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chez Spihlmann: au clairon de Sébastopol.

Table des matières

La scène représente une salle de restaurant. Les dîneurs sont partis. Maurice Utrillo et moi, demeurons face à face, en compagnie d’une authentique bouteille de vieux Kirsch de la Forêt Noire.

J’ai demandé à Utrillo de me raconter un peu de sa vie. Doucement, il me dit: – Je suis né à Paris, le25décembre 1883, dans la nuit de la Nativité, au no3de la rue du Poteau, à côté de l’église de Notre-Dame de Clignancourt. Elle n’est pas bien belle, cette église, et pas bien vieille; et elle se trouve placée comme ça, toute seule; mais je l’aime bien tout de même; et je l’ai peinte exprès pour maman qui la garde. Je suis un vrai Parigot, vous voyez; car la rue du Poteau, c’est bien Montmartre, n’est-ce pas? Mon vrai père aussi est un Parisien. Ma mère, Suzanne Valadon, est née, elle, à Bessines, près de Bellac (Haute-Vienne). Grand’mère, aussi, est de là-bas. Tout petit, j’ai été reconnu à la mairie par un journaliste espagnol, Michel Utrillo, qui était très amoureux platonique de maman; mais, vous savez, jamais, cet homme n’a rien fait en ma faveur. C’est maman qui a été et qui est tout pour moi; et, pourtant, je ne suis pas toujours un fils bien rangé!»

Je regarde ce grand garçon brun, aux belles mains blanches, qui a eu tant de pitoyables aventures, – et qui n’est qu’un enfant!

Il est si tendre, si candide. Il a un geste brusque, et il déchire ces mots: «Ah! cet alcool!…»

– Va, Maurice, sois tranquille, avec moi, tu ne boiras que ce petit verre!…

–Vous savez, continue-t-il, qu’en quittant la rue du Poteau, on est allé à Pierrefitte-Montmagny. Maman s’était mariée avec un commissionnaire en marchandises, qui avait construit une maison dans ce pays, exactement à la Butte-Pinson. Maman vécut cinq ans là-bas, comme une fermière; mais elle avait conservé un atelier à Paris. Moi, je fus d’abord placé à l’institution La Flesselle, rue Labat, toujours à Montmartre, hein? On dirait déjà presque: Utrillo ou l’enfant de Montmartre; un roman pour M. Pierre Decourcelle. De l’institution de la rue Labat, je passai quelques années à l’école payante de Pierrefitte-Montmagny. Notre maison était à cheval sur les deux pays. Je me souviens que j’aimais beaucoup faire des farces, mystifier les paysans; mais aussi je buvais avec eux, je buvais tout le temps. Il y avait un bal tous les dimanches à la Butte-Pinson; et je ne quittais pas le comptoir et le jeu de quilles, où l’on me faisait boire exprès. Pour lutter contre cette ivrognerie, on essaya de me mettre en pension au collège Rollin; mais comme je revenais tous les soirs de Rollin à la Butte-Pinson, vite, ayant connu, les dimanches, beaucoup de rouliers, je lâchais le chemin de fer et revenais avec eux par la route, et quelle route, toute flambante de bistros! Vrai, n’est-ce pas, ça ne pouvait pas durer toute la vie! Le mari de maman se fâcha davantage, un jour; – elle eut à choisir entre lui et son fils ivrogne; et elle me choisit.

J’ai fait emporter la bouteille de kirsch, quoique rigoureusement authentique, pour ne pas tenter trop Utrillo; et la servante, la bestiale et grosse Euphrasie, aux cheveux roux, a mis, entre nous deux, une inoffensive canette de bière. Maurice a un vif mouvement d’humeur; mais je lui offre un cigare, et cela le calme, car il n’en finit pas de l’allumer.

Il se souvient maintenant du temps qu’il passa au «Crédit lyonnais»; et cela le fait rire joyeusement.

– Oui, un drôle de moment! Car, bien sûr, un jour, on me mit à la porte du collège Rollin; et me voilà libre. Placé dans une succursale du «Crédit», je deviens, paraît-il, un étonnant comptable. Je ne cesse pas de boire; mais personne n’abat comme moi la besogne. J’arrive comme une «Terreur» au milieu des additions, des multiplications, des reports, des virements, enfin, au milieu de toutes les complications des chiffres. Oui, mais les petits verres aussi, je vous jure que si je les prends à droite et à gauche, je sais bien leur donner à tous au bout du compte le même bureau de dépôt.

Et, sa voix, ses yeux, brusquement, ne sourient plus. Ses grands yeux me fixent; ses longues mains blanches se crispent,– les doigts, nerveux, craquants, ont eux aussi comme du chagrin; il les frotte l’un contre l’autre; et il regarde obstinément du côté de la porte, entr’ouverte, car on vit dans une soirée légère, tranquille.

–Tu veux t’en aller, Maurice? lui dis-je.

–Non!

–Te promener?

–Oui!

Et nous sommes dehors, nous faisons le tour de la place du Tertre.

Il se redresse, très grand, très beau. Il réussit tout de même à tirer de son cigare de la fumée; mais, manifestement, sans joie; et, brusquement, il me jette:

–Vous savez que j’ai été surveillé?


Je plaisante; je trouve même cela tout naturel.

–Mais, dis-je, cela arrive à tout le monde. Le cerveau, mon cher Maurice, c’est encore plus compliqué qu’une automobile, tu sais. Ça se dérègle vite!

– Oh! pas comme le mien, peut-être!… Ecoutez, j’ai été à Sannois, dans la maison de santé du docteur Revertégat; puis à Sainte-Anne, à Villejuif, à Picpus. Où sais-je enfin?

– Mais on t’a partout bien soigné?

– Oui, je me souviens à Villejuif, du docteur Collin! Il me laissait dessiner et peindre. Vous avez des tableaux de moi, de ce temps-là, n’est-ce pas, monsieur Coquiot?

–Oui, Maurice. Un «parc Monceau», des «paysages des environs de Paris»; et ce que tu as fait de plus étrange, assurément: une «maison du Crime», peinte à Sannois; et un «Clocher hanté», peint, la nuit de la Nativité, chez le docteur Revertégat, également. Dans toute l’histoire de la peinture, il n’y a rien de plus hallucinant et de plus inouï!… Mais, ailleurs, dans les autres maisons de repos, on a eu pour toi des… attentions, des… égards?

– Oui, peut-être, je ne me souviens plus!

J’ai pris sa main, elle tremble. Il ne se souvient plus… ou il ne veut plus se souvenir, n’est-ce pas, monsieur le Docteur X…, que je veux épargner, pour cette fois? Il ne faudra plus jouer sadiquement avec ce grand peintre, ou gare la trique!

Lui, Utrillo, il a gardé une mémoire puissante, étonnante, déconcertante, de ces temps méchants. Il se dit – s’il boit toujours – qu’ils peuvent revenir; et, d’avance, il en demande pardon à sa mère. Il lui écrit de pauvres lettres navrantes, d’un cœur cent fois ulcéré; et il la supplie de ne pas cesser de l’aimer, de le retrouver même lorsqu’il en est indigne, tout couvert des blessures, des crachats, des ordures de la foule. Ah! toutes les condamnations pour ivresse qu’il a déjà accumulées! combien de fois, son admirable mère a saigné pour lui toutes ses larmes et bu toutes ses hontes!

Elle a traîné partout, avec elle, ce terrible fils, ange aujourd’hui, être coléreux demain; – elle, qui a aussi toute une carrière de peintre à parcourir et à semer de glorieuses toiles; – elle a fait peindre toujours ce fils à côté d’elle, tout près de ses flancs qui restent comme endoloris encore d’avoir enfanté un tel «prodige»!

Oui! un tel prodige! Car, ses débuts furent plutôt singuliers, à Utrillo. Il est venu à ses chefs-d’œuvre par des voies plutôt étroites et âpres. Ecoutez Suzanne Valadon vous raconter combien il détestait, les premiers temps, la peinture, peignant comme on menace un chien; et, de ce dégoût, ce que cela fut neuf tout de suite, pittoresque et attachant!

Il voulait écrire, lui; un de plus! Ses petites toiles peintes, il s’échappait, les vendait, les donnait plutôt à des prix de misère; et il buvait, son vrai régal.

Aussi, tout d’un coup, il se rappelle que nous avons une canette en train chez Spihlmann; et il m’entraîne, et je me laisse entraîner chez le vieux bougre qui a fait peindre cette guerrière enseigne: Au Clairon de Sébastopol; et c’est même cela qui, en ce moment, préoccupe Maurice plus fortement que tout le reste; car il me dit:

–Alors, il a été clairon à Sébastopol, le père Spihlmann?

–Lui ou un autre, tu sais, Maurice!

–C’est peut-être glorieux d’être clairon?

–C’est plus facile que de faire de la bonne peinture.

– Alors, je dirai à maman de m’acheter un clairon et je viendrai souffler dedans ici, devant la porte du café.

–Et tu auras encore des embêtements et on te bouclera! Reste tranquille! Contente-toi de ta flûte en fer blanc? Ça fait moins de bruit!… Euphrasie, une canette?

Et Maurice Utrillo reste sombre, obsédé. L’enfant qu’il demeure se demande, évidemment, pourquoi on peut parfois – glorieusement – souffler comme un sourd dans un clairon; et, d’autres fois, pourquoi cela est défendu et vigoureusement combattu par la police…

Maurice Utrillo

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