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MARINO FALIERO, DOGE DE VENISE,
TRAGÉDIE HISTORIQUE

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PRÉFACE

La conspiration du doge Marino Faliero est l'un des événemens les plus remarquables que renferment les annales du gouvernement, de la ville et du peuple les plus singuliers de nos tems modernes. Elle eut lieu en 1355. Tout, dans Venise, est ou a été extraordinaire; son aspect a l'air d'un rêve, son histoire a l'air d'un roman. On peut voir dans toutes les chroniques, l'histoire de Faliero; les plus longs détails se retrouvent dans le livre de la Vie des Doges, par Marin Sanuto: nous les avons transcrits dans l'appendice. Ce récit est simple et clair; peut-être même est-il plus dramatique que tous les drames que l'on pourrait être tenté de faire sur le même sujet.

On doit présumer que Marino Faliero fut un homme de talent et de cœur. On le voit au siège de Zara, commandant en chef les forces de terre, mettant en fuite le roi de Hongrie et ses quatre-vingt mille hommes, lui tuant huit mille soldats, et n'en tenant pas moins, durant ce tems, les assiégés en échec. Je ne vois, dans l'histoire, de comparable à cet exploit, que ceux de César à Alisia5, et du prince Eugène à Belgrade. Faliero fut, dans la même guerre encore, choisi pour commander la flotte, et il prit Capo-d'Istria. Puis, nommé plus tard ambassadeur à Gênes et à Rome, c'est dans cette dernière ville qu'il reçut la nouvelle de son élection à la dignité de doge. Son éloignement prouve assez que l'intrigue n'avait eu, dans cette promotion, aucune part, puisqu'il apprit en même tems la mort de son prédécesseur et le choix qu'on venait de faire de sa personne pour le remplacer. Mais il paraît que son caractère était intraitable. Sanuto raconte que, plusieurs années auparavant, étant podestat et capitaine de Trévise, il avait frotté les oreilles d'un évêque, qui avait mis une certaine lenteur à lui porter le Saint-Sacrement. Le bon Sanuto le tance, il est vrai, de cet emportement, mais il ne nous apprend pas si le sénat songea à l'en punir, ou même à le lui reprocher pendant la durée de son office. Quant à l'église, on doit présumer qu'elle n'en conserva pas de ressentiment, puisque nous voyons qu'il fut ensuite ambassadeur à Rome, et investi, par Lorenzo, comte-évêque de Ceneda, du fief de Val di Marino, dans la Marche de Trévise, avec le titre de comte. J'ai puisé ces faits dans Sanuto, Vettor Sandi, Andrea Navagero, et la relation du siége de Zara, publiée pour la première fois par l'infatigable abbé Morelli, dans ses Monumenti Veneziani di varia litteratura, imprimés en 1796: j'ai lu tous ces ouvrages dans leur langue originale. Quant aux modernes, Daru, Sismondi et Laugier, ils se sont bornés presqu'en tout à suivre les chroniques les plus anciennes. Sismondi, cependant, attribue à la jalousie du doge cette conspiration; mais cette assertion n'est pas garantie par les écrivains nationaux. Vettor Sandi dit bien: Altri scrissero che… della gelosa suspicion di esso Doge siasi fatto (Michel Steno) staccar con violenza, etc., etc.; mais il ne paraît avoir nullement suivi l'opinion générale, et l'on ne trouve aucune trace de cette prétendue jalousie dans Sanuto ni dans Navagero. Sandi lui-même ajoute l'instant d'après que: Per altre Veneziane memorie traspiri, che non il solo desiderio di vendetta lo dispose alla conjiura, ma anche la innata abituale ambizion sua, per cui anelava a farsi principe independente. Il semble que ce désir de vengeance fut excité par la grossière injure que Michel Steno avait tracée sur le fauteuil ducal, et par la trop légère punition que les Quarante avaient infligée au calomniateur, l'un de leur tre capi. Quant à la dogaressa, on n'a jamais songé à porter la plus légère atteinte à sa réputation de vertu, tandis qu'on a vanté sa beauté et remarqué sa jeunesse. Les attentions de Steno n'étaient pas même dirigées vers elle, mais sur l'une de ses suivantes. Ainsi, nulle part (à moins qu'on ne prenne pour une assertion l'on dit de Sandi), je ne trouve que le doge ait été entraîné par la jalousie qu'il concevait de sa femme; on doit plutôt conjecturer qu'il le fut par son respect pour elle, et le sentiment de son honneur compromis, tandis que ses services passés et la dignité dont alors il était revêtu semblaient devoir en être la sauvegarde.

Je ne connais chez les écrivains anglais aucune allusion à cet événement, si ce n'est dans les Vues d'Italie du docteur Moore. Son récit est mensonger et séduisant, plein de plaisanteries usées sur les vieux maris et les jeunes femmes. L'auteur s'étonne qu'une si petite cause ait produit un aussi grand effet, et il est inconcevable qu'un observateur aussi judicieux, aussi sévère que l'auteur de Zéluco ait pu trouver en cela quelque chose de surprenant. Oublie-t-il donc qu'une jatte d'eau répandue sur la robe de Mrs. Marsham fit ôter le commandement au duc de Marlborough, et conduisit à la honteuse paix d'Utrecht; que Louis XIV fut plongé dans les plus désastreuses guerres, parce que son ministre, l'ayant aperçu d'une fenêtre en flagrant délit, avait souhaité de lui trouver d'autres occupations; qu'Hélène perdit Troie; que Lucrèce chassa les Tarquins de Rome; que la Cava appela les Maures en Espagne; qu'un mari outragé conduisit les Gaulois à Clusium, et de là à Rome; qu'un simple vers de Frédéric II, roi de Prusse, sur l'abbé de Bernis, et une épigramme sur Mme de Pompadour, conduisirent à la bataille de Rosbach; que la conduite scandaleuse de Dearbhorgil avec Mac Murchad poussa l'Angleterre à l'asservissement de l'Irlande; qu'un moment de pique entre Marie-Antoinette et le duc d'Orléans précipita la première expulsion des Bourbons; et, pour ne pas multiplier les exemples, que Commode, Domitien et Caligula moururent victimes, non de leur tyrannie publique, mais d'une vengeance particulière; et qu'une défense faite à Cromwell de s'embarquer pour l'Amérique perdit et le roi et la république? Après ces exemples, et avec la moindre réflexion, il est vraiment singulier de voir le\docteur Moore s'étonner qu'un homme habitué au commandement, un homme qui avait été employé dans les charges les plus importantes, ait amèrement ressenti, dans un âge avancé, un affront resté impuni, et le plus vif qu'on puisse faire à un homme, qu'il soit prince ou le dernier des citoyens. L'âge de Faliero ne fait rien ici, si ce n'est qu'il justifie mieux encore le ressentiment.

La rage du jeune homme est comme la paille sur le feu, mais la colère du vieillard est comme un fer rouge6.

Les jeunes gens commettent et oublient facilement l'outrage; le vieillard est plus circonspect, et a plus de mémoire.

Les réflexions de Laugier sont plus philosophiques:

Tale fù il fine ignominioso di un' uomo, che la sua nascità, la sua età, il suo carattere dovevano tener lontano dalle passioni produttriei de' grandi delitti. I suoi talenti per longo tempo esercitati ne' maggiori impieghi, la sua capacità sperimentata ne' governi e nella ambasciate, gli avevano acquistato la stima et la fiduccia de' cittadini, ed avevano uniti i suffragi per collocarlo alla testa della repubblica. Innalzato ad un' grado che terminava gloriosamente la sua vita, il risentimento di un' inguiria leggiera insinua nel suo cuore tal veleno che basta a corrompere le antiche sue qualità e a condurlo al termine de iscellerati; serio esempio, che prova non esservi età in qui la prudenza umana sia sicura, e che nell' uomo restano sempre passioni capaci a disonorarlo quando non invigili sopra stesso.

(Laugier, traduction italienne, vol. iv, p. 30 et 31.)

Où le docteur Moore a-t-il vu que Marino Faliero ait imploré sa vie? J'ai compulsé les chroniqueurs, et n'y ai rien trouvé de cette espèce; il est vrai qu'il avoua tout. On le conduisit devant la torture; mais on ne dit nulle part que les tourmens lui aient fait demander grâce; et cette circonstance de l'avoir mis en présence de la torture semble prouver tout autre chose qu'un défaut de courage, que d'ailleurs les historiens, peu disposés à le favoriser, n'auraient pas manqué de mentionner. Une pareille prière est aussi contraire à la vérité de l'histoire qu'elle l'eût certainement été à son caractère comme soldat, et à l'âge dans lequel il vivait et auquel il mourut. Je ne sais rien qui puisse justifier celui qui, après un certain intervalle de tems, se permet de calomnier un caractère historique. La vérité doit du moins appartenir aux morts et aux malheureux; et ceux qui perdirent la vie sur un échafaud ont en général assez de leurs fautes, sans qu'on leur attribue une faiblesse que la grande probabilité de la fin violente qu'on leur réservait rend tout-à-fait invraisemblable. Le voile noir peint à la place assignée, dans le rang des doges, à Marino Faliero, et l'escalier du géant, où il fut couronné, découronné et décapité, frappent aussi fortement mon imagination que le font la violence de son caractère et son étrange histoire. Plus d'une fois j'ai cherché, en 1819, sa tombe dans l'église San Giovani e San Paolo. Un jour que j'étais arrêté devant le monument d'une autre famille, un prêtre vint à moi et me dit: Je pourrais vous montrer des monumens plus beaux que cela. Je lui appris que j'étais à la recherche de ceux de la famille Faliero, et en particulier du doge Marino. «Oh! répliqua-t-il, je vais vous y conduire;» et me menant à l'extérieur, il me fit remarquer dans le mur un sarcophage, avec une inscription illisible. Il m'apprit qu'il se trouvait auparavant dans un couvent contigu, mais qu'on l'en avait tiré à l'époque de l'arrivée des Français pour le placer dans cet endroit; qu'on avait ouvert la tombe au moment de son déplacement; que quelques os restaient encore, mais aucune trace positive de la décapitation. La statue équestre dont j'ai fait mention dans le troisième acte, comme étant placée devant cette église, n'est pas d'un Faliero, mais de quelque autre guerrier, maintenant oublié; quoique d'une date postérieure. Il y eut deux autres doges de la même famille avant Marino: Ordelafo, qui fut tué en 1117, dans une bataille à Zara, où plus tard son descendant vainquit les Huns; et Vital Faliero, qui régnait en 1082. La famille, originaire de Fano, était l'une des plus illustres en noblesse et en opulence de la ville, qui réunissait les familles les plus riches et les plus anciennes de l'Europe. L'étendue que j'ai donnée à mon drame prouve assez l'intérêt que j'y avais pris. Je puis avoir fait une mauvaise tragédie, mais du moins aurai-je transporté dans notre langue un événement historique vraiment digne de mémoire.

Il y a maintenant quatre ans que je médite cet ouvrage; et avant d'avoir complètement examiné les auteurs, j'étais disposé à choisir pour mobile de l'action la jalousie de Faliero. Mais je reconnus que cela n'avait aucun fondement historique; et comme d'ailleurs la jalousie est une passion usée sur la scène, j'ai préféré suivre pas à pas la vérité. Je fus d'ailleurs sur ce point parfaitement conseillé par feu Matthew Lewis, auquel je confiai mon plan à Venise, en 1817. «Si vous faites votre héros jaloux, me dit-il, songez qu'il vous faudra lutter avec les écrivains classiques (pour ne rien dire de Shakspeare) et avec un sujet usé; conservez plutôt le naturel violent du doge, il vous suffira, si vous le reproduisez exactement; et tracez votre complot de la manière la plus régulière qu'il vous sera possible.» Sir William Drummond m'a donné à peu près les mêmes conseils. Il ne m'appartient pas de décider si j'ai bien suivi ces avis, et si j'ai bien fait de les suivre. Je n'ai pas le moindre désir de voir mon drame représente; dans la situation présente du théâtre, peut-être n'est-il pas susceptible de satisfaire une ambition bien haute; et d'ailleurs j'ai trop long-tems été derrière la scène pour avoir jamais conçu l'espoir d'y produire mes ouvrages. Je ne conçois pas qu'un homme d'une sensibilité irritable consente bien à se mettre à la merci d'un auditoire. – Les dédains du lecteur, l'âcreté de la critique, la rudesse des réviseurs sont des calamités vagues et lointaines; mais la fureur d'un auditoire intelligent ou inepte, à propos d'une production qui, bonne ou mauvaise, a coûté un travail d'intelligence à celui qui l'a faite, est une peine immédiate et palpable, à laquelle ajoutent encore les doutes que l'on peut former de la compétence des juges, et la conviction de l'imprudence qu'on a faite en les choisissant pour tels. Si j'étais capable de composer un ouvrage qu'on pût croire digne de la scène, le succès ne me ferait pas de plaisir, la chute me causerait beaucoup de peine. C'est pour cette raison que, même durant le tems où je faisais partie de la commission d'un théâtre, je ne l'ai jamais essayé et je ne l'essaierai jamais7; mais certainement il y a des ressources dramatiques partout où se trouvent Joanna Baillie, et Milman et John Wilson. La City of the plague et la Chute de Jerusalem sont remplies des plus beaux effets tragiques que l'on ait vus depuis Horace Walpole, si l'on en excepte certains passages d'Ethwald et de Monfort. C'est aujourd'hui la mode de déprécier Horace Walpole; d'abord, parce qu'il était noble, ensuite parce qu'il était Anglais. Mais pour ne rien dire de ses incomparables Lettres et du Château de Trente, il faut regarder comme l'ultimus Romanorum l'auteur de la Mère mystérieuse, qui, loin d'être une méprisable pièce d'amour, est une tragédie de l'ordre le plus élevé. Walpole est le père de notre premier roman et de notre dernière tragédie, et sans doute, à ce double titre, il est digne de plus d'estime qu'aucun écrivain vivant, quel qu'il soit.

En parlant du drame de Marino Faliero, j'oubliais de rappeler que le désir (trop faible encore) de respecter la règle des unités, qu'on accuse le théâtre anglais de trop fouler aux pieds, m'a décidé à représenter la conspiration comme déjà formée, et le doge y accédant long-tems après. Dans le fait, elle fut son propre ouvrage, et celui d'Israël Bertuccio. Quant au reste des personnages (à l'exception de la duchesse), aux incidens et à la durée de l'action, qui fut merveilleusement rapide, tout est strictement historique dans ma pièce, si ce n'est que toutes les délibérations eurent lieu, non pas dans une maison particulière, mais dans le palais ducal. Si je m'étais en cela conformé à la vérité; l'unité aurait été mieux gardée; mais j'ai préféré faire apparaître le doge dans la grande assemblée des conspirateurs, au lieu de le placer toujours en conversation monotone avec les mêmes individus. Je renvoie pour les faits aux extraits italiens de l'appendice.

5

(retour) Byron écrit Élésia; mais c'est évidemment une faute d'impression. L'exploit que rappelle ici notre poète est longuement et admirablement décrit dans le septième livre des Commentaires.(N. du Tr.)

6

(retour) Shakspeare, Roi Lear.

7

(retour) Tandis que j'étais membre de la vice-commission du théâtre de Drury-Lane, je puis rendre à mes collègues et à moi-même cette justice que nous fîmes de notre mieux pour ramener le drame à son ancienne régularité Je fis tout ce je pus pour obtenir la reprise de Monfort, et pour appuyer l'Ivan de Sottheby, que l'on jugeait alors une pièce intéressante, et que j'essayai d'engager M. Coleridge à écrire une tragédie; mais tout cela en vain. Ceux qui ne sont pas dans le secret des coulisses auront de la peine à croire que l'École du scandale est l'ouvrage qui a fait le moins d'argent, en égard au nombre de fois qu'on l'a joué depuis son apparition. Je tiens ce fait du directeur Dibdin. J'ignore ce qui est arrivé depuis le Bertram de Maturin; de sorte que par ignorance je puis avoir l'air de faire la satire de certains excellens auteurs modernes; dans ce cas là, je leur en demande bien pardon. Il y a près de cinq ans que j'ai quitté l'Angleterre, et ce n'est que de cette année que j'ai jeté les yeux, depuis mon départ, sur quelque journal anglais; je ne sais quelque chose des matières de théâtre (et cela depuis seulement un an) que par l'intermédiaire de la gazette anglaise de Galignani qui s'imprime à Paris. Je ne puis donc être soupçonné de vouloir offenser des écrivains tragiques ou comiques, auxquels je souhaite tout le bonheur possible, et desquels je ne connais rien. Au reste, les plaintes que l'on forme de la situation actuelle de l'art dramatique ne doivent pas être attribuées à la faute des acteurs. Je ne puis rien imaginer de plus parfait que Kemble, Cooke et Kean dans leurs rôles divers, ou bien Elliston dans la comédie des Gentelman et quelques rôles tragiques. Je n'ai pas vu miss O'Neill, ayant fait étude et tenu le serment de ne rien voir qui pût diviser ou affaiblir l'admiration que m'inspirait le souvenir de Siddons. Siddons et Kemble étaient l'idéal de l'action tragique; je n'ai jamais vu personne qui leur ressemblât, même pour les traits: et c'est pour cela que jamais nous ne reverrons Coriolan ou Macbeth. Quand on blâme Kean de manquer de dignité, il faut nous rappeler que ce mérite est un don de la nature et non pas de l'art, et que nulle étude ne peut le donner. Il est parfait dans tous les endroits où il n'y a rien de surnaturel; ses défauts mêmes appartiennent ou semblent appartenir aux rôles eux-mêmes, et semblent mieux reproduire la nature. Mais nous pouvons dire de Kemble, quant à sa manière de jouer, ce que le cardinal de Retz dit du marquis de Monrose: «Que c'était le seul homme qu'il eût vu qui lui rappelât quelqu'un des héros de Plutarque.»

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6

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