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MANFRED,
POÈME DRAMATIQUE
MANFRED
ACTE III
SCÈNE IV

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(Intérieur de la tour.)

MANFRED, seul

Chaque étoile est à son poste; la lune resplendit sur les cimes neigeuses des montagnes. – Que tout cela est beau! Toujours je reviens à la nature, car l'aspect de la nuit m'a été plus familier que l'aspect des hommes; dans son ombre étoilée, dans sa sombre et solitaire beauté, le langage d'un autre monde m'a été révélé. Je me rappelle que dans ma jeunesse, – alors que j'errais par le monde, – pendant une nuit semblable à celle-ci, je m'arrêtai dans l'enceinte du Colysée, au milieu des plus nobles ruines de l'antique et puissante Rome. Les arbres qui croissent entre les arches brisées se balançaient mollement dans l'ombre bleue de la nuit, et les étoiles se montraient à travers les fentes des ruines. De l'autre rive du Tibre, l'on entendait les aboiemens du chien de garde, tandis qu'à mes côtés, du sein du palais des Césars, sortait le cri plaintif du hibou, que venait interrompre, de tems à autre, la joyeuse chanson des sentinelles éloignées portée par la brise légère. Quelques cyprès plantés au-delà de la brèche qu'a faite le tems semblaient borner l'horizon, bien qu'ils ne fussent qu'à une portée de trait, – à l'endroit où habitèrent les Césars, et où habitent aujourd'hui les oiseaux nocturnes au chant monotone. Des arbres s'élèvent du milieu des remparts détruits, enlaçant leurs racines dans les tombeaux des empereurs; le lierre rampe où croissait le laurier; mais le Cirque, teint du sang du gladiateur, est encore débout, – noble débris, ruine imposante, – alors que les demeures des Césars, les palais des Augustes gisent sur la terre, triste amas de décombres. – Et toi, lune errante, tu éclairais ce tableau de tes rayons; ta pâle et tendre lueur adoucissait la sauvage austérité d'une scène de désolation; il semblait que, de nouveau, comblant le vide des siècles, tu rendisses à ces lieux un ancien éclat perdu, sans effacer toutefois la beauté nouvelle qu'ils ont acquise. Peu à peu, je surpris dans mon cœur une adoration silencieuse de ces grands débris de l'antiquité, et je me voyais en présence des rois du monde qui, en dépit de l'impitoyable mort, dominent encore si puissamment nos esprits, du fond de leurs tombeaux. – C'était une nuit comme celle-ci! Il est étrange que je me la rappelle à ce moment; – mais j'ai souvent remarqué que nos pensées s'envolent loin de nous, alors même que nous nous efforçons de les rassembler et de leur imprimer une direction quelconque.

(Entre l'abbé de Saint-Maurice.)

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Comte Manfred! pardonne qu'une seconde fois je vienne à toi. Que mon humble zèle ne t'offense pas par cette brusque visite; et s'il y a mal, que le mal retombe sur moi seul. Peut-être, néanmoins, sera-t-elle d'un salutaire effet pour ton esprit, – et que ne puis-je dire pour ton cœur! – car si mes paroles et mes prières parvenaient à te toucher, je rappellerais à lui un noble esprit qui s'est égaré, mais qui n'est pas perdu sans retour.

MANFRED

Tu ne me connais pas; mes jours sont comptés, mes actions jugées. Retire-toi, ce lieu te serait dangereux. – Retire-toi!

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Prétends-tu me menacer?

MANFRED

Non pas moi; j'ai simplement dit qu'il y avait péril ici, et je voulais t'en éloigner.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Que veux-tu dire?

MANFRED

Regarde, là! Vois-tu quelque chose?

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Rien.

MANFRED

Regarde, là, te dis-je; regarde avec assurance. Maintenant, dis-moi ce que tu vois.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Ce qui serait vraiment capable de me faire trembler; – mais je ne tremble pas. – Je vois, du sein de la terre, s'élever un noir et terrible fantôme, semblable à un dieu infernal. Il dérobe sa figure sous un manteau, et des nuages épais entourent son corps. Il s'arrête entre toi et moi; – non, je ne crains rien.

MANFRED

Aussi, n'as-tu rien à redouter. – Il ne s'attaquera point à toi; – mais son aspect peut glacer tes vieux membres. Encore une fois-retire-toi.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Et moi, pour la dernière fois, – non. – Je vaincrai cet ennemi d'enfer. – Que vient-il demander ici?

MANFRED

Ce qu'il-oui, – que vient-il demander ici? Je ne l'ai point appelé, – il est venu sans ordre.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Hélas! infortuné mortel! Qu'as-tu donc à démêler avec de pareils hôtes? Je tremble pour ton salut. Pourquoi fixe-t-il ainsi ses regards sur toi, et toi tes regards sur lui? Ah! le voilà qui découvre ses traits; sur son front est gravée l'empreinte de la foudre; de son œil s'échappe l'affreuse immortalité de l'enfer: – fuis, maudit!

MANFRED

Parle. – Quelle est ta mission?

L'ESPRIT

Partons!

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Qui es-tu, être inconnu? Réponds-réponds!

L'ESPRIT

Le génie de cet homme. – Partons, il est tems.

MANFRED

Je suis préparé à tout; mais je nie que tu aies aucun pouvoir sur moi. Qui t'a envoyé?

L'ESPRIT

Tu l'apprendras un jour. – Partons! partons!

MANFRED

J'ai commandé à des êtres d'une essence plus élevée que la tienne; j'ai lutté avec tes maîtres. Disparais!

L'ESPRIT

Mortel! ton heure a sonné. – Partons, te dis-je!

MANFRED

Je sais, je savais depuis long-tems que mon heure était arrivée; mais non pour rendre mon ame à un être tel que toi. Va-t'en: je mourrai comme j'ai vécu, – seul.

L'ESPRIT

J'appellerai donc mes frères. – Levez-vous!

(D'autres esprits paraissent.)

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Hors d'ici! méchans! hors d'ici! – Je vous le dis, vous n'avez aucune puissance là où la religion a puissance. Je vous somme, au nom-

L'ESPRIT

Vieillard! nous savons qui nous sommes, et nous connaissons notre devoir et ton ministère. N'use pas en vain tes saintes paroles. Tout effort est inutile: cet homme est condamné. Pour la dernière fois, qu'il m'écoute! – Partons! partons!

MANFRED

Tous, je vous brave. – Oui, bien que je sente mon ame se séparer de moi, je vous défie tous. Tant qu'il me restera un souffle terrestre, ce sera pour verser le mépris sur vous. – Mes forces terrestres lutteront avec des esprits; et ce que vous emporterez de moi, vous l'emporterez lambeaux par lambeaux.

L'ESPRIT

Orgueilleux rebelle! Est-ce donc là ce magicien qui voulait pénétrer dans le monde invisible et s'égaler à nous? – Se peut-il que tu sois si amoureux de la vie, de la vie qui n'a été pour toi que désolation?

MANFRED

Tu mens, toi, faux ennemi! Ma vie est à sa dernière heure, je le sais, et ne voudrais pas racheter une minute de cette heure. Aussi, n'est-ce pas contre la mort que je lutte, mais contre toi et ces anges déchus qui t'entourent. Ce n'est pas de vos mains que j'ai reçu mon ancien pouvoir, mais d'une science supérieure à la vôtre: – du travail, – de l'audace, – de la longueur des veilles, – de la force de mon esprit, et de ces mystérieuses connaissances découvertes par nos pères, – en ce tems où la terre voyait les hommes et les esprits marcher de compagnie, et que vous n'aviez sur nous aucune prééminence. Je m'appuie sur ma propre force pour vous défier. – Retournez aux lieux d'où vous êtes venus: – je me ris de vous et vous méprise! -

L'ESPRIT

Tu oublies que tous tes crimes t'ont rendu-

MANFRED

Qu'ont à faire mes crimes avec toi? mes crimes punis par d'autres crimes et par de plus grands criminels! – Retourne à ton enfer! tu n'as, je le sens, aucune puissance sur moi. Jamais je ne deviendrai ta proie, c'est là ce que je sais. Ce qui est fait est fait. Je porte au-dedans de moi une torture à laquelle tu n'as rien à ajouter. L'ame immortelle se juge d'après ses bonnes ou ses mauvaises pensées; elle est elle-même sa propre source du bien ou du mal. Elle est sa place et son tems, – et lorsqu'une fois ce sens intime est dépouillé de son enveloppe mortelle, il ne reçoit plus aucune sensation des objets qui flottent à l'entour de lui; mais il s'absorbe tout entier dans la souffrance ou dans la joie que lui inflige ou lui accorde la conscience de son propre mérite. Quant à toi, tu ne m'as pu tenter, et tu ne saurais me tenter; je n'ai point été ta dupe, je ne serai point ta proie. Je fus et je serai mon propre destructeur. – Fuyez, misérables ennemis! La main de la mort pèse sur moi, – mais non votre main!

(Les démons disparaissent.)

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Hélas! comme tu es pâle; – tes lèvres blanchissent, – ta poitrine est oppressée, – des râlemens étouffés s'échappent de ta gorge. – Donne une prière au ciel. – Prie, – ne fût-ce qu'en pensée; – mais ne meurs pas ainsi!

MANFRED

Il est trop tard. – Mon œil obscurci peut à peine t'entrevoir; tout nage autour de moi, et la terre semble me soulever. Adieu! – Donne-moi ta main.

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Froide, – froide, – son cœur aussi. – Au moins une prière! – Hélas! que vas-tu devenir?

MANFRED

Vieillard! il n'est pas si difficile de mourir!

(Manfred expire.)

L'ABBÉ DE SAINT-MAURICE

Il est parti; – son ame a pris son vol loin de notre terre, – vers quels lieux? – Je frémis d'y songer; – mais il n'est plus.

FIN DU TROISIÈME ET DERNIER ACTE.

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6

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