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V — OÙ COURT-IL?

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— Naturellement, si vous essayez d'expliquer ça à un gendarme, il y a fort à parier qu'il vous prendra pour un aliéné dangereux. Mais il n'en est pas moins vrai que le voleur, c'est l'Atlas qui porte le monde moderne sur ses épaules. Appelez-le comme vous voudrez: banquier véreux, chevalier d'industrie, accapareur, concussionnaire, cambrioleur, faussaire ou escroc, c'est lui qui maintient le globe en équilibre; c'est lui qui s'oppose à ce que la terre devienne définitivement un grand bagne dont les forçats seraient les serfs du travail et dont les garde-chiourmes seraient les usuriers. Le voleur seul sait vivre; les autres végètent. Il marche, les autres prennent des positions. Il agit, les autres fonctionnent.

— Et leurs fonctions consistent à voler, dis-je.

— Si l'on veut pousser les choses à l'extrême, certainement, répond Issacar en allumant une cigarette. Mais pourquoi hyperboliser? Il est bien évident que l'homme, en général, est avide de gains illicites et que le petit nombre de ceux qui n'ont pas assez d'audace pour agir en pirates, avec les lettres de marque octroyées par le Code, rêvent de se conduire en forbans. Le genre humain est admirablement symbolisé, à ce point de vue, par le trio qui fit semblant d'agoniser, voici dix-huit siècles, au sommet du Golgotha: le larron légal à droite, le larron hors la loi à gauche, et Jésus la bonté même, représentant la soumission craintive aux pouvoirs constitués, au milieu. Seulement, quand on a dit cela, on n'a pas dit grand'chose. On a établi les éléments inaltérables de l'âme actuelle, mais on a ignoré les diversités extérieures de son agencement. Il y a fleurs et fleurs, bien que, primordialement, toutes les parties de la fleur soient des feuilles; et il y a filous et filous bien que, par leur fonds, tous les hommes soient des fripons.

— N'allez-vous pas trop loin, à votre tour?

— Je ne pense pas. Je ne crois point que la nature humaine soit mauvaise en elle-même, ou, au moins, incurablement mauvaise; pas plus que je ne crois au criminel-né. Ce sont là des mensonges conventionnels, fort commodes sans doute, mais qu'il ne faudrait point ériger en axiomes. Je crois à l'influence détestable, irrésistible, du déplorable milieu dans lequel nous vivons, Que la corruption engendrée par ce milieu soit profonde et générale, il n'y a pas lieu d'en douter; les êtres qui échappent à son action sont en bien petit nombre. Ils existent, cependant; car c'est soutenir un paradoxe abominable que d'affirmer qu'il n'y a point d'honnêtes gens. Les personnes les plus versées en la matière n'ont point de doutes à ce sujet. M. Alphonse Bertillon assure même qu'on pourrait trouver à Paris, parmi les êtres placés dès leur jeunesse dans ces conditions qui sont le lot des criminels que nous sommes tous plus ou moins, une centaine d'hommes devenus et restés parfaitement honnêtes. «On les trouverait tout de même, dit-il, mais ce seraient cent imbéciles.» Imbéciles ou non, peu importe. Il suffit qu'ils existent.

Le voleur

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