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Les Soirées De Médan

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COMMENT CE LIVRE A ÉTÉ FAIT

A M. Le Directeur du Gaulois.

Votre journal fut le premier à annoncer les Soirées de Médan, et vous me demandez aujourd’hui quelques détails particuliers sur les origines de ce volume. Il vous paraîtrait intéressant de savoir ce que nous avons prétendu faire, si nous avons voulu affirmer une idée d’école et lancer un manifeste.

Je réponds à ces quelques questions.

Nous n’avons pas la prétention d’être une école. Nous sommes simplement quelques amis, qu’une admiration commune a fait se rencontrer chez Zola, et qu’ensuite une affinité de tempéraments, des sentiments très semblables sur toutes choses, une même tendance philosophique ont liés de plus en plus.

Quant à moi, qui ne suis encore rien comme littérateur, comment pourrais-je avoir la prétention d’appartenir à une école? J’admire indistinctement tout ce qui me parait supérieur, à tous les siècles et dans tous les genres.

Cependant, il s’est fait évidemment en nous une réaction inconsciente, fatale, contre l’esprit romantique, par cette seule raison que les générations littéraires se suivent et ne se ressemblent pas.

Mais, du reste, ce qui nous choque dans le romantisme, d’où sont sorties d’impérissables oeuvres d’art, c’est uniquement son résultat philosophique. Nous nous plaignons de ce que l’oeuvre de Hugo ait détruit en partie l’oeuvre de Voltaire et de Diderot. Par la sentimentalité ronflante des romantiques, par leur méconnaissance dogmatique du droit et de la logique, le vieux bon sens, la vieille sagesse de Montaigne et de Rabelais ont presque disparu de notre pays. Ils ont substitué l’idée de pardon à l’idée de justice, semant chez nous une sensiblerie miséricordieuse et sentimentale qui a remplacé la raison.

C’est grâce à eux que les salles de théâtre, pleines de messieurs véreux et de filles, ne peuvent tolérer sur la scène un simple fripon. C’est la morale romantique des foules qui force souvent les tribunaux à acquitter des particuliers et des drôlesses attendrissants, mais sans excuse.

J’ai pour les grands maîtres de cette école (puisqu’il s’agit d’école) une admiration sans limites, jointe souvent à une révolte de ma raison; car je trouve que Schopenhauer et Herbert Spencer ont sur la vie beaucoup d’idées plus droites que l’illustre auteur des Misérables. - Voilà la seule critique que j’oserais faire, et il ne s’agit pas ici de littérature. - Littérairement, ce qui nous paraît haïssable, ce sont les vieilles orgues de Barbarie larmoyantes, dont Jean-Jacques Rousseau a inventé le mécanisme et dont une suite de romanciers, arrêtée, je l’espère, à M. Feuillet, s’est obstinée à tourner la manivelle, répétant invariablement les mêmes airs langoureux et faux.

Quant aux querelles sur les mots: réalisme et idéalisme, je ne les comprends pas.

Une loi philosophique inflexible nous apprend que nous ne pouvons rien imaginer en dehors de ce qui tombe sous nos sens; et la preuve de cette impuissance, c’est la stupidité des conceptions dites idéales, des paradis inventés par toutes les religions. Nous avons donc ce seul objectif: l’Être et la Vie, qu’il faut savoir comprendre et interpréter en artiste. Si on n’en donne pas l’expression à la fois exacte et artistiquement supérieure, c’est qu’on n’a pas assez de talent.

Quand un monsieur, qualifié de réaliste, a le souci d’écrire le mieux possible, est sans cesse poursuivi par des préoccupations d’art, c’est, à mon sens, un idéaliste. Quant à celui qui affiche la prétention de faire la vie plus belle que nature, comme si on pouvait l’imaginer autre qu’elle n’est, de mettre du ciel dans ses livres, et qui écrit en «romancier pour les dames», ce n’est, à mon avis du moins, qu’un charlatan ou un imbécile. J’adore les contes de fées et j’ajoute que ces sortes de conceptions doivent être plus vraisemblables, dans leur domaine particulier, que n’importe quel roman de moeurs de la vie contemporaine.

Voici maintenant quelques notes sur notre volume.

Nous nous trouvions réunis, l’été, chez Zola, dans sa propriété de Médan.

Pendant les longues digestions des longs repas (car nous sommes tous gourmands et gourmets, et Zola mange à lui seul comme trois romanciers ordinaires), nous causions. Il nous racontait ses futurs romans, ses idées littéraires, ses opinions sur toutes choses. Quelquefois il prenait un fusil, qu’il manoeuvrait en myope, et tout en parlant, il tirait sur des touffes d’herbes que nous lui affirmions être des oiseaux, s’étonnant considérablement quand il ne retrouvait aucun cadavre.

Certains jours on pêchait à la ligne. Hennique alors se distinguant, au grand désespoir de Zola, qui n’attrapait que des savates.

Moi, je restais étendu dans la barque la Nana, ou bien je me baignais pendant des heures, tandis que Paul Alexis rôdait avec des idées grivoises, que Huysmans fumait des cigarettes, et que Céard s’embêtait, trouvant stupide la campagne.

Ainsi se passaient les après-midi; mais, comme les nuits étaient magnifiques, chaudes, pleines d’odeurs de feuilles, nous allions chaque soir nous promener dans la grande île en face.

Je passais tout le monde dans la Nana.

Or, par une nuit de pleine lune, nous parlions de Mérimée, dont les daines disaient: «Quel charmant conteur!» Huysmans prononça à peu près ces paroles: «Un conteur est un monsieur qui, ne sachant pas écrire, débite prétentieusement des balivernes.»

On en vint à parcourir tous les conteurs célèbres et à vanter les raconteurs de vive voix, dont le plus merveilleux, à notre connaissance, est le grand Russe Tourgueneff, ce maître presque français; Paul Alexis prétendait qu’un conte écrit est très difficile à faire. Céard, un Sceptique, regardant la lune, murmura: «Voici un beau décor romantique, on devrait l’utiliser…» Huysmans ajouta: «… En racontant des histoires de sentiment». Mais Zola trouva que c’était une idée, qu’il fallait se dire des histoires. L’invention nous fit rire, et on convint, pour augmenter la difficulté, que le cadre choisi par le premier serait conservé par les autres, qui y placeraient des aventures différentes.

On alla s’asseoir, et, dans le grand repos des champs assoupis, sous la lumière éclatante de la lune, Zola nous dit cette terrible page de l’histoire sinistre des guerres, qui s’appelle l’Attaque du Moulin.

Quand il eut fini, chacun s’écria: «Il faut écrire cela bien vite.»

Lui se mit à rire: «C’est fait.»

Ce fut mon tour le lendemain.

Huysmans, le jour suivant, nous amusa beaucoup avec le récit des misères d’un mobile sans enthousiasme.

Céard, nous redisant le siège de Paris, avec des explications nouvelles, déroula une histoire pleine de philosophie, toujours vraisemblable sinon vraie, mais toujours réelle depuis le vieux poème d’Homère. Car si la femme inspire éternellement des sottises aux hommes, les guerriers, qu’elle favorise plus spécialement de son intérêt, en souffrent nécessairement plus que d’autres.

Hennique nous démontra encore une fois que les hommes, souvent intelligents et raisonnables, pris isolément, deviennent infailliblement des brutes, quand ils sont en nombre. - C’est ce qu’on pourrait appeler: l’ivresse des foules. - Je ne sais rien de plus drôle et de plus horrible en même temps que le siège de cette maison publique et le massacre des pauvres filles.

Mais Paul Alexis nous fit attendre quatre jours, ne trouvant pas de sujet. Il voulait nous raconter des histoires de Prussiens souillant des cadavres. Notre exaspération le fit taire, et il finit par imaginer l’amusante anecdote d’une grande dame allant ramasser son mari mort sur un champ de bataille et se laissant «attendrir» par un pauvre soldat blessé. - Et ce soldat était un prêtre.

Zola trouva ces récits curieux et nous proposa d’en faire un livre.

Voilà, Monsieur le directeur, quelques notes, vite griffonnées, mais contenant, je pense, tous les détails qui peuvent vous intéresser.

Veuillez agréer, avec mes remerciements pour votre bienveillance, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués.

17 avril 1880

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