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VIE DE BYRON

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Il est certains hommes qui jouissent du dangereux privilége de pouvoir tenir leur imagination presque toujours distraite des intérêts de la vie privée, et qui, dévorés de passions, trouvent partout de nouveaux alimens à l'activité naturelle de leur ame. Génies indépendans, ils ne savent pas transiger avec les nécessités de l'état social; toute espèce d'entrave ou d'injustice les révolte. Surtout, ils sont tourmentés du désir de pénétrer les profonds mystères de la nature humaine; et, ne pouvant se contenter des joies de l'ambition, de la richesse ou de l'amour-propre, ils demandent à l'univers entier des jouissances plus solides, ou des croyances métaphysiques plus satisfaisantes. Mais, comme si la voix de la raison se joignait à celle de toutes les religions positives, pour nous interdire la recherche des vérités d'un ordre élevé, il est rare qu'ils ne retirent pas de leurs sublimes contemplations de plus grands doutes et de plus vives inquiétudes.

De tels hommes seraient bien à plaindre s'ils n'avaient aucun moyen de soulager leur cœur de toutes les pensées qui l'oppressent: mais le talent de peindre avec vérité leurs sentimens est, pour ainsi dire, la conséquence de leur caractère; et si leur passage sur la terre est ordinairement douloureux, du moins naissent-ils pour recueillir l'admiration et faire les délices de leurs semblables.

Si jamais quelqu'un avait reçu en partage le génie poétique, c'était sans doute l'auteur de Childe Harold et de Don Juan. Non-seulement Byron était né poète, il vécut encore en poète: jamais il ne contempla l'univers qu'à travers le radieux prisme de la poésie; et tandis que les esprits les plus heureusement nés laissent souvent flétrir dans les intérêts mesquins de la société leurs plus fraîches inspirations, Lord Byron alla jusqu'à sacrifier à sa vocation (et qui maintenant oserait le lui reprocher?) tous les liens de famille et de patrie. Ainsi, la vie la plus orageuse et la plus indépendante alimentant sans cesse le feu divin qui l'embrasait, il en résulta que, pour donner à la poésie le plus sublime essor, il n'eut besoin que de recueillir les sensations que tout ce qui l'environnait semblait, comme à l'envi, lui offrir.

Il faut remonter au-delà des Normands pour arriver à la source de l'illustration des Byron. Déjà puissante dans le XIIe siècle, cette famille est originaire de la province du Périgord3. En France, ses branches diverses s'éteignirent vers le milieu du XIIIe siècle dans la personne d'une fille qui, en épousant un Gontaut, transporta dans cette dernière maison l'héritage et le surnom des Byron. Mais une autre branche avait suivi la fortune de Guillaume-le-Bâtard, et, dès les premiers tems de la conquête, on la trouve en possession de vastes domaines dans le duché de Lancastre et dans les comtés d'York, de Nottingham et de Derby: on les voit sur les champs de bataille de Créci, de Poitiers, de Bosworth; et, à l'époque des guerres civiles, on les compte parmi les plus ardens défenseurs de la cause royale. Notre poète aimait à rappeler la gloire de ses premiers ancêtres; son respect pour leur mémoire est même consigné dans les premières stances des Heures de loisirs4.

L'élévation des Byron à la pairie date de 1652. William, cinquième Lord Byron, ayant, en 1765, à la suite d'une querelle, tué M. Chaworth, l'un de ses proches parens, fut enfermé à la Tour de Londres, et peu de tems après déclaré, dans la chambre haute, coupable d'homicide; mais ayant réclamé son privilége de pair, le jugement n'intervint pas. Il était si loin de rougir d'avoir tué ce M. Chaworth, spadassin de profession, qu'il porta toujours une sorte de culte à l'épée dont il s'était servi pour le frapper. C'était, au reste, un de ces hommes singuliers plus communs en Angleterre que dans aucun autre pays. Il consuma les longues années de sa vieillesse dans le château de Newstead, ancienne abbaye de chanoines réguliers de saint Augustin, devenue, depuis Henri VIII, la principale résidence des Byron; et c'est là qu'ayant pris en horreur tous les hommes (particulièrement tous les membres de sa famille), son occupation favorite était d'apprivoiser plusieurs grillots: il était parvenu à les habituer à recevoir ses caresses ou ses châtimens; quand leur familiarité devenait excessive, il les fouettait avec des brins de paille réunis. William mourut en 1798, sans laisser ou ressentir, en quittant la vie, le moindre regret.

Il n'avait pas d'enfans, et son frère, le célèbre commodore Byron, malheureux dans sa famille comme dans ses voyages, n'avait laissé qu'un fils, dont les intrigues galantes avaient été le scandale des trois royaumes. John Byron épousa d'abord lady Carmarthen, quand la publicité de ses coupables liaisons avec cette dame eut amené un divorce entre elle et son premier mari. Après sa mort5, il avait aimé, enlevé et épousé miss Catherine Gordon, riche héritière du duché d'Aberdeen, et descendue en ligne droite du roi d'Écosse, Jacques II. Mais en quelques années il eut dévoré le patrimoine de sa nouvelle femme: obligé de quitter l'Angleterre, il était mort à Valenciennes en 1791, n'ayant plus conservé, depuis sa fuite, les moindres rapports avec sa femme et le fils unique qu'il avait eu d'elle.

Ce dernier était notre poète. Georges Byron Gordon naquit le 22 janvier 1788, à Londres suivant les uns, à Marlodge, près d'Aberdeen, suivant les autres, et enfin à Douvres suivant M. Dallas. C'est aux Anglais qu'il appartient de rechercher le lieu qui peut réellement se glorifier d'avoir vu naître Lord Byron. Nous remarquerons seulement qu'on ne doit pas s'étonner de lire dans les écrivains de l'antiquité que plusieurs villes se soient disputé l'honneur d'avoir été la patrie d'Homère, puisque la même incertitude enveloppe, à nos yeux, le berceau du plus illustre barde contemporain.

Ce qu'il y a de certain, et ce qu'il est plus important de mentionner, c'est que les premières années du jeune Gordon se passèrent dans une campagne située à quelques milles d'Aberdeen. Demeuré la seule consolation de sa mère, il en devint bientôt l'idole; et, grâce à de nombreux signes d'une constitution délicate, madame Gordon, au lieu de lui faire apprendre à lire, le laissa jusqu'à neuf ans gravir à son gré, du matin au soir, les monts neigeux, hérissés et pittoresques, qui font de l'Écosse le pays le plus inspirateur de l'Europe. Bien qu'il eût un léger défaut de conformation dans l'un de ses pieds, c'était le plus infatigable, le plus agile de tous les enfans de son âge; et sa mère, en le voyant chaque soir revenir les habits en lambeaux et les membres déchirés, ne pouvait s'empêcher, comme la mère de Duguesclin et de Henri IV, de se plaindre au ciel de lui avoir donné un si méchant et si remuant enfant. «Ah! mon fils, s'écriait-elle dans sa douleur, vous serez bien un jour un vrai Byron!»

Ainsi, comme Walter Scott et Campbell, Lord Byron fit ses premières études (celles peut-être qui ont sur le reste de la vie la plus ineffaçable influence) au milieu des montagnards de l'Écosse. Chaque jour sa jeune imagination ruminait des chants mélancoliques, de vieux et héroïques récits, et des superstitions pleines de poésie. On respire d'ailleurs, sur les montagnes, je ne sais quel air de liberté, dont il serait également impossible d'expliquer la raison, ou de contester l'influence. Dans la suite, Byron se rappela toujours, avec délices, les montagnes de l'Écosse; il est peu de ses poèmes dans lesquels il ne se soit plu à chanter quelque montagne, et les plus belles stances des Heures de loisir sont adressées aux rochers de Loch-na-Garr.

Quand la santé de Gordon, ainsi fortifiée par une première éducation généreuse, eut cessé d'inspirer des alarmes à sa mère, on lui fit suivre les leçons des pédagogues d'Aberdeen. Il se fit alors plus remarquer par son caractère indomptable que par une profonde aptitude aux exercices classiques.

En 1798, quand, par la mort du vieux Lord Byron, ses droits à la pairie eurent été définitivement reconnus, le censeur de l'école d'Aberdeen avait effacé de la liste des collégiens son ancien nom de Georgius Byron Gordon pour y substituer celui de Dominus de Byron. Georges avait alors dix ans, et précisément la veille, il avait reçu (non sans résistance) le fouet, à l'occasion de la faute d'un autre écolier. L'un de ses amis, étonné, et peut-être jaloux de ce nouveau titre, lui en demanda la raison. «Elle ne vient pas de moi, répondit fièrement Byron; le hasard a voulu que je fusse fouetté hier pour ce qu'un autre avait fait, il me donne aujourd'hui le titre de Lord pour ce qu'un autre a cessé de faire. Je n'ai rien dont je puisse le remercier; je ne lui avais rien demandé.»

Quelque tems après, le comte de Carlisle, époux d'Isabelle, sœur du défunt Lord Byron, et désigné, en cette qualité, pour servir de tuteur à son jeune neveu, l'appela à Londres auprès de lui, afin de le mettre en état, disait-il, de recevoir une éducation vraiment libérale et digne de son rang. À douze ans, Byron fut envoyé à Harrow, pension située à dix milles de Londres, où sont, en général, élevés les enfans de la haute société anglaise. Dans cette pension, son esprit reçut de nouveaux développemens; tour à tour on le vit se livrer aux plus violens exercices, à la gaîté la plus franche, à la plus profonde tristesse: quelquefois ardent à l'étude, ordinairement distrait de tous les travaux universitaires; lisant Ossian et négligeant les classiques; dédaignant de faire les moindres efforts pour obtenir les palmes de collége; toujours fier, dédaigneux et inquiet; objet de la haine de la plupart de ses maîtres, et, comme à Aberdeen, de l'admiration de ses condisciples.

Un jour, à sa voix, les élèves de Harrow se révoltèrent. Dans leur rage, ils voulaient mettre le feu à leurs salles d'étude: Byron les apaisa comme il les avait d'abord enflammés, avec quelques mots. Montrant les noms de leurs pères écrits sur les murailles, il leur demanda s'ils auraient bien le courage d'effacer ces chers vestiges. Tous les enfans se turent, et le mouvement fut arrêté.

Chaque année il allait passer le tems des vacances dans le château de Newstead-Abbey, devenu mille fois plus célèbre pour avoir été la résidence d'un poète que pour avoir vu les exploits des meilleurs chevaliers du moyen âge. On peut en lire la magnifique description dans le quinzième chant de Don Juan. – C'est alors qu'il vit Maria Chaworth, et que, pour la première fois, il devint amoureux. Les deux familles de Chaworth et de Byron étaient alliées; mais, depuis la mort de l'un des oncles de Maria, tué, comme nous l'avons dit, par le dernier Lord Byron, elles avaient cessé de se voir. En dépit de tous les calculs de famille, le jeune Byron trouva moyen de déclarer son naissant amour à la belle Maria. Celle-ci, plus âgée que lui de quelques années, n'attacha pas d'abord un grand prix à la passion d'un enfant de quinze ans; elle le désola: elle fit pis encore, elle le trompa. Long-tems son adroite coquetterie, sans renoncer à de plus vulgaires conquêtes, eût voulu s'attacher Lord Byron; mais enfin, cessant de dissimuler, elle disparut un jour avec l'un des plus ridicules dandys des trois royaumes. Byron la regretta comme jadis Gallus avait regretté Lycoris, et les larmes qu'il répandit révélèrent l'ardente sensibilité de son ame; mais cette première passion eut sur toute sa vie la plus heureuse influence. C'est à miss Chaworth qu'il n'hésita pas d'attribuer son génie poétique, et du moins elle lui donna, la première, le désir de bégayer des vers. Depuis ce tems le nom de Maria eut toujours sur son imagination un pouvoir presque magique.

De Harrow il fut envoyé à Cambridge pour y finir ses études. On a beaucoup parlé d'un jeune ours qu'il y avait choisi pour son ami et son compagnon de chambre; Byron eut, toute sa vie, une grande tendresse pour les animaux: en Italie, il traînait après lui plusieurs singes, un boule-dogue, un mâtin anglais, deux chats, trois paons et quelques poules. Il n'est donc pas surprenant qu'il essayât, à Cambridge, d'apprivoiser un ours, tâche difficile, et par cela même attrayante pour lui. À ceux de ses condisciples qui, jaloux peut-être de l'intérêt presque exclusif qu'il portait à ce grossier animal, lui demandèrent ce qu'il prétendait en faire, Lord Byron avait répondu: «Un docteur de l'université de Cambridge.» Ce mot fit fortune, et plus tard on y trouva la preuve de son caractère misanthrope: on n'aurait dû y voir qu'une saillie de gaîté satirique. Quand il quitta Cambridge, il y laissa son ours, de l'éducation duquel il désespérait sans doute.

À dix-neuf ans, il disait adieu au collége, sans avoir été revêtu d'un seul degré universitaire; mais il s'était déjà créé des titres plus honorables. Les souvenirs religieux des montagnes écossaises et des hauts faits d'armes de ses ancêtres, les regrets et les transports d'un premier amour; Ossian et les poètes classiques; telles furent les premières inspirations de Byron. Les Heures d'oisiveté, livrées à l'impression six mois après sa sortie de Cambridge, firent d'abord une vive sensation. Un jeune homme, possesseur d'un beau nom et d'une grande fortune, déjà maître de ses actions, et qui cependant dévouait les plus beaux jours de sa vie au culte des muses; bien plus, dans le volume qu'il publiait, des vers charmans, des idées nobles et grandes, des preuves nombreuses de sensibilité, de délicatesse et de goût, voilà ce qui d'abord excita une véritable admiration: mais le premier des oracles périodiques de l'opinion, la Revue d'Édimbourg, avait encore gardé le silence; elle le rompit en 1808. Jamais satire plus accablante n'avait peut-être rempli les colonnes d'une gazette; celles dont l'auteur des Martyrs était l'objet en France, justement à la même époque, sont des modèles d'urbanité quand on les compare à ce fameux article. Bientôt (tant il est facile aux critiques de frapper de ridicule les poésies graves!) le public parut rougir d'avoir admiré ce que la Grand'mère d'Édimbourg avait dénigré. Les Heures d'oisiveté devinrent le sujet de toutes les plaisanteries de bon ton; on alla jusqu'à refuser à l'auteur la moindre étincelle d'imagination, et le comte de Carlisle se joignit même à la foule des aveugles dépréciateurs du beau génie de son jeune parent.

Cependant Byron attendait, à Newstead, l'instant de sa majorité, en s'abandonnant à toutes les violentes passions de son âge. Lui-même nous apprend que chaque jour de nouvelles et séduisantes maîtresses se disputaient son cœur, et qu'une foule d'amis, attirés auprès de son inexpérience par l'appât des voluptés, ou d'autres motifs moins excusables, ne cessaient de faire retentir les échos de la vieille abbaye d'accens de joie oubliés depuis long-tems.

Mais, tout en s'abandonnant avec une espèce de fureur aux plaisirs des sens, Byron n'était pas leur esclave. Il semblait, dans ces jours de délire, vouloir analyser chaque sensation voluptueuse, afin d'apprécier lui-même la nature du bonheur qu'il était possible d'en attendre: il en eut donc bientôt reconnu tout le vide. Les tendres coquetteries de ses indignes maîtresses n'effleuraient plus son cœur; ses anciens amis, impatiens du fier et mâle génie d'un homme auquel ils se comparaient jadis, devinrent moins nombreux de jour en jour. Enfin, après l'expérience d'une année, l'être qu'il chérissait le plus était un grand chien de Terre-Neuve, avec lequel il se baignait ordinairement. Souvent, pour éprouver son intelligente sollicitude, il disparaissait quelque tems sous les flots, et le chien, à la grande joie de son maître, ne manquait pas de se précipiter à sa recherche et de le ramener sur le rivage. Byron fit graver, en 1808, une inscription sur la pierre qui recouvrait ses os; elle finit par ces mots: «Ce monument indique la demeure d'un ami; je n'en ai encore connu qu'un seul, et c'est ici qu'il repose.»

On raconte aussi que, dans le même tems, Byron fit arranger et monter en coupe un crâne d'une énorme capacité; il appartenait à l'un des moines qui jadis avaient habité Newstead. Dans les jours de réceptions bachiques, le crâne faisait le tour de la table, et, comme aux festins d'Anacréon et d'Horace, chacun des convives, ne trouvant plus qu'un aiguillon d'enjouement dans ces souvenirs de la mort, se livrait à l'envi aux plus folles saillies. Byron fit même, sur cette coupe, des vers qui rappellent la grâce philosophique du chantre du Falerne et de Lydie.

Mais l'article de la Revue d'Édimbourg vint bien autrement aiguillonner sa muse, et le généreux désir de se venger lui fit oublier la promesse qu'il avait faite, en publiant les Heures d'oisiveté, de ne plus rien livrer à l'impression. Toute la république littéraire avait méconnu son génie! tous les prétendus oracles du goût, les Southey, les Scott, les Wordsworth, les Jeffery, avaient affecté de ne voir en lui qu'un méprisable rival: il saura les désabuser. Dès ce jour, il renonce aux éloges, aux flatteries d'indignes Aristarques; il dédaigne l'approbation de cette Angleterre, qui ne rappelle à son cœur que ses propres égaremens ou les injustices des autres, et quand il aura dignement relevé le gant qu'on lui a jeté, il ira, loin de sa patrie, chercher des inspirations plus grandes encore.

Les Bardes anglais et les Reviseurs écossais firent toute la sensation que Lord Byron en avait espérée: les journaux, épouvantés, n'osèrent même rentrer en lice contre un si rude jouteur. Le lendemain de la publication de cette satire, le poète, ayant atteint sa majorité, vint prendre sa place dans la chambre des pairs. À peine eut-il prononcé, à haute voix, le serment d'usage devant la balle de laine qui sert de siége au chancelier, que celui-ci (Lord Eldon) vint à lui, et, d'un air riant, lui tendit cordialement la main; mais Byron ne répondit à ces avances qu'en s'inclinant légèrement et en posant l'extrémité de deux doigts dans la large main du chancelier: puis il chercha des yeux les bancs de l'opposition, et alla nonchalamment s'y étendre. Comme il sortait quelques minutes après, l'un de ses amis lui demanda pourquoi il avait si mal répondu aux avances de Lord Eldon. «Si je lui avais serré la main, répondit-il, il m'aurait cru de son parti; je ne veux rien avoir à démêler ni avec lui ni avec l'autre côté de la chambre: j'ai pris mon siége, et maintenant je vais voyager en pays étranger.»

Il s'éloigna de l'Angleterre au mois de juin 1809, après avoir mis quelque ordre dans ses affaires, acquitté complètement ses nombreuses dettes, fait un testament, appelé sa mère à Newstead et l'avoir embrassée. Un ancien ami de collége, John Cam Hobhouse, déjà connu par plusieurs ouvrages de poésie et de politique, mais devenu, depuis, plus célèbre par le courage et la franchise de son opposition parlementaire, offrit à Lord Byron de l'accompagner dans ses voyages; et, sans en avoir précisément arrêté le plan, les deux amis mirent à la voile, de Falmouth, le 2 juillet 1809. Leur suite consistait en deux domestiques, dont l'un (Fletcher) avait instamment sollicité la faveur d'abandonner sa femme pour suivre la fortune de Lord Byron. C'était un personnage qui rappelait assez bien le Sganarelle du Don Juan de Molière; présomptueux, craintif et superstitieux à l'excès; aimant tendrement son maître, et redoutant toute espèce de fatigues ou de dangers.

Nos deux poètes débarquèrent à Lisbonne, visitèrent avec empressement Cintra, endroit, dit Lord Byron, le plus délicieux de l'Europe, et le château de Mafra, orgueil du Portugal. Peu satisfaits du patriotisme et du caractère des Portugais, ils s'empressèrent d'arriver à Séville. C'est là que Byron dépouilla ses premières impressions sauvages. Le ciel de l'Andalousie, les cris de liberté qui, de toutes parts, y retentissaient, les scènes pittoresques d'une nature ravissante, et, plus que tout cela encore, les grâces et la beauté des dames de Séville, eurent bientôt fait évanouir ses sermens de haine à la société, de calme et de continence philosophiques. Son départ de Séville fit même verser des larmes d'amour, que l'incertitude de son retour eut sans doute bientôt taries. À Cadix, de nouveaux liens aussi tendres et aussi passagers l'attendaient encore.

Il est peu de personnes (même celles qui n'ont jamais lu ses vers) qui n'aient vu, et par conséquent admiré quelques portraits de Lord Byron: ils rappellent, en général, l'expression de ses traits. Cette expression est tellement remarquable qu'elle est venue offrir aux artistes, si j'ose le dire, un nouveau type de physionomie, en même tems que le Childe Harold, le Corsaire et le Don Juan ouvraient aux littérateurs un autre magnifique horizon poétique. Le dessin qui précède cette édition reproduit exactement la tête de Lord Byron à vingt-cinq ans. Plus tard, ses traits perdirent quelque chose de leur grâce et de leur pureté, mais sa physionomie n'en fut pas altérée; comme celle de tous les hommes de génie, elle était indépendante des formes matérielles; elle exprimait l'habitude des passions et des pensées sublimes, le dédain et presque l'ignorance des tracasseries vulgaires, le sentiment du beau sous toutes ses formes: en un mot, elle était l'image fidèle de son ame.

Le 16 août, le vaisseau qui devait transporter en Grèce nos deux voyageurs mit à la voile de Gibraltar et mouilla successivement à Cagliari en Sardaigne, à Girgenti en Sicile, à Malte; et enfin, le 29 septembre, à Prévesa sur la côte d'Albanie.

Leur plan était enfin arrêté avec précision: ils devaient traverser la Grèce et la Morée, passer l'hiver à Athènes, et, de là, se rendre à Constantinople; mais, pour avoir les moyens de voyager en sûreté, il leur fallait capter la bienveillance du redoutable visir qui gouvernait alors toutes ces contrées. Aly-Pacha, surnommé le Bonaparte musulman, assiégeait alors son ennemi, Ibrahim, dans le château de Bérat en Illyrie. Byron se rendit à Tépalène, quartier-général du visir, et éloigné de deux journées de Bérat. Aly, de son côté, ayant appris l'arrivée, dans ses états, d'un seigneur anglais, avait ordonné que toutes les commodités de voyage lui fussent gratuitement prodiguées. Lui-même le reçut avec la plus haute distinction. Ses petites mains blanches, ses petites oreilles et sa chevelure bouclée attiraient surtout l'attention d'Aly, qui croyait y voir les signes irrécusables d'une haute naissance et d'une éducation distinguée. À chaque heure de la journée il envoyait à nos voyageurs des fruits, des confitures et des sorbets, et, quand ils demandèrent à prendre congé, Sa Hautesse leur donna une garde de cinquante braves Souliotes, en les recommandant spécialement à son fils, Vely-Pacha, alors gouverneur de la Morée.

L'aspect d'une cour orientale et la physionomie de ce peuple albanais, mélange de maraudeurs chrétiens et musulmans, firent une vive impression sur l'imagination de Lord Byron. Dans les notes de Childe Harold il a tracé une peinture détaillée de la beauté et de la gracieuse démarche des femmes; du courage, de l'hospitalité et du caractère vindicatif des hommes. – De retour à Prévesa, ils ne tardèrent pas à s'embarquer, dans l'espoir d'aborder à Patras sur la côte de la Morée; mais, par suite de l'ignorance des matelots turcs, leur bâtiment, emporté par le vent, alla échouer sur les rochers de Souli, et ils ne durent leur salut qu'au généreux secours des villageois albanais qui habitaient derrière ces rochers. Pendant la crise, «Fletcher jetait les hauts cris et appelait sa femme; les Grecs invoquaient tous les saints, et les Musulmans Alla. Le capitaine fondait en larmes, en nous disant de nous recommander à Dieu. Les mâts étaient fendus, la grande vergue en pièces; le vent redoublait de force, la nuit approchait, et nous n'avions d'autre chance (comme le disait Fletcher) que de nous voir ensevelis dans les flots.» (Lettre de Lord Byron à sa mère.) Tel fut l'événement qui, sans doute, fournit plus tard au poète les terribles couleurs du deuxième chant de Don Juan.

De Souli, nos voyageurs revinrent encore à Prévesa, et, renonçant au trajet de mer, se dirigèrent vers Patras, à travers les forêts de l'Acarnanie et de l'Étolie: ils firent une halte de quelques jours à Missolonghi et à Smyrne; ils parcoururent la plus grande partie de la Grèce, et s'arrêtèrent le reste de l'hiver à Athènes, comme ils en avaient formé, depuis long-tems, le projet.

Ce n'était pas assez qu'Athènes expiât sous le cimeterre des barbares son ancienne gloire; des étrangers, et surtout des Anglais, venaient à l'envi disputer aux rivages de Grèce les débris de statues, de colonnes et d'inscriptions qui faisaient, seuls encore, sa richesse. Les monumens ont en eux-mêmes peu de valeur: transportez sous le ciel de la Grèce les arceaux et les ogives de nos châteaux gothiques, l'ame les considérera sans émotion, sans enthousiasme. On a donc de la peine à comprendre la rage qui porte les Anglais à encombrer leur île des monumens enlevés à la religion des autres peuples; et certes, il est déplorable que le gouvernement applaudisse à de pareilles profanations. Bas-reliefs, chapiteaux, inscriptions, statues, tous les débris des siècles passés viennent chaque jour se presser dans les tristes galeries britanniques. Cependant une seule inscription, échappée aux outrages du tems, rappelle aux Grecs, mieux que toutes les déclamations modernes, quelle a été et quelle doit être leur patrie, et l'on ne peut trop les louer d'avoir regardé les vols de l'Écossais Elgin comme le plus grand des outrages. Il appartenait à Lord Byron et à M. de Châteaubriand de se rendre les échos de l'exécration à laquelle ils vouèrent les spoliateurs du Parthenon. Mais Byron ne se contenta pas de flétrir, dans le Childe Harold et dans la Malédiction de Minerve, la conduite de Lord Elgin; il alla lui-même, au péril de sa vie, effacer le nom du moderne Verrès, inscrit sur le frontispice du temple d'Érichtée, et il le remplaça par ces deux lignes:

Quod non fecerunt Gothi

Hoc fecerunt Scoti.


De retour dans sa patrie, Lord Elgin n'en a pas moins reçu de son gouvernement d'énormes sommes pour prix de la dépouille des temples d'Athènes. – Nos voyageurs s'éloignèrent de la Grèce au commencement du printems. Avant de gagner Constantinople, ils visitèrent les ruines d'Éphèse. Le 15 avril 1809, la frégate la Salsette, qui les transportait, jeta l'ancre sur les côtes de la Troade, non loin des fameux tombeaux que l'on aime à croire ceux des héros grecs morts au siége d'Ilion. Comme ils attendaient le firman du Grand-Seigneur à l'embouchure des Dardanelles, et justement à quelques centaines de pas du château d'Abydos, il prit envie à Byron de vérifier par lui-même si les savans avaient eu raison de révoquer en doute le récit des tendres traversées de Léandre. Dans le dernier siècle, notre Académie des Inscriptions et Belles-Lettres avait aussi, après de longues dissertations, reconnu que l'histoire d'Héro et Léandre était nécessairement une fable, attendu l'impossibilité du trajet de l'Hellespont à la nage. La tentative de Byron fit évanouir tout d'un coup l'autorité de tant de doctes recherches. Un lieutenant de la frégate (M. Ekenhead) offrit de partager la gloire et les dangers de cette épreuve: les deux nageurs partirent en même tems et firent le trajet en une heure et quelques minutes. Ekenhead eut à peine atteint le rivage de Sestos, qu'il se hâta de regagner, sur une barque, l'autre bord, où le rappelaient ses fonctions; mais Lord Byron, épuisé de fatigue et grelottant de fièvre, se traîna, demi-nu, dans une cabane voisine, et reçut l'hospitalité d'un pauvre pêcheur turc, qui, pendant cinq jours, lui prodigua les soins les plus assidus. À peine revenu sur le rivage d'Abydos, Byron envoya au pêcheur, par l'un des hommes de sa suite, un assortiment de filets, un fusil de chasse, une paire de pistolets et douze pièces de soie pour sa femme. Surpris de ce présent, le pauvre Turc voulut, le lendemain, traverser l'Hellespont, afin de remercier sa seigneurie. Hélas! à peine éloigné de son rivage, une rafale s'éleva, fit submerger sa barque et l'engloutit dans les flots. Qu'on juge du désespoir de Lord Byron! Il s'empressa d'aller lui-même consoler la veuve; la pria de le regarder à l'avenir comme son ami, et lui laissa une bourse de cinquante dollars. Cette anecdote est peu connue; elle honore trop le caractère de Lord Byron pour que lui-même pensât jamais à la divulguer: mais les officiers alors employés sur la Salsette en ont tous attesté l'exacte vérité.

À Constantinople, il se sépara de Cam Hobhouse, qui brûlait déjà de revoir l'Angleterre, Byron le vit partir sans beaucoup de regret: son projet était de retourner en Grèce, et voulant, dans cette seconde excursion, s'arrêter à loisir dans les lieux les plus poétiques de cette terre de poésie, la société d'un ami, tel que Hobhouse lui-même, dérangeait, jusqu'à un certain point, son plan de rêverie. Il écrivit Childe Harold en Grèce; il en composa même un grand nombre de strophes sur le Parnasse. C'était, il faut l'avouer, une heureuse et grande idée que celle d'aller puiser des inspirations à une pareille source, et quand on songe, en lisant Childe Harold, que ces vers ont été tracés sur les sommets sacrés de l'Hélicon, je ne sais quelle vénération religieuse se joint naturellement à l'admiration que produit une aussi magnifique création.

Il choisit Athènes pour sa principale résidence. C'est là qu'une jeune Grecque devint éperdument éprise de lui: elle était belle; elle ne tarda pas à toucher son cœur. Mais les jours du Ramasan arrivèrent, et, pendant ce carême, tout commerce entre les deux sexes était puni de mort. Une aussi longue interruption parut un siècle à Lord Byron: dans son impatience, il avait formé un plan de rendez-vous, et l'avait fait parvenir à sa maîtresse; la trame fut découverte, et la jeune fille condamnée à être sur-le-champ enfermée dans un sac et jetée à la mer. Byron n'était prévenu de rien, quand un soir, en côtoyant à cheval le rivage de la mer avec deux Albanais qu'il avait pris à son service, il voit plusieurs soldats s'avancer de son côté. Il apprend qu'ils ont la mission de noyer une femme; dès-lors il ne pouvait plus hésiter: au risque de s'attirer une mauvaise affaire, il court à l'officier du détachement, parvient à l'intimider, et se fait remettre l'infortunée, dans laquelle il reconnaît son amante. Grâce à son intervention, et à une forte somme d'argent, le magistrat consentit à rétracter son arrêt, mais la jeune fille fut obligée de quitter Athènes, et, quelques mois après, elle mourut de regrets et à la suite d'une fièvre lente. Tel fut l'événement qui offrit à Lord Byron la première inspiration du Giaour.

Pour se distraire de cette mort douloureuse, il s'éloigna d'Athènes, et résolut de parcourir le Péloponèse. Il n'emmena pas avec lui Fletcher; le pauvre diable, las de vivre loin de sa femme, de la bière et du pudding, avait obtenu la permission de retourner en Angleterre. Pour Byron, à peine arrivé à Patras, il fut saisi d'une fièvre violente, qui mit de nouveau ses jours en danger. Un médecin ignorant était chargé de le soigner, et les deux Albanais dont nous avons déjà parlé s'étaient engagés, par serment, à couper la tête au tremblant Esculape, s'il n'opérait pas avant quinze jours une cure complète. Or, ils n'étaient pas hommes à se parjurer; aussi, quand Byron recouvra la santé, le médecin se livra-t-il aux plus extravagantes démonstrations de joie.

Les embarras de sa fortune le rappelaient lui-même en Angleterre. On peut lire dans le Childe Harold le récit touchant de la douleur des deux braves Albanais en se séparant de lui. Le 2 juillet 1811, après deux années de pélerinage, Byron débarqua au port de Falmouth. Il était dit que sa patrie ne lui offrirait jamais que de pénibles impressions ou des illusions funestes. À peine arrivé à Londres, un courrier parti de Newstead lui apprend que sa mère est à l'extrémité. Byron quitte tout pour accourir auprès d'elle; mais il était trop tard, et il ne put recueillir son dernier soupir.

Le besoin de combattre sa profonde mélancolie le ramena à Londres. Il était d'ailleurs assez curieux d'y publier une nouvelle satire composée, pendant les derniers jours de sa traversée maritime, sur le modèle de l'Art poétique d'Horace. Il avait aussi terminé les deux premiers chants de Childe Harold; mais il voyait d'avance tous les reviseurs plaisanter sur la tournure romanesque de ses idées, et il tremblait de publier ce chef-d'œuvre de la littérature contemporaine. Un ami, parvint à le détromper: «Votre imitation d'Horace, lui dit courageusement M. Dallas, est au-dessous de vous, tandis que Childe Harold est un ouvrage délicieux, admirable, enchanteur. – Vous vous trompez, répondit Byron; mais tels qu'ils sont, je vous abandonne mes vers: s'ils ont du succès, que le profit vous en revienne.» Ainsi furent publiés les deux premiers chants de Childe Harold.

Ce Roman (c'est le titre que lui donna l'auteur) ne se recommande pas à l'attention de nos classiques par une régularité symétrique; vous croyez, en le lisant, glisser rapidement en mer, à quelques pieds d'un rivage toujours varié, et constamment enrichi des plus ravissantes beautés. Sous vos yeux se succèdent le Portugal, devenu la proie des Anglais; l'Espagne, sur laquelle s'abat le vautour gaulois; la Troade, sépulcre des anciens héros; Constantinople, calme séjour du despotisme; l'Albanie, déjà préludant à secouer les chaînes du croissant; la Grèce, enfin, dont toutes nos ames ont plus d'une fois rêvé les doux rivages; la Grèce, dont les malheureux enfans fléchissent sans murmurer sous le bâton barbare, tandis qu'ils pleurent de rage en voyant s'écrouler, à la voix de Lord Elgin, les colonnes de Sunium ou du Parthenon. Quelle chaleur pénétrante! et partout quel sentiment exquis de la beauté! quel dédain pour les favoris de la fortune! quel enthousiasme pour la liberté!

Le Pélerinage de Childe Harold (dont plusieurs de nos littérateurs n'ont jamais essayé de lire même la traduction française) fit proclamer Lord Byron, dans sa patrie, le premier des poètes vivans: il avait alors vingt-quatre ans. Ses ennemis les plus implacables rendirent hommage à l'évidente supériorité de son génie: mais, en se déclarant douloureusement ses admirateurs, on pense bien qu'ils n'oublièrent pas de relever dans ses vers les propositions impies, déistes, athéistes et séditieuses, cortége ordinaire des ouvrages qui n'ont pas été composés sous l'influence immédiate d'une secte, d'une cour ou d'une coterie. Leurs sourdes protestations ne l'empêchèrent pas d'obtenir, dans ces premiers momens, toute la justice qu'il n'était en droit d'attendre que de la postérité.

Ce fut sous de pareils auspices qu'il fit sa première entrée dans le monde. Les dames, bien que jalouses de la préférence donnée sur elles, par Childe Harold, aux beautés de l'Orient et de l'Espagne, caressaient l'espoir de ramener le jeune poète à de plus tendres sentimens: elles l'accueillirent donc avec émotion et coquetterie. Byron n'était pas de ces hommes dont la prestigieuse réputation ne supporte pas l'épreuve de l'intimité: vu de près, il parut grandir encore. On ne se lassait pas d'admirer cette belle physionomie, également faite pour exprimer l'enthousiasme, le dédain, l'amour ou la haine. Mais le caractère de ses pensées comportait une dignité sérieuse dont il lui était presque impossible de se dépouiller: si quelquefois il se livrait à une bruyante gaîté, ces éclats étaient rapidement remplacés par une teinte de tristesse importune. Il tombait fréquemment dans une grande préoccupation mélancolique, et même, au milieu des cercles les plus avides de recueillir ses moindres paroles, il semblait faiblement combattre ce penchant à la distraction. Lui arrivait-il de le vaincre? on admirait aussitôt une conversation d'autant plus étonnante, qu'il cherchait moins à exciter l'étonnement: les saillies les plus vives se pressaient sur ses lèvres; ses yeux, dit-on, lançaient des éclairs, et nul homme ne se vantait d'avoir pu l'écouter sans émotion, sans une sorte de respect. Il n'en était pas ainsi des femmes qui, ne rougissant pas auprès de lui de leur infériorité intellectuelle, laissaient ordinairement parler en sa présence leur imagination ravie.

Toutefois cet universel engouement ne fut pas de longue durée: pour le prolonger, il eût fallu faire preuve d'affectation, et ce défaut général de la société anglaise était justement celui dont Lord Byron était le moins susceptible; il eût fallu caresser l'amour-propre des automates qui se pressaient autour de lui, et Byron ne savait jamais dissimuler ses impressions dédaigneuses. D'abord les dandys, espèce de fats qui, dans la grande société anglaise, forme une majorité compacte (comme en France nos merveilleux et nos petits-maîtres), briguèrent long-tems sa bienveillance, en composant sur son extérieur leur maintien et leur costume. Une foule de fades et languissantes beautés essayèrent à l'envi sur son cœur la puissance de leurs charmes; Byron accueillit du même silence les grimaces des uns et les vaporeuses œillades des autres. Dès-lors une cabale sourde se ligua contre lui; un plan de calomnie fut organisé, et le succès dépassa bientôt toutes les espérances que ses auteurs en avaient pu concevoir.

Fatigué des cercles de la capitale, il fit, dans le Westmoreland, une course vers ces lacs devenus célèbres par les mélancoliques et monotones élucubrations des Wordsworth, des Coleridge et des Southey. Ce voyage augmenta encore le nombre de ses ennemis; les poètes lakistes se montrèrent humiliés de l'indépendance de ses opinions, et furieux des épigrammes dont il accablait leur politique bigoterie. L'apparition presque simultanée du Giaour, de la Fiancée d'Abydos, du Corsaire et de Lara, leur offrait une occasion d'attaquer ses principes et de noircir sa vie. «Qui peut, s'écrièrent-ils, fournir à Lord Byron les couleurs dont il se sert pour peindre tous ces héros dévorés de passions et de remords? qui l'initia aux mystères des plus horribles angoisses de la vie? qui lui apprit à revêtir de formes séduisantes les plus odieux scélérats? Ah! sans doute, la source de son génie est empoisonnée; elle n'a pu naître que de la perversité de son caractère. Rien dans sa conduite, il est vrai, ne justifie d'injurieux soupçons; mais l'a-t-on suivi dans ses courses lointaines? Qui sait si quelque crime secret ne trouble pas le repos de sa vie? Trop de rapports sensibles existent entre Childe Harold, Conrad et lui pour que l'on puisse encore douter de l'identité de l'auteur et de ses personnages. Et quel insensé pourrait envier un talent qu'il faudrait acheter à pareil prix?..»

Lord Byron jugeait indigne de lui de repousser d'aussi infâmes soupçons: cependant, il suivait avec assez d'assiduité les séances de la chambre des Lords. Toujours étranger aux ambitieuses intrigues qui se trament jusque dans les conseils de l'opposition populaire, il prononça à la chambre haute trois discours assez remarquables, dans lesquels il peignit de couleurs énergiques la détresse des ouvriers et l'asservissement des catholiques. Mais l'inutilité de ses efforts refroidit bientôt sa ferveur parlementaire, et il sentit qu'il servirait plus efficacement la cause de la justice et de la liberté, du haut de la tribune poétique que s'était élevée son génie. Il acheta, à la même époque, une action au théâtre de Drury-Lane, et quelques jours après il fut nommé directeur du jury chargé d'y recevoir les ouvrages dramatiques.

La mobilité de son imagination, sa passion pour les voyages, et les souvenirs de plusieurs beautés qu'il avait peintes dans le Giaour et le Corsaire, tout aurait dû le détourner du mariage, et surtout de l'idée d'en former les redoutables nœuds avec une Anglaise: il n'en fut rien. Anne-Isabelle, seule fille de sir Ralph Milbank Noël, fut celle sur laquelle il fit tomber son choix: elle était belle; mais, sous l'apparence d'une bienveillante douceur, elle cachait un caractère inflexible et un orgueil de pruderie qui devait faire le malheur du plus pacifique des époux; à plus forte raison celui de Lord Byron. Elle apprit avec une sorte de transport que le jeune Lord songeait à demander sa main, et quand on lui rappela les défauts de Byron, dans les cercles de bas bleus (blue stockings), dont elle était l'un des ornemens, elle répondit qu'elle espérait ramener son époux à force de douceur, de leçons et d'exemples. Le mariage fut célébré le 2 janvier 1815.

Bien que formé sous de funestes auspices, il eût peut-être été fortuné sans l'intervention, presque toujours fâcheuse, d'une belle-mère. Les Milbank conservaient dans leur famille la tradition du vieil esprit d'austérité et d'intolérance qui distinguait les puritains; aussi l'honorable miss Milbank avait-elle consenti avec répugnance à l'union de sa fille avec Byron. Elle ne tarda pas à devenir une mortelle ennemie: la lune de miel même ne fut pas exempte d'orage. Byron eût voulu en passer le cours loin du tumulte de Londres; il craignait les folles dépenses, et surtout les insipides distractions du grand monde: il fut obligé de renoncer à son projet. Partout recherchés avec empressement, recevant à leur tour avec grandeur, la dot de la nouvelle lady fut bientôt dissipée en prodigalités, et Byron prévit de nouveaux embarras pécuniaires. D'un autre côté, son amour de l'étude et des méditations solitaires s'accommodait mal de visites fréquentes et de la présence continuelle d'une épouse soupçonneuse; parfois il accueillait avec fatigue les tendres expansions de lady Byron, et cette femme altière, se croyant alors dédaignée, revenait prêter une crédule oreille aux suggestions de sa mère et d'une ancienne nourrice. Ce n'était pas tout: plusieurs espions féminins venaient nourrir les défiances de ces trois femmes et suivaient sans relâche toutes les démarches de Lord Byron. Dans un secrétaire que lady Byron fit enfoncer, on avait trouvé des lettres amoureuses: par malheur, le nom de l'ancienne maîtresse n'y était pas tracé; il fallut recourir aux conjectures. Une actrice de Drury-Lane (mistress Mardyne) est soupçonnée: sur-le-champ elle est reconnue pour l'indigne cause des froideurs conjugales de Byron. Des pieux salons de la famille Milbank, la nouvelle se fut bientôt répandue dans tous ceux de la capitale, et (voyez la retenue de la haute société anglaise!) quand la pauvre Mardyne reparut sur le théâtre, les dames se couvrirent modestement de leurs éventails ou de leurs mouchoirs; les jeunes dandys sifflèrent, et l'actrice fut obligée de se retirer, en protestant de son innocence. Il fut prouvé, plus tard, qu'elle n'avait jamais dit un seul mot, ni même vu une seule fois Lord Byron.

Lady Byron avait un caractère fort excentrique. Elle s'imagina un autre jour que la froideur de son mari pour ses charmes et surtout pour ses conseils dénotait un certain dérangement de sensorium commune. Par ses ordres, plusieurs inconnus pénétrèrent dans le cabinet d'étude de Byron (il composait alors le Siége de Corinthe); on l'accabla de questions inintelligibles pour lui, et auxquelles sa fierté lui permit à peine de faire quelques réponses. Plus tard, il apprit qu'il avait reçu la visite de docteurs en médecine, chargés d'examiner ses droits au séjour de Bedlam. Il est inutile de dire que ces docteurs ne répondirent pas à l'attente de lady Byron.

Il semblait que la naissance d'une fille, arrivée le 10 décembre 1815, dût mettre un terme à la soucieuse mésintelligence des deux époux; mais, dans le même tems, de nombreux créanciers ayant demandé la garantie de leurs créances, Byron se vit forcé de vendre les somptueuses propriétés qu'il avait, en se mariant, achetées à Londres, à la sollicitation de lady Byron. Les poursuites judiciaires cessèrent: mais, sous prétexte de les prévenir, ils se décidèrent, d'assez bonne grâce, à vivre, pendant deux ou trois mois, éloignés l'un de l'autre. Lady Byron retourna donc chez son père; et quelques jours après, à l'instigation de sa famille, elle écrivit à Lord Byron que jamais elle ne consentirait à le revoir.

Tel est le récit exact de cette séparation, qui a fourni matière à tant d'invectives et de calomnies contre la conduite de notre grand poète. Si le public devint le confident de ses ennuis domestiques, il faut en accuser les indiscrétions ridicules de lady Byron. Écoutons Byron lui-même:

«Il existe dans le mariage une foule de causes inappréciables de dégoûts mutuels et de griefs, dont nos plus intimes amis, ou nos plus proches parens, ne sauraient estimer la juste valeur. Les époux seuls peuvent s'en former une véritable idée; eux seuls ont le droit d'en parler. Tant que le mari n'a pas de torts scandaleux à l'égard de sa femme; tant qu'il ne commet aucune action préjudiciable à la communauté, de quel droit vient-on le blâmer, s'il juge à propos de vivre éloigné d'une femme qu'il connaît mieux, sans doute, que ceux qui prennent sa défense? N'est-il pas absurde de vouloir contraindre deux individus qui se détestent à rester unis, quand ils soupirent tous deux après l'instant de leur séparation? Telle est du moins l'intention de ceux qui, se targuant d'une ancienne liaison, interviennent dans les débats domestiques.»

Quoi qu'il en soit, la séparation de Lord et de lady Byron fit revivre tous les anciens contes dont les précieuses de Londres (les bas bleus) avaient les premières répandu le bruit: tous les écrits périodiques, à l'exception d'un seul (l'Examinateur), les répétèrent à l'envi: une mistress Lee composa un roman dont le héros (Lord Byron) était, sous le nom de Glenarvon, accusé de plusieurs assassinats. On alla jusqu'à imprimer qu'étranger à tous les sentimens de bienveillance et d'humanité il n'était pas même susceptible d'être captivé par les attraits ou les vertus d'une femme; et les stances ravissantes qu'il avait adressées à Thirza, à Maria, à Janthé, ne lui avaient été inspirées que par son attachement pour un ours et le chien de Terre-Neuve dont il avait composé l'épitaphe. Il ne paraissait plus à Drury-Lane sans être accueilli par des huées; les dames le désignaient du doigt, les enfans poursuivaient sa voiture quand il se rendait à la chambre des pairs, et sa vertueuse femme écoutait avec une merveilleuse sérénité le récit des calomnies dont il était abreuvé.

Cependant, cet homme était Lord Byron, le chantre de Childe Harold et du Giaour! celui qui avait défendu de toutes ses forces les catholiques d'Irlande et les chrétiens de l'Orient! Ah! si, pour l'honneur de la France, un aussi puissant génie, une aussi grande ame, eût reçu le jour dans son sein, lui eût-on décerné les mêmes récompenses? Les clameurs de misérables et ridicules coteries auraient-elles ainsi aveuglé l'opinion publique? Nous avons l'orgueil d'en douter.

Il ne faut pas s'étonner si, depuis ce moment, Byron conserva contre l'Angleterre une haine profonde: elle n'était plus digne de ses hommages. Pour comble de disgrâces, il se vit obligé de vendre l'abbaye de Newstead, demeure de ses ancêtres, afin de restituer aux Milbank la dot de lady Byron. Newstead seule le retenait en Angleterre; quand il s'en fut dépouillé, il s'éloigna une seconde fois d'une ingrate patrie, avec la résolution de n'y jamais revenir.

Quelques jours avant son départ, une jeune dame, que ses talens n'avaient pu tirer de la misère, se présente chez lui, et le prie d'honorer de sa protection un recueil de vers qui formait son unique ressource. Elle était belle, ses parens étaient éloignés, et ceux qui d'abord l'avaient encouragée à se dévouer au culte des muses lui avaient retiré leur protection, avant d'avoir pu apprécier si réellement elle en était digne. Byron l'écouta avec attention. Quand elle eut fini de parler: «Puissiez-vous, madame, répondit-il en lui présentant un billet plié, être plus heureuse que moi; puissent vos talens, vos vertus et votre beauté désarmer l'envie! Voici ma souscription. Mais tous deux nous sommes jeunes, et le monde est pervers; je ne veux donc pas avoir l'air de m'intéresser à vos succès: ce serait vous faire plus de tort que de bien.» La jeune dame prit alors congé de lui, et sa surprise fut grande, en rentrant chez elle, de voir que le poète lui avait remis un bon de cinquante louis sur son banquier. Avant qu'elle songeât à publier ce trait de générosité, Byron touchait au rivage de la France.

C'était au printems de 1816. Il emmenait avec lui une bibliothèque composée de poètes grecs, latins et italiens; l'assortiment d'animaux dont nous avons déjà parlé, et le bon et fidèle Fletcher, dont la destinée, assez conforme à celle de son maître, était d'abandonner, de maudire et de regretter sans cesse sa patrie, sa femme et ses enfans. Lord Byron traversa rapidement la France: sa première halte fut le champ de Waterloo. Il parcourut plusieurs fois cette plaine désormais célèbre, et qui lui rendait les impressions de Salamine et de Marathon. Après avoir visité successivement Bruxelles, Coblentz et Bâle, il s'arrêta, pendant l'été, à la campagne Diodati, sur les bords du lac de Genève.

Depuis son départ d'Angleterre, la violence des tourmens intérieurs avait influé sur sa santé: mais Clarence et les rochers de Meillerie, en rappelant à son cœur les sublimes rêveries de Rousseau; les montagnes du Jura, en l'attendrissant à la pensée de sa chère Écosse; l'aspect du lac de Genève enfin, tout contribuait à calmer ses ennuis et à ranimer ses forces physiques. Tous les soirs, comme si le lac eût pu verser dans son ame la tranquillité de sa limpide surface, il aimait à voguer sur les flots, dans un frêle bateau. Ces courses n'étaient pas sans danger: quelquefois l'onde s'agitait subitement avec violence, et notre poète, un jour, fut sur le point de périr à l'endroit même où Saint-Preux avait caressé l'idée de précipiter dans les flots madame de Volmar. C'est ainsi que, dans la nature, tout, jusqu'aux élémens, semblait destiné à nourrir son ame de grandes et poétiques inspirations.

Il retrouva, dans les environs de Genève, ses anciens amis; Cam Hobhouse, Monk Lewis, auteur du plus fantastique des romans, et Shelley, dont les habitudes austères et les opinions indépendantes lui plaisaient, jusque dans leur exagération. Mais, de toutes les personnes dont il cultiva la société, nulle ne l'intéressa plus que madame de Staël, alors retirée à Coppet: c'était, en effet, deux ames dignes de s'entendre. On se rappelle la prédilection de Corinne pour la littérature, les opinions et les lois de l'Angleterre; elle semblait remercier chaque citoyen de Londres de la naissance de Shakspeare et de la chute de Napoléon. En ce moment, comme elle avait au nombre de ses hôtes plusieurs Anglaises, de celles dont Byron avait flétri les doctes prétentions, il était naturel qu'elle fût encore la dupe des calomnies débitées contre l'auteur de Childe Harold. Quand on annonçait la visite de Byron, ces dames quittaient le salon, et frémissaient à l'idée de regarder en face un semblable monstre. Pour madame de Staël, à peine l'eut-elle entendu, qu'elle déposa ses anciens préjugés. Un jour, après avoir lu les stances que Byron avait adressées à sa femme en quittant l'Angleterre, elle s'écria: «Mesdames, je ne sais quel est le coupable, mais je me consolerais d'avoir été malheureuse comme lady Byron, si j'avais inspiré à mon époux de semblables adieux.» En effet, pour ceux qui ne sont pas dépourvus de sensibilité, ces vers seront toujours, à défaut d'autres Mémoires, la condamnation de lady Byron.

C'est à la campagne Diodati qu'il composa Manfred, la première et la plus grande de ses compositions dramatiques, et le Prisonnier de Chillon, dans lequel il semble, comme en se jouant, avoir réuni à l'imagination de Dante celle de Châteaubriand. De la Suisse il descendit en Italie, accompagné de Shelley et du docteur Polidori, son secrétaire, le même qui publia quelques mois plus tard, à Londres, la fameuse histoire du Vampire. Arrivés à Montanvers, le prieur des bénédictins les pria de mettre leurs noms sur l'album du couvent. Shelley répondit à cette invitation en y inscrivant le mot Αθεος. Mais Byron, jetant à son tour un regard sur le livret, se hâta de passer un trait sur le mot que Shelley avait eu la ridicule hardiesse de tracer. Telle fut pourtant la seule preuve qu'osa plus tard donner le poète Southey de l'athéisme de Lord Byron. Les ouvrages de l'illustre poète se chargent à l'envi de démentir cette odieuse imputation: Byron fut, au contraire, et toute sa vie, tourmenté de ces doutes métaphysiques, nobles et sûrs indices d'une ame profondément religieuse; et quant à Shelley lui-même, auteur d'un poème satirique, la Reine mob, dans lequel les opinions dogmatiques sont peu respectées, il est certain qu'il avait sur l'immortalité de l'ame, et sur l'indépendante dignité de son essence, les idées les plus respectables. Nous ajouterons toutefois qu'elles offraient quelques rapports visibles avec celles de Spinosa, si souvent accusées, si rarement approfondies.

La première résidence de Lord Byron, en Italie, fut Milan. Il y passa l'automne et une partie de l'hiver de 1816; il allait, presque tous les soirs, entendre, à l'opéra de la Scala, ces belles partitions dont la France commence à préférer la large mélodie aux ariettes de sa lourde, maigre, et vieille musique. Des premiers jours de l'année 1817 aux derniers de 1819, il vécut à Venise: il y composa Mazeppa, les deux drames de Marino Faliero et des Deux Foscari et le quatrième chant de son cher Childe Harold. Dans les derniers vers de cet immortel poème on sent l'influence des impressions du ciel vénitien sur son cœur; les ruines de l'ancienne reine du monde glissent, moins désolantes, devant ses yeux: il sourit même à la vue des danses et de la guitare adriatique, et l'Italie, semblable aux jardins d'Armide, entremêle sans cesse, à ses mélancoliques méditations, de suaves accens de mollesse et d'amour. Au coucher du soleil, qui n'est nulle part aussi magnifique qu'à Venise, il parcourait la ville dans une élégante gondole, tandis que, pour quelques pièces d'argent, deux bateliers reproduisaient, dans leurs chants alternatifs, les octaves d'Arioste et de Tasse. Le jour, il allait sur les sables du Lido exercer ses chevaux ou se baigner dans la mer. Il parcourait les campagnes, et, pénétrant dans les plus humbles cabanes, il prodiguait aux malheureux des secours et des consolations. Le feu prit un jour à la boutique d'un cordonnier: chargé d'une nombreuse famille, ce malheureux se voyait privé de toutes ressources. Byron l'apprend; lui fait passer la valeur de tous les objets que les flammes avaient dévorés, et quelques jours après il l'invite à retourner chez lui. Sa maison était reconstruite, plus commode, plus élégante qu'auparavant. Le hasard fit découvrir aux Vénitiens étonnés plusieurs semblables traits de générosité.

Mais un penchant invincible l'entraînait en même tems au plaisir: gardons-nous de le lui reprocher: cette passion pour les femmes, dont on lui fit un si grand crime dans son immorale patrie, fut sans doute l'une des sources de son génie. À Venise, il fréquenta les brillantes réunions, les bals masqués, les concerts et les théâtres: mais les faciles enchanteresses de Venise entourèrent vainement sa tête de fleurs; les souvenirs de l'injustice de ses compatriotes, de son premier amour et de sa fille, ne cessèrent de l'y poursuivre. Il demandait et recevait fréquemment, par l'entremise de sa sœur, des nouvelles de sa chère Ada; et quand ses lettres éprouvaient quelque retard, il tombait dans de profonds accès de mélancolie.

Tandis que son tems semblait ainsi consacré à de frivoles distractions, il faisait paraître une succession de nouveaux chefs-d'œuvre. Las de ne présenter que les inspirations d'un noble enthousiasme à un monde qu'il avait appris à mépriser en le connaissant mieux, il parut se repentir d'avoir pris au sérieux les malheurs et les turpitudes humaines, et il forma le plan d'un ouvrage dans lequel il reproduirait, sous un nouveau point de vue, la grande scène de la société. Dans ce poème extraordinaire de Don Juan, vers, octaves, chants, conception, tout d'abord paraît improvisé; mais ce désordre apparent est un heureux effet de l'art. L'intention profondément calculée de Byron fut de peindre le monde tel qu'il était, avec ses courtes joies et ses souffrances inénarrables; il voulut fatiguer les ames capables de réfléchir, en les obligeant à considérer à quel degré d'abaissement, de honte, leurs préjugés les faisaient descendre. Jamais projet ne fut mieux exécuté. Vices de l'éducation, malheurs de l'humanité, innocens plaisirs, honteuse débauche, horreurs de la guerre, intrigues et vanités des cours, peinture d'une nation parvenue au dernier degré de corruption, tel est le vaste et instructif tableau que déroule à nos yeux le Don Juan. On pourrait lui appliquer ces vers charmans du second chant:

I can't describe it, though so much is strike;

Nor liken it, – I never saw the like.


«Je ne puis le décrire, quoiqu'il m'ait fait une vive impression, ni le comparer à quelque chose. – Je n'ai jamais rien vu de pareil.»

On a pourtant comparé Don Juan à la Pucelle; c'était juger d'un arbre d'après son écorce. Voltaire, dans son poème, s'empare de toutes les idées nobles que notre imagination aime à nourrir: il lutte contre elles, il ne les quitte qu'après les avoir imprégnées de ridicule. Du reste, il ne démêle rien avec les turpitudes de la vie: elles sont, au contraire, son point de départ et le niveau auquel il s'efforce de ramener toutes choses. Que s'il s'arrête avec complaisance sur des scènes d'amour, son pinceau ne produit encore qu'un tableau infernal dont, fort heureusement, on chercherait en vain, dans la nature, le modèle. Les deux poèmes ont pourtant cela de commun, qu'ils sont tous deux l'effet d'une débauche d'esprit. Mais la Pucelle fut premièrement destinée à égayer6 les loisirs de Frédéric-le-Grand, tandis que le Don Juan fut composé pour une génération qui avait lu avec enthousiasme Werther, René, Childe Harold et Manfred. La verve de gaîté ne pouvait donc être de la même espèce dans les deux ouvrages. Dans Juan on aperçoit l'ironie, mais jamais cette ironie ne flétrit une ame, une action, une idée, nobles ou grandes. Byron y développe nos sociales misères avec un calme qui est loin de son cœur; à chaque instant il trahit son émotion, et quelquefois, en s'y abandonnant avec franchise, il nous fait fondre en larmes. Enfin, pour me servir des belles expressions de madame Belloc7, son but bien évident est «d'obliger les hommes à se relever à force de mépris. Les saillies de Don Juan ressemblent à des fleurs dont on aurait entouré une couronne d'épines; on devine que le front qui la porte en est ensanglanté.»

Lord Byron quitta Venise en 1819, et vint s'établir à Ravenne. De tous les séjours qu'il essaya, Ravenne fut celui qui lui plut davantage. Dante, son poète favori, y avait passé plusieurs années d'exil: à quelques milles de la ville s'élevait la forêt de pins plusieurs fois mentionnée dans le Décameron de Boccace. C'est là qu'il composa la Prophétie du Dante, les troisième, quatrième et cinquième chants de Don Juan; Sardanapale, Caïn et le Ciel et la Terre. Juan et Caïn offrirent, en Angleterre, un nouvel aliment aux ennemis du noble poète. Lord Byron ne répondit aux injures qu'en citant, pour justifier Caïn, l'exemple péremptoire de Milton. Le parti des hypocrites, s'emparant alors de sa vie privée, lui reprocha une avarice sordide: à les entendre, il ne prodiguait le scandale que pour mieux trouver à vendre ses poèmes. Comme il gardait un dédaigneux silence, ses amis répondirent pour lui que jusqu'alors le noble Lord n'avait rien touché pour ses ouvrages, et qu'il leur en avait constamment abandonné le profit. Cependant le directeur du théâtre de Drury-Lane faisait représenter sa tragédie de Marino Faliero, qui n'avait pas été destinée à être jamais jouée; elle n'eut pas, au théâtre, le même succès qu'à la lecture, et, après trois représentations, le libraire de Lord Byron réclama et obtint, de l'autorité, le droit de la retirer.

Lord Byron fut moins sensible à tous ces désagrémens qu'à la mort du commandant militaire de Ravenne. Cet homme, vétéran de Napoléon, avait fini par s'attacher à la maison d'Autriche; mais, à cette époque où l'Espagne était en feu, où l'Italie préludait à sa passagère révolution, la haute police germanique vint à le soupçonner de carbonarisme. Il fut assassiné, en plein jour, dans la ville de Ravenne, à une portée de fusil de la demeure de Lord Byron. Celui-ci entendant une détonnation, accourt, met vainement ses gens à la recherche des meurtriers, et transporte la victime dans son palais; mais à peine déposé sur les escaliers intérieurs, le pauvre commandant n'existait plus. Cet événement fit sur lui une impression qu'il a fidèlement consignée dans le cinquième chant de Don Juan. Les coupables de ce meurtre ne furent nullement poursuivis.

Quelque tems après éclata l'insurrection du Piémont. Byron ne prit aucune part directe à tous ces mouvemens tumultueux qui s'étendaient jusqu'à Pise; seulement il ouvrit un asile à ceux qui, au moment de la réaction, cherchèrent à se dérober aux vengeances de la police. Il avait réuni dans son palais une centaine d'armures complètes, dont il avait l'intention arrêtée de faire usage si les révoltés voulaient sérieusement se défendre; mais il n'en fut rien. Étouffée aussi facilement qu'elle avait été exécutée, la conspiration carbonarienne échoua en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France; en un mot, sur tous les points de l'Europe.

Dès ce moment il ne fut plus en sûreté à Ravenne: chaque jour il recevait des lettres menaçantes, mais rien ne pouvait le décider à interrompre le cours de ses promenades. Enfin, la voix de l'amour fut plus puissante que celle de la crainte sur cette ame passionnée. Depuis quelques années, il était l'amant heureux de la comtesse Guiccioli: Theresa Gamba, mariée à seize ans au vieux comte Guiccioli, douée d'une beauté merveilleuse et de tous les dons qui peuvent ajouter à celui de la beauté, devint facilement éprise du plus grand poète, et de l'un des plus beaux cavaliers de son tems. Le vieux mari se plaignit, non pas d'avoir un rival, mais d'avoir un rival hérétique et soupçonné de libéralisme. Bientôt, demande en séparation simultanément faite par les deux époux: le pape, juge de l'affaire, consent à rompre des nœuds mal assortis, mais à condition que la jeune comtesse sera reléguée dans un couvent. Byron ne trouva qu'un moyen de rendre vaine la décision du souverain pontife; du consentement du père et du frère de la comtesse, il disparut de Ravenne avec elle, en 1821, au commencement de l'automne, et alla poser sa tente dans la ville de Pise.

Il y loua, pour une année, le vieux et magnifique palais Lanfranchi, au nom duquel se rattachaient plusieurs grands souvenirs poétiques et légendaires. Il semblait trouver des inspirations dans les murs d'un vieux et gothique édifice comme dans l'aspect des montagnes ou de la mer. Les petites ames de sa patrie prétendirent qu'il recherchait le voisinage de ces imposantes ruines pour exciter la curiosité; mais l'auteur de Childe Harold connaissait, par expérience, de plus sûrs moyens de faire naître l'admiration de ses contemporains; et, à vrai dire, ce n'est pas comprendre l'homme de génie que de le supposer, un instant, capable de calculs aussi misérables.

Tandis qu'il était à Pise, il reçut la nouvelle de la mort de lady Noël, mère de sa femme. Il écrivit aussitôt à cette dernière une lettre de condoléance dans laquelle, revenant sur les motifs de leur séparation, il lui témoignait l'ardent désir de la revoir et d'embrasser sa fille. La mort de sa plus ardente ennemie lui faisait espérer que lady Byron consentirait avec joie à ce rapprochement: il se trompa encore. Il ne reçut d'Angleterre aucune réponse.

Quelques jours après le départ de cette lettre, un anonyme lui fit parvenir un médaillon renfermant une boucle des cheveux de sa chère Ada. Rien ne peut donner une idée de la joie qu'il montra dans cette occasion: il baisait ces cheveux, les touchait, les contemplait avec des yeux passionnés. Il pendit le précieux médaillon autour de son cou, et ne s'en sépara plus qu'à la mort.

Les journaux anglais lui apprirent alors que Leight Hunt était persécuté dans sa patrie; c'était l'éditeur de l'Examiner, le seul journal qui eût pris à cœur sa défense, à l'époque de ses démêlés matrimoniaux: Byron lui écrivit pour lui demander en grâce de venir habiter l'Italie, et lui offrit pour asile le palais Lanfranchi. Hunt accepta sans délai, et à peine arrivé à Pise il fit goûter à Lord Byron le plan d'un journal qui, assurait-il, ne pouvait manquer d'intéresser vivement l'Europe. Il parut trois numéros du Libéral: mais les rédacteurs, et Byron le premier, se lassèrent bientôt de coopérer à cette entreprise, pour laquelle ils n'avaient peut-être pas une vocation merveilleuse. Dans le Libéral fut publiée la Vision du jugement, excellente satire d'un poème louangeur du lauréat Southey.

Lord Byron, Shelley et les deux Gamba se promenaient un jour à cheval, à quelques pas de la ville, quand un sous-officier, passant au grand galop au milieu d'eux, renverse l'un des domestiques et continue sa route sans articuler la moindre excuse. Byron s'élance à sa poursuite, lui demande raison d'une pareille insolence et reçoit pour réponse de grossières injures: d'autres soldats viennent alors soutenir leur camarade; une rixe s'engage entre eux et les gens de la suite de Lord Byron, et au nombre des blessés se trouve le sous-officier provocateur. L'affaire s'instruisit devant les tribunaux. Lord Byron ne fut pas compromis dans les débats; mais les juges condamnèrent le comte Gamba, son fils et plusieurs des gens de Byron à s'éloigner de Pise. Comme la belle comtesse suivait le sort de son père, Lord Byron se décida à les accompagner à Livourne. Mais de nouvelles persécutions y attendaient les Gamba: obligés de quitter la Toscane, ils choisirent Gênes pour leur nouvelle résidence, et cependant, la comtesse demandait à Byron un asile et revenait avec lui à Pise, au palais Lanfranchi.

À quelque tems de là mourut son meilleur ami, Bishe Shelley, âgé seulement de vingt-neuf ans. Ce fut un grand malheur pour la littérature; car, après la mort de Byron il eût pu donner au public, sur lui, des détails qui ne se trouvèrent plus que dans les mains craintives de Thomas Moore. Les tristes impressions que cet événement laissa dans l'esprit de Byron le décidèrent à s'éloigner une seconde fois de Pise. Il se retira dans une maison charmante située à une demi-lieue de Gênes, sur une hauteur qui dominait le golfe et le vaste horizon qui s'étend autour de la ville. On remarqua, dès ce moment, qu'il devenait plus sédentaire, qu'il négligeait ses courses à cheval et tous les divertissemens auxquels il se livrait précédemment. Il avait laissé à Pise la belle comtesse Guiccioli; il refusait de voir la société: enfin, il mettait dans ses dépenses une économie qui surprenait tous ceux qui avaient été témoins de ses prodigalités antérieures. On sut bientôt le secret de cette énigme: au mois de juillet 1823, un officier westphalien, nommé Det Striitz, aborda à Gênes à son retour de Grèce, où il avait combattu sous les drapeaux des insurgés, depuis 1821. À peine Lord Byron l'eut-il appris, qu'il descendit à Gênes, et n'ayant pu l'y rencontrer, il lui écrivit pour l'inviter à se rendre à sa maison de campagne. Ici nous laisserons raconter madame Belloc qui entendit tous les détails de l'entrevue, de la bouche même de M. Det Striitz.

«M. Det Striitz y alla le lendemain, et trouva Lord Byron devant une table, examinant une carte de la Grèce. Il se leva et lui fit l'accueil le plus favorable… Il adressa à cet officier plusieurs questions sur la situation des Grecs. «Il parlait avec tant de feu, me dit le colonel, que j'avais quelquefois de la peine à suivre le cours de ses idées; je m'efforçai cependant de le mettre au fait de tout ce qu'il désirait savoir.» Après être entré dans une foule de particularités, il retint à dîner le colonel, et en sortant de table il prit son bras et le conduisit dans le parc qui entourait la maison. «Tout d'un coup, au détour d'une allée, il s'arrête brusquement et me dit: Pensez-vous que ma présence pût être utile aux Grecs? me verraient-ils avec plaisir? Je ne pouvais croire qu'il voulût échanger l'existence agréable qu'il menait pour une vie de privations, d'inquiétudes et de dangers. Je n'hésitai pourtant pas à répondre que sa présence serait pour les Grecs un bienfait, et qu'il était digne de travailler à une régénération que ses écrits avaient en partie commencée. Je le voudrais de grand cœur, répondit-il; mais je crains que mes moyens ne soient en disproportion avec ma tâche. Enfin, je ferai ce que je pourrai. Mon projet d'aller en Grèce ne date pas d'aujourd'hui; je le nourris depuis long-tems. Je ne suis plus indécis sur mon voyage; mais ce qui m'importe, c'est de le rendre utile. Et le lendemain matin, en me revoyant, il me dit encore: «Je n'ai pu dormir cette nuit que d'un sommeil agité. Je me voyais toujours à la tête des braves Souliotes, ou à côté d'un de leurs intrépides chefs, combattant les Turcs sans vouloir leur faire grâce, et il se pourrait que mon rêve se réalisât un jour; car je n'irai pas en Grèce pour y être oisif. Je veux me faire faire des armes avant de partir.»

Deux mois s'étaient à peine écoulés depuis cette entrevue, quand il s'embarqua à Livourne accompagné du comte de Gamba et de ses compatriotes sir Edouard Trelawney, Hamilton Browne, etc. Dans les derniers jours d'août le vaisseau jeta l'ancre dans un des ports de Céphalonie.

Céphalonie est l'une des îles ioniennes laissées sous la protection du gouvernement anglais, depuis le traité de paix de 1814. Lord Byron qui n'ignorait pas, en se dévouant désormais à la cause des Grecs, les dissentions déplorables qui régnaient parmi eux, craignit, s'il descendait de prime abord sur le théâtre de l'insurrection, de ne servir qu'un parti en voulant soutenir la cause commune. Il connaissait les Grecs, leur turbulence, leur jalouse indépendance, leur misère et leur avidité; il n'ignorait pas que déjà ces défauts, suite naturelle du genre de vie des Arnautes, avaient fait retourner sur leurs pas un grand nombre d'Européens accourus en Grèce dans l'espoir chimérique d'avoir pour compagnons des milliers d'Aristides ou de Périclès. Ces dissentions, ces motifs de découragemens, voilà ce que Byron voulait essayer de détruire en se rendant en Grèce; mais il fallait avant tout qu'il connût l'exacte situation des choses.

Les Grecs venaient de commencer la troisième campagne sous d'heureux auspices. Tandis que l'armée des deux pachas Yussuf et Mustapha était taillée en pièces dans les défilés des Thermopyles par le brave Odysseus, l'ancien Péloponèse était presque entièrement affranchi du joug des Turcs; mais, du côté de l'Étolie, une nouvelle armée, commandée par le pacha de Scutari, s'avançait jusqu'aux murs de Missolonghi, et cette ville importante et tous les ports de la Grèce occidentale étaient déjà bloqués par les armées de terre et de mer des Turcs.

Byron commença par envoyer sur le continent MM. Trelawney et Browne, avec la mission d'explorer l'état de tous les partis. En attendant leur retour, il fixa son séjour dans la petite ville de Metaxata, qui devint aussitôt, pour ainsi dire, le point central du gouvernement grec, tant était grande la réputation qui le précédait.

Elle grandissait encore tous les jours; ceux qui l'approchaient, Anglais, Français, Allemands et Grecs, ne se lassaient pas d'admirer la profondeur de ses plans et la magnanimité de ses intentions. Sans cesse appliqué à rechercher des instructions positives, il écoutait avec attention les rapports les plus contradictoires: il répandait l'or à pleines mains, mais avec discernement.

Voici la source de tout l'argent qu'il prodiguait: «J'ai écrit, dit-il dans une lettre du 13 octobre 1823, à notre ami D. Kinnaird, le priant de m'envoyer tous les crédits qu'il pourra réunir. De plus, j'ai en avance une année de revenu et la vente d'une terre par-devers moi. – Jusqu'à ce que les Grecs trouvent un emprunt, il est probable que je serai leur meilleur banquier, c'est-à-dire tant que ma signature aura cours. Répétez-lui cela, et dites-lui que je vais tirer, d'une manière effrayante sur M. R***. Je ne lésine pas quand nos braves se décident à reprendre les armes; et s'ils persévèrent ils seront encore mieux venus. Ils ont eu hors de ma poche, et d'un seul coup, quatre mille livres sterlings (outre quelques distributions partielles), et le prochain déboursé sera au moins aussi considérable. Et comment pourrais-je, dites-moi, leur refuser s'ils se battent? et si je suis avec eux? etc.»

Cependant il reçut des nouvelles de M. Trelawney. Ce loyal ambassadeur avait assisté au congrès de Salamis, et l'on y avait décidé qu'Odysseus marcherait sur Négrepont, Colocotroni sur Patras, et que Mavrocordato serait chargé de défendre Missolonghi. «Si cette ville tombe, écrivait Trelawney, Athènes et des milliers de têtes sont en péril. Il faut que la flotte secoure cette ville. Je donnerais ma tête à monnayer pour sauver cette clef de la Grèce.» Byron comprit ce langage; il fit équiper deux navires ioniens et quitta Céphalonie le 29 décembre, faisant voile pour Missolonghi. Le 31, à la hauteur de Zante, ils furent rencontrés par un corsaire turc. Le premier navire, sur lequel il était, parvint à l'éviter; le second, qui transportait le comte Gamba et plusieurs domestiques de Lord Byron, fut moins heureux: les captifs furent conduits à Patras, devant Yussouf-Pacha. Grâces au sang-froid de Gamba qui, en réclamant hautement le privilége des pavillons anglais, parvint à intimider le chef musulman, il leur fut permis de se rendre à Missolonghi; mais, à leur grand étonnement, ils n'y trouvèrent pas Lord Byron. Les vents contraires l'avaient forcé de s'arrêter sur des rochers situés à quelques milles de Missolonghi; et en se remettant en mer, son navire avait touché un bas-fond. Heureusement, Mavrocordato envoya bientôt à sa rencontre plusieurs bateaux qui le prirent à bord, avec sa suite, et le conduisirent à Missolonghi.

Lord Byron fut reçu, par les Grecs, au milieu des transports de joie et de reconnaissance. Il profita de ces premiers instans d'enivrement pour servir la cause de l'humanité. Le jour de son arrivée, un Turc, tombé entre les mains de quelques bateliers, allait expirer dans les tourmens: Byron le fait venir et s'empresse de réclamer sa grâce; mais il avait affaire à des hommes peu accoutumés à de semblables rémissions, et sa demande ne fut pas accueillie. Alors il soustrait à toutes les recherches le prisonnier, et quand les Grecs furieux viennent le réclamer à grands cris: «Vous me tuerez, leur dit-il, avant de me forcer à vous livrer cet homme. Barbares que vous êtes, comment osez-vous agir ainsi, et vous dire chrétiens?» Il garda chez lui, pendant quelque tems, le Turc que la frayeur avait rendu malade, puis il profita de la première occasion pour le renvoyer, guéri, à Patras où demeurait sa famille.

Ce n'est pas tout. À quelques jours de là il obtint encore du prince Mavrocordato la délivrance de plusieurs autres prisonniers, qu'il fit habiller à ses frais et reconduire au pacha de Scutari. Ces Turcs remirent, de sa part, à leur maître une lettre dont nous citerons les dernières phrases: «Si cette circonstance trouve place dans votre souvenir, j'ose prier Votre Hautesse de traiter les Grecs qui pourraient, par la suite, tomber en votre pouvoir, avec humanité: j'insiste d'autant plus sur ce point, que les horreurs de la guerre sont déjà assez grandes sans les aggraver, des deux côtés, par des cruautés inutiles. – Missolonghi, 23 janvier 1834.» C'est, je crois, la première et la seule fois que la plume de Lord Byron ait tracé l'expression de formes obséquieuses et suppliantes.

Je passe sous silence d'autres traits nombreux du même genre. Il eut, d'ailleurs, moins de peine à ramener à des sentimens généreux les Grecs altérés de vengeance, que les officiers européens, à des plans sages et raisonnables. Certes, il ne fallait pas une grande profondeur de jugement pour sentir que, dans les circonstances présentes, les premiers besoins des Grecs étaient des canons, des vaisseaux, des munitions de guerre de toute espèce, et peut-être encore avant tout cela, de l'argent monnayé. «Nous avons assez d'hommes, criaient les Grecs aux Européens; envoyez-nous des armes, du fer et de l'or, nous sommes sauvés.» Cependant, les comités, organisés dans toute l'Europe, cédaient à d'autres influences. Le brave Stanhope et quelques autres aveugles Philellènes les pressaient, quand l'insurrection était déclarée, de s'occuper, avant tout, de rendre les Grecs dignes de la liberté, de la liberté constitutionnelle, et, je crois même, représentative! À les entendre, il fallait transformer les aumônes de toutes les ames généreuses en imprimeries, en livres, en cartes géographiques, en mappes, etc. On sent que ces recommandations étaient accueillies avec ardeur; le commerce européen saluait l'aurore d'une liberté qui s'alliait si bien avec l'intérêt industriel, et les pauvres Grecs, sans artillerie, sans solde, perdaient chaque jour quelque chose de leur enthousiasme.

«J'avoue, disait Lord Byron, que je ne puis comprendre l'usage des presses d'imprimerie pour un peuple qui ne sait pas lire. Le comité nous envoie des mappemondes; mais il suppose donc qu'en venant en Grèce j'ai l'intention d'ouvrir un cours de géographie? On donne des livres à des gens qui manquent de fusils; ils implorent des sabres, et le comité leur adresse des caractères typographiques! Son secrétaire, M. Bowring, m'écrit une longue lettre sur la terre classique de la liberté, le berceau des arts, la source du génie, le séjour des dieux, le ciel de la poésie, et je ne sais quelle centaine d'autres belles choses. Je lui ai répondu de manière à le dissuader de m'écrire une seconde fois sur le même ton. Assez de bavardage, lui dis-je, mais au fait, au fait. Depuis ce tems, je n'entends plus parler de lui8

Rien ne donnait plus d'humeur à Byron que ce déplorable aveuglement; mais il ne faut pas croire que tous ces démêlés fissent naître aucun refroidissement entre lui et les autres défenseurs de la Grèce. La liberté de la presse ayant été votée par le gouvernement, Lord Byron contribua à la formation des imprimeries pour plus de cinq cents louis; mais il profita de l'occasion pour se plaindre avec force de l'inaction dans laquelle on laissait languir les guerriers. Il avait, en arrivant à Missolonghi, après avoir payé les arrérages de la flotte, pris à sa solde cinq cents Souliotes d'élite, dans l'espoir de bientôt employer ces braves gens à quelque entreprise périlleuse; mais le gouvernement, qui lui supposait des trésors inépuisables comme sa générosité, tremblait de lui voir exposer sa vie et faisait, avec une lenteur condamnable, les préparatifs de la campagne. Mavrocordato ne put toujours résister, et il fut décidé qu'aussitôt l'arrivée de l'artillerie sous les ordres du capitaine Parry, Lord Byron s'avancerait contre le château de Lépante, à la tête de trois mille Souliotes.

Malheureusement, le capitaine Parry et son artillerie se firent long-tems attendre: tandis qu'on laissait ainsi perdre un tems précieux, les Souliotes, guerriers sauvages et indomptables, se livraient, dans les rues de Missolonghi, à toutes sortes d'excès. Habitués à une guerre d'escarmouches, ils accusaient Lord Byron de vouloir les mener au combat contre des pierres; et quand le capitaine Parry arriva, leur mécontentement était à son comble. Byron menaça de les licencier; mais, de leur côté, les soldats de l'artillerie, nouvellement arrivés, refusaient de marcher avant de recevoir une partie de leur solde. Il fallut remettre le siége de Lépante à un tems plus favorable.

L'irritation continuelle que lui causaient tant de contre-tems, fut la première cause du dérangement de sa santé, naturellement assez délicate. Le 15 février, il se trouvait chez le colonel Stanhope, quand tout à coup on remarqua une violente altération dans ses traits. Il voulut faire quelques pas, ses jambes refusèrent de se mouvoir; on le transporta sur un lit: il y resta, pendant quelques minutes, en proie à une effrayante attaque de nerfs, qu'il faisait des efforts inouïs pour surmonter. Enfin, il revint à lui; mais le même accident se renouvela quatre fois dans l'espace d'un mois. Il ne put remonter à cheval, et reprendre ses travaux habituels, que dans les derniers jours de mars. Comme le climat de Missolonghi était trop humide pour lui, un habitant de Zante le conjura de venir habiter durant quelque tems sa maison de campagne. Byron lui répondit: «Je ne puis quitter la Grèce tant qu'il y aura une chance, même douteuse, de mon utilité. Il y va d'un enjeu qui vaut des millions d'hommes tels que moi, – et tant que je pourrai me soutenir le moins du monde, je soutiendrai la cause. Tout en parlant ainsi, je suis parfaitement averti des dissensions et des défauts des Grecs, mais tous les gens raisonnables doivent les comprendre et les excuser.»

Le siége de Lépante avait été remis après la tenue d'un nouveau congrès à Salone, auquel devaient assister Mavrocordato, Byron, Stanhope et Odysseus. Malgré tant de chagrins et de désappointemens, le cœur de Byron était toujours le même. On lit dans une de ses dernières lettres adressées à M. Bowring, secrétaire du comité grec de Londres: «Moi (Lord Byron), prie M. B. de presser l'honorable D. Kinnaird d'envoyer des crédits pour le montant de toutes les ressources de Lord Byron. Il y a ici, pour le moment, les plus grands embarras de toute espèce, mais nous conservons l'espérance, et nous en viendrons à bout.» Hélas, cette espérance ne devait pas se réaliser. Le 9 avril, à la suite d'une longue course à cheval, il rentra chez lui avec une fièvre qui ne l'empêcha pas de donner son attention et de répondre à plusieurs lettres. Le lendemain, l'indisposition offrit des symptômes plus graves; il toussait beaucoup, il dormait péniblement, il éprouvait de vives douleurs dans tous les membres. Mais les deux médecins, Bruno et Millingen, ayant déclaré avec assurance que la maladie n'avait rien d'alarmant, on retarda pendant plusieurs jours la saignée: leur sécurité ne se démentit qu'à la dernière extrémité. «Ce n'est rien, disaient-ils; il serait ridicule de consulter d'autres médecins pour une si légère indisposition.» Lord Byron, de son côté, s'obstinait à dire que son mal était d'une espèce sérieuse. Enfin, on le saigna le 16, et on recommença le 17 avril; son sang était enflammé, et chaque fois le malade éprouva un évanouissement. La crainte de devenir fou s'empara de sa grande ame: «Je ne peux pas dormir, disait-il au fidèle Fletcher; je sais qu'un homme ne peut être sans dormir qu'un certain tems, après quoi il devient nécessairement fou, sans qu'on puisse y trouver le moindre remède; or, j'aimerais mieux dix fois me brûler la cervelle que d'être fou.»

Cependant, il s'affaiblissait d'heure en heure, et le désordre de ses expressions annonçait même des accès de délire. À la fin d'un de ces accès: «Écoutez, Fletcher, dit-il; je commence à croire que je suis sérieusement malade, et si je mourais subitement, je veux que vous ayez quelques instructions que vous aurez, j'espère, soin de faire exécuter.» Ses paroles étaient rapides. Le valet ayant dit qu'il espérait le voir assez vivre pour exécuter lui-même ses volontés: «Non, répondit-il avec la même volubilité; c'en est fait, il faut tout vous dire sans perdre un moment. – Irai-je, milord, chercher une plume, de l'encre et du papier9? – Oh! mon Dieu, non; vous perdriez trop de tems, et je n'en ai pas à perdre. – Faites attention. – O mon enfant! ma chère fille, ma chère Ada; mon Dieu! si j'avais pu la voir! donnez-lui ma bénédiction, donnez-la à ma sœur Augusta10. Vous irez chez lady Byron; – dites-lui tout. – Vous êtes bien dans son esprit…»

Ici sa voix s'affaiblit; il parlait entre ses dents, il agitait ses lèvres sans rien exprimer; son visage avait quelque chose de solennel, et parfois il élevait la voix pour s'écrier: «Fletcher, si vous n'exécutez pas les ordres que je vous donne, je vous tourmenterai plus tard, si je puis. – Milord, dit Fletcher, je n'ai pas entendu un mot de ce que vous m'avez dit. – Oh! Dieu! reprit Byron, tout est fini. Se peut-il que vous ne m'ayez pas entendu!» Il essaya encore de parler, mais il ne prononçait distinctement que les noms de Grèce et de ma fille, le reste était inintelligible. Sur ces entrefaites arriva le capitaine Parry qui l'engagea à se tranquilliser. Byron fit de nouveaux efforts pour exprimer ses pensées, mais vainement, et il répandit un torrent de larmes. À peine M. Parry était-il sorti, qu'il parut vouloir sommeiller. «Il faut que je dorme maintenant,» dit-il. Il laissa tomber sa tête, et ce fut le commencement de l'agonie; elle se prolongea pendant vingt-quatre heures: le 19, à six heures du soir, Byron ouvrit les yeux et les referma aussitôt: ce fut l'instant de son dernier soupir.

La terrible nouvelle parcourut aussitôt toutes les rues de Missolonghi. C'était le jour de Pâques: les exercices religieux sont interrompus; les hymnes d'allégresse se changent en cris, en sanglots, en hurlemens de désespoir. Tous les citoyens, se pressant à l'envi autour de ce qui restait de Lord Byron, accusent le ciel, et maudissent le coup qui, au lieu de frapper chacun d'eux, vient d'atteindre leur ami, leur protecteur, leur père. Ils veulent tous, pour la dernière fois, le contempler. Ses traits conservaient le sceau d'une beauté sublime et solennelle: car la mort n'est pas toujours hideuse, et souvent l'ame, après avoir violemment brisé ses liens, dépose sur le corps qu'elle abandonne une trace presque sensible d'immortalité.

Mais les compatriotes de Byron réclament son corps au nom d'une ingrate patrie: heureusement, on se rappelle que le poète avait souvent exprimé le désir de laisser son cœur au milieu de ses chers Hellènes, et ce souvenir semble adoucir la douleur générale. Le gouvernement, organe de tout un peuple, prescrit aussitôt la forme des funérailles. Trente-sept coups de canon seront tirés en mémoire des années de Byron; toutes les occupations, toutes les séances judiciaires ou administratives seront interrompues; la célébration des solennités pascales est ajournée; un deuil universel sera porté pendant vingt et un jours; enfin, dans toutes les paroisses, un service et une oraison funèbre seront faits sur la tombe de Byron.

Ce fut le 22 avril que le plus précieux reste de sa dépouille mortelle fut transporté, sur les épaules des officiers du régiment soldé par lui, dans l'église où déjà reposaient les corps de Botzaris et de Normann. De distance en distance, le fardeau était repris par des jeunes citoyens grecs: le cercueil, formé de quatre planches assez mal jointes, était recouvert d'un drap noir; au-dessus étaient déposés un sabre, un casque et une couronne de lauriers: Un orateur, Spiridion Tricoupi, fut alors l'organe de ses concitoyens; ses paroles redoublèrent les sanglots et ranimèrent l'espoir de liberté que pouvait éteindre une si grande catastrophe. Nous citerons la fin de son discours:

«Je m'étais peint à moi-même tout ce que mon cœur désire. J'avais imaginé les bénédictions de nos évêques, les hymnes, les couronnes de lauriers et les danses des vierges de la Grèce, autour de la tombe du bienfaiteur de la Grèce; mais cette tombe ne contiendra pas ses précieux restes: le tombeau restera vide; encore quelques jours, et son corps disparaîtra de la surface de notre terre, – de la nouvelle patrie qu'il s'était choisie. Il faut qu'il soit porté dans la contrée qui fut honorée de sa naissance.

«Ô toi! sa fille, tendrement chérie de lui, tes bras le recevront; tes larmes baigneront la tombe qui recouvrait son corps, et les pleurs des orphelines de la Grèce tomberont sur l'urne qui renferme son cœur précieux. Comme dans le dernier moment de sa vie, toi et la Grèce fûtes seules dans son cœur et sur ses lèvres, il est juste qu'elle garde aussi une portion de ses précieux restes. Apprends, noble dame, que des chefs le portèrent, sur leurs épaules, jusqu'à l'église. Des milliers de soldats grecs bordaient le chemin à travers lequel il passait; leurs fusils, qui avaient détruit tant de tyrans, s'abaissaient devant lui: une foule de soldats entourèrent la couche funèbre; ils jurèrent de ne jamais oublier les sacrifices faits par ton père pour nous, et de ne jamais souffrir que le lieu où son cœur restera fût profané par les pieds des barbares ou des tyrans.»

Le 2 mai, le corps de Lord Byron, confié aux soins du colonel Stanhope, s'éloigna de la Grèce. Il prit la route de la Grande-Bretagne, et aborda à Stangate-Crew, le 1er juillet, pour y subir la quarantaine d'usage. Cam Hobhouse et John Hanson, exécuteurs testamentaires de Lord Byron, s'empressèrent de réclamer le corps, et s'occupèrent du soin d'entourer les funérailles de l'illustre poète de toute la pompe demandée par son titre de pair d'Angleterre. Tout ce que la nation renfermait d'opulent et d'élevé alla jeter un coup-d'œil sur les pièces destinées à briller dans cette occasion; mais quand le convoi sortit de Londres pour se rendre à Newstead, on ne vit qu'un petit groupe d'amis intimes accompagner le convoi. Une multitude de voitures, traînées par des chevaux noirs, et conduites par des laquais en deuil, suivait lentement le char funéraire; mais ces équipages étaient vides, au nombre des premiers étaient les carrosses de lady Byron et du comte de Carlisle, et dans ceux-là on ne vit ni Carlisle ni lady Byron, et, faut-il le dire? ni la pauvre petite Ada! Un seul homme suivit à pied le catafalque, depuis Londres jusqu'à Newstead; c'était un marin qui avait servi sur la frégate la Salsette, lors du premier voyage de Byron en Grèce. Enfin, le 16 juillet 1824, le corps de ce dernier fut déposé, suivant ses intentions, auprès de la tombe de sa mère, dans le village de Hucknall, à deux milles de Newstead. Une inscription fut placée dans le chœur de l'église, par les soins de miss Leight; nous la rapporterons telle qu'elle est:

SOUS CETTE VOÛTE

OÙ BEAUCOUP DE SES ANCÊTRES ET SA MÈRE SONT

ENSEVELIS,

REPOSENT LES RESTES DE

GEORGES GORDON NOËL BYRON,

LORD BYRON DE ROCHDALE,

DANS LE COMTÉ DE LANCASTRE,

AUTEUR DU PÈLERINAGE DE CHILDE HAROLD

IL NAQUIT À LONDRES LE

22 JANVIER 1788,

IL MOURUT À MISSOLONGHI, DANS LA GRÈCE

OCCIDENTALE,

LE 19 AVRIL 1824,

ENGAGÉ DANS LE GLORIEUX PROJET DE RENDRE À

CETTE CONTRÉE SES ANCIENNES LIBERTÉ

ET GLOIRE

Telle fut donc la mort de Lord Byron, tels les honneurs rendus à sa mémoire. En lisant ses œuvres poétiques on sentira que le récit de sa vie en était l'introduction indispensable. Simple narrateur, je n'essaierai pas maintenant de diriger le jugement que les lecteurs porteront de son caractère. Ils reconnaîtront, sans doute, que Byron eut des égaremens et quelques torts à se reprocher; mais peut-être conviendront-ils que ces contrastes d'une si belle vie étaient la condition nécessaire de tant de nobles facultés, et regarderont-ils ce puissant génie comme l'un des hommes destinés à montrer tout ce que le Créateur peut faire de sa créature. Ils apprécieront aussi, sans doute, la conduite de Walter Scott qui, sous prétexte d'honorer la mémoire de son illustre ami, n'a pas craint, lorsque son corps était à peine refroidi, de s'appesantir sur quelques prétendus torts de sa vie privée11. Enfin, ils déverseront le blâme le plus juste sur Thomas Moore, dont le premier soin, en apprenant la mort de Byron, fut de livrer aux flammes des Mémoires destinés à justifier l'illustre défunt contre les calomnies de sa femme et de la plupart de ses compatriotes; des Mémoires qu'il avait reçus de Byron lui-même, comme un religieux dépôt12. Honte éternelle à ceux qui trahirent l'amitié dont un aussi grand homme les avait honorés: et puisse la postérité, qui peut-être admirera les ouvrages de Scott et de Moore, ne jamais oublier la déloyauté de leur conduite dans une circonstance aussi solennelle!

Au reste, les calomnies et les injustices dont Lord Byron eut trop souvent à se plaindre dans sa patrie, n'ont pas trouvé d'écho en Europe. Les membres de la Sainte-Alliance n'ont pas même essayé d'interdire, dans leurs états, la publication de ses audacieuses poésies; et, si quelques Anglais, organes d'une envieuse hypocrisie, ont désigné fréquemment le défenseur des chrétiens de l'Orient comme le chef d'une école satanique, le reste de l'Europe proteste aujourd'hui en masse contre ce titre odieux, tous ceux chez qui n'est pas entièrement étouffé l'amour des arts, du génie et de la liberté, tressaillent et s'attendrissent encore au seul nom de Byron.

A. – P. Paris.

Janvier 1827.

3

Une circonstance singulière, c'est que les ancêtres maternels de Byron sont également originaires du Périgord: et, bien plus, c'est que les ruines du château de Gourdon ou Gordon subsistent encore aujourd'hui près de celles du château de Byron.

4

Il avait à peine quinze ans quand elles furent composées.

5

Elle mourut en mettant au monde miss Maria Byron, qui épousa, par la suite, sir H. Leigh.

6

Ou, comme disait Voltaire, pour le régaillardir.

7

Lord Byron, par madame L. Sw. Belloc, 1824.

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Consultez les lettres de Stanhope à Bowring. Dans une d'elles, rapportée par madame Belloc, il dit: «Odysseus, à ma prière, a changé en musée un ancien temple de Minerve: le docteur Psyas est nommé directeur. On assemblera le peuple, et on lui adressera un discours à ce sujet. La société des Philomuses surveillera cet établissement. Cette société n'a aucun caractère politique; son seul but est de conserver les antiquités, etc.»

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Cette question de Fletcher était bien intempestive: c'est peut-être ce qui dérangea le plus la suite d'idées de son bon maître.

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Augusta miss Leight.

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Voyez la singulière oraison funèbre insérée dans un journal anglais, et signée W. Scott, dans laquelle le romancier écossais s'arrête, avec une visible complaisance, sur les blâmables opinions politiques de Lord Byron, etc., etc. M. A. Pichot, en traduisant cette apologie, a cru devoir admirer la magnanimité de sir W. Scott. Nous ne partageons nullement son avis. Scott était l'homme que Lord Byron aimait, vantait et admirait le plus; lui appartenait-il d'être, dans un pareil moment, plus sévère que le reste du monde?

Le même M. A. Pichot, dans un Essai sur le génie de Lord Byron, n'a pas craint de comparer, et même de préférer, les poèmes de sir Walter à ceux de l'auteur de Don Juan et de Childe Harold: c'était trop compter sur l'ineptie du lecteur. Scott est un admirable romancier, mais c'est un poète singulièrement médiocre. En Angleterre il plaît assez, parce que ses vers sont hérissés d'expressions et de traditions locales; mais en France, je défie un seul homme de lire, sans un mortel ennui, la Dame du Lac, Marmion, le Roi des Îles, la Bataille de Waterloo, etc. Figurez-vous le docte Scaliger essayant de mettre en vers la prose grecque de Pausanias ou de Strabon, et vous aurez une idée exacte de la manière de Walter Scott. C'est plutôt mille fois un émule de Ducange qu'un rival de Lord Byron.

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On voit que ce morceau fut composé avant que Moore essayât de justifier sa conduite. Les Mémoires qu'il vient de publier semblent devoir aujourd'hui lever tous les soupçons qu'on fut, trop long-tems peut-être, en droit de former contre lui.

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1

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