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CEZANNE

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Le «Petit Larousse illustré » est, on le sait, à la base même de l’éducation des jeunes garçons et des jeunes nymphes externes ou internes de ces aimables bâtisses qu’on appelle lycées ou collèges. Il est donc le vade-mecum tout indiqué pour les professeurs à peine sortis d’Universités qui ont à enseigner l’histoire, la géographie, les belles-lettres, l’histoire de l’Art, la géologie, la botanique, la chimie, la physique ou l’histoire naturelle des animaux y compris celle de l’homme, — toutes choses que, généralement, ils ignorent en toute candeur et en toute indifférence. Quant aux vieux professeurs, eux, ils ne jettent jamais un regard — fût-il le plus discret — sur les pages de ce «Petit Larousse illustré » ; car ce sacré dictionnaire ou ce dictionnaire sacré contient, affirment-ils, trop de choses «nouvelles» ; et «l’on ne dit pas mieux aujourd’hui ce qui a été déjà dit hier» nous assurent ces macrobes attardés sur les paisibles et traditionnelles routes de l’enseignement.

Quoi qu’il en soit, une chose à propos de laquelle tout le monde est d’accord, c’est que ce cher «Petit Larousse illustré » est bien l’agrégat le plus complet, la «substantifique moelle», l’extrait concentré le plus total de toute louable culture dont aucun homme bien né ne saurait se passer. Lui-même, ce cher «Petit Larousse illustré » ne se signale-t-il pas, du reste, à l’attention publique, dans une feuille de publicité que je viens de recevoir, en ces termes aussi précis que modestes: «Par un triage judicieux des mots, l’adjonction constante de leurs synonymes et antonymes, l’explication précise des locutions où ils entrent, ce dictionnaire devient le répertoire du bon langage et du bon style français. D’autre Part, l’élimination des détails oiseux a permis de donner des développements plus considérables aux articles encyclopédiques qui, tant par la forme que par le fond, assurent à notre livre le caractère d’un manuel pratique et vivant.»

Mais relisons encore les lignes suivantes, les plus attirantes à coup sûr. Je puis dire que c’est grâce à elles que je veux acquérir, sans plus tarder, — moi, trois fois coupable! et qui ne le possédais pas encore — un tel essentiel dictionnaire:

«Les définitions sont appuyées d’exemples qui précisent le sens en même temps qu’ils le complètent. Les locutions latines et étrangères, dont la source est rigoureusement indiquée, sont traduites littéralement, puis expliquées ou accompagnées d’exemples qui en font ressortir les applications les plus fréquentes. Enfin, la partie historique, biographique, géographique, littéraire et artistique, n’est pas une sèche énumération de noms propres et de dates: sur chaque événement, sur chaque chef-d’œuvre, sur chaque pays, sur chaque personnage célèbre, le lecteur est certain de trouver une monographie concise, mais caractéristique. Et comme une large place a été faite au détail anecdotique, notre ouvrage se trouve présenter l’utilité du dictionnaire en même temps que l’agrément du livre de lecture.»

A la bonne heure! Le voilà, le livre qui ne doit plus désormais manquer; le dictionnaire qui nous donnera — lisez bien! — «sur chaque personnage célèbre, une monographie concise, mais caractéristique.» Tudieu! le voilà bien le veau à cinq pattes, le merle blanc, le diamant noir! — et, tout aussitôt, me précipitant chez le libraire le plus voisin de mon domicile, j’emportai, un beau jour, haletant, congestionné, à demi-fou, l’inestimable livre.

Il avait bien dit: «sur chaque personnage célèbre, une monographie concise, mais caractéristique ». Oui, il avait bien dit cela, le bon dictionnaire, le rare gradus, le cher thésaurus. Je ne pouvais pas en douter; j’avais lu et relu cent fois — me croyant tout d’abord halluciné ! — «sur chaque personnage célèbre, une monographie concise, mais caractéristique» ! Oui, j’avais lu cela, bien cela! — et c’était chez moi, chez moi seul, dans le silence, dans la solitude, dans l’intimité avec moi-même la plus intégrale, la plus rigoureuse, que je voulais choisir un nom célèbre — et déguster, savourer, à propos de lui, la saveur, l’arome, le goût, le rare, l’extrait, le suc subtil et puissant d’une «monographie concise, mais caractéristique ».

Enfin, arrivé chez moi et installé dans le plus confortable fauteuil de mon modeste mobilier, — une de ces vieilles bergères qui vous viennent, on ne sait comment, d’héritage en héritage, — j’ouvris, avec un zèle pieux et combien pointilleux, le bon gros livre. Combien je l’aimais déjà — et je le lui disais sans marchander. J’en admirais l’agréable cartonnage roux, le beau dessin de Grasset: «Je sème à tous vents!» — et, parmi tant d’autres choses aperçues tout de suite, l’ensemble des pages rouges (Locutions latines et étrangères), séparant si raisonnablement les mots de la «Langue française» de la partie «Histoire-Géographie ».

Puis, fébrilement, je me jetai sur quelques noms de personnages pour la déguster, de tous mes sens, «la monographie concise, mais caractéristique ». Je lus ainsi, au hasard, des noms: Napoléon Ier — Jules César — Marie Stuart — Cromwell — Attila — Bazaine — Paul Bourget — Bismarck — Teutatès — Théopompe — Scipion — Marcel Prévost — Papinien. J’avoue que je fus, d’abord, un peu déconcerté. La «monographie concise, mais caractéristique», ne me sembla point toujours des «plus heureuses» à propos de chacun des personnages susnommés, pour Paul Bourget, Teutatès et Papinien, notamment; mais, enfin, équitablement, je ne pouvais garder rancune au cher gradus de n’avoir pas défini d’une «manière concise, mais caractéristique» ce singulier Teutatès, vu sa qualité de personnage légendaire; et je fus assez vite rasséréné en retrouvant dans le cher thesaurus les noms notoires d’Abezan, d’Al-Mamoun, de Billecocq, de Colardeau, de Duperron, de Guyau, de Liotard et d’Ogygès. A la bonne heure! à la bonne heure! me répétai-je tout enflammé maintenant, notre cher «Dictionnaire manuel» n’oublie rien, je veux dire: mentionne tous les noms que la Gloire a touchés de son aile; c’est parfait, c’est plus que Parfait même pour la culture de notre chère jeunesse, en laquelle nous revivons — et que nous désirons voir, de tous nos vœux, toujours plus éclairée, plus clairvoyante, mieux et plus réellement cultivée, pour tout dire.

Et, distraitement, je laissai ma pensée rêver au-dessus des cartes, des petits portraits gravés, des armoiries, etc., etc., qui confèrent à ce petit dictionnaire Larousse le qualificatif d’illustré.

Or, sachez que la veille, chez mon vieil ami Théodore Cortot, nous avions beaucoup parlé de Cézanne. Nous avions rappelé son séjour à Auvers, sa bonne amitié pour Pissarro et pour Guillaumin; et, rentré chez moi, toute la nuit — ah! qu’elles sont cruelles, les insomnies! — j’avais fait revivre devant mes yeux l’illustre peintre, que j’avais rencontré, pour la première fois à Aix-en-Provence, sur la blanche route du Tholonet.

Et, plus distraitement encore que tout à l’heure, je continuais de feuilleter le petit Larousse. Je tombais ainsi sur la lettre C. Machinalement, je cherchais alors le nom vénéré : Cézanne.

Mais que vois-je! ce nom n’est pas imprimé dans ce cher gradus? Voyons, voyons, me répétai-je, c’est impossible! J’ai mal cherché : le caractère typographique est naturellement de dimensions très réduites. Voyons! voyons! Et, loupe en main, je lis: «Cèze, rivière, qui a sa source dans la Lozère, etc...» Après, ce sont des noms quelconques, des noms de remplissage, si je puis dire! Alors, il y a une erreur, un oubli. Dans l’un et l’autre cas, c’est stupide! mais, avec la meilleure volonté du monde, tout arrive! Cherchons Cézanne par un S. Oui, ainsi: Césanne. Rien! rien! Après Césalpin (André), naturaliste italien, c’est César (Jules), célèbre général romain, etc... C’est trop fort! jetai-je. Ils n’ont tout de même pas écrit Cézanne par un grand S. Cherchons encore! Ah! ah! ah! Le voici, le voilà, enfin, le nom illustre! Oui, les bougres, ils ont imprimé, ils ont commencé le nom par un S majuscule! C’est incroyable; mais enfin, le nom y est, il ne pouvait pas ne point y être! L’honneur est sauf! — et, tout rouge, tout fiévreux, je lis: «Sézanne, chef-lieu de canton (Marne) arrondissement d’Epernay; ch. de fer E.; 4.600 h.»

Et rien, rien de plus!... J’ai beau tourner, retourner le mot, feuilleter ce Larousse (ce Labrune, ce Lablonde), je ne trouve rien, rien, pas un mot, rien pour le peintre qui est, avec Delacroix et avec Courbet, un prestigieux Maître de tout le dix-neuvième siècle! Rien! Rien!

Et Cézanne n’est point nommé dans le «Petit Larousse illustré » (Labrune, Lablonde) parce qu’on a pris, dans ce dictionnaire, son nom glorieusement répété pour le nom d’un «Chef-lieu de canton (Marne), arrondissement d’Epernay; chemin de fer de l’Est; 4.600 habitants» !

Pauvre cher grand Cézanne, ainsi ignoré par Larousse!

Aix-en-Provence, ta ville natale, que tu aimas avec tant de ferveur, ne t’a pas gardé, d’ailleurs, un meilleur souvenir.

Quand j’ai cherché, puissante ombre, à te retrouver là-bas, en ai-je coudoyé de ces niais qui ricanaient toujours en parlant de toi, le fou, le mal vêtu, le «recalé » des Salons officiels de peinture!

Tu ne fus pas décoré, comme le premier venu des marchands de savons.

Tu n’es même pas représenté au musée d’Aix. Et, cependant, le conservateur actuel, M. Henri Pontier, ton ancien condisciple, y exhibe bien, lui, une anecdotique et mythologique sculpture: Ixion sur la roue de supplice.

J’avoue que cette sculpture présente un intérêt aussi particulier qu’incontestable, que ne peuvent présenter tes plus glorieuses toiles, ô Maître! le plus étrange, peut-être, de toute la Peinture française!

Cet Ixion, grandeur nature, et tout nu, entièrement, complètement, totalement nu, nu jusqu’à la plus intégrale impudeur, offre, en effet, aux touristes femelles et aux dames aixoises qui ont des chaleurs, un «paquet», «une bourse», un tas de choses enfin que l’histoire anatomique de l’homme appelle, dans tous ses détails: une verge, des testicules, du poil — frisé, je le concède! — et le tout est frotté, verni, noir comme les couilles à Taupin! O régal de la chair! ô sexe mâle qui attire la caresse!

Et c’est justement de le frotter, de passer la main dessus tous les jours de visite du musée, que ce «paquet» masculin s’est tellement encrassé, patiné, culotté même, dans la blancheur conservée à peu près nette de tout le reste de ladite sculpture.

Car j’ai oublié de préciser, chère lectrice, que cet Ixion a été sculpté dans un bloc de marbre blanc, dans un marbre impossiblement blanc. A côté de cette sculpture de Jouissance (non de Jouvence), que valent tes «Montagnes Sainte-Victoire », tes «Figures», tes «Portraits», tes «Natures mortes», etc... ô Peintre, noble parmi les plus nobles?

Un jour, il fut question — banal et dernier «hommage» — de donner ton nom à la pauvre, à la triste rue Boulegon, où tu habitas, où tu mourus. Le Conseil Municipal d’Aix refusa. Il faudrait tous les huit jours, voyez-vous, voyez-vous, cher Monsieur Larousse (Labrune, Lablonde), publier la lettre de Gustave Flaubert au Conseil municipal de Rouen, — à propos de son ami Bouilhet. A Rouen, ils vendent du coton; à Aix, ils vendent des huiles. Les deux négoces produisent les mêmes imbéciles.

Par bonheur, le père de Paul Cézanne était, un sacré beau jour, de casquettier devenu banquier; et une fortune conquise ainsi, Cézanne put peindre. Pour qui? pour lui, d’abord! — pour ses amis ensuite: Pissarro, Guillaumin, Monet, Renoir (ils savaient qu’il était le plus fort!) — pour quelques amateurs enfin: Choquet, Gachet, Théodore Duret; et surtout, et surtout pour toute la jeune Peinture des deux hémisphères, qui révère toujours en lui le plus rare, le plus extraordinaire, le plus inouï de tous les peintres...

Voilà qu’ils ont «monté », aujourd’hui, les tableaux de Cézanne. Ils font les gros, les très gros prix. Aussi, quand je fus à Aix, essaya-t-on de m’en «visser» de ces tableaux à larges prébendes. Je me souviens ainsi d’un personnage maigre, noir, manifestement épuisé par des masturbations trop répétées, qui, dans la plus bizarre, la plus paradoxale des maisons, je le confesse! tellement elle avait de couloirs, d’escaliers et de galeries! — me montra des «cavaliers à la promenade », des «jeunes femmes en diligence» ; en m’assurant que, toutes ces aquarelles-là, «il avait vu Cézanne lui-même les peindre. Donc!»... et, comme je souriais, l’homme tout à coup n’insistait plus et disparaissait, me laissant aux mains de sa sœur, une énorme vierge à bandeaux, sourde-muette, qui, en me reconduisant, fretinfretaillait du derrière et bousculait tous les meubles: délicat Mobilier, du reste, fabriqué par des marqueteurs aux doigts les plus subtils.

Et il y eut d’autres farceurs de ce genre. Un ex-receveur des postes, tenait, lui, en réserve, une copie faite, assurait-il, par Cézanne, d’un tableau de Louis-Edouard Dubufe: Les prisonniers de Chillon. Ce «navet» historique, huilé en 1846, l’Etat l’avait «vomi» en l’envoyant au musée d’Aix, en 1851. Sottement, chercheur de niaiseries, j’ai voulu lire la notice publiée dans le catalogue officiel. La voici; elle est réjouissante: «Le peintre a traduit dans cette composition un des épisodes des plus émouvants du poème de Lord Byron, où l’aîné des prisonniers de Chillon (François de Bonnivard), vient de briser sa chaîne pour voler au secours de son jeune frère qu’il trouve mort!... Le jeune prisonnier est étendu sur les dalles d’un sombre cachot, de profil tourné à gauche; son frère aîné, à genoux à côté de lui, les yeux pleins de larmes, serre sa main déjà glacée!»

Simplement!

Et, comme je parlais de cette pauvre aventure à un parent de Cézanne, il me fut répondu:

— Mais oui, allez, ce n’est pas impossible que Cézanne ait fait cette copie-là. Il n’avait aucune invention, aucun talent. Tenez, vous, les Parisiens, vous feriez mieux de ne plus nous embêter avec toutes ces histoires. Quand la guerre sera finie, soyez sans émotion: on ne parlera plus, mais plus jamais, de Cézanne! Croyez-moi, cher monsieur, les meilleures plaisanteries sont les plus courtes.»

Evidemment!...

Des peintres maudits

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