Читать книгу Dix années du Salon de peinture et de sculpture, 1879-1888 - Georges Lafenestre - Страница 4

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Salon de1879

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A physionomie du Salon de1879a été à la fois brillante et indécise, car elle portait le caractère d’un temps où les artistes sont plus nombreux et plus actifs que jamais, mais où manquent des chefs de génie pour rallier et condenser les efforts isolés des individualités éparses. La médaille d’honneur, donnée dans la section de peinture au Portrait de Mme la comtesse V..., si fièrement posé et si librement brossé par M. Carolus-Duran, constate, dans le jury comme dans le public, des dispositions croissantes à bien accueillir toutes les tentatives des peintres naturalistes, qui deviennent chaque année plus nombreux et plus sérieux. Un grand besoin de sincérité, de simplicité, de franchise, a succédé, en effet, à l’enthousiasme, souvent aveugle, pour les formules traditionnelles. Ce besoin est tel qu’un peintre n’a parfois qu’à montrer l’apparence d’une de ces précieuses qualités pour se faire pardonner une inexpérience notoire ou des insuffisances criantes. La plupart des œuvres qui ont paru au jury dignes d’être signalées témoignent, dans des mesures diverses, de ce souci de l’exactitude matérielle, soit dans les types, soit dans les costumes, soit dans le milieu environnant, qui est un des caractères de l’art contemporain. Presque tous les jeunes peintres qui s’essayent de nouveau aux grandes compositions d’histoire, un peu délaissées par la génération précé dente, cherchent dans cette étude souvent hardie de la réalité les éléments de vie qui ranimeront leurs visions rétrospectives. M. Duez fait hardiment, comme les maîtres du XVe siècle, représenter une légende ancienne par des figures de son temps, dans un paysage de son temps; M. Morot, avec une science déjà grande et une expérience déjà mûre, n’hésite pas, dans une scène énergique d’une puissante ordonnance, à donner aux femmes gauloises une sauvagerie archaïque qui ne sent point la formule; M. Maignan, tout échauffé encore par l’esprit des maîtres italiens, rassemble autour du Christ un certain nombre de figures vigoureuses, dont l’expression est saisissante parce qu’elle a été prise sur le vif.

Parmi les ouvrages ayant obtenu les secondes et troisièmes médailles ou les mentions honorables, quelques-uns sont naturellement des tableaux d’école. Ils ont mérité les suffrages par ces qualités moins brillantes, mais fondamentales et indispensables, qu’on est en droit de demander aux débutants, et qui sont la garantie de leur avenir. Tels sont: Un Martyr, par M. Fritel; la Mort de l’empereur Commode, par M. Pelez; le Saint Jérôme au désert, par M. Georges Sauvage; l’Enfance de Bacchus, par M. Giron; le Persée, par M. Jacques Wagrez; le Jacob chez Laban, par M. Lerolle; le Job et ses amis, par M. Lucas; le Caron, par M. Brunet; les Nymphes et Faunes, par M. Foubert; la Sainte Élisabeth de Hongrie, par M. Aviat; la Suzanne, par M. Hirsch; la Fille de Jephté, par M. Berthault. Dans presque toutes ces toiles, l’étude attentive du nu se joint à une recherche sérieuse de la composition expressive et du style élevé.

Pourtant, dans cette catégorie, le plus grand nombre des récompenses a été donné à des tableaux représentant des sujets contemporains, tels que paysages, portraits, scènes de genre, tableaux dans lesquels l’imagination personnelle ne joue qu’un rôle secondaire, et qui se recommandent par une observation franche de la réalité environnante. Les Moutons, par M. Vayson; le Bas de Montigny, par M. Yon; le Coin de Bercy pendant l’inondation, par M. Loir; l’Août dans le Nord, par M. Demont; le Moulin de Merlimont, par M. Damoye; le Ruisseau du Puits-Noir, par M. Ordinaire; la Grande Marée dans la Manche, par M. Hagborg; les Pêcheuses de varech à Yport, par M. Émile Vernier; le Marais des landes de Gascogne, par M. Chabry; les Bords de la Seine à Essonnes, par M. Berthelon; le Givre en forêt, par M. de Bellée, nous ont tous ravi par cet accent profond et délicat qui sort de la vérité tendrement aimée et vivement exprimée. Tous ces paysages, bien aérés, bien éclairés, respirent bien la même santé tranquille que les franches paysanneries de MM. Salmson, La Boulaye, Jourdain, Destrem, Blayn, Rasetti, Mosler, Buland, Dupré, où la vie rustique apparaît avec la poésie simple et forte de ses labeurs, de ses piétés, de ses douleurs. Au milieu de ce grand développement de l’art naturaliste, la peinture anecdotique, malgré le talent et l’esprit qu’y dépensent encore quelques jeunes maîtres, semble perdre du terrain. Le jury n’a trouvé à signaler, dans ce genre, que la Halte, par M. Outin; le Fruit défendu, par M. Metzmacher; En1795, par M. Georges Lehmann: jolies études en costumes XVIIIe siècle; puis une vive et harmonieuse toile de M. Steinheil, les Amateurs d’estampes; mais, là aussi, les toiles qui ont obtenu un succès populaire, le Carreau des Halles, par M. Gilbert; le Lavabo des Réservistes, par M. Aublet; le Repas du Missionnaire, par M. Payen; A la fontaine, par Mlle Gardner; les Travailleurs de la Mer, par M. Rudaux; les Abandonnés, par M. Bruck-Lajos; l’Hymne, par M. Moyse; l’École de dessin, par M. Ravel, sont encore des études spirituelles, sentimentales ou naïves, d’observation directe.

Les mêmes tendances, avec la même indépendance dans les moyens d’expression, apparaissent chez les hors concours. Deux des peintres les plus fêtés au Salon sont deux peintres naturalistes: M. Bonnat, qui s’est montré plus vigoureux que jamais dans son magistral Portrait de Victor Hugo; M. Bastien-Lepage, dont le dilettantisme habile et hardi sait animer tour à tour avec la même aisance la délicate silhouette d’une comédienne raffinée et la grossière image d’une paysanne brutale. A côté d’eux, il faut noter les œuvres d’autres portraitistes savants, plus attachés aux traditions du beau dessin et plus soucieux des expressions morales, qui laisseront aussi aux amateurs un souvenir délicat, telles que le Portrait de Mme la marquise de C... T., par M. Cabanel, et celui de M. Gounod, par M. Delaunay. MM. Bouguereau, Jules Lefebvre, Henner, représentent avec éclat la science du nu, cette science fondamentale pour un art qui veut vivre, dans ce qu’elle a tour à tour de plus habile et de plus souriant, de plus sincère et de plus précis, de plus ému et de plus poétique. La grande peinture historique, la peinture nationale, dont le réveil semble coïncider avec le réveil de la vie publique, s’y présente avec MM. J.-P. Laurens, Lecomte du Nouy, Lucien Mélingue, pour champions. Ces trois jeunes maîtres ont, à divers degrés, une qualité qui leur est commune, et qui est une qualité bien française: ils savent ordonner une composition logiquement, nettement, sans hors-d’œuvre, en vue d’un effet déterminé. M.J.-P. Laurens se distingue par sa manière simple, ferme, austère, par son sens profond des types historiques; M. Lecomte du Nouy, par une recherche heureuse des beaux morceaux de dessin et de l’aspect monumental; M. Lucien Mélingue, par la vigueur de l’action dramatique et la vérité des physionomies. MM. François Flameng et Ponsan-Debat s’avancent, à la suite de ces devanciers, avec une conviction ardente qui fait bien augurer de leur avenir. Quant à M. Olivier Merson, il continue, avec un talent croissant, à tenir une place à part dans le mouvement contemporain, par ce sentiment délicat de la poésie élevée qui l’attache aux légendes du passé.

Parmi les paysagistes, toujours si nombreux, il faut signaler en première ligne M. Camille Bernier, qui n’avait jamais si fortement ni si complètement exprimé ses émotions, toujours si franches et si saines, devant la nature grave et silencieuse où il se plaît; M. Charles Busson, dont le Déversoir répète avec un accent plus vif que jamais cette note vibrante et mélancolique des orages finissants ou des averses prochaines qui donne un charme grave à toutes ses toiles; M. de Curzon, dont les paysages poétiques, si finement exacts, ont toute la grâce d’une apparition antique; M. Français, qui marque ses plus petites œuvres de sa griffe de maître, et veille avec une fermeté simple sur les hautes traditions du paysage français; M. Guillaumet, qui nous apparaît comme l’interprète le plus harmonieux, le plus exact, le plus ému, qu’ait aujourd’hui notre terre d’Afrique; enfin MM. Guillemet, Lansyer, Pelouse, qui représentent avec tout l’attrait de sa sincérité vive et sérieuse la génération studieuse et modeste qui a recueilli pieusement l’héritage de la génération passionnée de1830. La peinture rustique ne peut être représentée plus franchement que par M. Ulysse Butin, plus délicatement que par M. Feyen-Perrin; la peinture de genre familière, plus spirituellement que par M. Worms, plus gravement que par M. Herkomer, plus librement que par M. Gervex. De même MM. Detaille et Berne-Bellecour réunissent en eux les plus précieuses qualités de notre école anecdotique et militaire, et M. Philippe Rousseau apparaît comme le type le plus complet du peintre de nature morte.

Bien que la sculpture soit un art plus rigoureux, dont les règles inflexibles s’accommodent moins au caprice des temps, on a pu remarquer au Salon de1879, chez les sculpteurs comme chez les peintres, une tendance générale à donner aussi plus de mouvement et d’animation à leurs figures par l’étude attentive des réalités vivantes. Cette tendance, excellente lorsqu’elle est dirigée par une imagination saine et qu’elle est contenue par le respect des nécessités décoratives, se manifeste dans les œuvres les plus scrupuleusement fidèles à l’enseignement classique, telles que le beau Mercure, de M. Idrac, ou les Adieux d’Alceste, de M. Allar, ce groupe admirable, d’une simplicité si noble, d’une émotion si haute, tout plein de l’âme grecque, et les préserve de toutes les froideurs que gardent facilement le marbre ou le plâtre sous des mains moins émues par la nature. Elle atteint son plus haut degré dans la superbe figure de M. de Saint-Marceaux qui a obtenu la médaille d’honneur, figure passionnée qu’agite l’âme hautaine de Michel-Ange traduite par un ciseau savamment fidèle aux enseignements français du XVIIe siècle. Il n’est pas jusqu’aux figures monumentales et colossales, à celles dont la silhouette seule parlera sous le ciel éclatant, que nos sculpteurs ne parviennent à douer d’un mouvement à la fois assez grave pour ne point sembler étrange, et assez décidé pour devenir une expression puissante. Le Philippe de Girard, par M. Guillaume, le François Arago, par M. Mercié, représentent l’inventeur résigné et le savant enthousiaste avec une noble intensité de vie qui est une exactitude historique en même temps qu’une habileté sculpturale. Le tendre Saint Vincent de Paul, de M. Falguière, le bon Saint Christophe, de M. Coutan, sont également, sous leurs formes colossales, des saints vivants et communicatifs.

On cherche, cela va de soi, plus de vérité encore dans l’exécution lorsqu’on traite des sujets d’ordre plastique ou d’ordre familier. Est-il possible d’être plus près de la nature, tout en gardant la belle allure sculpturale, que ne le sont M. Chapu avec son Jeune Garçon, M. Shœnewerk avec sa Jeune Femme au matin, M. Hector Lemaire avec son Amour maternel, M. Gautherin avec sa Clotilde de Surville, M. Marqueste avec son Orphée? Évidemment, ce qui attire nos sculpteurs vers l’étude de l’antiquité hellénique, de la renaissance florentine ou du moyen âge français, c’est, en ce moment, moins le caractère original de force, de grâce, de naïveté, qui s’y peut trouver, que la puissance de vie expressive si variée, si franche, si humaine, qui s’en dégage. Aussi ne doit-on pas s’étonner que, si les maîtres marchent dans cette voie, les élèves s’empressent de les y suivre, et que la plupart des œuvres récompensées l’aient été parce qu’elles joignaient, en effet, à l’étude consciencieuse des formes humaines ce souci précieux du mouvement exact, du geste simple, de la physionomie parlante. A ces préoccupations de l’expression vive et simple correspond, dans la sculpture comme dans la peinture, un abandon progressif des sujets traditionnels empruntés à la mythologie et à l’histoire ancienne pour des sujets plus généraux et plus familiers. Les succès qu’ont obtenus M. Gaudez avec son Moissonneur, M. Ferrary avec son Belluaire, prouvent que, de ce côté, reste ouverte une voie féconde.


Dix années du Salon de peinture et de sculpture, 1879-1888

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