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SARDANAPALE.
TRAGÉDIE HISTORIQUE
ACTE III
ОглавлениеSCÈNE PREMIÈRE
(La salle du palais illuminée. – Sardanapale et ses hôtes sont à table. Une tempête au dehors, et de tems en tems le tonnerre.)
SARDANAPALE
Remplis la coupe! Nous sommes ici dans l'ordre: c'est ici mon vrai royaume, entre de beaux yeux et des figures aussi heureuses que belles! Ici, le chagrin ne saurait pénétrer.
ZAMES
Ni partout ailleurs: – où est le roi, brille aussitôt le plaisir.
SARDANAPALE
Cela ne vaut-il pas mieux que les chasses de Nemrod, ou les courses de ma fière grand'-mère à la recherche de royaumes qu'elle n'aurait pu gouverner, si elle en eût fait la conquête?
ALTADA
Quelque grands qu'ils fussent, et comme le fut toute la royale race, nul de ceux qui ont précédemment régné n'a pourtant atteint la gloire de Sardanapale, qui mit toute sa joie dans la paix, la plus solide des gloires.
SARDANAPALE
Et dans le plaisir, cher Altada, vers lequel la gloire n'est qu'un chemin. Que recherchons-nous? le plaisir. Nous devons abréger la route qui y conduit; nous ne la poursuivons pas à travers les cendres de l'humanité, et nous évitons de signaler par autant de tombeaux chacun de nos pas.
ZAMES
Non; tous les cœurs sont heureux; toutes les voix s'accordent pour bénir le roi de paix, qui tient l'univers en joie.
SARDANAPALE
En es-tu bien sûr? J'ai ouï parler différemment; quelques-uns parlent de traîtres.
ZAMES
Sire, les traîtres sont ceux qui parlent ainsi2. Cela est impossible. Dans quel but?
SARDANAPALE
Dans quel but? tu as raison: – Remplis la coupe; nous n'y songerons plus. Il n'y a pas de traîtres: ou s'il en est, ils sont partis.
ALTADA
Amis, faites-moi raison! Vidons tous, à genoux, une coupe à la santé du roi, – du monarque, dis-je, du dieu Sardanapale!
ZAMES et les hôtes s'agenouillent, et s'écrient:
Au roi plus puissant que Baal son père, au dieu Sardanapale! (Le tonnerre interrompt leur toast, quelques-uns se relèvent effrayés.) Pourquoi vous relever, mes amis? Ses ancêtres divins expriment, par cette éclatante voix, leur consentement à nos vœux.
MIRRHA
Dis plutôt leurs menaces. Souffriras-tu, roi, cette ridicule impiété?
SARDANAPALE
Impiété! – Eh bien! si mes aïeux et prédécesseurs sont des dieux, je ne déshonorerai pas leur lignée. Mais levez-vous, mes pieux amis; réservez votre dévotion pour le maître du tonnerre: mes vœux sont d'être aimé, et non pas déifié.
ALTADA
Vous êtes l'un et l'autre; – et vous le serez toujours par vos fidèles sujets.
SARDANAPALE
Le tonnerre semble redoubler: voilà une horrible nuit.
MIRRHA
Oh! oui, pour les dieux qui n'ont pas de palais où puissent être à l'abri leurs adorateurs.
SARDANAPALE
Il est vrai, Mirrha; et si je pouvais transformer mon royaume en un vaste asile pour les malheureux, je le ferais.
MIRRHA
Tu n'es donc pas dieu, puisque tu ne peux exécuter le grand et noble vœu que tu formes.
SARDANAPALE
Et vos dieux donc, que sont-ils? eux qui le peuvent et ne le font pas?
MIRRHA
Ne parle pas de cela, de crainte de les provoquer.
SARDANAPALE
En effet; ils n'aiment pas mieux que les mortels la censure. Une pensée me frappe, mes amis: s'il n'existait pas de temple, croyez-vous qu'il y eût des adorateurs de l'air? – c'est-à-dire, quand il est triste et furieux comme en ce moment.
MIRRHA
Le Perse prie sur ses montagnes.
SARDANAPALE
Oui, quand brille le soleil.
MIRRHA
Mais moi, je demanderais, si ce palais était renversé et détruit, combien de flatteurs baiseraient la poussière sur laquelle marchait le roi?
ALTADA
La belle Ionienne parle avec trop de dédain d'une nation qu'elle ne connaît pas assez; les Assyriens ne savent de plaisir que celui de leur roi: ils sont fiers de leurs hommages.
SARDANAPALE
Eh bien! mes hôtes, pardonnez la vivacité d'expression de la belle Grecque.
ALTADA
Lui pardonner, sire! nous lui devons honneur, comme à tout ce qui vous appartient. Mais quel est ce bruit?
ZAMES
Ce bruit! rien que les éclats de portes lointaines frappées du vent.
ALTADA
Il a retenti comme le cri de-Écoutez encore.
ZAMES
C'est la pluie tombant par torrens sur le toit.
SARDANAPALE
N'en parlons plus. Mirrha, mon amour, as-tu préparé ta lyre? Chante-moi une pièce de Sapho; de celle, tu sais, qui, dans ton pays, se précipita-
(Entre Pania, l'épée et les vêtemens ensanglantés et en désordre. Les hôtes se lèvent tous effrayés.)
PANIA, aux gardes
Assurez-vous des portes; courez de toutes vos forces vers les murs. Aux armes! aux armes! le roi est en péril. Monarque, excusez cette hâte: – ma fidélité l'exige.
SARDANAPALE
Explique-toi.
PANIA
Les craintes de Salemènes étaient fondées: les perfides satrapes-
SARDANAPALE
Vous êtes blessé: – qu'on lui présente du vin. Reprenez vos sens, cher Pania.
PANIA
Ce n'est rien: – c'est une légère blessure. Je suis plus accablé de l'empressement que j'ai mis à avertir mon prince, que du sang répandu pour le défendre.
MIRRHA
Eh bien! les rebelles?
PANIA
À peine Arbaces et Belèses eurent-ils atteint leur demeure dans la ville, qu'ils refusèrent de marcher: et quand je voulus user du pouvoir qui m'était délégué, ils invoquèrent leurs troupes, qui se soulevèrent aussitôt en furie.
MIRRHA
Tous?
PANIA
Beaucoup trop.
SARDANAPALE
Ne va pas, en mettant une borne à ta franchise, épargner la vérité à mes oreilles.
PANIA
Ma faible garde était fidèle; – et ce qui en reste le demeure encore.
MIRRHA
Est-ce là tout ce qu'il y a de fidèle dans l'armée?
PANIA
Non: – les Bactriens, conduits par Salemènes, qui, toujours oppressé de violens soupçons sur les gouverneurs de Médie, était alors en marche. Les Bactriens sont nombreux; ils font aux rebelles une résistance opiniâtre, disputent le terrain pas à pas, et forment un cercle autour du palais: c'est là qu'ils songent à réunir toutes leurs forces, et à protéger le roi. (Il hésite.) Je suis chargé de-
MIRRHA
Il n'est pas tems d'hésiter.
PANIA
Le prince Salemènes supplie donc le roi de s'armer lui-même, quoique pour un moment, et de se montrer en soldat: dans cette circonstance, sa seule présence ferait plus que n'en saurait faire une armée.
SARDANAPALE
Alors donc, mes armes!
MIRRHA
Tu le veux bien?
SARDANAPALE
Sans doute. Allons! – mais ne cherchez pas le bouclier; il est trop lourd: – une légère cuirasse et mon épée. Où sont les rebelles?
PANIA
Le plus vif combat se donne maintenant à une stade, à peu près, des murs extérieurs.
SARDANAPALE
Je puis donc monter à cheval. Sféro, faites préparer mon cheval. – Il y a dans nos cours assez d'espace pour faire agir la moitié des cavaliers arabes.
(Sféro sort.)
MIRRHA
Combien je t'aime!
SARDANAPALE
Je n'en ai jamais douté.
MIRRHA
Mais, à présent, je te connais.
SARDANAPALE, à l'un des suivans
Apportez-moi aussi ma lance. – Où est Salemènes?
PANIA
Où doit être un soldat: dans le fort de la mêlée.
SARDANAPALE
Cours vers lui. – La route est-elle libre encore entre le palais et l'armée?
PANIA
Elle l'était quand j'accourus ici, et je n'ai nulle crainte: nos troupes étaient déterminées, et la phalange formée.
SARDANAPALE
Dis-lui, pour le présent, qu'il épargne sa personne, et que, pour moi, je n'épargnerai pas la mienne: – ajoute que j'arrive.
PANIA
Ce mot est à lui seul la victoire.
(Pania sort.)
SARDANAPALE
Altada, – Zames, avancez et armez-vous: tout dépend de la célérité, à la guerre. Voyez à ce que les femmes soient mises en sûreté dans les appartemens secrets: qu'on leur laisse une garde, avec l'ordre exprès de ne quitter leur poste qu'avec leur vie. – Zames, vous la commanderez. Altada, armez-vous, et revenez ici: votre poste est près de notre personne.
(Zames, Altada et tous les autres sortent, excepté Mirrha. – Entrent Sféro et autres, avec les armes du roi, etc.)
SFÉRO
Roi, voici votre armure.
SARDANAPALE, s'en revêtant
Donnez-moi la cuirasse; – bien: mon baudrier; puis mon épée: et le casque, j'oubliais, où est-il? c'est bien. – Non, il est trop lourd: vous vous êtes trompé, aussi, – ce n'est pas lui que je voulais, mais celui que surmonte un diadème.
SFÉRO
Sire, les pierres précieuses qui l'entourent le mettraient trop en vue pour être placé sur votre tête sacrée; – Veuillez me croire, celui-ci, bien que moins riche, est d'une meilleure trempe.
SARDANAPALE
Vous croyez! Êtes-vous aussi devenu rebelle? Apprenez que votre devoir est d'obéir: retournez; – mais, non, – il est trop tard: je sortirai sans lui.
SFÉRO
Au moins, prenez celui-ci.
SARDANAPALE
Prendre le Caucase! mais ce serait une montagne sur mes tempes.
SFÉRO
Sire, le dernier soldat ne s'avance pas aussi exposé au combat. Tout le monde vous reconnaîtra, – car l'orage a cessé, et la lune a reparu dans tout son éclat.
SARDANAPALE
Je sors pour qu'on me reconnaisse, et, par ce moyen, j'y réussirai plus tôt. Allons, – ma lance! me voici armé. (Il s'avance; puis s'arrêtant tout court, à Sféro.) Sféro, j'oubliais; – apportez le miroir3.
SFÉRO
Un miroir, sire?
SARDANAPALE
Oui, le miroir d'acier poli trouvé parmi les dépouilles de l'Inde; – mais hâte-toi. (Sféro sort.) Mirrha, retire-toi dans un lieu de sûreté. Pourquoi n'as-tu pas déjà suivi les autres femmes?
MIRRHA
Parce que c'est ici ma place.
SARDANAPALE
Mais quand je la quitterai? -
MIRRHA
Je vous suivrai.
SARDANAPALE
Au combat, vous!
MIRRHA
Dans ce cas-là, je ne serais pas la première fille grecque qui s'y fût montrée. Mais j'attendrai ici votre retour.
SARDANAPALE
La place est spacieuse: c'est la première qu'on occupera, si nous sommes vaincus; et s'il en arrive ainsi, je ne retournerai pas-
MIRRHA
Nous ne nous en rejoindrons pas moins.
SARDANAPALE
Comment?
MIRRHA
Aux lieux où tous finiront par se rejoindre: – dans les enfers! Nous y réunirons nos ombres, s'il est, comme je le crois; des rives au-delà du Styx; et nos cendres, s'il n'en est pas.
SARDANAPALE
Aurais-tu bien le courage de l'oser?
MIRRHA
J'oserai tout, si ce n'est de survivre à ce que j'aimais, pour devenir la proie d'un rebelle: séparons-nous, et montre toute ta valeur.
(Rentre Sféro, avec le miroir.)
SARDANAPALE, se regardant
Cette cuirasse me va bien, le baudrier mieux encore; mais le casque, pas du tout. (Il jette le casque, après l'avoir essayé de nouveau.) À mon avis, je ne suis pas trop mal dans ce costume; à présent, il s'agit d'en faire l'épreuve. Altada! où est Altada?
SFÉRO
Sire, il attend au dehors: il doit vous présenter votre bouclier.
SARDANAPALE
En effet, j'oubliais qu'il est mon porte-bouclier, par droit de naissance dérivé d'âge en âge. Embrasse-moi, Mirrha; encore une fois, – encore, – et quoi qu'il arrive, aime-moi: ma première gloire serait de me rendre plus digne de ta tendresse.
MIRRHA
Partez, et soyez vainqueur!
(Sardanapale et Sféro sortent.)
MIRRHA
Me voilà seule: tous sont partis, et peut-être un bien petit nombre reviendront. Qu'il triomphe seulement, et que je meure! S'il est vaincu, je n'en mourrai pas moins, car je ne veux pas lui survivre. Il a touché mon cœur, je ne sais comment et pourquoi. Ce n'est pas parce qu'il est roi; son royaume chancelle en ce moment autour de son trône; la terre s'entr'ouvre pour ne lui laisser d'autre place qu'un tombeau: et je l'aime encore davantage. Pardonne, ô puissant Jupiter! à cet amour monstrueux pour un barbare qui méconnaît l'Olympe! Oui, je l'adore maintenant, bien plus encore que-Écoutons: – quels cris de guerre! ils semblent approcher. S'il en était ainsi (elle tire une petite fiole), ce subtil poison de Colchos, que mon père apprit à composer sur les rivages d'Euxin, et qu'il m'enseigna à conserver, pourrait m'affranchir! Et déjà, depuis long-tems, il m'eût affranchie; mais j'aimais, j'aimais au point d'oublier que je fusse esclave, dans les lieux même où tous, à l'exception d'un seul, sont esclaves et fiers de leur servitude, quand, à leur tour, ils voient sous leurs ordres un seul être plus bas et plus méprisable qu'eux. C'est ainsi que nous oublions que des fers portés comme ornement n'en sont pas moins des chaînes. – Encore ce bruit!.. – Et puis, le cliquetis des armes: – et puis-
(Entre Altada.)
ALTADA
Sféro! – Sféro!
MIRRHA
Il n'est pas ici; que lui voulez-vous? où en est le combat?
ALTADA
Douteux et cruel.
MIRRHA
Et le roi?
ALTADA
Il agit en roi. Je cherche Sféro, afin de demander pour lui une nouvelle lance et son casque. Jusqu'à présent, il a combattu la tête nue, et beaucoup trop exposé. Les soldats connaissent ses traits, et malheureusement aussi les ennemis: à la claire lueur de la lune, sa tiare de soie et ses cheveux épars lui donnent une apparence trop royale. Tous les arcs sont dirigés sur ses beaux cheveux, sur sa belle tête, et sur le léger bandeau qui les couronne tous deux.
MIRRHA
Dieux qui tonnez sur la terre de mes pères, protégez-le! Est-ce le roi qui vous a envoyé?
ALTADA
C'est Salemènes qui, sans en avoir instruit le prince, trop peu soucieux du danger, m'a donné confidentiellement cet ordre. Mais le roi, le roi est au combat comme au plaisir! Où peut donc être Sféro? Je vais chercher dans l'arsenal, il doit s'y tenir.
(Altada sort.)
MIRRHA
Non, – il n'y a pas de déshonneur, – il n'en est pas à le chérir. Je voudrais presque, – ce que jamais je n'ai souhaité, qu'il fût Grec. Si Alcide fut blâmé pour avoir porté la robe de la Lydienne Omphale, et pour avoir manié son vil fuseau; celui qui tout-à-coup se montre un Hercule; qui, depuis sa jeunesse jusqu'à l'âge viril, nourri dans des habitudes efféminées, s'élance du banquet au combat, comme si c'était son lit voluptueux, certes, celui-là mérite d'avoir une fille grecque pour amante, un chantre grec pour poète, une tombe grecque pour monument. Eh bien, seigneur, comment va le combat?
(Entre un officier.)
L'OFFICIER
Perdu, perdu presque sans ressource. Zames! Où est Zames?
MIRRHA
Il commande la garde placée devant l'appartement des femmes.
(L'officier sort.)
MIRRHA, seule
Il est parti; et tout, m'a-t-il dit, est perdu! Qu'ai-je besoin d'en savoir davantage? Dans ce peu de mots se trouvent abîmés un royaume et un roi, une famille de treize siècles, des milliers de vies, et la fortune de tous ceux qui n'ont pas succombé; et moi aussi, semblable à la bulle légère sortie de la vague qui engouffre tant de victimes, je vais cesser d'exister. Du moins, mon destin est-il entre mes mains: nul insolent vainqueur ne me comptera parmi ses dépouilles.
(Entre Pania.)
PANIA
Mirrha, suivez-moi sans délai; nous n'avons pas un moment à perdre: – c'est tout ce qui nous reste.
MIRRHA
Et le roi?
PANIA
Il m'a envoyé ici pour vous conduire au-delà du fleuve, par un passage secret.
MIRRHA
Ainsi donc, il vit-
PANIA
Et m'a chargé d'assurer votre vie, et de vous conjurer de vivre pour lui, jusqu'à ce qu'il pût vous rejoindre.
MIRRHA
Songerait-il à quitter le combat?
PANIA
Non, jusqu'à la dernière extrémité. Encore à présent, il n'écoute que les inspirations du désespoir; et, pied à pied, il dispute le palais lui-même.
MIRRHA
Ils y sont donc! – oui, leurs cris retentissent au travers des vieilles salles que n'avaient jamais profanées des échos rebelles, jusqu'à cette nuit fatale. Adieu, race d'Assyrie! adieu à toutes celles de Nemrod! tout, jusqu'à son nom, est à présent disparu.
PANIA
Suivez-moi, sortons!
MIRRHA
Non; je veux mourir ici! – Fuyez, et dites à votre roi que jusqu'à la fin je l'ai aimé.
(Entrent Sardanapale et Salemènes, avec soldats. Pania quitte Mirrha et entre dans leurs rangs.)
SARDANAPALE
Puisqu'il en est ainsi, nous mourrons où nous sommes nés: – dans nos appartemens. Serrez vos rangs, – demeurez fermes. J'ai dépêché un satrape fidèle vers Zames, dont la garde est fraîche et dévouée: ils ne tarderont pas. Tout n'est pas désespéré! Pania, veille sur Mirrha.
(Pania revient près de Mirrha.)
SALEMÈNES
Nous avons le tems de respirer: encore un effort, mes amis, – un effort pour Assyrie!
SARDANAPALE
Dis plutôt pour Bactriane! Mes fidèles Bactriens, je veux désormais être roi de votre pays, et nous tiendrons ensemble ce royaume en province.
SALEMÈNES
Écoutez! ils viennent, – ils viennent.
(Entrent Belèses et Arbaces à la tête des rebelles.)
ARBACES
Avançons! nous les avons pris dans le piége. À la charge! à la charge!
BELÈSES
En avant! – Le ciel combat pour nous et avec nous: – sus!
(Ils chargent le roi, Salemènes et leurs troupes, qui se défendent jusqu'à l'arrivée de Zames, avec les gardes ci-dessus mentionnées. Les rebelles sont alors repoussés et poursuivis par Salemènes, etc. Comme le roi va rejoindre les poursuivans, Belèses l'arrête.)
BELÈSES
À moi, le tyran. – Je vais terminer cette guerre.
SARDANAPALE
Et moi aussi, belliqueux prêtre, sublime prophète, sujet reconnaissant et fidèle: – cède, je t'en prie. Je te réserverai pour un jugement en forme, au lieu de plonger mes mains dans ton sang sacré.
BELÈSES
Ton heure est venue.
SARDANAPALE
Non, c'est la tienne. – Dernièrement, quoique je ne sois qu'un jeune astrologue, j'ai lu dans les astres; et parmi les lumières du zodiaque, j'ai trouvé ton destin dans le signe du Scorpion, qui proclame que tu vas être terrassé.
BELÈSES
Ce ne sera pas par toi.
(Ils combattent; Belèses est blessé et désarmé.)
SARDANAPALE, levant son épée pour le tuer
Invoque maintenant les planètes. Descendront-elles du ciel pour sauver leur crédit et leur interprète?
(Un parti de rebelles entre et délivre Belèses. Ils attaquent le roi, qui, à son tour, est délivré par un parti de ses soldats: les rebelles sont mis en fuite.)
SARDANAPALE
Après tout, le vilain avait prophétisé juste. Allons! – sur eux: – la victoire est à nous.
(Il sort à leur poursuite.)
MIRRHA, à Pania
Suis-le donc! Pourquoi demeures-tu ici, et souffres-tu que tes compagnons marchent sans toi à la victoire?
PANIA
Le roi m'a ordonné de ne pas vous quitter.
MIRRHA
Moi! ne songe pas à moi: un simple soldat de plus peut offrir un secours décisif. Je ne demande pas, je n'ai pas besoin de garde. Et qui peut, quand il s'agit du destin du monde, songer à veiller sur une femme! Disparais, te dis-je, ou tu perds l'honneur! Tu ne m'écoutes pas; eh bien, moi, femme timide, je vais m'élancer au milieu de leur furieuse lutte, et je t'ordonne de me garder, là-où tu pourras en même tems protéger ton souverain.
(Mirrha sort.)
PANIA
Arrêtez, madame! Elle est partie. S'il lui arrivait quelque malheur, j'aurais mieux fait de perdre ma vie. Sardanapale tient bien plus à elle qu'à son royaume, et pourtant il dispute en ce moment l'un et l'autre. Faut-il donc moins faire que lui, qui n'a jamais, jusqu'à présent, tiré un cimeterre? Revenez, Mirrha, je vous obéis, quoiqu'en désobéissant au monarque.
(Pania sort. Altada et Sféro entrent par une porte opposée.)
ALTADA
Mirrha! Eh quoi, partie! Pourtant elle était ici quand s'est engagé le combat, et Pania avec elle, leur serait-il arrivé quelque chose?
SFÉRO
Je les vis en sûreté à l'instant où les révoltés prirent la fuite; et s'ils se sont éloignés, ce n'est sans doute que pour regagner le harem.
ALTADA
Si, comme tout semble l'annoncer, le roi reste vainqueur, et qu'il ait perdu sa chère Ionienne, nous sommes destinés à un sort pire que celui des révoltés captifs.
SFÉRO
Il faut que nous les suivions; elle ne peut être fort éloignée: et si nous la retrouvons, c'est une plus riche proie à présenter à notre souverain que celle d'un royaume reconquis.
ALTADA
Non, Baal lui-même ne fit jamais, pour s'emparer de ces contrées, de plus hardis efforts que son soyeux fils pour les conserver: il a déjoué toutes les prévisions de ses ennemis et de ses amis; il s'est montré tel que ces brûlantes et lourdes journées d'été, avant-courrières de soirées orageuses, alors qu'éclate tout d'un coup la foudre, au point d'ébranler les airs et de transformer la terre en nouveau déluge. L'homme est inexplicable.
SFÉRO
Pas plus celui-ci que les autres: tous sont les enfans de l'occasion. Mais, sortons: – allons à la recherche de l'esclave, ou préparons-nous à expier dans les tortures sa folle passion, et à subir, innocens, le supplice des criminels.
(Ils sortent. – Entrent Salemènes, soldats, etc.)
SALEMÈNES
Le triomphe est beau: ils sont repoussés loin du palais; et nous avons ouvert un facile accès aux troupes stationnées de l'autre côté de l'Euphrate, qui peut-être demeurent encore fidèles. Et puis elles doivent l'être, grâce à la nouvelle de notre victoire; mais le chef des vainqueurs, le roi, où est-il?
(Entre Sardanapale avec les siens, etc., et Mirrha.)
SARDANAPALE
Me voici, mon frère.
SALEMÈNES
Sain et sauf, je l'espère.
SARDANAPALE
Non, pas tout-à-fait; mais passons: nous avons nettoyé le palais-
SALEMÈNES
Et la ville, je l'espère. Notre nombre s'accroît; et j'ai donné ordre à une nuée de Parthes réservés jusqu'à présent, tous impatiens et dispos, de les poursuivre dans leur retraite, qui bientôt sera une fuite.
SARDANAPALE
Elle est déjà telle, du moins ils marchent plus rapidement que je ne pouvais les suivre, moi et mes Bactriens, qui cependant n'y mettaient pas de lenteur. Mais je suis fatigué: donnez-moi un siége.
SALEMÈNES
Dans cette place est précisément le trône, sire.
SARDANAPALE
Ce n'est pas un point de repos, pour l'esprit ni pour le corps: qu'on me procure une couche, un bloc de paysan, peu importe. (On lui présente un siége.) Bien: – maintenant, je respire plus librement.
SALEMÈNES
Ce grand jour est devenu le plus beau et le plus glorieux de votre vie.
SARDANAPALE
Ajoutez: et le plus fatigant. Où est mon échanson? qu'on m'apporte un peu d'eau.
SALEMÈNES, souriant
C'est la première fois qu'il reçoit un pareil ordre: et moi-même, le plus austère de vos conseillers, je vous proposerais volontiers, en ce moment, une boisson plus vermeille.
SARDANAPALE
Du sang, n'est-ce pas? mais il en est assez de répandu. Et quant au vin, j'ai appris, dans cette dernière circonstance, le prix d'une liqueur plus naturelle. Trois fois j'ai bu de l'eau, et trois fois j'ai renouvelé, avec une ardeur plus grande que ne m'en donna jamais le jus de la treille, ma poursuite sur les rebelles. Où est le soldat qui me présenta de l'eau dans son casque?
L'UN DES GARDES
Tué, sire! Une flèche l'atteignit au front, tandis qu'après avoir égoutté son casque, il se disposait à le replacer sur sa tête.
SARDANAPALE
Il est mort! sans récompense! et tué pour avoir satisfait ma soif: cela est pénible. Le pauvre esclave! s'il vivait seulement, je le gorgerais d'or; car tout l'or de la terre n'aurait pu payer le plaisir que me fit cette eau; j'étais desséché, comme en ce moment. (On lui apporte de l'eau: – il boit.) Je renais donc. – À l'avenir, le gobelet sera réservé aux heures de l'amour: à la guerre, je veux de l'eau.
SALEMÈNES
Et quel est, sire, ce bandage autour de votre bras?
SARDANAPALE
Une égratignure du brave Belèses.
MIRRHA
Ô ciel! il est blessé!
SARDANAPALE
C'est peu de chose que cela; cependant, maintenant que je suis refroidi, j'éprouve une sensation légèrement douloureuse.
MIRRHA
Vous l'avez couverte avec-
SARDANAPALE
Avec le bandeau de ma couronne: c'est la première fois que cet ornement, jusqu'alors une charge, m'a offert quelque utilité.
MIRRHA, aux serviteurs
Avertissez promptement un médecin des plus habiles. Et vous, seigneur, rentrez, je vous prie: je découvrirai votre blessure; et je l'examinerai.
SARDANAPALE
J'y consens: car, en ce moment, le sang me tourmente légèrement. Te connais-tu donc en blessures, Mirrha? – À quoi bon le demander? Mon frère, savez-vous où j'ai découvert cette aimable enfant?
SALEMÈNES
Sans doute la tête cachée au milieu d'autres femmes, comme des gazelles effrayées.
SARDANAPALE
Non: mais comme l'épouse du jeune lion animée d'une rage féminine (et féminine signifie furieuse, attendu que, dans leur excès, toutes les passions sont féminines) contre le chasseur qui s'enfuit avec sa famille. De la voix et du geste, de sa flottante chevelure et de ses yeux étincelans, elle pressait la fuite des guerriers ennemis!
SALEMÈNES
En vérité!
SARDANAPALE
Vous le voyez, je ne suis pas le seul guerrier que cette nuit ait enfanté. Mes yeux s'arrêtaient sur elle et sur ses joues enflammées; ses grands yeux noirs, dont le feu jaillissait à travers les longs cheveux dont elle était couverte; ses veines bleues soulevées le long de son front transparent; ses sourcils dont l'arc était légèrement dérangé; ses charmantes narines, gonflées par un souffle brûlant; sa voix traversant l'effroyable tumulte, ainsi qu'un luth perce le son retentissant des cimbales; ses bras étendus, et qui devaient plutôt leur éclat à leur naturelle blancheur qu'au fer dont sa main était armée, et qu'elle avait arraché aux doigts d'un soldat expirant: tout cela la faisait prendre, par les soldats, pour une prophétesse de victoire, ou pour la victoire elle-même venant saluer ses favoris.
SALEMÈNES, à part
En voilà trop: l'amour reprend sur lui son premier empire, et tout est perdu si nous ne donnons le change à ses pensées. (Haut.) Mais, sire, de grâce, songez à votre blessure: – vous disiez qu'elle vous faisait souffrir.
SARDANAPALE
En effet; – mais il n'y faut pas penser.
SALEMÈNES
Je me suis occupé de tout ce qui pouvait être nécessaire; je vais voir comment on se dispose à exécuter mes ordres, puis je reviendrai connaître vos intentions.
SARDANAPALE
Fort bien.
SALEMÈNES, en se retirant
Mirrha!
MIRRHA
Prince.
SALEMÈNES
Vous avez montré cette nuit une ame qui, si le roi n'était pas l'époux de ma sœur; – mais je n'ai pas de tems à perdre: tu aimes le roi?
MIRRHA
J'aime Sardanapale.
SALEMÈNES
Mais, désires-tu aimer en lui un roi?
MIRRHA
Je ne prétends rien aimer en lui d'inférieur à lui-même.
SALEMÈNES
Eh bien donc, pour qu'il conserve sa couronne et vous autres, et tout ce qu'il peut et tout ce qu'il doit être, pour lui conserver la vie, ne le laissez pas abattre au milieu de lâches voluptés. Vous avez sur son esprit plus d'empire que n'en ont, dans ces murs, la sagesse; au dehors, la révolte furieuse: songez bien à l'empêcher de retomber.
MIRRHA
La voix de Salemènes était inutile pour m'engager à cette conduite: je n'y manquerai pas. Tout ce que peut la faiblesse d'une femme-
SALEMÈNES
Sur un cœur comme le sien, c'est l'autorité toute-puissante: exercez-la avec sagesse.
(Salemènes sort.)
SARDANAPALE
Eh quoi! Mirrha, quelles étaient ces confidences avec mon frère? Je vais devenir jaloux.
MIRRHA, souriant
Vous en avez sujet, sire; sur la terre, il n'est pas d'homme plus digne de l'amour d'une femme: – le dévouement d'un soldat! – le respect d'un sujet! – la confiance d'un roi! – l'admiration de tout le monde!
SARDANAPALE
Oh! je te prie, moins de chaleur. Je ne puis voir ces lèvres charmantes rehausser avec éloquence une gloire qui me rejette dans l'ombre; quoi qu'il en soit, vous avez dit vrai.
MIRRHA
Maintenant, retirons-nous pour examiner votre blessure. Je vous prie, appuyez-vous sur moi.
SARDANAPALE
Oui, chère Mirrha; mais ce n'est pas à la douleur que je cède.
(Ils sortent tous.)
FIN DU TROISIÈME ACTE
2
Ces mots (pourquoi? je l'ignore) me rappellent ceux de la fameuse dernière adresse de 1830, au roi Charles X. «Sire, entre ceux qui méconnaissent une nation si fidèle, si dévouée, si soumise, et nous, que votre majesté prononce.» – La réponse de Zames est, comme on le voit, très-respectueuse.(N. du Tr.)
3
C'est ainsi que, dans les champs illyriens, Othon portait un miroir. – Voyez Juvénal.