Jéhovah, pendant les quarante ans dans le désert? Non. Vous avez porté la tente de votre maître (Moloch, Molech, Melech) et le Kijun, votre idole, l’étoile de votre dieu que vous vous étiez confectionnée.» J’ai parlé plus haut de ce Kijun; je dois ajouter que (Movers, 1, 289) ce mot, avec Kun, Kyn, Keiwan, signifie la planète Saturne chez les Babyloniens, Phéniciens, Syriens, Assyriens, Arabes et Néo-Perses.
Je prie mes lecteurs de réfléchir, s’il n’est pas enfin temps d’aller droit au fait, en s’appuyant des témoignages des prophètes hébreux, que jusqu’aujourd’hui l’interprétation théologique, soit juive, soit protestante, soit catholique, a trouvé bon de négliger. La manière insolente dont on a traité jusqu’ici ces passages incommodes dans les prophètes, est une véritable honte pour l’intelligence humaine.
Le prophète Amos, me diront les interprètes orthodoxes, est un calomniateur. Mais jamais ses contemporains ne lui ont fait ce reproche. On ne peut non plus l’accuser d’exagération; son éloquence n’est guères hyperbolique ni métaphysique, son style est loin d’être fleuri. Lui, comme tant d’autres prophètes hébreux, oppose en effet au Moloch-Jéhovah un Jéhovah tout pur, un Jéhovah réformé, et qui n’a de commun avec Jéhovah molochiste que le nom; les réformateurs en fait de religion ne changent point toujours le nom de Dieu. Nous pouvons citer beaucoup de passages dans les prophètes, où le Jéhovah moderne se défend avec empressement contre toute imputation molochiste; (Micha, 6, 6) dit que Jéhovah n’exige point les sacrifices d’hommes et d’animaux, ni les fils aînés en expiation du péché de leurs pères. Ezéchiel, 20, 25, parle d’une législation ancienne qui impose le devoir de sacrifier les fils aînés; ce triste culte, dit-il, avait été ordonné à Israël dans le désert pour le laver de ses péchés; c’est un aveu précieux, il me semble. Jérémie ose déjà davantage (8, 8; 7, 4; 18, 18): «Comment pouvez-vous dire, nous sommes des savans, nous connaissons la loi de Jéhovah? Ah! je vous dis, la Lot devient un mensonge sous les doigts de l’écrivain menteur.» A quoi les écrivains religieux, les scribes des lois répondent: «Venez et calculons ce qu’il faudrait faire contre Jérémie, car la Loi parmi les prêtres ne peut point s’effacer, ni le conseil parmi les savans, ni la parole divine parmi les prophètes. Venez donc et tuons cet homme par la langue et ne prêtons aucune attention à tous les discours qu’il tient.» Bref, les novateurs renégats, ou, ce qui revient au même, les prophètes réformateurs et hérétiques qui reniaient le féroce Jéhovah antropophage en lui opposant leur Jéhovah humain et généreux, se donnaient beaucoup de peine pour expliquer l’origine des sacrifices d’enfans métaphysiquement, en les déduisaut de la colère divine.
Le Pentateuque contient même dans sa rédaction actuelle, malgré toutes les révisions que les réformistes hébreux lui ont fait subir, ce qui suit (Moïse, II, 13, 2; II, 22, 28): «Tu dois vouer à moi, ton Dieu, tout ce qui est fils aîné parmi les hommes d’Israël et parmi les animaux; ceci est à moi.» — «Tu me donneras les fils aînés d’Israël, de même parmi tes bœufs et tes moutons, que tu dois laisser pendant sept jours auprès de leurs mères, et tu me les donneras (c’est-à-dire, tueras en mon honneur) quand sera arrivé leur huitième jour.»
Cette loi cannibale a été trouvée aussi en Floride (Amérique), par M. Lafitau, Voyageur français (Majer, Dictionn. de la Mythologie, II, 91; Baumgarten, I, 87) qui le compare aux sacrifices de Canaan; il vit l’enfant, en présence du chef et de la mère éplorée, mis sur un bloc de bois et exécuté par un coup de massue; c’était le fils aîné. Lafitau n’ose pas, on le conçoit facilement, faire la comparaison avec la loi du Pentateuque.
Ce sacrifice expiatoire de l’enfant aîné prend quelquefois une tournure singulière; Lafitau et Labat rapportent que chez les Caribes, les Galibis et certaines tribus brésiliennes le père, après la naissance du fils aîné, est assujetti à un martyre très cruel: on lui fait de larges incisions dans la peau et beaucoup de saignées, on lave les blessures avec un liquide corrosif, on le soumet à un jeûne de trente à quarante jours; après quoi on le peint en rouge et on l’expose sur une chaise rouge en l’honneur du démon malfaisant (Biet, Voyage dans la Terre Équinox. Thévet, Cosmogr, Univ. Du Tertre, Hist. Nat. des Antill.). Le voyageur espagnol Don Alvar Nuñez Cabeça de Vacca dit que la peuplade des Maréamés a l’habitude de tuer quelquefois, après un songe, les garçons, et de faire dévorer par des chiens les filles aussitôt qu’elles viennent au monde (Ternaux Compans, trad. allemande de l’ouvrage Amérique, son antiquité, sa découverte, par Alvensleben, I, 217). On ne doit point refuser d’ajouter foi à ces choses; c’est là où le cannibalisme se change en aliénation mentale; mais ne rencontrons-nous pas souvent l’aliénation mentale d’une nation érigée en système religieux, national? Mon livre s’occupe précisément de faire des recherches critiques dans ce lugubre domaine historique, ou plutôt pathologique. Voyez Forster et le capitaine Cook, deux observateurs impartiaux (Troisième Voyage autour du globe, III, 43 ); ils vous diront ce qui suit: «Dans les îles d’Australie on trouve presque partout un ordre religieux du paganisme cannibale, appelé Arréoes, dont chaque membre est tenu à tuer ses enfans, et celui qui en épargnerait un, serait ignominieusement expulsé et perdrait tous les priviléges.» Un oncle du roi Pomarre avait assassiné ses huit enfans pour ne pas perdre son rang d’arréoe: Voyage des missionnaires sous J. Wilson. Adalbert de Chamisso, témoin oculaire, dit: «Dans l’île de Radac, une mère ne doit élever que trois enfans, le quatrième doit même être enterré vivant; on plante sur les tombes de ces petits martyrs un bâton qui a des incisions circulaires (II, 235).» L’explication par l’économie politique ne suffit pas; la stérilité du sol, la disette, ou si vous voulez l’appréhension d’une disette générale y est pour quelque chose; mais la cruauté infâme, d’enterrer l’enfant encore respirant, ne s’explique, il me semble, que psychologiquement, ou plutôt pathologiquement, par une idée religieuse qui tient déjà de l’aliénation mentale érigée en système. Comme dit Plutarque (sur la superstition 13): «A Carthage les femmes qui n’avaient pas d’enfans, achetaient ordinairement, pour les faire brûler sur l’autel, des enfans de la classe pauvre. La mère y assistait sans sourciller ni pleurer, et si elle versait des larmes, l’argent était perdu et son enfant était tué tout de même.»
Les Arabes idolâtres n’étaient non plus purs de ce cannibalisme: «L’Arabe, quand son épouse accouche d’une fille, ne sait pas trop s’il doit garder l’enfant ou l’enterrer; — les idoles de la ville de la Mecque les ont séduits, ils ont tué leurs enfans, ils ont leur religion pour excuser cette infamie.» Il paraît que surtout la tribu Kendah fit assez souvent tuer ou enterrer vivant un enfant nouveau-né de sexe féminin; cette cruauté vient peut-être du mépris fanatique dont la femme, comme la maudite séductrice d’Adam, était entourée chez les Hébreux; elle était particulièrement haïe par le Moloch-Saturne-Jéhovah de la famille sémitique. Quant à l’immolation des enfans de sexe masculin, il est bon à se rappeler que le grand-père idolâtre du prophète Mahomet avait fait le vœu de tuer un de ses dix fils si les dieux lui permettaient de trouver la fontaine Semsem; après l’avoir trouvée, il fit tirer au sort ses fils, et Abdallah, le père du prophète, aurait dû mourir, si son père ne l’eût pas racheté au prix d’une centaine de chameaux (Le Coran, Sure 6, 16, 43, traduct. allem. p. Wahl, voyez ses explications). — Quant au Passah, fête antique et solennelle, il ressemble fort à la fête solennelle des Phéniciens qui n’avait lieu qu’une fois par an, dont Eusèbe parle. Le soin religieux qu’on porta de ne briser aucun os de l’agneau du Passah, mais de les brûler le 16 du mois Nisan, avec toutes les autres parties qui n’étaient pas bonnes à être mangées (Winer), ce soin se trouve chez des peuples du Caucase, et surtout chez les anthropophages de l’Australie (Voyage des Missions sous J. Wilson). Il existe des chansons et des contes de fées parmi le peuple allemand qui sont de la plus haute antiquité, d’une antiquité que nous n’oserions pas préciser par un calcul, et dans lesquels il est question, d’une manière assez naïve et plaisante, de l’habitude religieuse de manger ses enfans et d’en conserver les os (Voyez Grimm, Contes du Foyer et des Enfans 47, et les notes, III, 79). Les anciens Indiens du Gange ont aussi trempé dans ce cannibalisme: «Mangez la viande animale, dit une de leurs antiques lois, ne mangez pas la chair humaine (Bohlen, 1, 303).» Et les Chaldéens, ces bohémiens sacrés de l’orient antique, furent souvent accusés sous les césars romains de manger la chair des enfans, après avoir dit la bonne aventure à l’aide du sang et des entrailles de leurs victimes; le démon exorcisé de l’enfant leur apprenait l’avenir (Philostrat. Biographie d’Apollonius, 7, 20; 8,10; Clem. recogn. 2,13; 3,14). Quant aux tribus dans l’Amérique méridionale, Humboldt, Voyage dans les pays équinox. 6, 2, 61, cite Don Juan de Badillo et Pedro de Cieça, de l’an 1554, qui jurent d’avoir trouvé aux sauvages de Darien, Uraba, Sinu, Tatabe, Abibo et Nore la coutume d’enlever des femmes dans les tribus voisines, d’engendrer avec elles des enfans, et de manger plus tard les enfans et les mères (Chronica del Peru, par Pedro de Cieça, 1554); ce qui revient à peu près à l’usage de la tribu d’Iguazes, qui, après avoir sacrifié leurs enfans, achète des femmes étrangères pour engendrer de nouveau des enfans.
Retournons vers nos anthropophages orientaux, et nous trouvons dans les prophètes hébreux une assertion solennelle souvent répétée, c’est que les Hébreux ont non-seulement commis les mêmes horreurs cannibales que les phéniciens et surtout les Cananéens, mais encore exercé des actes plus affreux que ceux-ci: Ezech. 36, 1; 33, 25; 22, 2; 18, 6. Le livre de la Sagesse parle des mystères infâmes des Cananéens anthropophages avec indignation, peut-être sans hypocrisie; mais ce qui donne à penser, c’est le soin extrême, pour ne pas dire davantage, que le Pentateuque prend en proscrivant le goût singulier des Hébreux d’alors à boire du sang chaud, soit à la chasse, soit devant l’autel (Moïse, III, 7, 26; 17, 10; V, 15, 23): «Seulement, sois ferme, ne fléchis point, résiste à l’inclination de manger du sang: — Non, tu ne dois pas le manger, je veux que tu le verses sur le sol comme de l’eau (Moïse, II, 12, 23).» Ces passages suffiront probablement.
Depuis bien longtemps on a reproché aux Juifs de tuer des enfans chrétiens pour en faire un sacrifice agréable à Jéhovah pendant le Passah; reproche dont je ne fais point grand cas, et que je veux bien croire une misérable calomnie: seulement, il importe de regarder de plus près la source d’où ce reproche est venu. Au moyen-âge les chrétiens en Allemagne, en Espagne et ailleurs racontaient plusieurs faits de ce genre; par exemple, en Aragon, l’an 1250, d’un jeune chrétien crucifié et percé d’une lance (Eisenmenger, 2, 220, d’après Joannes a Lent de pseudo-messiis 33); aux bords du Rhin on voit encore aujourd’hui les chapelles de plusieurs de ces petits martyrs, par exemple de saint Werner, mis à mort, disait-on, par des Juifs dans la soirée d’un Passah d’une manière extrêmement barbare. Le fait le plus ancien de cette sorte date, à ce qu’il paraît, de l’an 419 de la ville Inmenstar en Syrie. A Syracuse en 1113 on parlait d’un bélier crucifié par des Juifs. Cela veut dire qu’on les jugeait capables de faire quelquefois des sacrifices d’animaux et des sacrifices d’hommes: pour mon compte, je démontrerai ailleurs que tous, ou presque tous ces sacrifices d’enfans chrétiens ont été faits par des prêtres chrétiens, qui pour s’en disculper devant le grand public, nullement initié dans des mystères molochistes, trouvaient bon d’en accuser les malheureux Juifs ( Voyez mes Mystères du Christianisme primitif).
Mais, il faut le dire, le grand procès de Damas en 1841, tout barbare qu’il était, a pourtant jeté une lumière bien déplorable sur les choses de cette espèce. Le chef des lazaristes, M. Tustet, en raconte dans une lettre à l’abbé Étienne, lazariste à Paris, tous les détails: l’assassinat du père Thomas et de son domestique par des Juifs, au quartier des Juifs de la ville, paraît indubitable. Le bonnet noir du père Thomas, ses os, des pains rougis de sang, sont des pièces d’appui qu’on ne saurait récuser (La brochure allemande: Le grand Procès de Damas, par*****, Augsbourg, 1841, par un Israëlite à ce qu’il paraît). Les témoignages de quelques Juifs convertis au christianisme et à l’islam: de Moïse Abu Asie, premier rabbin à Damas, devenu mahométan sous le nom de Mohamed Muselmani, qui veut avoir assisté à la mort du père Thomas; les témoignages d’Eisenmenger, de Brentz et d’autres écrivains chrétiens, d’origine hébraïque, ont été déclarés faux par des Juifs et des chrétiens qui ne connaissent point le sombre et féroce fanatisme du sémitisme molochiste, qui ne savent pas que même dans l’exil babylonien les Israëlites ne se désistaient point des sacrifices humains.
On lit (Moïse, II, 4, 24), que ce prophète, sur le point d’être tué par Jéhovah, ne sait apaiser ce terrible dieu qu’en faisant la circoncision et versant du sang; de même le sang de la victime humaine est versé, soit dans la soirée du Passah, soit ailleurs, pour conjurer comme par un charme, par un enchantement, la colère divine, principalement quand elle est prête à s’appesantir sur une femme israëlite en mal d’enfant. Josèphe, l’ami du césar Titus, se récrie fortement (Contra Apionem, 2) contre le récit d’un homme de race hellénique que trouva le roi païen Antiochus renfermé au temple de Jérusalem; cet homme y aurait été mis et abondamment nourri pour être sacrifié à Jéhovah au bout d’un an et mangé par les adorateurs de ce dieu. Laissons de côté ce vieux conte oriental, et jetons un regard sur les autres religions. Nous voyons l’usage de renfermer au temple les victimes humaines et de les nourrir par les mets les plus exquis (Clavigero, 1, 416; Gemelli Carreri, Giro del Mondo) à Tlascala, à Mexico et chez les Haïtiens primitifs; nous le trouvons chez les Esthéens, païens au bord de la mer Baltique (Kohl, Les Provinces germaniques de la Russie, 2, 276) qui faisaient nourrir dans l’île Oesel des enfans de sexe masculin qu’ils avaient enlevés aux peuplades voisines; après les avoir bien nourris, on les mangeait devant l’autel du dieu Thor, comme à Mexico devant celui des dieux Huitzilipoxtli et Tezcatlipoca. Quant au molochisme israëlite, Oertel (p. 130) a déjà fait remarquer que les rabbins ont déclaré pur le sang de l’ennemi; déclaration qui doit singulièrement restreindre la proscription susmentionnée du sang (Mischnah, VI, 7, 2). Chez les Péruviens, dit Garcilasso de la Véga (7, 6) on tira des veines d’un garçon de cinq à dix ans beaucoup de sang pour servir à la confection nocturne d’un pain sacré, dont on mangea à la fête Citu après s’y être préparé par le jeûne et l’abstinence; on frotta de ce pain le seuil de la maison: les Israëlites avaient l’usage d’humecter du sang de l’agneau de Passah la porte de la maison.
L’aberration, je dirais mieux, l’aliénation mentale érigée en système religieux national a coûté la vie à vingt mille enfans par an dans le Mexique, si nous croyons Torquemada (Monarch. ind, 7, 21) sans compter les autres victimes humaines plus âgées; Clavigero lui-même, assez impartial comme on sait, pense que vingt mille hommes en tout ont été sacrifiés annuellement aux idoles. Les Carthaginois croyant avoir perdu la bataille contre Agathocle, roi de la Sicile, parce qu’au lieu d’immoler à leur Kronos-Moloch des enfans de la noblesse indigène, comme jadis, ils n’avaient brûlé en son honneur que des garçons achetés, s’inclinèrent en contrition, et quand l’armée sicilienne apparut aux portes de Carthage, ils se hâtèrent de lancer entre les bras du Moloch d’airain deux cents enfans de leur haute aristocratie (Lactant. Instit. divin. 1, 21, Diodor. 20,14).
Torquemada et Clavigero ont évalué à 72,344 ou 64,060 le nombre des hommes tués devant l’idole nationale, à l’occasion de l’initiation du grand temple dans la capitale mexicaine. Les Livres des Rois (I, 8, 63) et des Chroniques (II, 7, 5) font mention de la boucherie colossale de 120,000 moutons et 22,000 bœufs, faite par Salomon, roi pieux et doux, lors de l’initiation du grand temple de Jérusalem; ces têtes de bétail auraient-elles par hasard été autant de têtes humaines? Les Phéniciens, ces fidèles alliés et féaux amis de Salomon, ont immolé souvent quelques centaines d’hommes à la fois, et à Carthage, quand le roi sicilien Agathocle en fit le siége, on sacrifia non-seulement 200 jeunes garçons des plus grandes familles, on vit encore le sacrifice de 300 citoyens qui se vouèrent volontairement à la mort par la main des prêtres. Les césars Tibère et Claude ont plus d’une fois dû sévir contre les sacrifices humains des Carthaginois et des Gaulois; les lieutenans impériaux firent crucifier bon nombre de prêtres molochistes dans le pays de Carthage et brûler vivans beaucoup de prêtres druides dans les Gaules.
Le Passah molochiste fut enfin réformé et adouci par les rois Hiskia et Josia. Cet adoucissement était si inouï, si étrange, si ridicule aux yeux de la nation, que pour ne pas le faire repousser tout à fait, les réformateurs avaient recours à une ruse, en révisant les antiques codes de Moïse, et en y remplaçant le rite cannibale par un rite humain (Chron. II, 35, 18; Rois II, 23, 22; 22, 8; Chron. II, 34,14; Chron. II, 30,1).
La réforme d’alors ne dura pas: le fils de Hiskia, Manasse rétablit le molochisme; on reprocha à Hiskia (Liv. d. Rois II, 18, 22) d’avoir démoli les autels de Jéhovah, et on en conclut que ce roi ne mériterait aucun secours divin. Enfin le livre Exodus parut, sous Josia, portant la nouvelle loi réformée avec la nouvelle légende du Passah, et Josia put en effet dire: «Faites le Passah à Jéhovah votre dieu, tel qu’il a été décrit dans ce livre-ci: Liv. d. Rois II, 23, 21. Après quoi le 25me verset glorifie les vertus de Josia, ce qui ne l’empêche point de mourir d’une manière déplorable.
La forme de l’idole Jéhovah est assez bien décrite Psaume 18, 9, Sam. II, 22, 9: «De la fumée monte de ses narines, un feu dévorant se lance de sa bouche, des charbons pétillent de lui (en lui).» Nabuchodonosor fait jeter dans les flammes d’une fournaise ceux qui ont méprisé l’idole de ce roi (Dan. 3,1. Munter, Relig. des Babyloniens, 71).
On a tort de déduire les noms personnels si nombreux commençant par achi, du mot ach, le frère; que penser alors des noms Achimelech, Achijja, qui se traduiraient par le frère du roi et le frère de Dieu? Je les déduis plutôt du mot ach, le fourneau, le poële, un pot rempli de charbons pour chauffer la chambre. Le mot ach, le fourneau, la fournaise, avait nécessairement une signification sacrée dans le dictionnaire du culte molochiste. Il y avait beaucoup de raffinement dans ce culte: le fameux lit de fer d’un ancien géant, Og, roi de Basan, fut conservé à Rabba chez les Ammonites, et il me semble que ce lit n’était qu’une machine diabolique pour rôtir la victime humaine qu’on y avait couchée avec l’idole d’airain (Moïse, V, 3,11); le taureau de bronze du roi sicilien Phalaris (qu’on montra, si je ne me trompe, encore à Cicéron) et chez Athénée l’appareil métallique en forme d’un squelette humain, dans lequel on renferma la victime sur un lit de bronze pour chauffer rouge l’un et l’autre; le Talos ou Tauros, cette célèbre statue colossale d’airain qui se promène, rougie de feu, jour par jour, autour de l’île de Crète, et à laquelle les Athéniens envoient un tribut régulier de jeunes enfans; le Minotaure, et les taureaux d’airain sur la montagne de Rhode qui mugissent quand un événement important va arriver (Apollod. 2, 5, 7; 3, 1, 3), prouvent assez clairement que la tête de l’idole Moloch était celle d’un taureau, symbole de la force et du soleil. Se brûler dans la fournaise de cette idole, s’appelait se marier à lui: le Pseudo-Isaïe 44, 9 donne aux idoles le nom d’amours, d’amans et d’époux; usage linguistique qui se trouve sur chaque page du Nouveau-Testament: se marier à l’agneau, signifie se vouer, se sacrifier au Dieu du Nouveau-Testament. Enfin, je ne trouve point trop hasardée l’opinion qui déduit le nom Isaak du mot hébreu qui signifie rire, et cela parce que la malheureuse victime humaine qu’on rôtissait fit entendre ces terribles éclats de rire dont Athénée parle et qu’on appelle, dit-il, le rire sardonique, parce que dans l’ile des Sardes les idoles de bronze appelées Talos, des Phéniciens et des Carthaginois ont consommé beaucoup d’hommes (Bötticher, Idées d’une Mythol. de l’Art, 359, 378).
L’origine du grand temple de Jérusalem est racontée Chron. I, 21,14 et Sam. II, 24, 15. On y lit d’une aire destinée à battre le blé et dont le possesseur s’appelle Aravna. C’est précisément cet endroit que David choisit pour sacrifier à propos d’une épidémie. Les passages bibliques sont singulièrement mutilés; quant à moi, je ne reconnais dans l’ange qui est là debout sur l’aire d’Aravna, et qui tient la main étendue pour frapper du glaive pestiférant la ville de. Jérusalem, qu’une idole molochiste; car s’il en était autrement, pourquoi cet ange, après avoir retiré sa main, reste-t-il toujours debout? et pourquoi alors le sacrifice?
Jéhovah n’avait-il pas, dans les versets précédens, ordonné à l’ange de ne point frapper? et remarquez les paroles d’Aravna: «Mon seigneur, ô mon roi! prenez ce qui bon vous semble, voilà des bœufs et des chariots avec ce qu’il faut pour brûler, et le blé ;» ce qui frappe, c’est que le roi David doit acheter ces misères, et les acheter d’Aravna, qui appartient à la peuplade jébusite, vaincue par David. Ce harnais, ce chariot à bœufs, tout cet appareil un peu mesquin, me paraît bien être l’appareil de la statue molochiste; le nom d’Aravna se lit aussi Arona, Aron, ce qui donne le nom du grand sacrificateur, frère de Moïse. Cet Aravna Aron est évidemment un personnage sacré aux yeux de David , qui s’adresse précisément à Aravna, parce qu’il trouve chez lui debout une de ces idoles dont la plupart avaient été renversées par Saul, ce grand briseur d’images et ennemi de David et du clergé. Le raffinement molochiste fut poussé très loin par David, cet oint de Jéhovah; Sam., II, 12, 31, dit: «Et il prit les habitans de la ville Rabba qu’il avait conquise, il les conduisit hors la ville, il les fit mettre sous des scies, sous des chariots de fer à battre le grain, sous des haches de fer, il les jeta dans des fours à tuiles.» En traduisant ce cannibalisme, M. de Wette aurait dû mettre à la place des derniers mots, ces autres: four du Moloch, car les mots hébreux dans ce passage sont absolument ceux dont la Bible se sert chaque fois qu’elle parle des enfans jetés dans les flammes de l’idole. Bref, David traita les habitans de Rabba comme on traite un chérem.
David, c’est un roi selon le cœur de Jéhovah; Saul, c’est un rebelle contre son Molech (Moloch), c’est-à-dire contre son Dieu ou maître. Sam. I, 13,1; littéralement un fils de la rébellion, terme hébraïque pour dire rebelle, comme un frère du chacal signifie quelqu’un qui crie à la manière des chacals. Les mots Moloch, Molech, Melech, au reste, ne sont point dans le texte bien distincts l’un de l’autre, et rien au monde ne force l’interprète de le traduire chaque fois par roi, maître, et non quelquefois par idole du Moloch. Soit dit en passant que les idoles des Cananéens, comme celles des Hellènes, comme celles de toute l’antiquité, furent frottées de l’huile sacrée; c’est précisément ce qui est imposé à Israël de faire (Isaïe, 57, 9) quant aux meubles du temple jéhoviste; parmi ce mobilier à oindre, il n’est que trop probable, il y avait une idole du Moloch-Jéhovah.
Nous arrivons maintenant à cet autre culte, moins féroce mais tout aussi orgiastique que celui du Moloch: je veux dire le Baalisme, dont le symbole sacré chez les anciens Hébreux était l’âne, comme le taureau était le symbole du Molochisme. Bileam, le possesseur de l’âne qui parle, introduit (Moïse, IV, 31,16) chez eux le culte du dieu Baal Peor, dont il se donne pour un descendant; il prédit l’avenir sur le mont de Peor. Peor et Beor, il me semble, sont parfaitement le même mot, de l’aramée qui signifie, comme on sait, âne; je le retrouve en oreus, nom grec de la mule, car le b n’est probablement que le beth essentiae de la grammaire orientale, comme l’article copte p ou pi, qui, mis à la tête des substantifs ne fait qu’un mot avec eux; le tapir américain s’appelle beori. Quant à la monture de Bileam, il faut la comparer au cheval qui parle et qui appartient à Achille: il faut la comparer surtout à l’âne mythologique du dieu Dionyse des Hellènes; Hygine (Poet. Astr. 2. 28) dit: Dionyse faisant un pèlérinage à l’oracle de Dodone, traverse un étang sur le dos d’un âne, qui fut rangé parmi les images astronomiques par le dieu reconnaissant: selon d’autres, il donna à cet âne la voix humaine, dont le quadrupède se sert contre le dieu Priape, ce qui lui coûte la vie. Fort ressemblant à cet âne dionysiaque est l’âne du dieu Silène (Creuzer, la Symbolique, III, 208, 383). Ce qui est hors de doute, c’est que l’âne de l’antique mythologie est constamment combiné avec l’eau et le vin (Pausan. Corinth. 38; Moïse, I, 49, 10; Kanne, Panthéon de la plus ancienne Philos. nat.) et à Nauplie on voyait taillée dans le roc, l’image d’un âne dont les habitans prétendaient avoir appris à couper la vigne.
L’âne joue un rôle dans les contes féeriques de l’ancienne Allemagne et des Indes-Orientales: des esprits supérieurs à l’homme se servent de la forme de cet animal pour apparaître sur la terre. Les talmudistes (selon Gfrörer, Siècle du Salut, II, 30; Eisenmenger, Judaïsme découvert, I, 316) nomment parmi les choses créées avant le monde, le nom du Messie, et parmi celles créées avec le monde, la bouche parlante de l’ânesse, créées avec neuf autres choses dans la soirée du premier vendredi; les talmudistes parlent aussi d’un âne qui date d’un temps immémorial, fils de cette ânesse créée au commencement du monde; c’est assis sur cet âne que le Messie entrera dans la ville de Jérusalem. En d’autres termes, il y a identité métaphysique entre l’âne de Bileam et l’âne du Messie; on fera bien aussi de combiner avec eux le nom du Messie prononcé avant la création de l’univers, et le Logos du Nouveau-Testament.
Le Logos se présente évidemment chez les peuplades sémitiques sous la forme d’un dieu-âne; l’âne est en ce cas le double symbole de la force productive ou génératrice, et de l’humilité. Or, le Logos comme une métamorphose, une transsubstantiation de Dieu descendant dans le sein de la matière, peut très bien choisir l’âne pour domicile temporaire. Le lecteur n’oubliera pas que notre critique doit travailler ici dans le domaine qui appartient à l’aliénation mentale systématisée en guise de spéculation métaphysique; Gfrörer, 339; Eisenmenger, 2, 697; Micha le prophète, 5, 1. Chez les Hellènes et les Germains, peut-être aussi chez les Perses, de la haute antiquité, ce culte de l’âne devient un culte du cheval; c’est plus poétique, mais moins vrai. L’âne du dieu Dionyse meurt en parlant, la tête du cheval miraculeux Falada dans un conte féerique allemand parle même après avoir été séparée du cou.
L’âne de l’Orient et de la Germanie est représenté comme musicien, et le cheval hellénique est en rapport avec les muses et la poésie, c’est-à-dire avec la musique; Zeus sous la forme de cheval devient le père du héros Peirithoos, les muses s’appellent les Piérides, la source du cheval des muses s’appelle la Peirène (comparez le mot hébreu pere, âne sauvage; pered, mule; veredus en latin, ferd en langue galla-abyssinienne, pferd en allemand, burdo en latin). Le messie des Hébreux doit par conséquent monter sur un âne, et point sur un cheval, ni sur un chameau, ni sur une autre monture quelconque; Zacharie le prophète (9, 9) dit cela assez clairement, et l’évangile (Math. 21, 4. Jean, 12, 14) y revient souvent. Un évangile apocryphe parle d’un adolescent transformé par un sorcier en mule, qui, après avoir porté sur son dos l’enfant de Marie, redevient homme: voyez Fabricii codex apocryph. II, 399, et I, p. 83 de l’an 1719; il s’explique sur le culte de l’âne, reproché non-seulement aux israëlites, mais aussi aux chrétiens; Tertullien, Apolog. 16, dit que les païens appelaient le Christ ou le Dieu chrétien, l’ononychistès, c’est-à-dire ayant les oreilles et les sabots d’un âne . Ils l’appelaient aussi onokolos.
La théologie israëlite distingue entre le messie fils de David et le messie fils de Joseph; celui-ci, disent-ils, sera tué pour réconcilier par son sang le peuple avec Dieu (Gfrörer, 258; Eisenmenger, 2, 720) et son symbole est le taureau, ce qui est un symbole molochiste. Ce messie est simplement un grand héros, un prêtre sacrificateur, un roi d’Israël et de Juda, tandis que l’autre messie, issu de la race royale de David, est le Verbe, le Logos descendu sur la terre: Eisenmenger, 1, 481; Gfrörer, 259. Le messie molochiste est le serviteur de Jéhovah; le messie du culte Baal Peor, du culte portant le symbole de l’âne, est au contraire le serviteur de toute la créature, car il est Jéhovah anthropomorphisé et s’humiliant. Le messie molochiste est offert en holocauste à Jéhovah, mais tout différemment de l’autre. Le messie du culte Baal Peor après être mort, est ressuscité dans toutes les existences. Le messie de Joseph, à ce qu’il paraît, a obtenu cette dénomination parce qu’on a trouvé un rapport entre lui et Moïse V, 33, 17, où la bénédiction de Moïse contient à l’adresse de Joseph les mots suivans: «Voilà le fils aîné du taureau, gloire à lui: ses cornes sont comme les cornes du buffle, avec elles il renverse les nations toutes à la fois jusqu’aux extrémités de la terre, ce sont les myriades d’Éphraïm, ce sont les milliers de Manasse.»
La mythologie du Nouveau-Testament en a fait un mélange spéculatif et poétique. Elle nous montre le messie, fils de David, comme étant le Jéhovah transformé en individu humain, monté sur le dos de l’âne Peor, prêchant la fraternité et la charité, abrogeant l’ancien code, faisant peu de cas du sabath; ce messie émancipateur ne méprise point d’assister aux banquets pour y changer l’eau en vin, comme Bacchus aurait fait (St. Jean, 2,10) en négligeant l’usage qui restreint, selon l’ancienne loi, la quantité du vin. Remarquez les filles du roi Anios dans l’île sainte de Délos, appelles les oïnotropes, celles qui transforment le vin, après avoir reçu de Bacchus le don merveilleux de changer l’eau en vin, en blé, en olives (Tzetz. Lyk. 570). Le Nouveau-Testament nous montre, d’un autre côté, le messie molochiste, fils de Joseph, comme subissant le martyre pour plaire à son père cruel: ce messie est celui qui s’écrie: «Moi, je viens avec le glaive et avec la discorde, je n’apporte point la tranquillité,» célèbre phrase évangélique qui s’est affreusement réalisée dans le développement historique du christianisme, fait à l’aide des bûchers et des tourmens de l’inquisition contre les hérétiques et les sorciers. Quant à cet ancien culte, il reparaît sans doute au moyen-âge sous la forme de la Fête de l’Ane, célébrée dans les églises de l’Italie, de l’Espagne, de la France , et quant à Bileam, il ressemble fort à Jésus. L’un et l’autre sont des hommes doux, aimans, bienveillans: le prophète Bileam ne veut point maudire son peuple. — Ce culte paraît avoir prévalu chez le peuple dans l’époque des juges, jusqu’à Samuël qui recommença le vieux culte de Jéhovah-Moloch. Le juge Jair a trente fils, montés sur trente ânes et possédant autant de villes (Liv. des Juges, 10, 3); le juge Abdon a quarante fils et trente petits-fils, montés sur soixante-dix ânes (12, 13). Simson tue les mille Philistins avec la mâchoire inférieure d’un âne, ce qui ressemble fort à un signe militaire et religieux, porté devant les rangs des Hébreux adorateurs de l’âne Peor . Le chef Samgar, sous les Juges, tue six cents Philistins avec un bâton dont on se sert pour guider les bœufs; cela veut dire qu’il est, exceptionnellement sans doute, un adorateur du taureau Moloch.
Troie est conquise par un cheval de bois, symbole des Hellènes, adorateurs de Posidon, dieu de l’océan, adversaires mortels des Troiens, adorateurs du feu et du taureau sémitique.
Chez les Hindous le culte de l’eau, Vishnou, prend son origine dans le culte du feu, Siva. Chez les Hébreux, dit Tacite, la statue d’un âne est adorée dans le temple, parce qu’un troupeau d’ânes sauvages leur a jadis montré le chemin aux fontaines de la forêt (Hist. 5, 3); Anah trouve des puits en cherchant les ânes de son père Zibeon (Moïse, I, 36, 24); comparez le nom Anah avec le mot arabe qui signifie âne, avec onos en grec, asinus, et âne en français; comparez aussi le nom Zibeon avec le mot hébreu zeba, vêtement bigarré : le messie, dit la tradition, viendra triompher assis sur un âne ayant mille couleurs (Winer, 1, 408; Eisenmenger, 2, 698): le zébra. Tout ceci serait-il donc le résultat du hasard?...
Creuzer, dans sa Symbolique, et Botticher, dans ses Idées, ont déjà traité du rapport, si étrange au premier coup-d’œil, qui existe dans les philosophies mythologiques entre le cheval et l’eau; je ne citerai ici que le dieu de l’océan chez les Grecs, constamment entouré de chevaux, et portant le nom de prince des chevaux; sous la métamorphose d’un cheval il veut séduire la déesse de la terre féconde, Déméter; il séduit encore, sous la forme d’un cheval, la Méduse; celle-ci a la tête coupée par Persée ( un de ces grands héros mythologiques qui servent de lien entre l’Orient et l’Occident antiques: Persée, qu’on appela aussi le père des Perses: il y a là peut-être dans ce nom de Persée la racine étymologique que l’auteur a développée plus haut à propos de la nomenclature du cheval et de l’âne; note du traducteur): enfin, le cheval de la fontaine, Pégase (de pégé) naît de la Méduse assassinée. Le pégase à son tour crée les fontaines du cheval, Hippocrène au mont d’Hélicon, Pirène à Corinthe et celle à Troezène. Le cheval de l’empereur Charlemagne ouvre de son pied la fontaine Gleisbrunn dans les monts d’Odenwald, et dans l’Ortenau une source d’eau vive jaillit jadis sous le coup du pied d’un âne, comme dans le pays de la Bible, où une fontaine naît de cette mâchoire d’un âne par laquelle Simson vient de terrasser une armée ennemie. Le mot hébreu pour cette source du héros Simson est singulièrement rapprochée du mot kharas en sanscrit l’âne, en allemand patois gorre, cheval: ce qui se retrouve peut-être dans le nom personnel de Korah, monté sur sa mule très blanche (dit le Koran, sure 28; édit. de Wahl, p. 365) et il fit une rébellion contre Moïse, qui à mes yeux était le prophète du molochisme, opposé au culte de l’âne, du cheval, de l’eau. Remarquez aussi l’origine du héros: Simson est natif de la tribu Dan, qui est si mêlée de tribus étrangères, qu’elle est presque étrangère elle-même.
Cette tribu, disent les talmudistes (Eisenmenger, 2, 527), alla en Éthiopie du temps du roi Jéroboam; il y a dans les dialectes de toute l’Afrique orientale encore aujourd’hui beaucoup de mots indogermaniques ; l’Apocalypse, en énumérant les tribus d’Israël, omet Dan (VII, 4), et l’Antichrist, disent Hippolyte et Théodoret, selon la tradition talmudiste, naîtra précisément de la tribu de Dan (Gfrœrer 2, 237), à Dan et à Bethel le prince Jeroboam érige ses idoles dorées, deux ânes. Les noms personnels féminins Dina, Thamar chez les Hébreux, des Danaïdes chez les Hellènes, d’Amymone chez les Hellènes et de Maimuna chez les Arabes (Koran, introduct. ou p. Wahl p. 70) ont une signification étymologique assez claire, et sont probablement les noms de la déesse de l’âne, inséparable du dieu de l’âne.
Thamar devient plus tard la mère de Perez (c’est-à-dire la discorde, la scission) et de Serach (c’est-à-dire la gale), ce qui ressemble fort à une plaisanterie ironique, comme la langue hébraïque est très capable d’en faire: par exemple la messe chrétienne fut appelée quelquefois misa ou mitha, la mort; la fête natale du Christ nithal, fête du pendu: l’apôtre Pierre ou Paul peter chamor, fils aîné de l’âne; un dôme chrétien s’appelle tehom, abîme, ou tuma, saleté. De même j’aime à croire que Perez n’est qu’une dépravation du mot pered, mule ou âne, et Serach ressemble à sorek, une sorte de vin fort et généreux; le Schilo est mentionné dans la célèbre bénédiction de Jacob comme «un homme qui viendra et attachera le poulain de son âne au tronc de la vigne généreuse, il lavera son habit dans du vin, il lavera son vêtement avec le sang des raisins (Moïse, I, 49, 10).» Dans la bénédiction de Jacob il y a une expression qu’on traduit par: les cabanes des filles babyloniennes, ce qui se rapporte au culte de la débauche religieuse.
Le mot est à peu près celui dont on se sert pour désigner la fête des Bosquets, célébrée aux bords des fontaines sous des tentes et des treilles, avec des danses et des chants. Le nom du fleuve Euphrate chez les Hébreux, le nom de Mabartha (chez Josephus) pour la petite ville de Sichem ou Neapolis, le mot arabe pour eau douce, tout ceci ne fait qu’un: Micha le prophète (V, 1) dit: «Et toi, ô Bethléem Ephrata, de toi va sortir celui qui sera le souverain dans Israël, qui date des temps les plus reculés de l’antiquité. » Nous voilà revenus au messie du Baalpeorisme spéculatif, avec le grand nom de l’ânesse primitive, qui se distingue tant du messie molochiste. Remarquez encore la coïncidence singulière du nom Schilo, le messie selon la bénédiction de Jacob, avec le nom Silène de la mythologie grecque, qui lui aussi se promène assis sur un âne et entouré de vignes, serviteur et ami du grand héros et dieu Bacchus-Dionyse.
Plutarque appelle cette fête des Tabernacles une fête bachique (Sympos. 4, 5) et Machabé. II, 10, 6, on lit: «Et pendant huit jours ils célébrèrent la fête des Bosquets en portant des bâtons de lierre et de beaux rameaux, aussi des branches de palmiers,» ce qui est une complète thyrsophorie grecque. Plus tard les réformateurs effaçien t soigneusement toute trace d’orgiasme religieux, et la fête parut tout à coup dans une ordonnance réformée et innocente dans le Pentateuque revisé (Moïse, V, 16, 13). L’eau joue encore actuellement un rôle considérable dans la célébration de cette fête (L’Orient, journal allemand, par le docteur Fürst) et cela selon les passages Zacharia, IX, 9; St. Jean, VII, 37; Ezech. XLVII, 1; Joel, XXXV, 6; St. Jean, XXII, 1: les allégories évangéliques qui se rapportent à tout ce cercle d’idées, sont parfaitement d’accord avec les allégories talmudistes (Gfrœrer, 2, 250; Winer, 2, 8).
L’hellénisme parle du beau parc aux roses du roi Midas, de la source Inna, mêlée de vin, du Silène enivré qui prédit l’avenir à ce roi (Creuzer, 3, 215). Cette ruse du roi est imitée par Apollonius de Tyana. Eh bien! chez les talmudistes c’est le roi Salomon qui enivre le démon Aschmedai (Eisenmeng. 1, 350). Midas règne à Gordion, son père est Gordios: Kanne a déjà relevé la ressemblance avec arod, garod, l’âne. Midas a des oreilles d’âne, il suit, monté sur un âne, Bacchus-Dionyse jusqu’aux Indes Orientales. Au-dessus du portail du grand temple hérodien à Jérusalem, on voyait l’énorme cep de vigne doré dont les raisins, de grandeur d’homme, descendaient jusqu’au sol (Winer, Dictionnaire Biblique, 2, 682): ceci appartient au culte dionysiaque.
Dans le magnifique psaume 65, 6 le poète parle des empreintes des pieds de Jéhovah, empreintes humides de graisse fertile: ceci rappelle le soulier gigantesque de Persée, long de deux aunes (Herodot. 2, 91) et le présage d’une année fertile dans le canton chemmite en Égypte, et les deux empreintes fertiles des pieds de la déesse Isis que nous montre la médaille d’Adrien: Isidi fructiferae (Creuzer, 4, 57).
Le héros Gédéon, un des Juges, détruit le molochisme; il attaque l’autel du Baal-Moloch adoré par son père Joas, nom qui est bien près du nom Jéhovah: «Gédéon, prends le petit taureau de ton père (Liv. des Juges, 6, 25-28) et l’autre taureau âgé de sept ans, renverse l’autel du Baal de ton père, et coupe l’aschera qui est debout à côté.... va, et allume, après avoir fait ceci, un feu avec le bois de l’aschera pour sacrifier.... Et le lendemain, lorsqu’on se réveilla du sommeil, on vit tout.»
Le petit taureau, dont le passage ne fait mention qu’une fois, tandis qu’il désigne l’autre taureau comme ayant été immolé, ressemble fort à une idole appartenant à Joas, idole à tête de taureau. La déesse Astaroth, dont la ville s’appelle Astaroth Karnaim «mit sur sa tête une tête de taureau pour ornement royal,» dit Sauchuniathon (Euseb., Præp. evang. 1, 10). Sans parler d’Hécate, qui appartient à une époque bien plus récente, il faut se rappeler ici que les molochistes représentaient le principe molochiste non-seulement sous la forme d’un homme, mais aussi sous celle d’une femme; par exemple dans la Crimée, peuplée de factories phéniciennes, la fameuse Diane de Tauris à laquelle Iphigénie doit être immolée, est un monstre si hideux avec sa tête de taureau barbouillée de sang humain, que qui la regarde en face, tombe en démence.
La Diane de Sparte, que les Spartiates eux-mêmes se vantent d’avoir reçue de la Crimée, s’appelle Oupis; elle aussi rend les adorateurs insensés et assassins, elle aime le sang humain, elle fait annuellement fustiger jusqu’au sang des adolescens devant son idole. On l’appelle Orthia, Orthosia, celle qui reste debout, Aschera en hébreu, une colonne, un tronc d’arbre avec une tête. Ce Moloch de sexe féminiu s’appelle aussi Lilith, à ce qu’il paraît, d’un mot hébreu qui signifie la nuit, un spectre malfaisant des Orientaux, semblable aux lamies, aux empouses, aux mormolykées des Grecs; il fait dans la nuit la chasse aux enfans, et comme tel on le nomme aussi Miphlezeth, l’effroi. En Égypte elle s’appelle Nephtis la méchante ou Aphrodite des Ténèbres, opposée à Isis; on l’appelle Vénus parce que épouser à une idole veut dire se sacrifier à elle; ainsi les galles, prêtres d’Attis et de Cybèle, de gaal, hébr. se marier: Attis peut-être de chathan, le fiancé ; ils sont appelés aussi Kybèbes, de chuppa, hébr. lit nuptial, chibbub le bien-aimé ; ainsi Moïse, II, 4, 26, appelle fiancé de sang l’enfant qui va être circoncis, et les Turcs, les Arabes, les Perses appellent mariage mystique la circoncision selon l’islam. Les galles, après s’être rendus eunuques, s’appellent donc les fiancés mystiques de la déesse; il en est ainsi, ce me semble, quant à cette Aschera (Liv. des Rois, 2, 23, 7) et dont les quatre cents prêtres-eunuques font le cortége de la reine juive Jésabel (Liv. des Rois, 1, 18, 19), on les y énumère à coté de quatre cent cinquante prophètes du Baal. Ces combabes ou prêtres-eunuques avaient, comme on sait, un amour réputé sacré pour des femmes sacrées (Lucian. de Dea Syria, 22; Creuzer, 3, 61; Movers, 686); mais ils ne cessaient jamais de se martyriser en dansant par des blessures plus ou moins graves, comme aujourd’hui encore la tribu des Minetares en Amérique septentrionale, qui une fois par an s’imposent des tourmens atroces en dansant. Quant à moi, je ne vois dans toutes ces religions que l’adoration du Principe destructeur de la Nature, et l’oubli plus ou moins grand du Principe producteur et conservateur. (Ces religions sombres et haletantes d’effroi se combinent quelquefois avec des religions qui adorent le Principe contraire, mais en ce cas le résultat est toujours l’orgie religieuse, l’orgiasme; les Phéniciens, à ce qu’il paraît, en fondant leurs colonies et factories avaient soin d’établir partout non-seulement le culte cannibale du Moloch comme un épouvantail pour les marchands et les pirates des autres nations dont ils craignaient la concurrence, mais aussi n’oubliaient-ils point, dans le dessein d’attirer les indigènes, d’y introduire le culte de la débauche dans les temples, le culte de la déesse Astarte; ainsi dans plusieurs îles de l’archipel, en Sicile, à Carthage, à Cadix, etc. Voyez Bœtticher. Note du traducteur. )
Dans le christianisme des catholiques, nous rencontrons également ce principe destructeur, anti-naturel, pour ainsi dire: il serait de la dernière absurdité de vouloir voir la base théorique du système monacal, de l’abstinence anti-naturelle et de la mortification charnelle, dans une secrète vénération du principe producteur de la nature; de même comme la castration religieuse dans le système kybélique ne peut s’expliquer que par la haine métaphysique qu’il portait à la force génératrice de la matière organique. (L’homme sacrifie à ses dieux, et ce qu’il estime le plus, et ce qu’il déteste le plus. Note du trad.)
Le nom Jéhovah est interprété, on le sait, Moïse, II, 3, 14: «Et Dieu dit à Moïse: Je suis celui qui est (ou: Celui qui je suis), tu diras aux enfans d’Israël: Je suis m’a envoyé chez vous!» Cette formule est vraiment l’expression la plus abstraite qu’on puisse imaginer de la parfaite égoïté, c’est-à-dire de l’Égoïsme qui nie et renie tout, excepté lui-même; c’est le Principe négatif, c’est le Mal.
Après avoir trouvé des traces si nombreuses du culte de l’âne dans le livre des Juges, on n’en trouve presque aucune dans les annales hébraïques postérieures à cet ouvrage. Nous voyons plus tard le molochisme, rétabli par Samuel et David, et le péorisme, dans le royaume d’Éphraïm, également combattus et tenus en échec par le jéhovisme réformé des prophètes. Quant au culte éphraïmite, les deux veaux d’or du roi Jéroboam Ier ont plutôt été deux ânes d’or. En arabe il y a un mot qui signifie à la fois cheval, taureau, poulain d’âne, hyène (Lexic. Freitag, IV, 4, 12), avec quelques modifications légères dans la prononciation , et Hosea le prophète (8, 5; 9, 10; 8, 9; 10, 5) se prononce constamment d’une manière qui fait voir le péorisme orgiastique de ce culte d’Éphraïm. Les éphraïmites, de leur côté, ont imité ce que les réformateurs avaient fait: ils ont revisé l’ancien texte du Pentateuque.
Les Livres de Moïse sont donc un composé de péorisme, de molochisme et de jéhovisme réformé, comme les Livres de l’Évangile. Voyez, par exemple, Moïse dans son enfance: il réunit le caractère du Krishna indien, du Dionyse hellénique, et de l’Homme-Dieu évangélique; il échappe au massacre des enfans comme le Christ et Krishna de l’Inde; Pharaon joue ici le rôle d’Hérode et de Cansas l’Indien; l’enfant flotte sur l’eau dans une boîte comme Dionyse-Bacchus, selon la légende brasienne (Pausan., 3, 24); il frappe le roc de son bâton et en fait jaillir un ruisseau, comme le dieu Dionyse à Cyparisses (Pausan., 4). Les réviseurs des anciens Codes n’ont pas effacé les noms des grands molochistes Abraham, Moïse, Samuel, David, parce qu’ils les trouvaient trop enracinés dans la mémoire de la nation; ils n’ont pas non plus osé représenter ces héros comme des cannibales et des impies; mais quant à Salomon et ses successeurs, on n’avait plus besoin d’une précaution semblable; Jésus Sirach pouvait donc écrire (44-50): «Maintenant disons les louanges des hommes célèbres, les ancêtres de notre nation.» Il énumère avec beaucoup d’éloquence une série magnifique d’anciens Israélites, où l’on voit pêle-mêle les noms des molochistes et des anti-molochistes.
Encore un mot. La religion cannibale de la race sémitique, que nous trouvons partout en lutte avec les religions des races occidentales, lutte allégorisée par les voyages et les combats miraculeux d’Héraclès le Phénicien et d’Héraclès le Grec, avait évidemment établi son règne aussi dans la ville de Troie. Les dieux gardiens de cette peuplade, selon Homère, sont évidemment Apollon, sa mère et sa sœur (Iliade, 5, 446; 7, 81); le dieu du feu est mentionné (5, 9) comme protecteur d’un riche Troien, adorateur du feu; le dieu des eaux, Neptune, protége les Grecs et combat à outrance les Troiens. Le chef des héros helléniques a un cheval qui parle comme l’ânesse de Biléam, de l’ennemi du Moloch. Le chef des héros asiatiques, Hector, porte un nom semitique: Chek, le trou d’un autel dans lequel on allume le feu sacré, et tor, bœuf, taureau; ainsi des autres noms Troiens: Corythos (cor, fournaise, et ud, tison) est un nom souvent répété dans le mythe troien. Paris: par, le taureau, comme l’idole du moloch, en Crète et en Sardaigne, s’appelle le taureau tout court. Ce Paris, qui possède un taureau dont il fait grand cas (Hygin. 91), est mythiquement confondu avec le dieu Apollon-Moloch. La princesse grecque Hélène n’est enlevée que pour être mariée avec Paris, c’est-à-dire immolée devant l’autel de l’idole à tête de taureau, comme Iphigénie devant l’idole de l’Artémis sur la presqu’île Taurienne, et il existe (chez Ptolém., Heph., 4) en effet un mythe qui parle de l’immolation d’Hélène devant l’idole de cette Artémis Taurienne. Un autre mythe dit qu’elle n’est jamais partie pour Troie, et que le prince Paris a reçu, au lieu d’elle, une image enchantée, comme dans les contes féeriques de l’ogre Barbe-Bleue (Grimm, les Contes allemands, 46; 3, 76), ce qui signifie un radoucissement des mœurs molochistes; comme depuis le roi Amasis, l’Égypte n’immole que des poupées de cire (Euseb., Præp. évang., 4, 18), et la statue d’argile d’une jeune fille, qu’on baptise du nom la Fiancée avant de la précipiter dans les flots du Nil; comme les Romains jettent dans le Tibre, au mois de mai, les soixante statuettes d’osier (Plutarch., Qu. R., 32; Ovide, Fast., 5, 621) qu’on nomme argei, et qui ont une forme humaine; c’est pour remplacer les prisonniers grecs qu’on y avait jadis noyés. L’oligarchie sacerdotale qui gouverne la ville des Troiens parait avoir refusé l’image d’Hélène en réclamant la princesse elle-même pour l’immoler: voilà la cause de la guerre. Les Hellènes auraient donc ainsi, les premiers, attaqué et brisé le joug asiatique du sacerdoce inhumain, dont les horreurs toutefois se perpétuèrent très longtemps: les Locriens, par exemple, décimés par une épidémie, s’adressent à l’oracle et apprennent qu’ils devront désormais envoyer à Ilion-Troie deux filles vierges par an (Serv. ad Virg., Enéide, 1, 45, ne parle que d’une vierge), ce qui fut régulièrement fait jusqu’à la guerre hellénique dite la sainte, c’est-à-dire pendant beaucoup de siècles. Si ces deux vierges locriennes étaient entrées au temple intérieur sans être aperçues, on en faisait deux servantes de l’idole; si elles avaient eu le malheur d’être vues, on les tuait et jetait leurs cendres à la mer (Müller, Orchomenos, 167). On veut immoler Hélène parce qu’elle est la plus belle; le démon malfaisant connu sous le nom du héros de Tecmesse, ville grecque en Italie, ne peut, selon l’oracle de Delphes, être réconcilié avec les habitans, que par la fondation d’une forêt sacrée et d’une chapelle dans laquelle doit être tuée une fois par an la plus belle vierge du pays; ce kakodémon est peint comme un monstre noir, à tête humaine, et enveloppé d’une peau de loup. Or Apollon, plus tard le dieu du soleil, est appelé dans l’Iliade (1, 17; 15, 305) Skiallios, le Ténébreux, et Lykeios (Lyké), le Sombre; Lykegenès, le Fils des Ténèbres. Lykos, le loup, cette bête fauve qui aime à faire ses ravages dans la nuit, est l’allégorie animale pour Apollon et Léto, sa mère; une déesse, dont le nom (de lathein, lethos en grec, latere, latona en latin) signifie l’obscurité, et dans le langage de l’Orient: un fils des ténèbres veut dire être ténébreux, sombre. La déesse Léto vient, sous forme d’une louve du pays septentrional, chez les habitans de son île sainte, Délos; dans l’enceinte de l’oracle delphien on voit un loup de bronze, et Apollon, Lykeios; avec son loup, sont érigés en monument de bronze sur la place publique de la ville d’Argos. Apollon lui-même signifie le destructeur, on l’appelle Oulios, ce qui revient au même; la prêtresse Cassandre (Eschyl., Agamem., 1081) s’écrie en désespoir: «Apollon, toi mon guide et mon Apollon» (c’est-à-dire destructeur). Ce dieu terrible, en langue sémitique Schaddaï ou Jéhovah, sait manier l’égide et les flèches mortelles, qui tuent à coup sûr, soit par des blessures, soit par la peste qu’elles font naître; voyez le commencement de l’Iliade. Sa sœur Artémis, l’éternelle vierge, est ce que les Hindous appelleraient la Sakli d’Apollon, une Apollouse, c’est-à-dire l’image femelle du même principe destructeur dont Apollon est l’image mâle; elle est tout à fait autant féroce que son frère. Elle et lui assassinent les nombreux enfans de Niobé ; Niobé est un symbole de la nature génératrice. Apollon assassine Marsyas le Silène, autre symbole de l’abondance végétative et animale.
En Achaïe, l’idole de l’Artémis Triclarée voit couler une fois par an le sang du plus beau garçon et de la plus belle fille, qu’on tue devant l’autel (Pausan., 7, 19) depuis qu’une peste avait ravagé le pays. Chez quelques tribus des Marattes dans l’Inde orientale, on immolait encore en 1816 des garçons et surtout des filles de grande beauté, après les avoir abondamment nourris pendant quelques mois (Magasin des missions de Bâle).
Le culte de l’eau et du cheval, opposé à celui du feu et du taureau, se trouve chez les Hellènes allégorisé aussi sous la forme du bon et savant Chiron, moitié homme, moitié cheval, et des autres centaures dont le nom signifie ennemi du taureau (Keno, Tauros), et qui portent des haches qui tuent les taureaux (bouphonous pelekeis), Les centaures frappaient les idoles molochistes à têtes de taureau, comme les grands héros helléniques Bellérophon, Thésée et Héraclès frappaient les monstres molochistes Chiméra, Minotaure et Kakos.
Le centaure Chiron, au pied du mont Helicone, est évidemment une figure très importante de l’hellénisme: il sait tout, il enseigne tout, il est généreux et doux, il se fait instituteur des grands héros nationaux Pélée, Achille, Thésée, Jason; la jurande, l’association sacrée, des Chironides est célèbre dans l’art de guérir . Le centaure Pholos est aussi glorifié dans les annales mythologiques de la Grèce.
La haine que le dieu de l’eau porte à Odysseus s’explique par l’adoration dont Apollon, le dieu du feu, jouit dans le royaume d’Ithaque. Odysseus (de odyo, odysso) veut dire celui qui fait de la douleur; ce roi assassinant les princes qui veulent épouser la reine Pénélope, est assisté par Apollon, c’est la fête d’Apollon; cette Pénélope ressemble beaucoup à Sara, dont les galans sont égorgés par le démon Asmodi (Livre de Tobie, 3, 7), et elle peut bien avoir été un moloch féminin, auquel on sacrifie des amans, c’est-à-dire des victimes humaines. La description homérique de ce massacre est d’une barbarie trop sauvage pour ne pas être d’origine sémitique (Odyssée, 20, 347): «Et déjà ils rirent tous avec des figures bizarrement grimaçantes;» c’est le fameux rire sardonique dans le rite molochiste, qui éclate sur les lèvres des victimes martyrisées.
Je répète encore une fois, pour éviter tout malentendu, ce que j’avais dit plus haut: le terrible molochisme jéhoviste s’est éteint depuis bien des siècles, et si plus tard quelques sacrifices humains ont eu lieu, il serait de la dernière iniquité d’en accuser les Israélites en général: il est évident, à mes yeux, que ce n’a été qu’une très petite minorité, qu’une secte fanatique, ou plutôt qu’une réunion plus ou moins fortuite de quelques fanatiques, qui par ci, par là, si je dois le croire, ont célébré une fête molochiste. Voyez du reste mes Mystères du christianisme .
L’ÉGYPTE EN AMÉRIQUE.
Je me suis proposé de chercher les rapports qui existent entre le sémitisme et l’américanisme; je crois en avoir trouvé assez pour pouvoir les soumettre aux yeux du public. En voici un fragment .
Le fameux voyage d’Israël d’Égypte en Palestine, qui dure quarante ans selon la Bible, est surtout inexplicable à cause de cette série inconcevable de stations, qui sont en contradiction si flagrante avec la géographie du pays. Les chrétiens ont tort de regimber contre ce que leur raconte la tradition des Hébreux; l’imagination mythologique d’une nation n’embellit et fait grandir dans sa mémoire que ce qui fait honneur à cette nation. Jamais vous ne la verrez occupée de donner des dimensions plus étendues à ce qui ne flatte pas l’ambition nationale, et certes la migration d’Israël au désert contient assez peu de ce qui peut flatter.
L’Égypte dont le Pentateuque nous parle, peut bien être un pays tout différent de celui qu’on connaît depuis sous ce nom. La Bible mahométane (Sure, 18, 247 trad. p. Wahl) dit: «Moïse dit à son serviteur: Je vais partir et voyager jusqu’à l’endroit où les deux mers mêlent leurs eaux; je voyagerai pendant longtemps, pendant quatre-vingts longues années.» La direction du voyage d’Israël est vers le nord, Baal-Zephon, comme s’exprime Moïse, II, 14, 2 et Moïse, IV, 33, 7; Baal se place en hébreu ordinairement à la tête d’un nom géographique, et Zephon signifie le septentrion. Le célèbre historien arabe Tabari dit qu’Israël, pour traverser la mer, se dirigeait vers le nord, et que dans les nuits ils avaient pour guide une lumière boréale (les Contes et les Mythes de l’Orients en Allem. 1813, Stuttgard). Israël avant d’arriver à la mer dite des Roseaux, vient d’abord à la mer tout court (Moïse, 8; 11 dans l’énumération des stations du voyage). Le détroit de Behring entre la Sibérie et l’Amérique septentrionale, on le sait, se couvre parfois de glace, et en le traversant, Israël aurait eu assurément le droit de dire: «J’ai traversé les eaux de la mer sans mouiller mes pieds (Moïse, II, 14, 16, 21, 22).» Et non-seulement les Hébreux, aussi les Hindous, les Hellènes, les Colchiens, les Afganes, les montagnards du Caucase, les Zigaïnes (c’est-à-dire Bohémiens), même les Irlandais prétendent être d’origine égyptienne; ce qui est passablement ridicule, si nous n’admettons qu’un seul pays appelé Égypte. Les Afganes, par exemple, se nomment entre eux les enfans d’Israël, «mais, dit le missionnaire protestant Wolff (qui est lui-même d’origine israélite), je ne veux point croire que ce peuple tire son origine des Israélites exilés; les Afganes n’ont pas en général la physionomie israélite, et la plus grande confusion règne dans leurs registres généalogiques et leurs blasons; il y en a parmi eux qui descendent, disent-ils, des Coptes égyptiens. L’idiome afgane ressemble médiocrement à celui des Hébreux (Magasins des Missions, Bâle, 1837, p. 701).» Il en est de même quant aux Ossètes du Caucase, chez lesquels se trouvent beaucoup d’usages israélites; ils ressemblent en même temps aux anciens Germains. Ne serait-il pas permis d’admettre l’immigration commune des races sémitiques du fond de l’Amérique? — Aron Levi-Montesinus, voyageur israélite du XVIIe siècle, rencontra en Amérique des tribus qu’il appelle israélites; et en effet, quand on lit sa description, il devient difficile de prouver le contraire (Rabbi Manasse, Mikveh Israël, c. 20, fol, 6, 1, col. 2. — Eisenmenger, 2, 571. — Noah, 24). Ce voyageur regrette de n’avoir pu s’entendre avec les Américains sauvages israélites: «Ils étaient, dit-il, fort enchantés de me voir, ils me serraient dans leurs bras, ils me donnaient même des baisers, mais il n’y avait pas moyen de comprendre leur idiome, et c’est alors que je me suis mis en colère.» La critique en doit conclure, ce nous semble, à la véracité du rapporteur: s’il avait voulu mentir, il n’aurait point renfermé son mensonge dans un cercle si étroit .
Remarquez en outre, qu’en sémitique comme eu américain on trouve souvent la troisième personne des verbes sans prothèse pronominelle, tandis qu’elle existe dans les autres langues (Vater, Recherches sur les populations américaines); il y a chez les Sémites comme chez les Américains des systèmes réguliers de conjugaisons avec des significations modifiées: par exemple, première conjugaison en hébreu appelée KAL: katal, tuer, En aravac américain assukussun, laver. — Deuxième conjugaison en hébreu appelée NIPHAL: niktal, être tué. En aravac américain assukussahun, être lavé. — Troisième, quatrième conjugaison en hébreu appelées PIEL et HIPHIL: kittel et hiktil, faire tuer. En aravac américain assukussukuttun, faire laver. — Cinquième conjugaison en bébreu appelée HITHPAEL: hithkat tel, se tuer. — En avarac américain assukussunua, se laver (Quandt, Renseignemens sur Surinam, 1807: tous les verbes des Aravacs peuvent être mis en hiphil). Je prie le lecteur de lire les comparaisons de mots africains et américains dans les auteurs allemands suivans: Vater, W. von Humboldt, Heckewelder, Renseignemens sur les populations indiennes, Baumgarten, Histoire universelle des nations et contrées américaines, Kielmaier, Murr, Voyages de quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus, et dans les auteurs étrangers que voici: Barrère, Description de la Guiane, Assal, sur les habitans primitifs des Amériques, Carver, Voyage aux régions intérieures de l’Amérique septentrionale. — Les formes rhétoriques offrent des ressemblances extraordinaires: Robertson, Histoire de l’Amérique 1, 462; Hechewelder, p. 213, 219, 264, 20; Carver, 262, 339; Loskiel, Histoire des missions, 61,188,198; comparez l’Ancien-Testament, Micha, 3,2; Jerem., 50, 17, Hiob, 30, 29; Proverb., 18, 9; Moïse, V, 32,4: 31, 37; IV, 14, 9; V, 7, 16; et les Psaumes, 27, 2; 17, 8; 36, 8; 57, 2.
William Jones cite plusieurs légendes des Hindous, selon lesquelles jadis des prêtres égyptiens se fixèrent dans l’Inde; un pandite indien se prononça même de la manière suivante: «Il y a deux Égyptes (deux Misr): l’une vers l’Occident, appartenant aux mahométans, l’Égypte ou le Misr africain; l’autre vers le Nord, au-dessus d’Ajodya, dans les montagnes, et c’est celui dont font mention tous les Sastras et tous les Puranas» (Traités sur l’hist. et l’antiquité de l’Asie, Riga, 17-95). Il serait difficile, ce nous semble, de placer cette autre Égypte en Asie. A plusieurs reprises on a déjà essayé de démontrer l’origine égyptienne des anciens Mexicains; pour nous, il est plus facile de prouver l’origine américaine des Sémites, peut-être même des anciens Égyptiens. La ressemblance entre les institutions et monumens de l’Égypte et du Mexique est trop connue pour être répétée ici. Quant à la fameuse tour de Babel avec sa confusion des langues, elle est une allégorie parfaitement applicable aux Américains indigènes (Vater, Recherches, 92; Jefferson, On the state of Virginia).
On trouve, en groupant les idiomes des peuples américains à côté de ceux des peuples asiatiques, que le rapport est comme de vingt à un, c’est-à-dire vingt idiomes américains tellement différens qu’il n’y a pas la moindre ressemblance entre eux. Sous les auspices de l’évêque Urbain de Matha, un rapport espagnol fut publié qui dit: «Les tribus comprises sous le nom commun de Morès parlent trente-neuf langues complétement dissemblables; c’est évidemment l’ouvrage du Démon, qui, par ce moyen, avait espéré d’empêcher la propagation du christianisme.» Don Clavigero, né au Mexique, compta trente-cinq langues encore existantes, et les Portugais du Marannon en comptèrent cent cinquante au commencement du XVIII° siècle; Humboldt compta deux cents idiomes différents parmi 80,000 individus; les hommes et les femmes, dans la Caraïbie, parlaient deux langues différentes, et ainsi de suite.
Le mythe allégorique de la tour de Babel se rencontre chez la tribu américaine dite les Indiens à côtes de chien; ils ont aussi les autres mythes bibliques de la création, du péché originel, de la perte de l’immortalité, des ténèbres égyptiennes (J. Athearn Jones, Traditions of the Northamerican Indians, 1830, London) et du déluge. Le mythe du déluge existe sous une forme vraiment sémitique, biblique et hellénique, avec les anecdotes d’un Deucalion et d’une Pyrrha, chez plusieurs tribus de l’Amérique équinoxiale (Humboldt, 3,406, et Salvator Gily); au lieu des pierres jetées en arrière par le Deucalion grec, le Deucalion américain lance les fruits et les noyaux du palmier dit Mauritia, et, nous osons le dire, le nom Deucalion se rapproche singulièrement du nom Tacullies, c’est-à-dire voyageurs sur l’eau, que se donnent les habitans de la Calédonie occidentale aux bords de l’Amérique septentrionale. La création biblique de la lumière avant le soleil, la naissance d’une Ève de la côte de l’homme endormi existe chez les Caraïbes (Delaborde, Voyage); le serpent de la Bible y est remplacé par le renard (Quands, Sur le pays de Suriname). Les anciens missionnaires français nous racontent les mythes du déluge, des géans péruviens détruits par la foudre à cause de leurs péchés.
Les Iroquais connaissent le fleuve de l’Enfer grec et hindou; ils connaissent la tortue allégorique des Hindous, qui porte sur son dos la terre (Bohlen, L’ancienne Inde orientale, 1,217.) Ce grand savant se trompe, les Américains connaissent parfaitement la tour de Babel, la confusion des idiomes, le nom de Jéhovah. Parmi la nation, maintenant éteinte, des Lennapés ou Delawares (États-Unis de l’Amérique septentrionale), il y avait une tribu appelée la Tortue, qui jouissait de la plus haute estime, à cause de sa parenté avec la tortue qui porte sur son dos le monde, et dont les mouvemens provoquent les tremblemens de terre (voyez Louis Hennepin, Nouveau voyage dans un pays plus grand que l’Europe, 1698, Utrecht). Humboldt a démontré la ressemblance qu’il y a entre l’almanach des Toltèques mexicains, le catastérisme de leur zodiaque, leur tradition sur les quatre régénérations de la terre, et celle des races tartares et tibétanes, hindous et helléniques; il trouve que les manuscrits mexicains (de la bibliothèque de la ville de Dresde) ressemblent, par leurs symboles linéaires, singulièrement aux kouas des Chinois. «Don Gabriel de Cabrera, dit Humboldt (Voyage aux régions équinoxiales, 6, 179), trouva chez les habitants de Cuba le mythe de Noah, inventeur des boissons fermentées. Ce mythe caraïbe peut très bien être regardé comme une des analogies si nombreuses qui existent dans les mythologies des deux continens de notre globe.» Le chancelier d’Autenrieth a déjà proposé de chercher dans l’Océanie méridionale l’origine du genre humain et le paradis biblique (Discours sur l’homme, 1826, Tubingue; Hang, Hist. universelle, 1841, Stuttgart).
Les mythes de l’île Java parlent boaucoup d’un vaste continent détruit, et l’abondance magnifique d’une végétation qui produit le pisang et l’arbre à pain, peut très bien avoir servi de berceau à notre espèce naissante. On a peine à comprendre tout ceci, quand on ne quitte pas le point de vue traditionnel; pour moi, je suis convaincu de l’existence d’un passé où le continent que nous appelons le vieux était le nouveau, et vice versa, où le continent dit nouveau était le vieux. Il faut enfin, pour ainsi dire, changer d’hémisphère si nous voulons un jour comprendre et embrasser l’ensemble de l’histoire humaine. La civilisation antique de l’Asie et de l’Afrique n’a été qu’un reflet, qu’un écho de la civilisation antédiluvienne d’une Amérique antéhistorique, d’une Australie, d’une Océanie continentale, qui est descendue au-dessous du niveau de la mer par suite d’un affaissement local de l’écorce du globe, affaissement dont la géologie actuelle saurait très bien fournir l’explication théorique. Les îlots dans la mer Pacifique ne sont que les montagnes de ce continent noyé. Il me paraît au moins infiniment difficile de prouver la fausseté de mon opinion.
Platon parle du mythe des prêtres égyptiens (Critias, éd. Becker, 158), qui donne comme modèle de toutes les institutions d’Égypte celles de l’île Atlantis et d’une ville très puissante nommée Athènes, située en face de l’île sur le continent. Il serait ici de la dernière absurdité de penser à Athènes la grecque, tandis que (Heckenwelder, 188) Athènaï se retrouve dans le mot américain Otaeney, qui signifie la ville; la déesse Pallas d’Athènes ressemble à palla, titre d’honneur donné aux dames de la famille royale en Pérou; Pélé est le nom de la grande déesse aux îles Sandwich: comparez Baal, en hébreu le souverain; baalah, la souveraine (dont les mythologistes grécisans ont fait la Baaltis); enfin Bel ou Belos, le dieu principal des Babyloniens, et Babel (Babylone), le château du dieu Bel. Le mythe atlantique de Platon parle des dix fils d’un roi qui gouvernent les dix parties de l’île, comme les tribus d’Israël; le plus âgé des dix frères, Atlas, a le premier rang; un de ses frères s’appelle Gadeiros, en grec Eumelos, c’est-à-dire riche en moutons, et gader, yederah, en hébreu, signifie le mur érigé par les bergers pour protéger leurs troupeaux; un autre frère s’appelle Eudémon, le bienheureux, comme Gad et Ascher en hébreu, qui sont en même temps les noms de deux tribus israélites; les mots Atlantis, Atlas (génitif Atlant) ont une ressemblance singulière avec Atztlan, patrie primitive des anciens Mexicains; nous lisons (p. 171) d’une solennité pontificale de tous les dix chefs réunis, comme Moïse, II, 24, 4-5, et de l’exécration lancée contre les réfractaires, comme Moïse, V, 27, 11.
Ce qui avant tout doit faire réfléchir mes adversaires, c’est la co-existence des trois races principales du genre humain dans l’Océanie; Autenrieth insiste sur ce fait avec raison. — Abraham n’a peut-être jamais quitté le continent océanien: molochiste qu’il était, natif d’Ur (l’île volcanique Hawaji d’aujourd’hui; ur en hébreu, le feu; Hawaji veut dire dans l’idiome insulaire l’île de l’eau, ce qui dénoterait le remplacement du culte du feu par celui de l’élément opposé ) son culte s’explique très bien par la nature de ce sol océanien qui même actuellement encore n’est qu’une immense fournaise souterraine depuis la Kamtchatka jusqu’à la Nouvelle-Zélande, et depuis Japan jusqu’aux Cordillières, où des îlots montent et disparaissent, des cratères se changent en lacs, des lacs en cratères, et des villes entières sont englouties, comme Callao en 1746, etc. .
La laugue de Tahïti ressemble beaucoup à celle d’Israël: arucha, salut, dans l’une et dans l’autre (M. Daumer remplit deux pages et demie d’exemples lexicographiques). La circoncision d’Israël et des Égyptiens existe chez les Tahïtiens; les derniers avaient même un nom de réprobation pour un homme non circoncis (Autenrieth, sur la circoncision; Cook, troisième voyage). Les Ténèbres égyptiennes avec les autres phénomènes si terribles dont parle le Pentateuque, sent probablement le souvenir abrégé et mythisé, pour ainsi dire, des grands bouleversemens du sol et de l’atmosphère, qui forcèrent des peuplades américaines d’émigrer vers le nord, d’où plusieurs, les Toltèques, les Atztèques mexicains, retournèrent vers le midi de l’an 600 à 1300 de notre ère). — L’embaumement des morts existe chez les Péruviens-Incas et aux îles de la Kamtchatka; les Incas, dit Garcilasso, ont trouvé des monumens magnifiques en prenant possession du Pérou; des monumens inférieurs aux monumens d’Égypte, mais tout aussi intéressans, s’étendent d’Essequibo au Yupura, dit Humboldt (Vues de la Nature 1,177), restes d’une civilisation antérieure à l’invasion de l’océan aux Antilles.